III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l' examen de la recevabilité de la proposition de résolution .
L'article unique de la proposition de résolution présentée par Laurence Cohen et les membres du groupe Communiste - Républicain Citoyen et Écologiste, tend à créer une commission d'enquête de dix-neuf membres sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française .
L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait pas vingt-trois membres , respectant ainsi le Règlement du Sénat.
La proposition de résolution n'a pas non plus pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois .
Les auteurs de la proposition de résolution constatent, dans son exposé des motifs 14 ( * ) , que « les pénuries de médicaments dans les officines de pharmacie ont été multipliées par trente en dix ans », pénurie qui « touche désormais les antibiotiques », de même que les « stocks de médicaments des pharmacies des hôpitaux ».
Ils estiment en conséquence que cette situation soulève des enjeux majeurs de santé publique car elle « remet aujourd'hui en cause l'accès aux soins des malades », mais aussi des enjeux de politique et de souveraineté industrielles , car ces ruptures dans l'approvisionnement de médicaments pourraient être liées aux délocalisations intervenues dans le secteur pharmaceutique, y compris sur la production des principes actifs.
Compte tenu du « remboursement des médicaments par la Sécurité sociale » et des « nombreuses aides publiques » versées par la puissance publique , cette dernière peut en effet jouer un rôle important dans la détermination des « choix stratégiques de l'industrie pharmaceutique française » .
À l'
Assemblée nationale
,
deux propositions de résolution concurrentes tendant à la
création d'une commission d'enquête sur
la
pénurie de médicaments
ont
été déposées les 18
15
(
*
)
et 25
16
(
*
)
novembre 2022 - respectivement par des membres
des groupes Les Républicains et La France Insoumise - sans
qu'aucune n'ait pour l'instant, à la connaissance du rapporteur,
été créée ni même examinée. Une
commission d'enquête sur la désindustrialisation
,
dont les travaux se sont achevés à
l'Assemblée nationale le 19 janvier 2022, incluait en outre des
développements sur la
définition de
«
moyens à mettre en oeuvre pour relocaliser l'industrie
et notamment celle du médicament
»
17
(
*
)
.
Il faut observer que la pénurie de médicaments est une problématique ancienne, qui a également déjà fait l'objet de réflexions au Sénat , notamment à l'occasion du rapport d'information de la commission des affaires sociales sur la politique du médicament 18 ( * ) publié le 29 juin 2016, ou de la mission commune d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins , qui a clôt ses travaux le 27 septembre 2018 19 ( * ) .
Jean-Pierre Decool, qui en était le rapporteur, a récemment déposé - à nouveau - une proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments et de vaccins 20 ( * ) , traduisant les conclusions législatives de ce rapport. Il relève d'ailleurs dans son exposé des motifs que « si le phénomène n'est pas nouveau, il a connu une inquiétante amplification au cours des dernières années, que ne semblent pas pouvoir endiguer les mesures prises par les pouvoirs publics au cours de la période récente », témoignant de l'actualité renouvelée de ce sujet.
Dans ce contexte, selon l'exposé des motifs de la présente proposition de résolution, les investigations de la commission d'enquête devraient tout d'abord lui permettre d' établir les causes de la pénurie de médicaments en examinant notamment :
- l'efficacité des aides publiques consenties aux industriels pharmaceutiques ;
- la politique de recherche et développement en matière de médicament ;
- les circuits de production et de distribution des médicaments ;
- la politique du prix du médicament ;
- le lien éventuel entre la pandémie de la covid-19, la situation internationale et les ruptures de stocks ;
- et, enfin, les raisons du défaut d'anticipation de cette pénurie.
Une fois ce bilan effectué , la commission d'enquête pourrait « apporter des réponses » et notamment formuler des orientations de politique publique en vue de « planifier la recherche et la production en France » de médicaments, éventuellement en mettant en oeuvre une stratégie industrielle de « relocalisation » de certaines usines sur le territoire, pour assurer notre autonomie. Considérant que « la santé n'est pas une marchandise », les auteurs de la proposition de résolution estiment que « l'État doit reprendre la main sur les politiques du médicament et garantir l'accès aux médicaments pour toutes et tous ».
En conséquence, le champ d'investigation retenu par la proposition de résolution porte bien sur la gestion d'un service public au sens large - en l'espèce, évaluation d'une politique de santé publique (la disponibilité des médicaments) et de la politique industrielle de l'État dans le domaine pharmaceutique - non sur des faits déterminés.
Ainsi, la proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion d'un service public, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.
Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 198 (2022-2023) était recevable.
Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .
* 14 Exposé des motifs de la présente proposition de résolution.
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr22-198.html
* 15 Proposition de résolution n° 503 tendant à la création d'une commission d'enquête chargée d'évaluer les causes de rupture d'approvisionnement de nombreux médicaments, déposée le 18 novembre 2022 par Alexandra Martin et plusieurs députés.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/evaluer_causes_rupture_medicaments
* 16 Proposition de résolution n° 525 tendant à la création d'une commission d'enquête visant à identifier les causes des ruptures d'approvisionnement rencontrées sur certains médicaments, déposée le 25 novembre 2022 par Damien Maudet et plusieurs députés.
* 17 Rapport n° 4923 du 19 janvier 2022 fait au nom de la commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en oeuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament.
* 18 « Le médicament : à quel prix ? », rapport d'information n° 739 (2015-2016) de Gilbert Barbier et Yves Daudigny, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 29 juin 2016.
http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-739-notice.html
* 19 « Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament », rapport d'information n° 737 (2017-2018) de Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, déposé le 27 septembre 2018.
https://www.senat.fr/notice-rapport/2017/r17-737-notice.html
* 20 Proposition de loi n° 861 (2021-2022) de Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 4 août 2022.