Rapport n° 325 (2022-2023) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 février 2023
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L'ESSENTIEL
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I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION
D'ENQUÊTE PAR LE « DROIT DE TIRAGE » D'UN
GROUPE POLITIQUE
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II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ
D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE
COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LE CADRE DU « DROIT DE
TIRAGE »
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III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES
LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
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I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION
D'ENQUÊTE PAR LE « DROIT DE TIRAGE » D'UN
GROUPE POLITIQUE
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 325
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 février 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d' enquête sur l' utilisation du réseau social TikTok , son exploitation des données , sa stratégie d' influence ,
Par M. François-Noël BUFFET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir le numéro :
Sénat : |
303 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 8 février 2023, la commission des lois a examiné, sur le rapport de son président, François-Noël Buffet , la recevabilité de la proposition de résolution n° 303 (2022-2023), présentée par Claude Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, tendant à créer une commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence .
Compte tenu de son objet, cette proposition de résolution a été envoyée au fond à la commission des lois.
Le groupe Les Indépendants - République et Territoires a fait savoir qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête au titre de son « droit de tirage ». Prévue à l'article 6 bis du Règlement du Sénat, cette procédure permet à chaque groupe politique d'obtenir, de droit, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.
Conformément à l'article 8 ter du Règlement, la commission des lois s'est prononcée sur la recevabilité de la proposition de résolution .
Le rapporteur a constaté que l'objet de la commission d'enquête envisagée ne portait pas sur la gestion de services publics ou d'entreprises nationales, mais sur des faits déterminés et entrait bien à ce titre dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
En sa qualité de président de la commission des lois, il a sollicité le Président du Sénat, afin qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause. En réponse, le garde des sceaux a indiqué que le périmètre de la commission d'enquête envisagée était susceptible de recouvrir des procédures qui pourraient être diligentées des chefs de diverses infractions relatives aux traitements de données à caractère personnel , mais qu'à ce jour, les faits sur lesquels il est proposé d'enquêter ne faisaient pas l'objet de poursuites judiciaires .
Dans ces conditions, il résulte de l'analyse du rapporteur que la proposition de résolution respecte les conditions de recevabilité posées par ce même article 6 et par le Règlement du Sénat.
En conséquence, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution était recevable . Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .
I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PAR LE « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE
Chaque groupe politique du Sénat a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire 1 ( * ) .
Le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de président ou de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres 2 ( * ) .
Article 6 bis du Règlement du Sénat
« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information est formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des Présidents qui doit en prendre acte.
« 2. - La fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres. »
Article 6 ter du Règlement du Sénat
« 1. - La demande de création d'une commission d'enquête en application de l'article 6 bis prend la forme d'une proposition de résolution qui détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.
« 2. - Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »
Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à chaque groupe du Sénat, qu'il se soit ou non déclaré d'opposition ou minoritaire , a donné une réelle consistance au nouvel article 51-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit en effet que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein » et « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ». S'il n'était pas nécessaire, en tout état de cause, qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XX ème siècle -, cette disposition assure la reconnaissance au niveau constitutionnel des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.
Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande. Cette prise d'acte vaut création de la commission d'enquête ou de la mission d'information.
Depuis juin 2009, vingt-sept commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage » :
- sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1v), créée en 2010 ;
- sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;
- sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;
- sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;
- sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;
- sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;
- sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;
- sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;
- sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;
- sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;
- sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;
- sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;
- sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;
- sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;
- sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016 ;
- sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée en 2018 ;
- sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État Islamique, créée en 2018 ;
- sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée en 2018 ;
- sur la souveraineté numérique, créée en 2019 ;
- sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, créée en 2019 ;
- sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, créée en 2020 ;
- sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, créée en 2020 ;
- sur l'influence croissante des acteurs du secteur privé sur la détermination et la conduite des politiques publiques, créée en 2021 ;
- sur les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et l'évaluation de l'impact de cette concentration dans une démocratie, créée en 2021 ;
- sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, créée en 2021 ;
- sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments, créée en 2022 ;
- sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, créée en 2023.
En outre, la commission des lois a constaté l'irrecevabilité de deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête au titre du « droit de tirage » :
- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie 3 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs enquêtes et informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne) ;
- et en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France 4 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (notamment sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril).
Depuis juin 2009, deux commissions d'enquête ont été créées selon la procédure normale , hors droit de tirage :
- sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, créée en 2019 ;
- et sur l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, créée en 2020.
À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris en 2014 le dispositif sénatorial du « droit de tirage » 5 ( * ) , en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la Conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête 6 ( * ) .
Auparavant, le mécanisme instauré à l'Assemblée nationale par la résolution du 27 mai 2009 permettait seulement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander , une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle fût recevable, mais celle-ci pouvait être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance (à la majorité des trois cinquièmes des députés).
L'Assemblée nationale a également repris
en 2019 un autre mécanisme déjà en vigueur au Sénat
et vecteur de pluralisme
: la possibilité offerte aux
groupes d'opposition ou minoritaires de choisir la fonction
- président ou rapporteur - qu'ils exerceront dans le
cadre d'une commission d'enquête dont ils sont à l'origine
7
(
*
)
(auparavant, à
l'Assemblée, il était seulement prévu que la fonction de
président ou de rapporteur revienne de droit à un membre du
groupe à l'origine de cette demande... mais c'était la
majorité qui choisissait la fonction qu'elle préférait
exercer, généralement celle de rapporteur
8
(
*
)
).
II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LE CADRE DU « DROIT DE TIRAGE »
Lorsque le « droit de tirage » porte sur la création d'une commission d'enquête, l'article 6 ter du Règlement du Sénat prévoit que la demande prenne la forme d'une proposition de résolution qui « détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion ».
L'exercice du « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ne dispense pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à cette création. 9 ( * )
Cette obligation de contrôle de recevabilité était rappelée dès le rapport du sénateur Patrice Gélard sur la proposition de résolution ayant introduit le mécanisme du droit de tirage en juin 2009 (après avoir constaté que « la création de la commission d'enquête ne ferait pas l'objet d'un vote du Sénat », il indiquait ainsi que « la création de l'organe de contrôle serait donc automatique, sous réserve, pour les demandes de création d'une commission d'enquête, d'un contrôle de recevabilité minimal » 10 ( * ) ).
Elle a été fermement réaffirmée par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a statué sur la conformité à la Constitution de ces dispositions 11 ( * ) , et réitérée lors de l'introduction d'un dispositif similaire par l'Assemblée nationale 12 ( * ) .
Aux termes de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, le contrôle de recevabilité d'une résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est effectué par la commission des lois , qu'elle soit, ou non, saisie au fond de la proposition de résolution.
Article 8 ter du Règlement du Sénat
« 1. - Sous réserve de la procédure prévue à l'article 6 bis , la création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement.
« 2. - Cette proposition détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.
« 3. - Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale émet un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
« 4. - La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois.
« 4 bis . - Toutefois, lors de l'inscription à l'ordre du jour de l'examen de la proposition de résolution, la Conférence des Présidents peut décider de déroger à ce plafond, dans la limite de l'effectif minimal d'une commission permanente mentionné à l'article 7.
« 5. - Pour la désignation des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents de groupe et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités de constitution des commissions permanentes prévues aux alinéas 3 à 10 de l'article 8.
« 6. - Tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas les dispositions du IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête peut être exclu de cette commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu.
« 7. - En cas d'exclusion, celle-ci entraîne l'incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d'enquête. »
Le contrôle de recevabilité par la commission des lois consiste à s'assurer du respect par la proposition de résolution de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, aux termes duquel :
- « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés , soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales » ;
- « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » ;
- et les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».
Enquête sur des faits déterminés ou
enquête sur la gestion :
une procédure
différenciée de vérification de la
recevabilité
En 1991, le législateur a regroupé 13 ( * ) , sous l'unique dénomination globale de « commissions d'enquête », les anciennes commissions d'enquête et les commissions de contrôle (lesquelles avaient pour objet de contrôler spécifiquement le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public).
Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existante entre les anciennes commissions d'enquête stricto sensu , portant sur des faits, et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité :
- en effet, dans la première hypothèse , c'est-à-dire en cas d' enquête sur des faits déterminés , la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée par la commission des lois : le président de la commission demande au Président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause ;
- dans la seconde hypothèse , comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de consultation du garde des sceaux ne s'impose pas en raison de l'objet même de la commission , qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.
Par conséquent, lorsque la commission des lois est chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sa tâche consiste non seulement à déterminer si cette création entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 mais aussi si la consultation du garde des sceaux s'impose ou non .
En outre, il convient de s'assurer que, conformément à l'alinéa 4 de l'article 8 ter du Règlement, la proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois .
Dans le cadre du « droit de tirage », ce contrôle de recevabilité doit s'opérer, le cas échéant, dans des conditions compatibles avec le délai, établi par l'alinéa 1 de l'article 6 bis du Règlement, selon lequel la demande de création d'une commission d'enquête doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des présidents qui doi t prendre acte de cette demande.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l' examen de la recevabilité de la proposition de résolution .
L'article unique de la proposition de résolution présentée par Claude Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, tend à créer une commission d'enquête de dix-neuf membres sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence .
L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait pas vingt-trois membres , respectant ainsi le Règlement du Sénat.
La proposition de résolution n'a pas non plus pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois .
Les auteurs de la proposition de résolution exposent 14 ( * ) que la plateforme Tiktok est accusée :
- d'avoir un mode de fonctionnement différencié selon les zones géographiques et ce, afin d'accroître le caractère addictif de son application par la propagation de contenus tapageurs à l'étranger : « la nature des contenus mis en avant mais aussi les durées maximales d'utilisation pour les jeunes utilisateurs ne seraient pas les mêmes selon que l'utilisateur se trouve en Chine ou dans le reste du monde » ;
- de méconnaître la législation européenne issue notamment du règlement général sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) : « la plateforme TikTok est ainsi soupçonnée de ne pas observer la nécessaire confidentialité quant aux données à caractère personnel de ses utilisateurs étrangers, voire de les communiquer à des organismes tiers, en méconnaissant les obligations légales européennes qui lui incombent ». Est cité un exemple d'utilisation de données collectées pour identifier les sources de plusieurs journalistes.
Dans ce contexte, selon l'exposé des motifs de la proposition de résolution, les investigations de la commission d'enquête devraient lui permettre de déterminer :
- si les contenus mis en avant par TikTok et les durées maximales d'utilisation de TikTok varient d'un territoire à l'autre ;
- si ces différences de fonctionnement ont pour objet ou pour effet de servir une stratégie tendant à porter atteinte aux utilisateurs étrangers de TikTok, à la cohésion ou à la sécurité des États étrangers ;
- si TikTok a manqué à ses obligations en matière de protection des données à caractère personnel.
En conséquence, le champ d'investigation retenu par la proposition de résolution porte sur des faits déterminés , et non la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, et la proposition de résolution entre, à ce titre, dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.
Il convient toutefois de vérifier que les faits en cause ne font pas l'objet de poursuites judiciaires les concernant . En sa qualité de président de la commission des lois, le rapporteur a sollicité le Président du Sénat, afin qu'il interroge le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause.
En réponse, le garde des sceaux a indiqué que le périmètre de la commission d'enquête envisagée était susceptible de recouvrir des procédures qui pourraient être diligentées des chefs de diverses infractions relatives aux traitements de données à caractère personnel 15 ( * ) .
Toutefois, il a précisé que les faits sur lesquels il est proposé d'enquêter ne faisaient pas à ce jour l'objet de poursuites judiciaires .
Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 303 (2022-2023) était recevable.
Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .
EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 8 FÉVRIER 2023
La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution n° 303 (2022-2023) tendant à la création d'une commission d'enquête, présentée par M. Claude Malhuret et plusieurs de ses collègues.
M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Je ne reviens pas sur l'objet de la commission d'enquête qui est proposée, relative à l'utilisation du réseau social TikTok. Je vous rappelle que nous n'avons pas à juger de l'opportunité de la proposition de résolution, mais seulement à nous prononcer sur sa recevabilité.
Celle-ci s'apprécie en fonction de deux critères s'agissant d'une commission d'enquête appelée à consacrer ses travaux à des faits déterminés : y a-t-il déjà eu, dans un délai de moins de douze mois, une commission d'enquête sur le même sujet ? Y a-t-il des procédures pénales en cours ? Dans les deux cas, la réponse est non.
Par l'intermédiaire du président du Sénat, j'ai sollicité le garde des sceaux afin de savoir si des procédures judiciaires étaient en cours. Il a répondu qu'il n'y en avait pas en l'état. La constitution de la commission d'enquête ne pose donc pas de difficulté juridique. Néanmoins, dans l'hypothèse où l'entreprise concernée ferait l'objet de poursuites, les travaux de la commission d'enquête devraient exclure les faits poursuivis.
La demande de notre collègue Claude Malhuret et des membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires est donc, sur le plan strictement formel, recevable. Une suite lui sera donnée lors de la conférence des présidents qui se réunira ce soir.
La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence.
* 1 Introduites initialement en juin 2009 à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, ces dispositions figurent désormais à l'article 6 bis du Règlement du Sénat.
* 2 Dispositions introduites en mai 2015.
* 3 Proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie.
* 4 Proposition de résolution n° 24 (2018-2019) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.
* 5 Résolution du 28 novembre 2014.
* 6 Articles 141, alinéa 2, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale.
* 7 Articles 143, alinéa 3, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale, dans leur rédaction résultant de la résolution n° 281 du 4 juin 2019.
* 8 Rapport n° 1955 de Sylvain Waserman sur la proposition de résolution de Richard Ferrand tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale (p.142).
* 9 Comme le rappelle explicitement l'alinéa 2 de l'article 6 ter « Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »
* 10 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l08-427/l08-427.html
* 11 Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat , considérants 5 et 6.
* 12 Décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, Résolution tendant à modifier le règlement de l'Assemblée nationale.
* 13 Loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires.
* 14 Exposé des motifs de la présente proposition de résolution :
https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppr22-303-expose.html
* 15 En application des articles 226-16 à 226-22 du code pénal.