EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 mai 2023, la commission a examiné le rapport de M. Serge Babary sur la proposition de loi n° 391 (2022-2023) visant à reconnaître et à soutenir les entrepreneurs français à l'étranger.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à reconnaître et à soutenir les entrepreneurs français à l'étranger.

M. Serge Babary, rapporteur. - Nous abordons aujourd'hui le sujet des entrepreneurs français à l'étranger. Nous les connaissons peu : pourtant, environ 2,5 millions de Français sont établis dans 169 pays du monde et, parmi eux, environ 130 000 seraient entrepreneurs.

La proposition de loi de Mme Renaud-Garabedian et M. Jean-Pierre Bansard, dont je salue l'initiative, vise à reconnaître et à soutenir ces entrepreneurs. Elle intervient deux ans et demi après un premier rapport de la délégation aux entreprises du Sénat, qui avait déjà mis en évidence l'absence de définition juridique ou statistique de l'entrepreneur français à l'étranger. La proposition de Mme Renaud-Garabedian vise à y remédier et à formuler, pour la première fois en droit, une définition de l'entrepreneur français à l'étranger, comblant ainsi un vide préjudiciable à la fois pour ces entrepreneurs et pour la France.

Ces entrepreneurs, ce sont des Français partis en Amérique du Sud qui y ont ouvert un restaurant, d'autres partis en Asie pour y vendre d'excellents vins français, d'autres encore qui ont créé une société de conseil ou d'informatique en Afrique et ont recours à des talents ou à des partenariats français. Tous ces entrepreneurs contribuent, directement ou indirectement, à notre commerce extérieur. Toutefois, cette contribution est très difficile à quantifier, si l'on ne sait pas ce qu'est exactement un entrepreneur français à l'étranger.

Ils concourent aussi au rayonnement de la France à l'international, en incitant tous les jours des milliers de personnes dans le monde à aller en France, à mieux connaître la culture française ou encore à consommer des produits français.

Pour continuer à mettre en valeur la France comme ils le font, ils ont besoin d'être reconnus, identifiés et de disposer d'outils pour se valoriser. Ce ne sont pas de grandes entreprises connues du grand public. Ce sont à 77 % de petites structures avec un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros par an. Nous devons donc les distinguer et leur donner la visibilité dont ils ont tant besoin.

C'est aussi une question de reconnaissance : faute de reconnaissance, certains entrepreneurs pourraient être découragés de revenir en France et d'y investir, par exemple en y installant une filiale de leur entreprise créée à l'étranger.

Il y a là aussi un intérêt économique et commercial pour la France : mieux connaître ces entrepreneurs, c'est nous donner les moyens de mieux structurer les réseaux et communautés d'affaires à l'étranger, au service du développement international de nos entreprises. Or, pour cela, il faut les recenser, et pour les recenser, il faut leur donner une existence juridique.

C'est tout l'objet de cette proposition de loi : définir, recenser, valoriser.

Avec Mme Renaud-Garabedian, nous avons échangé en amont de cette réunion de commission, pour proposer un dispositif qui soit le plus opérationnel possible. Je tiens à saluer la qualité de nos échanges préparatoires. Je constate que nous avons su travailler ensemble en mettant à profit nos expériences respectives et complémentaires sur la question.

Définir les entrepreneurs français à l'étranger n'est pas simple. Cela n'avait jamais été fait. Différentes définitions étaient régulièrement utilisées, sans cohérence ni lisibilité : on pouvait parler d'entreprises créées et détenues par les Français de l'étranger, d'entreprises créées ou détenues, d'entreprises dirigées. La première question a donc été de déterminer les critères de définition du statut de l'entrepreneur français à l'étranger, en prenant en compte la diversité des situations de ces entrepreneurs, qui exercent dans des dizaines de pays.

À l'article 1er, le premier critère de définition de l'entrepreneur français à l'étranger posé par cette proposition de loi est d'être un ressortissant français inscrit au registre des Français hors de France. Sur les 2,5 millions de Français établis à l'étranger, seul 1 million d'entre eux y est inscrit.

Certes, l'inscription sur ce registre n'est pas obligatoire. Cependant, elle permet de témoigner un attachement, un engagement minimal envers la France. En effet, ne pas être inscrit sur ces listes, cela signifie ne pas pouvoir voter aux élections nationales.

Au-delà de ce critère primordial de nationalité et d'inscription au registre, il fallait déterminer des critères liés à l'activité économique de l'entrepreneur. La proposition de loi initiale définit comme entrepreneurs français à l'étranger les Français qui ont créé une entreprise de droit local dont ils détiennent plus de 50 % des parts. Ce critère risque malheureusement de ne pas couvrir tous les cas. L'entrepreneur peut créer une entreprise sans en être l'actionnaire majoritaire. Il peut aussi diriger une entreprise sans l'avoir créée, notamment dans le cas de la reprise d'une entreprise créée par un Français. Enfin, les Français qui permettent à d'autres d'entreprendre, en investissant dans une entreprise qu'ils n'ont pas créée, doivent aussi être pris en compte.

C'est pourquoi nous sommes d'accord pour modifier cette définition dans le sens d'une extension au-delà des seuls cas de Français fondateurs d'une entreprise à l'étranger dont ils détiennent la majorité des parts. Je vous propose donc un amendement visant à inclure les personnes de nationalité française inscrites au registre des Français hors de France qui ont créé ou exercent la direction générale ou assurent le contrôle effectif du capital d'une entreprise de droit local. Non seulement cet amendement permettra d'élargir la définition, mais il permettra aussi de remédier aux effets de seuil que pouvait entraîner la fixation d'un critère de détention de 50 % du capital. Également, grâce à la notion d'« entreprise » et non de « société », les entrepreneurs individuels ou leurs équivalents seront pris en compte.

Après la définition, un recensement des entrepreneurs français est nécessaire : c'est l'objet de l'article 2. Mais il n'est pas suffisant d'inscrire ce principe dans la loi, il faut qu'il soit effectivement mis en oeuvre ! C'est pour cela qu'après avoir discuté avec les acteurs économiques comme administratifs, nous avons décidé de ne pas confier cette mission de recensement aux services économiques des ambassades. D'abord, pour ne pas leur créer une charge administrative supplémentaire qu'ils ne pourraient pas gérer. Ensuite, parce que ce ne sont pas les meilleurs connaisseurs des économies locales : leur approche est beaucoup trop macroéconomique. Je vous propose donc un amendement qui supprime le rattachement du comité d'identification des entrepreneurs aux services économiques des ambassades. Ce comité d'identification sera composé notamment de représentants des chambres de commerce et d'industrie (CCI) françaises à l'étranger et des conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF).

Nous avons privilégié une rédaction qui leur permet de s'organiser avec souplesse, éventuellement en sollicitant d'autres acteurs et en s'appuyant sur eux, afin que le recensement soit adapté aux contextes locaux.

Enfin, nous avons conservé le principe d'un label, tout en affinant son dispositif : c'est l'objet de l'article 3. En effet, tous les entrepreneurs ne représentent pas la même valeur ajoutée pour la France. À mon sens, il est indispensable de ne pas tous leur octroyer ce label, mais il importe de valoriser ceux qui représentent véritablement un atout pour la France. Je propose donc un amendement visant à ne pas rendre l'octroi de ce label automatique, mais à conditionner sa délivrance à une activité professionnelle contribuant à la promotion d'un savoir-faire français, à la distribution de biens ou services français ou encore au rayonnement international de la France. Il s'agit de critères larges, qualitatifs. Ces critères seront appréciés par le comité chargé du recensement, constitué notamment de représentants des CCI et des CCEF. L'objectif n'est pas de créer de nouvelles complexités, de nouvelles contraintes, mais encore une fois de laisser les acteurs les plus connaisseurs des économies locales s'organiser.

Nous avions le même parti pris de privilégier la concertation des acteurs au niveau local, en ce qui concerne le nom du label. Initialement, le nom « Made By French » avait été proposé. Il nous est ensuite apparu nécessaire de le modifier. D'une part, il paraît difficile d'inscrire un label en anglais au sein de la loi même si, bien sûr, les acteurs économiques auxquels s'adressent nos entrepreneurs français sont en grande majorité anglophones ; d'autre part, il est essentiel de choisir un nom qui soit approuvé par tous : le choix du nom du label doit être concerté entre les différents acteurs. Nous avons décidé de ne pas mentionner le nom du label dans la loi, tout en nous assurant que le réseau des CCI et des CCEF, très enthousiastes sur ce dossier, fassent part de leurs propositions.

Enfin, la proposition de loi crée un répertoire public unique regroupant les noms des bénéficiaires du label. Je propose de conserver ce principe, mais de ne pas le rendre unique, afin qu'il puisse être mis en oeuvre au niveau des CCI et par les CCEF dans chaque pays. Je crains en effet qu'il ne voie jamais le jour si ce répertoire devait être unique et centralisé au niveau de l'État.

Mon objectif est de créer un cadre qui donne l'impulsion nécessaire à une meilleure connaissance et reconnaissance des personnes qui contribuent à la valorisation de la France dans le monde.

Je vous remercie de votre écoute.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, auteur de la proposition de loi. - Le sujet des entrepreneurs français a toujours été un angle mort des politiques publiques, notamment à cause de leur éloignement. J'espère que ce statut y remédiera.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je vous remercie pour ce travail, issu du rapport de la délégation sénatoriale aux entreprises. Dans un autre rapport de la délégation sur le commerce extérieur, mes collègues MM. Jean Hingray et Vincent Segouin et moi-même avions pointé un manque d'identification des entrepreneurs à l'étranger, contrairement à l'Italie, qui fait de ses entrepreneurs des ambassadeurs du savoir-faire italien et une véritable vitrine. Cette proposition de loi contribue donc à notre stratégie publique de commerce extérieur. Nous la saluons.

Nous souscrivons à la définition de l'entrepreneur français, tout comme à la nouvelle rédaction de l'article 2. Nous avions une inquiétude sur l'automaticité du label à l'article 3, tout comme sur le nom de ce label ; les acteurs choisiront le nom adéquat, c'est une bonne chose. Nous sommes favorables au texte et aux amendements proposés, tout en restant vigilants quant au périmètre de la définition proposée à l'article 1er.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Les chiffres du commerce extérieur appellent souvent des larmes de crocodile. Cependant, notre présence au monde est aussi le fait de produits et services réalisés par des Français à l'étranger, avec parfois des retombées sur le territoire national. Aux Émirats arabes unis, deux fleuristes français, après avoir conquis le marché des Émirats, se sont développés en France.

Pendant le covid, les dispositifs mis en place en France étaient vus avec envie, car très protecteurs. La difficulté venait du fait que les structures étaient juridiquement étrangères. Des mesures ont été prises. Par exemple, grâce à des associations, en Israël, nous avons pu soutenir des entrepreneurs français. Je salue le nouveau label - le label « French Tech » s'est très bien développé à l'étranger.

Je remercie le rapporteur pour son travail : les rédactions proposées sont très utiles et consolident le dispositif, en y associant des forces vives. Le RDPI votera ce texte.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - L'attachement à la France et le patriotisme de ces entrepreneurs français à l'étranger sont très hétérogènes. Le dimanche, je regarde souvent M6, qui présente des émissions sur les entrepreneurs français installés à l'étranger : certains sont très heureux d'avoir délocalisé leur activité pour ne pas payer d'impôt ; d'autres, au contraire, ont construit une activité, comme une boulangerie, tout en étant très attachés à leur région d'origine, et animent des réseaux locaux qui mettent en valeur la France.

Il faudra être vigilant sur les labels. Mes impôts ne sont pas là pour aider une entreprise israélienne. Recenser et définir, oui, mais pourquoi ne pas adosser ces entreprises aux conseillers français des ambassades ? Ce serait aussi une façon de nourrir nos conseillers techniques en matière d'intelligence économique au niveau du terrain. Donnons ce label avec discernement.

M. Franck Montaugé. - Les entreprises agricoles entrent-elles dans le champ de ce texte ? Sur le volet valorisation, des dispositions sont-elles envisagées ? Pensons à la compétitivité de la ferme France.

Par ailleurs, qu'en est-il du régime de sécurité sociale ? Un choix est-il possible ? Peut-on cotiser tout en résidant à l'étranger ?

M. Daniel Gremillet. - Cette proposition de loi arrive au moment opportun : nous voulons réindustrialiser la France. Ce texte peut y contribuer de manière indirecte. De plus, avoir une meilleure connaissance de ces acteurs permettra de mettre en avant la question de la compétitivité au niveau de l'Hexagone. Les sujets qui en découlent sont très nombreux.

M. Daniel Salmon. - Je souscris aux propos de Mme Lienemann. Il faut des conditions sociales et environnementales à l'octroi du label. Les entreprises doivent mériter ce label mettant en avant le savoir-faire français. Les entreprises sont très disparates.

M. Serge Babary, rapporteur. - Un comité est mis en place pour attribuer le label. Il sera composé de membres de la CCI internationale et, notamment, des CCEF. Ils feront appel par principe à des personnes du consulat et des ambassades. À eux de s'organiser. Le Quai d'Orsay n'a pas souhaité une mention automatique. J'avais évoqué un tiers de confiance, à l'origine. La rédaction permet d'associer les personnes pertinentes, notamment les conseillers commerciaux. Notre rédaction reste ouverte.

Les entreprises agricoles sont aussi incluses. Je pense à une remarquable entreprise d'aquaculture au Vietnam.

Les salariés expatriés des entreprises françaises à l'étranger peuvent cotiser à la sécurité sociale française ; en revanche, nous parlons ici d'entreprises locales, soumises au droit local.

Des entreprises françaises reviennent de l'étranger. En les valorisant et en maintenant le lien avec la France, nous les intéresserons d'autant plus.

Concernant les inquiétudes sur les délocalisations, je fais confiance à l'éthique des comités locaux pour définir ceux qui participent au rayonnement de la France. Si la motivation initiale est celle de l'optimisation fiscale, ils sauront décider.

Mme Sophie Primas, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose que le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à reconnaître et soutenir les entrepreneurs français à l'étranger comporte les dispositions relatives à la définition des entrepreneurs français à l'étranger, au recensement des entrepreneurs français à l'étranger et aux dispositifs de mise en valeur des entrepreneurs français à l'étranger.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Serge Babary, rapporteur. - L'amendement  COM-2 vise à étendre la définition de l'entrepreneur français à l'étranger, en revenant sur le critère de détention de 50 % du capital, qui n'est pas significatif de l'engagement des entrepreneurs. Je vous propose d'adopter cet amendement.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Serge Babary, rapporteur. - L'amendement  COM-3 prévoit que le comité d'identification n'est pas rattaché de manière automatique aux services économiques des ambassades. Il y va du respect du droit européen.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le Quai d'Orsay ne peut se laver les mains de tels types de démarche. J'ai conscience des problèmes de ressources humaines que cela implique, mais les services économiques ont aussi besoin d'une approche microéconomique. Le comité pourrait fonctionner sur le modèle des conseils consulaires, où le représentant de l'administration est le rapporteur, et tient donc la plume ; une telle expertise serait précieuse.

M. Serge Babary, rapporteur. - Nous sommes d'accord. Nous avons voulu respecter les exigences européennes et la demande du Quai d'Orsay. Il reste impliqué, puisqu'il va mettre en oeuvre le système.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je vais réfléchir à un amendement de séance.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

M. Serge Babary, rapporteur. - Adopter l'amendement  COM-1 rectifié ter impliquerait d'adresser un questionnaire à chacun de ces entrepreneurs. Certaines motivations sont personnelles, tout à fait intimes. Il n'y a pas d'intérêt à connaître la motivation première de leur choix. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 rectifié ter n'est pas adopté.

Article 3

M. Serge Babary, rapporteur. - L'amendement  COM-4 prévoit que le label n'est pas délivré de manière automatique, mais après sélection par un comité local ad hoc. Je vous propose d'adopter cet amendement.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BABARY, rapporteur

2

Extension de la définition de l'entrepreneur français à l'étranger

Adopté

Article 2

M. BABARY, rapporteur

3

Recensement des entrepreneurs français à l'étranger par un comité d'identification, sans rattachement aux services économiques des ambassades.

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Mme PAOLI-GAGIN

1 rect. ter

Mise en place d'une collecte de données sur les raisons pour lesquelles un entrepreneur a créé une société à l'étranger en vue d'un rapport au Parlement donnant lieu à un débat sur la compétitivité de la France

Rejeté

Article 3

M. BABARY, rapporteur

4

Mise en place d'un label dédié aux entrepreneurs promouvant la marque France dans le cadre de leur activité professionnelle

Adopté

Les thèmes associés à ce dossier