N° 1308


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

N° 674


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 1er juin 2023

 

Enregistré à la Présidence du Sénat
le 1er juin 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI visant à
garantir
le respect du droit à l'image des enfants

PAR M. BRUNO STUDER,

Député.

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PAR MME VALÉRIE BOYER,

Sénatrice.

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(1) Cette commission est composée de : M. Sacha Houlié, député, président ; M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président ; M. Bruno Studer, député, rapporteur et Mme Valérie Boyer, sénatrice, rapporteure.

Membres titulaires : Mmes Sarah Tanzilli, Pascale Bordes, M. Andy Kerbrat, Mme Mathilde Desjonquères, députés ; Mmes Brigitte Lherbier, Dominique Vérien, Marie-Pierre de La Gontrie, M. Hussein Bourgi, Mme Patricia Schillinger, sénateurs.

Membres suppléants : Mmes Christine Loir, Ségolène Amiot, Naïma Moutchou, Soumya Bourouaha Béatrice Descamps, députées ; Mme Catherine Di Folco, M. François Bonhomme, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, Mmes Maryse Carrère, Cécile Cukierman, sénateurs.

Voir les numéros :

Assemblée nationale :

1re lecture : 758, 908 et T.A. 84.

Commission mixte paritaire : 1308.

Sénat :

1re lecture : 396, 560, 561 et T.A. 107 (2022-2023).

Commission mixte paritaire : 674 (2022-2023).

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants s'est réunie à l'Assemblée nationale le jeudi 1er juin 2023.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

- M. Sacha Houlié, député, président ;

- M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président.

Elle a également désigné :

- M. Bruno Studer, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

- Mme Valérie Boyer, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

*

* *

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions de la proposition de loi restant en discussion.

M. Sacha Houlié, député, président. Cette proposition de loi a été déposée le 19 janvier 2023 sur le bureau de l'Assemblée nationale par M. Bruno Studer et les membres du groupe Renaissance. Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 6 mars dernier. Le Sénat l'a ensuite adoptée le 10 mai. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, il a demandé la convocation de la commission mixte paritaire (CMP) qui se réunit aujourd'hui.

La proposition de loi comportait initialement quatre articles. À l'issue des travaux du Sénat, deux articles ont été supprimés et un ajouté. Il reste donc cinq articles en discussion.

Mme Valérie Boyer, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. Nous sommes tous conscients que l'ouverture du monde numérique aux enfants est un défi majeur non seulement pour les familles mais également pour les pouvoirs publics, en particulier les enseignants.

Si l'objectif est partagé, la méthode pour l'atteindre est plus discutée. Pour ma part, je regrette que nous ayons à légiférer dans le désordre, de manière pointilliste, au fil de diverses propositions de loi, et que le Gouvernement n'ait pas été à l'initiative d'un grand texte visant à traiter tous les aspects de la question, y compris ceux concernant la santé publique et l'éducation nationale. Par ailleurs - c'est notre tropisme parlementaire - nous nous reposons trop sur la loi alors que tous les acteurs s'accordent à dire que c'est la prévention, l'éducation et la sensibilisation qui ont une efficacité.

J'ai évoqué le carnet de santé dans mon rapport : c'est un excellent outil pédagogique pour les parents. Je souhaiterais aussi que le code de la santé publique comporte un nouveau livre consacré au numérique, et que puisse voir le jour un programme scolaire de santé publique dans lequel le numérique ait sa part. Nous referons des propositions en ce sens au Sénat.

S'agissant des images d'enfants diffusées sur internet, tous les moyens devraient être mobilisés pour alerter les parents sur les conséquences des utilisations préjudiciables qui peuvent en être faites par la suite - harcèlement scolaire, détournement sur des réseaux pédocriminels, usurpation d'identité ou encore atteinte à la réputation. L'actualité, malheureusement, montre qu'elles peuvent être tragiques.

La proposition de loi de Bruno Studer, dont nous avons tous pu mesurer l'engagement, a le mérite de favoriser une prise de conscience collective. Il la décrit lui-même comme une proposition de loi pédagogique, destinée aux parents. Le Sénat a accepté de suivre cet objectif, tout en recentrant le texte sur l'essentiel et en rappelant que veiller au respect de la vie privée de l'enfant fait déjà partie de la mission exercée conjointement par les parents dans le cadre de l'autorité parentale, conformément à l'article 371-1 du code civil que ceux d'entre nous qui ont été maires connaissent bien. Le Sénat a retravaillé le texte en commission et l'a adopté à l'unanimité en séance publique.

L'article 1er vise à introduire la protection de la vie privée de l'enfant parmi les obligations des parents au titre de l'autorité parentale. Cet article a été adopté par le Sénat qui a rétabli la rédaction initiale de la proposition de loi afin de rattacher la vie privée de l'enfant au respect dû à sa personne, sans placer la vie privée sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité, qui doivent primer.

L'article 2 a été supprimé par le Sénat. En effet, nous avons considéré qu'il s'agissait d'une sorte de répétition, spécifiquement consacrée au droit à l'image, des dispositions des articles 371-1 et 372 du code civil. Le Sénat, en particulier sa commission des lois, est attaché à limiter l'utilisation du code civil à des fins pédagogiques, afin de ne pas s'exposer au risque de le voir grossir très rapidement.

Il me semble qu'il n'y a rien de bloquant au sujet de ces articles, pas plus que dans l'article 5, que nous avons ajouté en commission. Il permettrait à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) d'agir en référé en cas d'atteinte aux droits des mineurs en matière de données à caractère personnel, sans condition de gravité ou d'immédiateté.

Les deux points de dissensus concernent les articles 3 et 4.

L'article 3, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale, est un rappel des règles existantes lorsqu'il y a un désaccord entre les parents en matière d'exercice de l'autorité parentale. Nous avons choisi plutôt d'inscrire dans la loi que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l'enfant, ce qui comprend les photos et les vidéos, nécessite l'accord de chacun des parents.

Cette disposition éviterait toute divergence d'approche entre les juridictions lorsqu'il s'agit de décider s'il s'agit d'un acte usuel ou non usuel et permettrait au parent non consentant de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) d'une demande d'interdiction.

Les parents, ce qui me paraît le plus important, seraient obligés de réfléchir ensemble avant de diffuser au public une image de leur enfant qui pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour celui-ci. Ce serait un véritable changement de paradigme qui mettrait fin à l'insouciance avec laquelle des parents postent des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. J'ajoute qu'il n'y a jamais d'urgence à publier une photo - j'exclus du raisonnement, bien sûr, toutes les boucles familiales ou privées, qui ne sont pas concernées par le texte.

Nous avons choisi une formulation large afin d'inclure toute information relative à la vie privée et de couvrir toute situation, comme la divulgation d'un bulletin de notes ou de santé.

L'article 4, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale, tend à permettre une délégation forcée de l'exercice du droit à l'image de l'enfant lorsque la diffusion d'images de lui porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.

La difficulté, pour nous, est que cette mesure ne paraît pas opérante. Cette délégation n'aurait que peu d'effet : le parent continuerait à pouvoir filmer ou photographier l'enfant dans son quotidien et publier ces images sur les réseaux sociaux. Mais ce qui nous gêne le plus, c'est que cela reviendrait à mettre sur le même plan des comportements dont la gravité est très différente : la délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale est en effet réservée aux cas de désintérêt manifeste des parents, d'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale ou du meurtre d'un parent par l'autre.

Je rappelle que la diffusion d'images de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale caractérise une carence éducative qui peut justifier la saisine du JAF en vue du prononcé de mesures d'assistance éducative. Il n'y a donc pas de vide législatif en la matière.

Voilà l'état de nos divergences. Nous partageons l'esprit du texte, mais je regrette encore une fois le « saucissonnage » dont la question fait l'objet. Il me semble qu'un texte plus global permettrait d'atteindre un consensus.

M. Bruno Studer, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Ce texte m'est particulièrement cher. C'est le troisième que j'ai déposé dans ce domaine, après celui qui encadre le travail des enfants influenceurs et celui qui renforce le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet. Par ailleurs, c'est l'aboutissement de nombreuses années de travail. J'ai défendu cette proposition de loi auprès du Gouvernement, qui a accepté d'engager la procédure accélérée, puis à l'Assemblée, qui a adopté le texte à l'unanimité, ce qui n'est pas négligeable dans le contexte politique actuel.

Nous sommes partis d'un constat simple : la nécessité de mieux protéger les images des enfants, qui font l'objet d'abus croissants, notamment sur les réseaux sociaux. Des vlogs familiaux montrent l'enfant malade, en train de dormir, de faire une colère, de manger, dans sa vie quotidienne, sans qu'il lui reste la moindre intimité - sans parler des pranks, ou mauvaises blagues. S'il peut m'arriver de faire pleurer mon enfant parce que je l'ai grondé, il ne me viendrait jamais à l'idée de le filmer à ce moment-là et de publier ces images pour le monde entier. Les pleurs d'un enfant n'appartiennent qu'à lui.

Il s'agit d'un texte de bon sens, qui n'a pas qu'une visée pédagogique. Il lance un signal d'alarme et prévoit des mesures concrètes et opérationnelles, en particulier dans l'article 4.

Nous avons eu des échanges nourris, Mme Boyer et moi. Nous sommes convaincus de la nécessité de mieux protéger les enfants, mais nous n'avons pas réussi à nous accorder sur un texte commun.

L'article 1er ne pose guère de difficultés. Les discussions à l'Assemblée nationale avaient permis d'adopter une rédaction plus ambitieuse qu'initialement, qui plaçait la protection de la vie privée parmi les objectifs de la parentalité, mais nous entendons la volonté du Sénat de revenir au texte initial.

L'article 2 a beaucoup d'importance à nos yeux, non seulement parce qu'il inscrit noir sur blanc l'importance spécifique de l'association de l'enfant à la prise de décision concernant sa vie privée, conformément à la Déclaration des droits de l'enfant, mais surtout parce qu'il fait référence au code pénal, ce qui permet de donner une portée contraignante à une disposition actuellement proclamatoire. Mais le Sénat a choisi de supprimer cet article, ce que j'étais prêt à accepter.

L'article 3, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, prévoyait la possibilité, en cas de désaccord entre les parents sur l'exercice du droit à l'image, de saisir le juge pour que celui-ci prononce une interdiction de diffuser un contenu sans l'accord de l'autre parent. Nos collègues sénateurs sont allés plus loin en prévoyant la nécessité d'un accord des deux parents pour toute diffusion d'un contenu relatif à la vie privée de l'enfant. Nous visons donc le même objectif, mais selon une temporalité différente. Nous préférions attendre que le désaccord soit acté pour que le juge intervienne pour quelques situations problématiques, plutôt que d'adopter une disposition contraignante qui s'appliquerait à tout le monde sans distinction. Cette disposition aurait risqué de contraindre excessivement la vie des parents, mais nous étions prêts à trouver une rédaction de compromis.

L'article 4, supprimé par le Sénat, visait à permettre une délégation partielle de l'exercice du droit à l'image des parents qui en font un usage déraisonnable. La création de cette nouvelle condition de délégation partielle de l'autorité parentale serait une réelle avancée qui permettrait de traiter des cas très concrets, présents dans l'actualité. Un parent qui ne respecterait pas la délégation de l'autorité parentale se retrouverait dans la situation de n'importe quelle personne diffusant l'image d'un enfant sans être titulaire du droit à l'image, : il pourrait être poursuivi pénalement. Cet article offrait un nouvel outil au JAF et était opérant.

L'article 5, préparé avec la Cnil, semble-t-il, a été ajouté par le Sénat. Je ne m'y oppose pas : il aurait peut-être fallu le circonscrire un peu mais il aurait permis de faciliter l'intervention du régulateur en cas d'atteinte à la vie privée des mineurs sur internet.

Même si nous partageons les mêmes objectifs, il existe entre nous un certain nombre de désaccords, dont nous prenons acte. Nous étions prêts à faire des concessions, notamment au sujet de l'article 3, mais ce n'était finalement pas assez pour que nous puissions nous rejoindre.

M. Sacha Houlié, député, président. Chers collègues, il apparaît que les positions de nos deux rapporteurs ne sont pas compatibles. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin et je constate donc l'échec de la CMP.

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La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants.

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