N° 2399


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

N° 466


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 26 mars 2024

 

Enregistré à la Présidence du Sénat
le 26 mars 2024

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

PAR MME NICOLE LE PEIH,

Rapporteure,

Députée.

----

PAR MME FRANÇOISE GATEL,

Rapporteure,

Sénatrice.

----

(1) Cette commission est composée de : M. Sacha Houlié, député, président ; M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président ; Mme Nicole Le Peih, députée, Mme Françoise Gatel, sénatrice, rapporteures.

Membres titulaires : Mme Caroline Yadan, MM. Stéphane Rambaud, Julien Dive, Hubert Ott, députés ; Mmes Nadine Bellurot, Françoise Dumont, Audrey Linkenheld, MM. Christophe Chaillou, Olivier Bitz, sénateurs.

Membres suppléants : M. Jean-Pierre Pont, Mmes Pascale Bordes, Naïma Moutchou, MM. Gérard Leseul, Pierre Morel-À-L'Huissier, députés ; Mmes Elsa Schalck, Catherine Di Folco, MM. Philippe Bonnecarrère, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Alain Marc, Guy Benarroche, sénateurs.

Voir les numéros :

Assemblée nationale :

1ère lecture : 1602, 1912 et T.A. 203.

Sénat :

1ère lecture : 160 (2023-2024), 388, 389 et T.A. 81 (2023-2024).

Commission mixte paritaire : 467 (2023-2024).

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 26 mars 2024.

Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :

- M. Sacha Houlié, député, président ;

- M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président.

Elle a également désigné :

- Mme Nicole Le Peih, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;

- Mme Françoise Gatel, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

*

* *

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. Sacha Houlié, député, président. La proposition de loi dont nous sommes saisis, qui comporte un article unique, a été déposée le 20 juillet 2023 sur le bureau de l'Assemblée nationale par Mme Nicole Le Peih et les membres du groupe Renaissance. Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2023. Le Sénat l'a ensuite adoptée le 12 mars dernier.

Mme Françoise Gatel, rapporteure pour le Sénat. Je me réjouis que nous soyons réunis aujourd'hui pour établir le texte de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi relative aux troubles anormaux de voisinage. C'est là une question récurrente. Nous pouvons être satisfaits de la vitesse à laquelle nous avons avancé, compte tenu des attentes exprimées par de nombreux acteurs, en particulier par les exploitants agricoles.

Avec notre collègue Nicole Le Peih, nous avons essayé de chercher le nécessaire équilibre entre la liberté d'entreprendre et la protection de la jouissance d'un bien. Nous avons voulu sécuriser juridiquement des éléments d'appréciation qui relèvent, jusqu'à présent, surtout de la jurisprudence.

Le texte que nous vous soumettons permet de surmonter les quelques différences, assez légères, entre les versions votées par nos deux assemblées. Je crois pouvoir dire que nous avons atteint notre objectif et que nous avons élaboré un texte équilibré et enrichi sur chacun de ses deux volets.

Le premier volet concerne le régime général, que cette proposition de loi vient introduire au sein du code civil. Nous avons trouvé un compromis en retenant, à l'alinéa 5, la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale s'agissant des activités concernées par la cause exonératoire. Nous reprenons le terme générique d'« activités » : toutes les activités seront donc concernées - économiques, mais aussi culturelles, associatives ou autres. En contrepartie, si j'ose dire, nous nous félicitons du maintien et de l'enrichissement des dispositions ajoutées par le Sénat relatives au critère de l'installation. Il nous a semblé nécessaire de préciser ce dernier, qui pouvait entraîner des aléas juridiques inutiles : l'installation serait-elle constituée par le simple dépôt de quelques meubles dans une maison, sans l'occuper ? Nous nous sommes efforcés, en lien avec la Chancellerie, d'aboutir à une rédaction qui, tout en visant des actes juridiques, demeure aussi large que possible.

S'agissant du régime spécifique prévu pour les activités agricoles, nous nous sommes là encore attachées à préserver l'objectif d'intérêt général de maintenir de telles activités dans les territoires ruraux et à trouver un équilibre entre la liberté d'entreprendre des exploitants agricoles, d'une part, et le droit au recours et à la réparation d'un préjudice qui doit être ouvert aux voisins, d'autre part. La rédaction de la cause exonératoire que nous vous proposons d'adopter ne prévoit qu'une dérogation très circonstanciée au régime général. Les deux critères de l'antériorité et de la conformité aux lois et règlements seraient ainsi applicables dans les mêmes termes que pour le régime général.

Quant au critère de la poursuite de l'activité, il est identique à celui applicable au régime général, à deux exceptions près. D'une part, il nous paraît nécessaire que la cause exonératoire d'antériorité s'applique dans le cas d'une modification de l'activité ne visant qu'à se conformer aux lois et règlements - par exemple en remplaçant un élevage de poules pondeuses en batterie, qui pourrait éventuellement être interdit par la loi, par un élevage en plein air. D'autre part, nous avons prévu qu'une modification de la nature ou de l'intensité de l'activité peut permettre l'exonération de responsabilité dès lors qu'elle n'est pas substantielle. L'appréciation du caractère substantiel de la modification des conditions d'exercice de l'activité reviendra au juge, qui procède déjà à une appréciation in concreto très fine des cas d'espèce. Ce faisant, nous avons repris une proposition formulée par le Conseil d'État dans son avis relatif à la proposition de loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.

Ce régime dérogatoire, circonscrit aux activités agricoles comme l'envisageait le Conseil d'État, nous semble robuste et justifié au regard de la nécessité de protéger les territoires ruraux spécialement confrontés aux difficultés causées par des troubles anormaux de voisinage. Les activités agricoles sont essentielles au dynamisme économique et social de nos campagnes. Il nous paraît ainsi que ce dispositif ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au recours et à l'indemnisation du préjudice subi par les victimes. Il assure au contraire une conciliation plus équilibrée, dans un cas particulier dont les juridictions ont régulièrement à connaître, entre ces principes et la liberté d'entreprendre.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter ce texte, fruit d'un échange d'une particulière qualité avec Nicole Le Peih, que je tiens à remercier pour son engagement et la richesse de nos travaux.

Mme Nicole Le Peih, rapporteure pour l'Assemblée nationale. Je me félicite que nous arrivions rapidement au stade de la commission mixte paritaire sur ce texte très attendu. Je remercie Mme la rapporteure Françoise Gatel pour le travail que nous avons mené en bonne intelligence et qui nous permet de vous présenter un texte commun.

Le texte tend à codifier la jurisprudence relative aux troubles anormaux de voisinage. En effet, la responsabilité sans faute en cas de trouble anormal de voisinage est une création jurisprudentielle.

Ce texte reprend dans le même temps l'exception à ce principe, aussi appelée théorie de la pré-occupation : la responsabilité sans faute pour trouble anormal de voisinage peut être écartée par le juge lorsque trois critères cumulatifs sont réunis, l'antériorité de l'activité à l'origine du trouble, le respect de la législation en vigueur et, surtout, la poursuite de l'activité dans les mêmes conditions.

L'article unique visait donc à réunir au sein du code civil le principe jurisprudentiel et son exception.

Le texte a été enrichi lors de son passage au Sénat : outre des modifications pour clarifier l'acte juridique prouvant l'antériorité, celui-ci a inséré dans le code rural une exonération particulière pour les activités agrigcoles.

Cette exonération est maintenue, à l'alinéa 10, dans le texte de compromis que nous vous proposons. La responsabilité sans faute d'un exploitant agricole pourra être écartée dès lors que ses activités se seront poursuivies dans les mêmes conditions, mais aussi lorsqu'elles n'auront subi aucune modification substantielle. Il appartiendra au juge de déterminer ce qui relève ou non d'une modification substantielle. Nous avons ainsi abouti à une exonération à la fois protectrice des exploitations agricoles et respectueuse du droit de leurs voisins au recours.

Il s'agit pour nous d'être à l'écoute de l'ensemble de nos territoires et d'entendre les préoccupations légitimes des exploitants agricoles. Plus généralement, en codifiant une jurisprudence et en inscrivant dans le code civil à la fois le principe et son exception, ce texte doit apporter de la visibilité à nos concitoyens.

Nous pouvons être fiers du travail accompli.

Article unique
Régime de responsabilité extracontractuelle sans faute du fait

des troubles anormaux de voisinage

M. Sacha Houlié, député, président. Au I, le texte qui vous est proposé par les rapporteures reprend la version de l'Assemblée nationale pour les quatre premiers alinéas et la version sénatoriale, en partie réécrite, pour la suite. Au II, la version de l'Assemblée nationale demeure. Le III reprend la version du Sénat, en partie réécrite, notamment en ce qui concerne la modification substantielle.

Mme Audrey Linkenheld, sénatrice. Les représentants du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat s'abstiendront.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

La commission mixte paritaire adopte ainsi l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

*

* *

En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte de la proposition de loi
adopté en première lecture
par l'Assemblée nationale

___

Texte de la proposition de loi
adopté en première lecture
par le Sénat

___

Proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Article unique

Article unique

I. - Le sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

I. - Le sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV

« Chapitre IV

« Les troubles anormaux du voisinage

« Les troubles anormaux du voisinage

« Art. 1253. - Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« Art. 1253. - Le propriétaire, le locataire, l'occupant sans titre, le bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d'ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« La responsabilité prévue au premier alinéa n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités, quelle qu'en soit la nature, préexistant à l'installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal. »

« Cette responsabilité n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités économiques existant antérieurement à l'acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa, qui sont conformes aux lois et aux règlements et se sont poursuivies, sous réserve de l'article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal.

 

« Les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.

 

« Lorsqu'une activité économique à l'origine du trouble mentionné au premier alinéa du présent article a été autorisée par l'autorité administrative, le juge peut accorder des dommages et intérêts et ordonner les mesures permettant de réduire ou faire cesser ce trouble, sous réserve qu'elles n'aient ni pour objet ni pour effet de contrarier les prescriptions édictées ou de priver d'effet les autorisations ainsi délivrées par l'autorité administrative. »

II (nouveau). - L'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation est abrogé.

II. - (Non modifié)

 

III (nouveau). - Après l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :

 

« Art. L. 311-1-1. - La responsabilité prévue au premier alinéa de l'article 1253 du code civil n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités agricoles qui se sont poursuivies, postérieurement à l'acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage, dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité de l'exercice de ces activités aux lois et aux règlements ou dans des conditions telles qu'il n'en résulte pas une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité. »

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