- L'ESSENTIEL
- I. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT EDIP :
UNE AMBITION SALUTAIRE MAIS DES MODALITÉS D'ACTION TOUTEFOIS
PERFECTIBLES
- II. UNE RÉSOLUTION EUROPÉENNE POUR
APPELER AU SOUTIEN PRIORITAIRE DE L'INDUSTRIE EUROPÉENNE DE LA
DÉFENSE, DANS LE CADRE INTERGOUVERNEMENTAL PRÉVU PAR LES
TRAITÉS
- I. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT EDIP :
UNE AMBITION SALUTAIRE MAIS DES MODALITÉS D'ACTION TOUTEFOIS
PERFECTIBLES
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 219
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur la proposition de résolution européenne au nom de la
commission des affaires européennes, en application de l'article 73
quater du Règlement, sur la
proposition de
règlement du Parlement
européen et du Conseil
relatif à
l'établissement du
programme pour l'industrie
européenne de la défense
et d'un cadre de mesures
visant à assurer la
disponibilité et la
fourniture en temps utile
des produits
de
défense - COM(2024) 150 final,
Par M. Jean-Luc RUELLE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
167 et 220 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
I. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT EDIP : UNE AMBITION SALUTAIRE MAIS DES MODALITÉS D'ACTION TOUTEFOIS PERFECTIBLES
A. UNE INITIATIVE VISANT À REMÉDIER À LONG TERME AUX FAIBLESSES DE L'OUTIL DE DÉFENSE EUROPÉEN
1. La pérennisation des efforts déployés en urgence depuis 2022
La proposition de règlement « EDIP », vise à soutenir la préparation de l'Union et de ses États membres dans le domaine de la défense.
Elle s'inscrit dans le prolongement des efforts stratégiques, normatifs et financiers déployés depuis l'agression russe de l'Ukraine, scandés par : la déclaration de Versailles du 11 mars 2022, la communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense de mai 20221(*), le règlement relatif au soutien à la production de munitions, dit règlement ASAP2(*), l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, dit règlement EDIRPA3(*), et, enfin, la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, dite aussi « EDIS », présentée par la Commission européenne le 5 mars 20244(*).
Le règlement EDIP poursuit ainsi l'objectif central depuis 2022 : faire en sorte que les États membres investissent « davantage, mieux et ensemble ».
Les faiblesses de la BITD européenne ont été correctement illustrées par le document de travail de la direction générale de la Commission européenne chargée de l'industrie de défense et de l'espace (DG DEFIS)5(*).
L'industrie de défense a d'abord souffert d'un sous-investissement chronique pendant la période dite des « dividendes de la paix ». Les États membres, qui le sont aussi de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, se sont engagés en 2014 à dépenser au moins 2 % de leur PIB pour la défense, mais peu ont respecté cet engagement. Sur la période 2006-2022, l'écart à cette norme de dépense représente environ 1800 milliards d'euros en prix constant 2024. Le respect de cette norme et le fléchage de 20 % de ces dépenses à la recherche et aux équipements aurait conduit à diriger 425 milliards d'euros supplémentaires vers l'industrie de défense.
Les outils de défense européens sont en outre très dépendants de ressources étrangères. D'après l'IRIS, près de 80 % des dépenses d'équipement des États membres de 2022-2023 ont été réalisées hors de l'Union européenne, dont les quatre cinquièmes bénéficient à des industriels américains6(*). Les données concernant les notifications au Congrès des Etats-Unis de ventes d'équipements majeurs aux États membres montrent une forte tendance haussière depuis 2016. Il en résulte une baisse de la demande adressée à la BITDE. Celle-ci est en outre dépendante de nombreux composants produits à l'étranger : sur les 39 matériaux critiques identifiés en 2016 par le centre commun de recherche, l'UE dépend entièrement des importations pour 19 d'entre eux, et à plus de 50 % pour les trois quarts d'entre eux. La Chine est le principal producteur d'un tiers des matières premières utilisées dans les applications de défense.
Restant ainsi fragmentée, la BITDE est rendue faiblement réactive, comme l'a montré l'incapacité à atteindre l'objectif de production d'un million d'obus destinés à l'Ukraine. Conjuguée à la complexité croissante des équipements, la réduction des capacités de production entretenue par la faiblesse de la demande adressée à la BITDE allonge les délais de livraison. La fragmentation de la base industrielle a encore des effets évidents sur l'efficacité opérationnelle par manque d'interopérabilité et d'interchangeabilité : tandis que les États-Unis n'ont qu'un seul système de défense antiaérienne portable, le Stinger, les Européens en produisent trois, lesquels s'ajouteraient, sur un éventuel champ de bataille européen, au système sud-coréen, aux systèmes soviétiques résiduels, et même au Stinger lui-même qu'utilisent certaines armées nationales.
2. Une « boîte à outils » réglementaire
Pour améliorer la compétitivité de la BITD européenne, remédier à la fragmentation du marché européen de la défense, soutenir les capacités de défense propres des États et les pousser à mieux coordonner leurs politiques de défense respectives, la proposition de règlement se présente comme une « boîte à outils » destinée à inciter à l'agrégation de la demande et à faciliter la coopération de long terme des États membres. Participent de cette logique :
- Le programme proprement dit. Géré directement par la Commission européenne, il bénéficie à une longue liste d'actions potentielles : la coopération d'autorités publiques dans les procédures de marchés publics de défense, notamment en vue d'une acquisition conjointe de produits de défense, l'accélération des capacités de production de biens de défense et composants, les activités de soutien à l'interopérabilité, à l'interchangeabilité ou à la formation, etc. Parmi ces actions figurent encore les projets européens d'intérêt commun, qui visent à permettre à la BITDE de développer des projets qui ne sont pas à la portée d'un État membre agissant seul ;
- Les structures pour programmes européen d'armement (SEAP), nouvelle structure juridique étendant la collaboration des États membres à l'ensemble du cycle de vie d'un équipement, depuis la phase initiale de recherche et développement jusqu'à son démantèlement, y compris toute la phase d'exploitation, avec ses périodes de maintien en conditions opérationnelles et de remise à niveau ;
- Les dispositions relatives à la surveillance des chaînes d'approvisionnement, déjà envisagées dans le règlement ASAP, afin de garantir un niveau minimal de coordination et de priorisation en cas de crise ;
- Le cadre relatif à la sécurité d'approvisionnement, qui organise une réponse coordonnée en situation de crise en précisant les modalités de réquisition qui font défaut dans certaines législations nationales ;
- Le fonds pour l'accélération de la transformation des chaînes d'approvisionnement (FAST), destiné aux PME et aux petites et moyennes capitalisations, qui doit contribuer au développement d'un écosystème d'investisseurs concentrés sur des étapes de croissance ;
- Les mesures visant à développer les liens entre les industries ukrainiennes et celles de l'Union en vue d'ouvrir la voie à l'intégration de la BITD ukrainienne au sein de la BITDE. Le texte prétend même, plus largement, aider l'Ukraine à s'aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques de l'Union en vue de son adhésion future à l'Union.
B. UNE INITIATIVE DONT LES GRANDS DÉTERMINANTS RESTENT À PRÉCISER
1. Des modalités de financement encore imprécises
L'enveloppe budgétaire que la Commission européenne propose d'allouer au programme visant à renforcer la BITDE s'élève à 1,5 milliard d'euros pour la période allant jusqu'au 31 décembre 2027. Pour les actions visant à renforcer la BITD ukrainienne, des contributions financières supplémentaires devaient être précisées ultérieurement : le Conseil européen a finalement adopté le 21 mai une décision autorisant l'emploi à cette fin des intérêts provenant des avoirs russes gelés7(*).
Cette initiative règlementaire intervient cependant dans un contexte de renouvellement des institutions européennes et de relèvement des ambitions politiques. Le nouveau commissaire à la défense, le Lituanien Andrius Kubilius, a ainsi plaidé, lors de son audition par le Parlement européen, pour une enveloppe de soutien à la défense de 500 milliards d'euros sur dix ans, et s'est engagé à publier un Livre blanc dans les 100 premiers jours de la nouvelle Commission. D'aucuns s'attendent par conséquent à ce que le programme EDIP n'en soit qu'à sa première version.
2. Une ambition qui ne saurait toutefois s'affranchir totalement des traités
L'initiative de la commission des affaires européennes, approuvée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a conduit le Sénat à adopter, le 5 juin 2024, une résolution européenne portant avis motivé, par laquelle il a contesté le respect, par cette proposition de règlement européen, des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
La résolution portant avis motivé du Sénat du 5 juin 2024
La commission, à la suite de la commission des affaires européennes, a déjà dénoncé la méconnaissance des principes de subsidiarité et de proportionnalité par certaines dispositions du règlement. Celui-ci procède en effet à une discrète communautarisation de certaines compétences rattachables à l'organisation de la défense :
- Choix inapproprié des bases juridiques. La défense n'étant pas une compétence de l'Union mais des États membres, le texte proposé comprend 67 articles répartis en trois piliers, reposant sur quatre bases juridiques différentes : un premier pilier de mesures est fondé sur l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif aux conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union. Un deuxième ensemble de mesures relatives au marché européen des équipements de défense est fondé sur l'article 114 du TFUE, qui traite du fonctionnement du marché intérieur. Le troisième pilier, qui comprend des mesures destinées à soutenir l'industrie ukrainienne, se réclame de l'article 212 du TFUE, relatif aux actions de « coopération économique, financière et technique, y compris d'assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement ».
- Introduction de la Commission dans des mécanismes intergouvernementaux : c'est le cas, aux articles 22 et suivants, des structures pour programmes d'armement européens, qui regroupent la demande de produits de défense tout au long du cycle de vie à l'instar des coopérations structurées permanentes, ou bien des projets de défense européens d'intérêt commun constitués en vue d'un financement par le programme (article 15). L'article 57 crée en outre un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense pour aider à la programmation et à l'acquisition conjointes d'équipement de défense, favoriser la coordination et la résolution des conflits des plans d'acquisition des États membres, et fournir des orientations stratégiques pour mieux faire coïncider l'offre et la demande - ce qui relève pour l'heure de l'Agence européenne de défense.
- Centralisation d'informations sensibles sans filtre étatique : l'article 40 autorise la Commission à cartographier les chaînes d'approvisionnement de l'Union dans le secteur de la défense. L'article 41 lui permet d'assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de l'Union à l'approvisionnement en produits nécessaires en cas de crise. L'article 14 permet l'établissement d'un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE. Ces mécanismes regroupent des informations sensibles sans filtre étatique.
- Pouvoirs exceptionnels de la Commission en situation de crise : les articles 43 à 50 prévoient que des régimes d'« état de crise d'approvisionnement » et d'« état de crise d'approvisionnement liée à une crise de sécurité » pourraient être activés en cas de risque de perturbation grave d'un produit nécessaire en cas de crise. La Commission pourrait alors adopter des mesures préventives, collecter des informations et passer des commandes prioritaires, et des sanctions frapperaient les opérateurs qui ne s'y conformeraient pas.
La création d'un commissaire à la défense dans la nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen est en soi l'expression d'un affranchissement de la lettre et de l'esprit des traités, qui prennent soin de réserver la compétence défense aux États membres - du moins tant que le Conseil européen n'aura pas statué à l'unanimité sur l'opportunité de passer d'une « politique de défense commune de l'Union » à une « défense commune » (article 42 du TUE).
II. UNE RÉSOLUTION EUROPÉENNE POUR APPELER AU SOUTIEN PRIORITAIRE DE L'INDUSTRIE EUROPÉENNE DE LA DÉFENSE, DANS LE CADRE INTERGOUVERNEMENTAL PRÉVU PAR LES TRAITÉS
A. UNE NÉGOCIATION QUI ACHOPPE ENCORE SUR L'ESSENTIEL : LES CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ AUX FONDS DU PROGRAMME
1. Une négociation qui a progressé sous présidence belge puis hongroise
La négociation du règlement a commencé au sein du Conseil, en attendant la mise en place des nouveaux organes du Parlement européen issu des élections de juin dernier. Les échanges avec le secrétariat général aux affaires européennes ont permis de relever quelques points de satisfaction sur l'avancée des négociations sous présidence hongroise. S'agissant des dispositifs relatifs à la sécurité d'approvisionnement, à la remontée d'informations à la Commission, ou à la priorisation des commandes, les demandes de la France devraient être agréées par l'introduction d'un filtre national préservant les compétences des États membres.
Deux points importants, pour garantir le respect du principe de subsidiarité, n'ont cependant pas encore trouvé d'issue :
- d'une part, le régime des projets de défense européens d'intérêt commun, auxquels la Commission se réserve le droit de participer après les avoir recensés. La France insiste pour que leur recensement réponde aux priorités identifiées par les États membres et qu'en toute hypothèse, l'initiative en la matière soit réservée aux États et à l'Agence européenne de défense ;
- d'autre part, la neutralisation du contrôle à l'exportation en régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité. La France a demandé une disposition horizontale visant à préserver le caractère national de ce contrôle, attribut fondamental de sa souveraineté en matière de défense.
2. La principale pierre d'achoppement : les critères d'éligibilité aux fonds du programme EDIP
La négociation achoppe notamment sur les critères d'éligibilité au fonds du programme. Notre commission soutient la position française considérant que, dès lors que le nouveau programme pour l'industrie européenne de la défense a vocation à être pérenne, il importe que les critères d'éligibilité soient les plus ambitieux possible, afin qu'ils servent véritablement la base industrielle et technologique de défense européenne.
La France plaide ainsi pour un taux minimal de composants des produits de défense soutenus par le programme provenant de l'Union européenne ou de pays associés de 65 % en valeur. Ce critère, issu d'une proposition de 28 industriels européens, à laquelle ne se sont toutefois pas associé certains grands industriels français comme Dassault, semble s'être imposé dans les derniers compromis portés à la connaissance du rapporteur. Seuil retenu par le règlement Edirpa, il constituait certes un minimum minimorum.
Il est en outre indispensable que les fonds du programme soient réservés au soutien de produits de défense dont l'autorité de conception, et non l'autorité de fabrication, est installée dans l'Union européenne ou les pays associés et qui ne font l'objet d'aucune restriction d'usage, afin de permettre aux États membres de demander des modifications ou adaptations rapides des produits en fonction de leurs besoins sans dépendre d'autorisations d'États tiers.
Or sur ce dernier point, la position allemande s'est distancée, début décembre de celle de la France. Le terme d' « autorité de conception » devrait être maintenu dans le texte mais il voisinerait avec une forme d'exception faite aux productions sous licence étrangère. Les entreprises allemandes sont en effet quelques-unes à fabriquer sous licence des produits de défense américains ou israéliens qui concurrencent des produits européens de la même gamme - tel le missile américain Patriot - et dont la dénomination est parfois trompeuse - tel le missile antichar israélien Spike, qui sort de sa ligne de production bavaroise sous l'appellation « Eurospike ». Or il est de notoriété publique que les Etats-Unis effectuent un lobbying intense, à Bruxelles, en faveur de l'assouplissement des critères d'éligibilité8(*).
L'inclusion dans les critères d'éligibilité aux fonds du programme EDIP des fabrications sous licence étrangères irait à l'encontre des objectifs poursuivis, en faisant financer par le contribuable européen la production d'industriels extérieurs à l'Union européenne - majoritairement américains.
La négociation ne pouvant à présent plus aboutir sous présidence hongroise, la recherche du compromis est manifestement repoussée à la présidence polonaise du premier semestre 2025. Cette circonstance rend plus improbable encore le respect par une majorité suffisante de ses partenaires de ce que la France a tracé comme une ligne rouge.
B. UNE RÉSOLUTION ESSENTIELLE APPELANT À FIXER DANS LE DROIT EUROPÉEN LES PRINCIPES DE MISE EN oeUVRE DES AMBITIONS FUTURES
Notre commission s'est largement rangée à l'analyse de la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes, qui se focalise sur quelques points précis du règlement, en :
- Réaffirmant le soutien de la France aux objectifs de long terme poursuivis par le texte, qui doivent contribuer à une plus grande autonomie stratégique européenne ;
- Rappelant la position prise par le Sénat sur le non-respect, par la proposition de règlement initiale, des principes de subsidiarité et de proportionnalité, et la nécessité de préserver les compétences des États membres dans un domaine qui relève par essence de la souveraineté nationale ;
- Réaffirmant l'importance du critère d'éligibilité tenant à l'autorité de conception européenne ;
- Soutenant, au titre du critère d'éligibilité tenant au taux de composants en provenance de l'Union européenne ou de pays associés, l'ambition d'un taux minimal plus élevé, allant jusqu'à 80 %.
Outre un amendement rédactionnel, la commission des affaires étrangères et de la défense a adopté, à l'initiative de son rapporteur, plusieurs amendements visant à :
- regretter que le texte soit privé d'une vision stratégique claire à moyen et long termes, ainsi que d'objectifs quantifiés et articulés à ceux de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, et à regretter l'absence d'indicateurs de performance qui permettrait d'en suivre la mise en oeuvre et d'en évaluer les résultats. Faute d'étude d'impact, qui aurait dû pourtant être produite dans les trois mois suivant la date de publication du règlement, l'état des lieux quantitatif et qualitatif de l'industrie de défense européenne reste imparfaitement connu et la mise en oeuvre du texte est privée de jalons pertinents permettant d'en suivre les résultats ;
- dire plus explicitement la nécessité absolue de fermer la porte du règlement EDIP aux productions sous licence étrangère, lesquelles iraient à l'encontre des objectifs poursuivis par le règlement EDIP ;
- préciser que la sélection des projets de défense européen d'intérêt commun doivent obéir aux priorités identifiées par les États membres ;
- exprimer la crainte que les procédures de sélection des projets et d'allocation des fonds, ainsi que la coordination entre les différents acteurs institutionnels, les États membres ne mobilisent des ressources humaines et techniques excessives, compte tenu de la multiplicité des instruments ;
- exprimer le regret que le financement du programme ne soit pas échelonné plus précisément dans le temps ;
- déplorer enfin le manque de robustesse de l'instrument de soutien à l'Ukraine, dont la Cour des comptes européenne a déjà eu l'occasion de souligner les risques en termes de pérennité de son financement et du contrôle de sa mise en oeuvre9(*).
Le rapporteur estime que cette proposition de règlement, et la tournure prise par la négociation au Conseil, invitent à une réflexion plus profonde sur la nature et les modalités de la stratégie française relative à l'industrie de défense à l'échelle européenne - qui fera l'objet d'une mission d'information de la commission des affaires étrangères et de la défense au prochain semestre. Par bien des aspects, le règlement EDIP s'engage en effet dans une forme de planification dont le concept peut sembler dépassé. La question de savoir si les opérateurs ont vraiment besoin de se faire coordonner par une autorité européenne et, singulièrement, par la Commission européenne, n'appelle à ce stade pas de réponse définitivement positive.
Il n'est pas même certain qu'en matière de défense, la taille du marché où s'appliquent les mêmes normes fasse la force. Tant qu'elles resteront nationales, les questions militaires échapperont aux lois du marché, puisque les États investissent dans le matériel militaire pour l'emporter sur le champ de bataille, et non pour des considérations de simple compétitivité économique. L'accompagnement des opérateurs et les industriels, qui n'ont pas attendu EDIP pour s'unir dans les cadres intergouvernementaux existants, peut prendre d'autres formes. La question des modalités de financement de la remontée en puissance reste, enfin, en attente d'une réponse satisfaisante.
Au cours de sa réunion du mercredi 18 décembre 2024, la commission a adopté la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense - COM(2024) 150 final, dans la rédaction de ses travaux.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 18 décembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, a procédé à l'examen de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de la défense de M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jean-Luc Ruelle sur la proposition de résolution européenne (PPRE) adoptée par nos collègues de la commission des affaires européennes le 27 novembre dernier.
Cette résolution porte sur la proposition de règlement « EDIP », qui est l'appellation plus pratique du règlement « relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense et d'un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense ».
Cet examen est fondé sur la procédure habituelle qui veut que les résolutions adoptées par la commission des affaires européennes soient ensuite examinées par la commission compétente au fond avant de devenir, éventuellement, résolution du Sénat.
L'exercice est donc légèrement différent de celui de juin dernier, où nous avions été saisis, par nos mêmes collègues, d'un avis motivé sur le respect, par ce règlement, du principe de subsidiarité.
La question est donc moins, cette fois, de savoir si les compétences nationales sont respectées, que de savoir si le contenu du texte est opportun.
M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - La proposition de résolution européenne déposée le 27 novembre dernier par nos collègues de la commission des affaires européennes rouvre l'un des dossiers les plus épineux du moment : celui du règlement établissant un programme pour l'industrie européenne de défense, qui avait été élaboré par les services du commissaire Breton avant sa démission, et qui est plus connu sous l'acronyme EDIP.
Vous vous souvenez que nous avons adopté, en juin dernier, un avis critique sur le respect, par ce texte, des principes de subsidiarité et de proportionnalité. La participation de la Commission à l'établissement d'un catalogue centralisé des produits de défense, à la cartographie des chaînes d'approvisionnement, à des projets de défense d'intérêt commun, ou encore à la priorisation des commandes en cas de crise, tout cela excède à l'évidence les pouvoirs de l'exécutif européen.
Dire cela n'est pas faire preuve d'une lecture partiale des traités, ni d'un juridisme tatillon. Nul ne nie que les traités réservent la compétence défense aux États membres. Que pourtant la Commission soit bien décidée à se l'arroger, il n'est pas besoin d'en chercher la preuve sous un alinéa du règlement EDIP : en se dotant d'un nouveau commissaire à la défense, elle a souhaité que tout le monde se le tienne pour dit.
Entendons-nous bien : nous sommes probablement unanimes à considérer qu'il faut mutualiser davantage nos efforts de défense pour faire face à des menaces bien réelles et au retrait possible du parapluie américain. Mais la seule voie respectueuse de l'État de droit qui permettrait de communautariser la défense consiste, sauf accord unanime du Conseil européen, à réviser les traités. Il est loisible à chacun de l'appeler de ses voeux.
En attendant, la question que nous examinons ce matin est plutôt celle de savoir si, ramené à son juste périmètre intergouvernemental, le projet de règlement fixe les bons objectifs, et fournit les moyens de les atteindre.
Avant d'y apporter un début de réponse, je voudrais remercier nos collègues de la commission des affaires européennes qui, cette fois encore, m'ont associé étroitement à leurs auditions. Je les ai certes complétées sur certains points, en entendant une entreprise de taille intermédiaire et la Cour des comptes européenne, ainsi que pour suivre les dernières avancées de la négociation. Je peux d'ores et déjà vous dire que nos vues convergent et que mon apport sera surtout de précision et d'actualisation.
Car voici une première difficulté de notre travail : nous commentons un texte qui évolue rapidement au sein du Conseil et dont les dernières moutures ne nous sont connues que de manière indirecte - via notre représentation permanente ou le secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). L'incertitude politique dans quelques États membres, la mise en place du nouveau Parlement européen et de la nouvelle Commission, tout cela, dans le contexte géopolitique du moment, fait peu pour dégager l'horizon.
Le curieux statut de ce texte élève cette incertitude au carré. Élaboré dans l'urgence, dépourvu d'étude d'impact, sur lequel le service juridique du Conseil n'a pas répondu en temps utile aux demandes des États membres, et financé a minima à hauteur de 1,5 milliard d'euros seulement, il semble à beaucoup un premier jet. Lors de son audition devant le Parlement européen, le commissaire à la défense Andrius Kubilius s'est engagé à présenter un Livre blanc et à tracer des perspectives budgétaires plus ambitieuses. La bagatelle de 500 milliards d'euros sur dix ans a été évoquée, mais son financement reste à préciser : par un emprunt commun, grâce à la Banque européenne d'investissement (BEI), ou même par la réorientation des fonds de cohésion... toutes ces pistes sont encore à l'étude.
Cette observation ne minore pas l'importance de ce texte, au contraire : si un EDIP 2 plus ambitieux est appelé à prolonger EDIP, c'est dès à présent qu'il faut tâcher de remporter la bataille des principes dans l'utilisation des fonds.
Or, sur ce terrain, deux conceptions du texte s'affrontent. Certains États membres défendent ses objectifs explicites, à savoir : améliorer la compétitivité de la BITD européenne, remédier à la dépendance extérieure et à la fragmentation du marché européen de la défense, soutenir les capacités de défense propres des États membres, et mieux coordonner leurs politiques de défense respectives.
Mais d'autres États membres y voient surtout, dans l'immédiat, un instrument destiné prioritairement à accélérer la production de produits de défense essentiels en cas d'urgence, qui seront envoyés en Ukraine ou utilisés pour reconstituer les stocks nationaux.
Aussi est-ce à juste titre que la proposition de résolution insiste sur le caractère composite du texte, qui mêle soutien de court terme à l'Ukraine et dispositifs complexes visant à réformer la BITDE à long terme : un programme de financement, un fonds pour l'accélération de la transformation des PME, un cadre juridique pour les structures pour programmes d'armement européens et projets de défense d'intérêt commun, un cadre relatif à la sécurité d'approvisionnement, un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense, etc.
Ne pouvant détailler tous ces mécanismes, j'insisterai sur ce qui fait le plus débat.
La plupart des points soulevés par le Sénat et défendus par la France sur le respect du principe de subsidiarité, sont en bonne voie d'être pris en compte dans la négociation. Qu'il s'agisse de la sécurité d'approvisionnement, de la remontée d'informations à la Commission, ou de la priorisation des commandes, le SGAE m'assure que les demandes de la France devraient être agréées, et qu'un filtre national serait introduit pour respecter la compétence des États membres.
Deux points importants n'ont cependant pas encore trouvé d'issue. D'une part, le régime des projets de défense européens d'intérêt commun. La Commission se réserve le droit de les recenser et d'y participer, ce qui ne va pas de soi. La France insiste pour que leur recensement réponde aux priorités identifiées par les États membres et qu'en toute hypothèse, l'initiative en la matière soit réservée aux États et à l'Agence européenne de défense.
D'autre part, la neutralisation du contrôle à l'exportation en régime d'état de crise d'approvisionnement liée à la sécurité. Du point de vue de la Commission, il convient, dans une telle situation de crise, d'empêcher les États de restreindre le transfert de produits de défense. Du point de vue des États, le contrôle du réexport de ces produits est une prérogative essentielle. La France a demandé une disposition horizontale visant à préserver le caractère national de ce contrôle.
Mais le coeur de la négociation en cours est constitué par les critères d'éligibilité aux financements du programme EDIP. D'abord, la résolution réaffirme la position française, qui juge indispensable que les fonds soient réservés aux produits dont l'autorité de conception, et non de fabrication, est européenne. Si l'on partage les objectifs de long terme du texte, c'est le bon sens même : comment prétendre renforcer la BITD européenne si l'on subventionne l'achat à l'étranger ? Une telle notion doit avoir pour corollaire l'exclusion des produits fabriqués en Europe sous licence étrangère.
La résolution défend encore le critère d'un taux minimal de composants en provenance de l'Union européenne ou de pays associés de 65 % en valeur, tout en soutenant l'ambition d'un taux minimal plus élevé, allant jusqu'à 80 %. Le seuil de 65 % était celui retenu dans le règlement Edirpa élaboré pour faire face à l'urgence ukrainienne : on ne pouvait donc décemment pas faire moins, et l'on pouvait espérer davantage. Il semblerait que la négociation se soit stabilisée sur ce chiffre - c'est ce que j'en ai compris hier encore.
En revanche, sur le critère de conception européenne, le SGAE, que j'ai auditionné en fin de semaine dernière, n'a pas caché son pessimisme. Le terme d'« autorité de conception », dont la presse craignait il y a dix jours encore qu'il disparaisse du texte, y figurerait encore. Mais une dérogation pourrait être introduite pour les productions sous licence étrangère. Sur ce sujet, nos alliés et adversaires ne sont pas forcément là où l'on croit. La Hongrie, qui assure la présidence du Conseil jusqu'à la fin de l'année, a par exemple été très solidaire de nos positions. L'Allemagne, en revanche, vient de changer d'avis. Elle ne considère plus, comme la France, l'inclusion des productions sous licence comme une ligne rouge. Les entreprises allemandes ne rechignent pas, en effet, à fabriquer sous licence des produits de défense américains ou israéliens, en concurrence avec des fabrications européennes de la même gamme - tel le missile américain Patriot - et dont la dénomination est parfois trompeuse - tel le missile antichar israélien Spike, qui sort de sa ligne de production bavaroise sous l'appellation « Eurospike ».
Chaque État membre est bien sûr libre d'organiser la production ou d'acquérir tel équipement qu'il estime nécessaire à sa défense selon les modalités de son choix. Mais la question est ici de savoir si tous les choix doivent être indifféremment financés par l'argent du contribuable européen. Disons-le franchement : il serait scandaleux qu'ils le soient.
La position allemande est probablement à situer dans un contexte plus large. La dépendance des armées européennes à l'équipement étranger s'est accrue depuis 2022. D'après le think tank IRIS, près de 80 % de leurs dépenses d'équipement sont réalisées hors de l'Union, dont les quatre cinquièmes bénéficient à des industriels américains. Ce n'est sans doute pas en leur claquant au nez la porte du marché européen que l'Allemagne gagnera les faveurs du président Trump, qui avait passé une partie de son premier mandat à maudire les excédents commerciaux allemands.
Or, il est de notoriété publique que les Etats-Unis effectuent un lobbying intense en faveur de l'assouplissement des critères d'éligibilité. La présidente de la sous-commission défense, l'Allemande Marie-Agnes Strack-Zimmermann, n'avait, début décembre, toujours pas publié ses rendez-vous sur le site du Parlement comme le règlement l'y oblige pourtant. Il suffit toutefois, pour les deviner, de consulter l'agenda de ses collègues plus diligents. On y trouve, en rangs serrés : la chambre de commerce des Etats-Unis, RTX, Boeing, la représentation des Etats-Unis auprès de l'Union, ou encore l'Atlantic Council.
La partie n'est pas encore perdue, mais le combat semble mal engagé, et la prochaine présidence du Conseil, polonaise, nous sera plutôt moins favorable que l'actuelle présidence hongroise. Il nous faut en tout cas soutenir la position prise par nos représentants dans la négociation, ce que fait très clairement la résolution adoptée par nos collègues.
Je vous proposerai de préciser le texte à quelques endroits choisis pour insister sur ce qui doit rester nos points de vigilance.
D'abord, pour regretter que le texte soit privé d'une vision stratégique claire à moyen et long termes, ainsi que d'objectifs quantifiés et articulés à ceux de la stratégie pour l'industrie européenne de la défense, et pour regretter l'absence d'indicateurs de performance qui permettraient d'en suivre la mise en oeuvre et d'en évaluer les résultats - c'est l'objet de l'amendement n° 1.
Ensuite, pour dire plus explicitement la nécessité absolue de fermer la porte du règlement EDIP aux productions sous licence étrangère - c'est l'objet de l'amendement n° 3.
L'amendement n° 4 précise que la sélection des projets de défense européen d'intérêt commun doit obéir aux priorités identifiées par les États membres.
L'amendement n° 5 ajoute un alinéa exprimant la crainte que les procédures de sélection des projets et d'allocation des fonds, ainsi que la coordination entre les différents acteurs institutionnels, les États membres ne mobilisent des ressources humaines et techniques importantes, compte tenu de la multiplicité des instruments.
L'amendement n° 6 regrette que le financement du programme ne soit pas échelonné plus précisément dans le temps.
L'amendement n° 7, enfin, regrette le manque de robustesse de l'instrument de soutien à l'Ukraine, dont la Cour des comptes européenne a déjà eu l'occasion de souligner les risques en termes de pérennité de son financement et du contrôle de sa mise en oeuvre.
Ces quelques observations posent des questions plus larges auxquelles répondra sans doute la mission d'information sur la BITD européenne que lancera notre commission au semestre prochain.
D'abord, que voulons-nous au juste comme stratégie européenne au service de l'industrie de défense ? Par bien des aspects, le règlement EDIP s'engage dans une forme de planification dont le concept semble d'un autre temps. Les opérateurs ont-ils vraiment besoin de se faire coordonner par une autorité européenne et, singulièrement, par la Commission ?
Est-il même si sûr que la taille du marché fasse la force ? Tant qu'elles resteront nationales, les questions militaires échapperont aux lois du marché, puisque les États investissent dans le matériel militaire pour l'emporter sur le champ de bataille, et pas pour des considérations de pure rationalité économique. Mieux vaudrait se contenter d'accompagner les opérateurs et les industriels, qui n'ont d'ailleurs pas attendu EDIP pour s'unir, dans les cadres intergouvernementaux existants et, surtout, trouver les moyens financiers nécessaires à une remontée en puissance. Les projets industriels communs - certains soutenus par des programmes existants comme Edirpa ou le Fonds européen de défense (FED) - et les acquisitions conjointes entrepris depuis 2022 ont d'ailleurs bien montré qu'ils n'avaient nul besoin d'un outil de planification, incompatible avec l'incertitude géopolitique ni, à bien des égards d'un interventionnisme dépassé.
Il faudrait ensuite s'interroger sur la nature et les moyens de la stratégie française dans de telles négociations, sur ce sujet comme sur d'autres, d'ailleurs... Mon sentiment est que la France a dans une certaine mesure subi les choses, ou n'est intervenue que de manière réactive. La notion d'autorité de conception est le fruit d'une contre-proposition des industriels au texte d'origine, trop proche du règlement Edirpa, et encore, tous ne partageaient pas le même degré d'ambition.
Les canaux d'influence des industriels français en Europe sont-ils en cause ? On nous a dit que les Français étaient marginalisés au sein de l'ASD, qui représente les industriels de la défense à Bruxelles. Sommes-nous assez impliqués sur le plan politico-administratif ? On m'a décrit les relations entre la DGA, qui n'a pas de responsable « Europe », et les institutions européennes comme très lâches, notamment pour aller chercher des subventions du Fonds européen de défense.
Enfin, peut-être la diplomatie parlementaire pourrait-elle jouer un plus grand rôle ? Je ne fais que vous soumettre la question, sans en connaître la réponse.
Pour l'heure, en souhaitant que la suite des négociations nous soit un peu plus favorable, je vous propose d'adopter la résolution de nos collègues dans la rédaction issue des amendements que je vous ai présentés.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci pour ce travail sur ce sujet complexe. Le diagnostic, c'est qu'après un sous-investissement chronique de l'industrie de défense, dans une période qui a été dite de paix, il nous faut mutualiser davantage nos efforts de défense. Aujourd'hui, la question qui nous est posée est de savoir si le projet de règlement fixe les bons objectifs et les moyens de les atteindre. Vous nous parlez d'un certain nombre d'incertitudes, mais vous dites aussi que des points soulevés par le Sénat sont en voie d'être pris en compte, en particulier le sujet des critères d'éligibilité, c'est une avancée. Place, donc, au débat.
M. Rachid Temal. - Nous voterons ces amendements, bien entendu. Cependant, les remarques du Sénat seront-elles entendues ? On ne le sait guère, surtout quand on voit la position de la France en Europe. Une remarque de méthode : je crois que nous devrions être plus proactifs parce que, comme avec l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (Ceta), nous sommes mis au pied du mur.
Je partage le diagnostic, il y a effectivement un sous-investissement dans la défense sur le continent européen, mais la solution proposée est celle du marché unique. Voyez le marché unique de l'électricité : belle solution, en effet. La question se pose aussi du mode d'intervention : un règlement, plutôt qu'une directive. Bien sûr, face aux crises, les institutions européennes savent s'adapter, et je ne n'appelle pas à changer les traités, qui prévoient que la défense relève des États. Ce n'est en effet pas faire du juridisme que de le rappeler - la Commission européenne se trouve d'ailleurs bien incapable de justifier ses choix dans une étude d'impact. Une directive aurait permis un vrai débat. On parle ici, finalement, de la capacité des États à mener des guerres, et je trouve bien léger de ne pas laisser aux Parlements nationaux la possibilité d'en débattre. On avance à petit pas vers un marché unique de la défense, mais la défense n'est pas un sujet comme les autres. Or une fois le véhicule du règlement lancé, notre résolution n'y changera rien, il sera parti pour de bon...
Ensuite, il y a la question du financement : on parle d'1,5 milliard d'euros d'ici 2027, la belle affaire ! Qu'est-ce qu'on achète sur le marché avec cette somme ? Pas grand-chose - le bateau de transport de troupes qu'on nous a présenté à Norfolk, par exemple, coûte 1 milliard...
Je partage les remarques de notre rapporteur : je crois qu'en matière de défense, il vaut mieux que le Conseil européen soit plus puissant que la Commission européenne, même avec un commissaire à la défense sans doute très compétent en la matière puisqu'il vient de Lituanie... Je partage aussi pleinement le propos de notre rapporteur sur l'autorité de conception : c'est la clé, et il ne faut pas oublier que, quand on achète américain, la livraison prend plusieurs années.
Nous allons voter, car il faut avancer, mais le Sénat devrait être plus proactif, pour ne pas être mis au pied du mur. Ceux qui ont le plus à jouer dans ces affaires, ce sont les Français, compte tenu de ce qu'est leur industrie de défense. Rien ne dit que ce futur marché de la défense ne va pas voir émerger de nouvelles industries, qui deviendront nos concurrentes. Quant aux coopérations en matière de défense, je sais chacun ici très impatient de couper le ruban du char ou de l'avion européen, promis pour une date assurément très proche... L'enjeu est donc industriel et politique, au-delà, bien au-delà de cette proposition de résolution européenne. Nous la voterons mais avec une certaine inquiétude.
M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Le Sénat se saisit tard de ce sujet complexe, nous sommes un peu à la remorque, en réaction plutôt qu'en initiative. C'est vrai également à une échelle plus large, comme nous l'a dit en audition François-Xavier Bellamy en comparant la diplomatie allemande à la nôtre : Angela Merkel visitait chacun des pays de l'Europe de l'est au moins une fois par an, et les Allemands viennent toujours nombreux au Forum annuel sur la sécurité de Varsovie, contrairement aux Français. Sur la défense de la notion d'« autorité de conception », nous n'avons fait que réagir un peu tardivement. En réalité, il faut faire notre autocritique, et nous devons réfléchir à notre stratégie sur ce sujet complexe.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Notre commission lancera une mission d'information sur ce thème en début d'année prochaine.
Mme Michelle Gréaume. - Merci pour ce rapport détaillé, nous voterons ces amendements. Cette proposition de résolution européenne vise à obtenir la garantie que ce programme servira réellement à consolider la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Donc, apparemment, il y aura une plateforme établie par la commission pour héberger un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE. Comment, dans ce cadre, protéger les licences des entreprises françaises ? On voit des entreprises mettre la clé sous la porte, ou partir ailleurs en Europe : peut-on amender le texte, pour protéger nos entreprises, tout au moins leurs licences ?
M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - La France n'est pas du tout favorable à cette partie du texte sur l'accès, la cartographie et le catalogue, et la France est en voie d'obtenir la mise en place d'un filtre national de ces informations. Ce point démontre au passage le caractère excessivement bureaucratique et présomptueux de l'Union européenne, où l'on pense qu'on peut tout contrôler administrativement, alors que nous sommes ici sur un sujet très délicat. Il faut donc s'assurer que les informations relatives à la BITDE restent sécurisées et que leur communication soit laissée à la main des États, sans quoi l'on ferait peser un risque sur les secrets de fabrication et sur les licences, donc sur les entreprises.
Mme Michelle Gréaume. - En effet, nous sommes intervenus dans ce sens au Sénat - et j'insiste : la protection des entreprises françaises passe par ce filtre.
M. Pascal Allizard. - Félicitations pour votre travail sur ce sujet délicat. On peut considérer qu'un investissement d'1,5 milliard d'euros est bien peu à l'échelle européenne, donc qu'il n'y aurait pas de problème dans le fond - ou bien voir que l'UE met ici un pied dans la porte sur, en réalité, deux sujets de souveraineté nationale. Il y a d'abord celui de l'emprunt communautaire, qui est très loin d'aller de soi pour tous nos partenaires : je vous rappelle que le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a naguère sanctionné le gouvernement allemand, en lui rappelant que la capacité de faire des dettes devait rester souveraine, nationale - et c'est ce que veulent les Allemands dans leur majorité. Il y a, ensuite, le fait que la défense est, dans les traités européens mêmes, une compétence nationale. Et si ce programme européen en passe par le marché, c'est bien parce que les institutions européennes n'ont pas de compétence propre en matière de défense. Or quand un règlement européen répartit des financements, établit un catalogue, Bruxelles met clairement un pied dans la porte. C'est ce que nous avons dit en commission des affaires européennes : la défense relève des États, donc si une action est possible à l'échelle européenne, c'est au Conseil européen plutôt qu'à la Commission européenne de l'initier, de la définir ; et c'est bien pourquoi il n'est pas neutre de passer par un règlement plutôt que par une directive. Je n'ai rien contre le commissaire qui a été nommé à la défense, mais on ne peut pas dire qu'il soit le représentant d'un pays extrêmement engagé sur ces sujets-là. Alors peut-être peut-on compter sur sa bienveillante neutralité, mais je crois qu'on s'engage sur une voie extrêmement dangereuse.
Enfin, je signale qu'hier, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) a déclaré que pour éviter une guerre commerciale avec Donald Trump, les États européens auraient intérêt à acheter américain en matière de défense. Qu'une Lituanienne le dise, on le comprendrait, mais une Française, c'est plus qu'une surprise ! Je suis pro-européen, mais il faut faire très attention, on ne peut accepter de tel transferts subreptices de compétences. Au moins débattons-en, voyons ce qu'en pensent nos concitoyens, éventuellement consultons-les par référendum. C'est grave pour nous, Français, mais aussi pour d'autres pays, et à continuer comme ça, on a de quoi redouter un Frexit...
M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Je suis d'accord, il faut savoir ce que nous voulons. Les exemples de grands échecs européens ne manquent pas, avec le Mercosur, l'énergie, l'agriculture : il ne faut pas que, par manque de pugnacité, on se laisse aller sur la défense, c'est un sujet au moins aussi important que l'énergie ou l'agriculture. La France a su, par le passé, manifester sa réprobation à l'Union européenne, en allant jusqu'à la politique de la chaise vide. Il faut montrer notre volonté sur ces sujets, sans s'interdire par exemple, en effet, le recours au référendum.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Les questions que nous posons sont pleinement justifiées, la défense est une question de souveraineté nationale. Aujourd'hui, le Parlement joue le rôle d'une chambre d'enregistrement, il n'y a pas de débat véritable, et c'est regrettable. Il faut dire aussi que la France ne défend pas bien ses intérêts, qu'elle laisse une sorte de vide - faute de gouvernement clair ces derniers mois, mais aussi faute d'une ambition européenne claire, il y a une vacance et les Allemands en profitent. Le sujet ici n'est pas seulement de résister à une emprise technocratique de la Commission européenne, mais de concilier des visions de l'Europe. Les Allemands - je le vois en discutant avec eux - ont une véritable ambition européenne, au service de leur industrie de défense. Parce que leur industrie de défense n'a pas du tout les mêmes objectifs que la nôtre : nous produisons pour fournir nos armées, ils produisent pour exporter - cela ne donne pas les mêmes besoins de normes, de contraintes. Finalement, on voit que, la France étant en retrait, l'Allemagne a une mainmise à tous les échelons européens et sur tous les sujets. Nous parlons beaucoup, mais nous ne faisons pas grand-chose.
Dans le fond, ensuite, je crois que deux modèles de construction européenne s'opposent ici, un modèle intergouvernemental et un modèle communautaire, et c'est bien pourquoi il faut un débat politique. La Commission européenne met en place des outils pour acheter en commun, elle l'a fait pour des vaccins, pourquoi ne pas le faire pour des armements, si cela facilite et accélère utilement les coopérations ? Encore faut-il composer avec le fait que les questions de défense doivent rester souveraines, donc en débattre politiquement, au bon niveau.
Ce programme européen ajoute un nouvel outil communautaire : est-ce nécessaire, étant donné ceux qui existent déjà ? Les instances communautaires, ensuite, ont une faible culture industrielle en matière de défense, du fait que chaque pays a voulu défendre sa souveraineté, donc agir de son propre chef, sans mise en commun ; faut-il passer à autre chose, faire de la défense un chantier politique européen ? La France peut-elle s'inscrire correctement dans un tel débat, plutôt que se retrouver au pied du mur, comme avec le Ceta ? Le Parlement ne doit-il pas se saisir de ce sujet ? Enfin, notre rapporteur nous dit que l'approche administrative et budgétaire de ce règlement européen ne correspond pas à l'enjeu, nous allons donc voter ses amendements - tout en sachant que, dans le fond, il faut traiter le sujet à sa juste place.
M. Olivier Cadic. - Nous nous interrogeons à raison sur la méthode, mais nous pouvons commencer par le faire pour nous-mêmes, au Sénat : notre commission des affaires européennes s'est emparée du sujet, elle a fait un travail considérable sur notre BITD, Pascal Allizard en est l'un des spécialistes, mais nous travaillons après nos collègues de la commission des affaires européennes, alors que le sujet relève de notre compétence. De quoi s'agit-il ? La Commission européenne, du fait de la guerre en Ukraine, désigne un commissaire à la défense, de même que face au Covid-19, elle a fait de la santé une question européenne, et c'est bien de cela qu'il s'agit - et dans notre organisation même, nous entrons dans le jeu puisque nous confions le sujet à la commission des affaires européennes. Commençons donc par voir que nous entrons aussi dans ce système - je ne veux pas critiquer le travail de nos collègues, je veux juste placer les choses dans leur bon ordre. Cela arrive aussi avec notre commission des finances : il y a deux semaines, nous sommes intervenus sur un amendement qui changeait l'indemnisation des résidents à l'étranger, que nos collègues examinaient sans rien nous en dire... La BITD, assurément, relève de notre commission, il faut le dire ! Nous avons besoin d'un débat européen sur le rôle des institutions communautaires dans la défense, c'est vrai, mais nous avons des problèmes dans notre BITD, parce que nous la positionnons sur un marché trop petit - une BITD européenne est une chance pour nos entreprises, mais encore faut-il qu'elle soit respectueuse de notre souveraineté nationale. C'est de tout cela que nous devrions discuter.
Un point de désaccord, cependant, avec le texte de la PPRE : le paragraphe 61 s'interroge « sur la pertinence du choix consistant à subventionner des entreprises plutôt que les États dans la perspective d'une réelle structuration et d'une consolidation de la base industrielle de technologies de défense européenne » ; or, il me semble qu'accorder des subventions aux États, c'est la garantie qu'elles soient détournées à d'autres fins que la BITD européenne. Il faudrait à tout le moins en discuter...
M. Guillaume Gontard. - Nous voterons ces amendements et ce texte, même si en le faisant nous ne traiterons de ce sujet important que par le petit bout de la lorgnette. Les questions posées sont bien plus larges : veut-on que la défense devienne une compétence européenne, et, au-delà de cela, quelle Europe veut-on ? Pour notre part, nous sommes clairement en faveur d'une Europe fédérale, mais nous reconnaissons que le contexte actuel appelle un débat ouvert sur cette question et celle de l'articulation entre l'Europe et l'Otan.
Ensuite, nous avons besoin de mieux anticiper et d'être proactifs, l'exemple du Ceta est criant, nous sommes arrivés au dernier moment : cela pose une vraie question démocratique. Et nous devons débattre de la coopération en matière de défense, à laquelle nous croyons, et de son articulation avec les dimensions nationales de la défense, avec les conséquences en particulier pour les licences - sujet sur lequel je rejoins Mme Gréaume.
M. Christian Cambon. - Je profite de ce débat pour rejoindre ce qu'a dit Olivier Cadic sur la répartition des compétences entre nos commissions au Sénat, la question existe depuis longtemps puisque Jean-Pierre Raffarin s'alarmait déjà de ce que la commission des affaires européennes se saisisse de sujets qui relevaient évidemment de notre commission des affaires étrangères et de la défense.
Sur le fond, ensuite, je veux vous faire part de ce que nous avons entendu la semaine dernière à Washington, au Forum transatlantique de l'Otan. Ce qu'on nous y a dit, c'est que si nous voulons que les Américains continuent à tenir leurs engagements pris dans l'Otan, il va falloir que les Européens dépensent bien plus pour leur défense - Mark Brzezinski a parlé de 3,5 % à 4 % du PIB, ce n'est pas une mince affaire. Et on nous y a dit aussi que la condition sine qua non, c'était d'acheter américain. On nous a rappelé au passage qu'à la fin de la décennie, les Etats-Unis auront livré 600 avions F-35 en Europe - je vous laisse apprécier le gap avec les quelques Rafale de plus que nous aurons, nous, livrés à la Grèce, à la Croatie et à la Serbie, mais aussi le fait massif qu'effectivement, comme on l'a dit, la défense européenne n'est pas pour demain.
Je suis stupéfait et consterné, ensuite, par la déclaration de Christine Lagarde, la présidente de la BCE : j'estime très grave qu'une responsable de ce niveau incite les pays européens à acheter américain, sous prétexte que nous avons, en Europe, 12 milliards de dollars d'excédent commercial avec les Américains. En réalité, lorsqu'on additionne toutes les dépenses que font Européens en matière de défense aux Etats-Unis, on mesure que nous sommes en train de nous faire piller notre industrie de défense, cela pose le problème de pérennité de notre BITD - au point qu'on peut se demander si demain nos armées achèteront tout sur étagère aux Américains, et après-demain aux Chinois... Notre commission devrait réagir, pour que le Sénat apporte une réponse politique à l'intervention de Christine Lagarde. On demande à nos industriels de faire des efforts pour fournir des armes à l'Ukraine mais, dans le même temps, on incite les États à acheter américain : ce n'est pas raisonnable.
M. Didier Marie. - La commission des affaires européennes est transversale, elle touche aux sujets qui relèvent des commissions permanentes, et il était normal qu'elle se saisisse de ce projet de règlement européen. Le président de la commission des affaires européennes a en outre pris la sage précaution de désigner trois rapporteurs : deux issus de notre commission et le troisième de la commission des finances et rapporteur de longue date du budget de la défense, ce qui dit assez que l'expertise était là.
Le monde a changé depuis 2014 et l'invasion de l'Ukraine, la menace russe se précise, bon nombre d'experts pensent que d'ici une dizaine d'années, la Russie ira au-delà de l'Ukraine - les pays baltes et la Pologne sont donc particulièrement inquiets. Il y a aussi l'élection de Donald Trump et sa volonté affirmée que les Européens assument leur défense seuls, c'est une menace. Il y a, enfin, le constat que l'Europe s'est montrée incapable de venir en soutien à l'Ukraine, nous sommes loin de nos objectifs de livraison d'armes aux Ukrainiens et l'on peut dire que, sans les Américains, l'Ukraine aurait perdu la guerre.
Il faut donc changer d'échelle, et cela pose cette question centrale : comment avancer ensemble, renforcer notre souveraineté commune sans céder notre souveraineté nationale ? C'est une question éminemment politique et la France, particulièrement, est à la croisée des chemins : soit notre modèle est exportable et nous le partageons avec nos partenaires européens, soit nous acceptons qu'ils s'équipent rapidement pour atteindre l'objectif d'autonomie stratégique, et on accepte qu'on ne fasse pas tout, tout seuls, ni tout chez soi - et nous ne sommes alors pas les leaders, mais des partenaires des autres pays européens. Il faut voir aussi qu'européaniser la BITD française peut être bénéfique à notre industrie ; mais cela suppose plus de coordination entre la DGA, le Quai d'Orsay, le SGAE, et il faut mettre de l'huile dans les rouages. Quant aux industriels eux-mêmes, ils ne sont pas tous sur la même longueur d'ondes, il y a besoin d'harmonisation. La France est la première bénéficiaire du FED et la troisième de l'instrument Asap : nous avons besoin des financements européens et sommes heureux d'en bénéficier, il faut le dire !
La question du financement se pose, et on peut regretter que les crédits mis sur la table - 1,5 milliard d'euros - ne soient pas à la hauteur des ambitions, l'Union européenne doit trouver des financements complémentaires pour accompagner les industriels européens, en particulier les industriels français. La BEI a assoupli ses règles de financement, mais il faut aller plus loin - certains parlent d'eurobonds ou d'emprunts communs, il faut examiner ces pistes. En tout état de cause, il faut mesurer l'enjeu : si les Américains se retiraient d'Europe, c'est une enveloppe comprise entre 290 et 350 milliards d'euros par an que les Européens devraient trouver pour maintenir un niveau équivalent de défense...
Sur la question de la gouvernance, on voit bien le hiatus entre l'autonomie stratégique, boussole européenne, et la question de la souveraineté nationale. La Commission est dans une position de coordination technique, c'est utile et c'est pour cela qu'il faut aussi replacer les outils actuels au centre de la coordination. Il y a une Agence européenne de la défense qui ne remplit pas tout son rôle, il faut la renforcer ; il y a aussi l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr), qui est intergouvernementale et qui, elle aussi, devrait pouvoir mieux fonctionner. L'échelon des coopérations renforcées n'est pas assez utilisé en matière de défense, on peut aller bien plus loin. Je crois qu'il serait intéressant d'attendre le Livre blanc du nouveau commissaire européen à la défense, puis d'engager le débat politique pour savoir comment nous atteindrons notre autonomie stratégique tout en conservant notre part de souveraineté, en particulier quant à l'engagement de nos forces qui doit rester de la compétence des États membres.
M. Jean-Luc Ruelle, rapporteur. - Merci pour tous ces commentaires pertinents, nous les avons en tête. Ce règlement EDIP est en cours, à marche forcée, on verra ce que la présidence polonaise en fera ; le Livre blanc du nouveau commissaire est également en cours de rédaction. On ne sera prêt qu'à la fin du premier semestre 2025, ce qui fait beaucoup de retard. Aujourd'hui, la France est laissée de côté, elle est isolée sur les questions de défense, l'Allemagne joue un rôle négatif, les industries allemandes aussi, et nous devons rester vigilants sur notre souveraineté et nos intérêts économiques.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous allons examiner les amendements.
ARTICLE UNIQUE
L'amendement COM-1 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-2, puis les amendements COM-3, COM-4, COM-5, COM-6 et COM-7.
La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci à tous pour ce débat et ce vote.
La réunion est close à 11 h 10.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mercredi 30 octobre 2024
- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :
· M. Raymond LEVET, conseiller Armement.
- Groupe MBDA :
· M. Vincent THOMASSIER, directeur des coopérations stratégiques et du marketing ;
· M. Didier GONDALLIER DE TUGNY, directeur adjoint des coopérations stratégiques, en charge de la stratégie UE/OTAN ;
· Mme Anne-Sophie THIERRY BOZETTO, responsable des relations politiques et parlementaires.
Mardi 5 novembre 2024
- Parlement européen :
· M. François-Xavier BELLAMY, député européen français, rapporteur de la proposition de règlement au nom de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE).
Mercredi 6 novembre 2024
- Groupe Thalès :
· M. Gautier LEKENS, vice-président relations internationales ;
· Mme Isabelle CAPUTO, directrice des relations parlementaires et politiques.
- Groupe Dassault Aviation :
· M. Bruno GIORGIANNI, secrétaire du comité de direction, directeur des affaires publiques et sûreté.
Mercredi 13 novembre 2024
- Secrétariat général des affaires européennes :
· Mme Constance DELER, cheffe du bureau « Parlements » ;
· M. Joseph GIUSTINIANI, chef du bureau « Voisinage, élargissement, défense » ;
· Mme Claire COHADON, adjointe au chef du bureau
· M. Naël LEITES, adjoint au chef du bureau « Voisinage, élargissement, défense ».
- Ministère des armées :
· Mme Aimée JEANNE, cheffe du bureau du droit européen à la direction des affaires juridiques (sous-direction du droit international et du droit européen) ;
· Mme Margot GENTELLE, chargée d'études au sein du bureau du droit européen à la direction des affaires juridiques.
- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :
· M. Olivier-Rémy BEL, chef de mission des relations extérieures de l'Union européenne à la direction de l'Union européenne.
- Groupe Airbus :
· M. Olivier MASSERET, directeur des affaires institutionnelles d'Airbus Group ;
· M. Olivier LEBAS, conseiller défense ;
· Mme Nathalie ERRARD, directrice des affaires européennes et OTAN.
Mardi 3 décembre 2024
- Cour des comptes européenne
· M. Bertrand Albugues, directeur de la 3e chambre
· M. Michael Bain, manager principal ;
· Mme Naiara Zabala, chef de mission ;
· M. Alexandre Dubois, auditeur ;
· M. Joël Costantzer, chef de mission ;
· M. Laurent Olivier, auditeur ;
Jeudi 13 décembre 2024
- Arquus
· Général Bertrand Boyard, conseiller du président.
- Secrétariat général des affaires européennes
· M. Joseph GIUSTINIANI, chef du bureau « Voisinage élargissement défense » ;
· Mme Claire COHADON, adjointe au chef de bureau ;
· Mme Constance DELER, cheffe du bureau Parlement.
* 1 Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre, 18 mai 2022, JOIN(2022) 24 final.
* 2 Règlement (UE) 2023/1525 du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 2023 relatif au soutien à la production de munitions (ASAP).
* 3 Règlement (UE) 2023/2418 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à la mise en place d'un instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA).
* 4 Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Une nouvelle stratégie pour l'industrie européenne de la défense pour préparer l'Union à toute éventualité en la dotant d'une industrie européenne de la défense réactive et résiliente », 5 mars 2024, JOIN(2024) 10 final.
* 5 « Staff Working Document for a European Defence Industry Programme and a framework of measures to ensure the timely availability and supply of defence products », 8 juillet 2024.
* 6 Voir Jean-Pierre Maulny, « The Impact of the War in Ukraine on the European Defence Market », Note de l'IRIS, septembre 2023.
* 7 Décision (PESC) 2024/1470 du Conseil du 21 mai 2024 modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine.
* 8 Voir par exemple « L'intense lobbying américain pour torpiller le programme de défense européen » dans La Lettre, le 4 décembre 2024, ou encore « Défense européenne : comment Berlin a lâché Paris pour Washington » dans Le Point, le 12 décembre 2024.
* 9 Voir notamment Cour des comptes européenne, « Programme pour l'industrie européenne de la défense: une conception à revoir », 3 octobre 2024 ; voir aussi le « Rapport spécial 23/2021: Réduction de la grande corruption en Ukraine: des résultats encore insuffisants malgré plusieurs initiatives de l'UE », 23 septembre 2021.