- L'ESSENTIEL
- I. L'AUGMENTATION TENDANCIELLE DE LA RÉPONSE
PÉNALE EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES
- A. UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS
SEXUELLES, PORTÉE PAR LA LIBÉRATION DE LA PAROLE DES
VICTIMES
- B. LA PRISE EN COMPTE, PAR LES JURIDICTIONS ET LES
SERVICES D'ENQUÊTE, DU CONCEPT DE CONTRÔLE COERCITIF
- C. DES INTERROGATIONS SUR LES CIRCONSTANCES
AGGRAVANTES DU VIOL SOUS L'EFFET DU PROCÈS DES « VIOLS
DE MAZAN »
- A. UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS
SEXUELLES, PORTÉE PAR LA LIBÉRATION DE LA PAROLE DES
VICTIMES
- II. UNE PROPOSITION DE LOI LARGEMENT
REMANIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
- III. LA POSITION DE LA COMMISSION :
SÉCURISER JURIDIQUEMENT LE TEXTE POUR FAVORISER LA RÉPRESSION
EFFECTIVE DES INFRACTIONS SEXUELLES ET SEXISTES
- A. SE PRÉMUNIR CONTRE L'EFFET
DÉCEPTIF, POUR LES VICTIMES, D'UNE RÉFORME DE LA
PRESCRIPTION
- B. SÉCURISER LA RÉPRESSION DU
CONTRÔLE COERCITIF
- C. UNE POSITION CONSTANTE EN MATIÈRE DE
DEMANDES DE RAPPORT AU PARLEMENT
- D. ENRICHIR LES OUTILS DE RÉPRESSION DES
VIOLENCES GRAVES DANS LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE
PÉNALE
- A. SE PRÉMUNIR CONTRE L'EFFET
DÉCEPTIF, POUR LES VICTIMES, D'UNE RÉFORME DE LA
PRESCRIPTION
- I. L'AUGMENTATION TENDANCIELLE DE LA RÉPONSE
PÉNALE EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES
- EXAMEN DES ARTICLES
- Article 1er (suppression maintenue)
Institution d'une imprescriptibilité civile
pour certaines infractions commises sur des mineurs
- Article 2
Extension de la prescription glissante aux viols commis sur des majeurs, intégration du viol à la prescription glissante délictuelle et généralisation de l'application de l'article 9-2 du code de procédure pénale aux victimes d'infractions sexuelles indépendamment de leur âge
- Article 3
Création d'une infraction de contrôle coercitif
- Article 4 (supprimé)
Demande de rapport sur l'évaluation et l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte contre l'inceste
et d'accompagnement des victimes
- Article 5
Circonstances aggravantes du viol
- Article 6 (supprimé)
Prolongation supplémentaire de la garde à vue pour les crimes de meurtre et de viol sur conjoint, concubin ou partenaire lié à un PACS
et pour le crime d'empoisonnement
- Article 1er (suppression maintenue)
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU
SÉNAT
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 482
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mars 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,
Par Mmes Elsa SCHALCK et Dominique VÉRIEN,
Sénatrices
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
669, 845 et T.A. 34 |
|
Sénat : |
279 et 483 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Déposée en décembre 2024, la proposition de loi d'Aurore Bergé et plusieurs de ses collègues visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, devenue proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été adoptée par l'Assemblée nationale le 28 janvier 2025.
Ce texte ambitieux, initialement consacré exclusivement à une réforme de la prescription des infractions sexuelles (imprescriptibilité civile pour les mineurs et application d'une prescription « glissante » pour les majeurs) et à une intégration aux violences psychologiques de précisions inspirées du concept sociologique de contrôle coercitif, traite désormais également des circonstances aggravantes encourues en cas de viol et des modalités de la garde à vue en cas de commission de certains crimes.
À l'initiative des rapporteures, Elsa Schalck et Dominique Vérien, la commission des lois a adopté ce texte en y apportant de nombreuses modifications destinées à en renforcer la sécurité juridique et à en garantir la pleine effectivité.
I. L'AUGMENTATION TENDANCIELLE DE LA RÉPONSE PÉNALE EN MATIÈRE DE VIOLENCES SEXUELLES
La spécificité des violences sexuelles et des violences commises au sein des couples conduit régulièrement le législateur à intervenir pour faciliter la poursuite et la répression des infractions pénales associées et, plus largement, la protection des victimes. Aux yeux de nombreux observateurs, les évolutions sociétales survenues depuis 20101(*), et plus encore depuis le mouvement #MeToo, ont conduit à l'avènement d'un « droit pénal de la conjugalité »2(*) qui contribue, en matière civile comme en matière pénale, à faire progresser la lutte contre les violences sexistes.
C'est dans ce contexte d'amélioration générale de la prise en compte judiciaire des infractions de nature sexuelle et des violences commises au sein des couples, et parfois sous l'effet de faits d'actualité dramatiques, qu'ont émergé des débats de société sur deux enjeux majeurs :
- la notion sociologique de « contrôle coercitif », qui connaît une popularisation et une prise en compte judiciaire croissantes ;
- les circonstances aggravantes du viol, dont l'affaire dite des « viols de Mazan » a montré qu'elles ne suffisaient pas toujours, dans leur forme actuelle, à rendre compte de la gravité sociale des faits commis.
A. UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES, PORTÉE PAR LA LIBÉRATION DE LA PAROLE DES VICTIMES
Malgré des progrès incontestables pour mieux les prévenir et les punir, ceux-ci ne doivent pas masquer un constat préoccupant : les violences sexuelles et les violences commises au sein des couples demeurent un phénomène massif et sous-déclaré. La direction nationale de la police judiciaire indiquait à ce titre, au cours de son audition devant les rapporteures, que seuls 6 % des faits de violence sexuelle physique donnaient lieu à un dépôt de plainte.
Sans négliger ces difficultés, que les enquêteurs tentent de combler au moyen de formations spécifiques pour le recueil des plaintes et le développement - encore trop embryonnaire - de dispositifs d'« aller-vers » les victimes, les statistiques transmises aux rapporteures témoignent de l'efficacité grandissante de la répression en matière de violences intrafamiliales. Le nombre des condamnations prononcées en matière de violences conjugales a ainsi augmenté de 136 % entre 2017 et 2023 (250 % pour les condamnations survenues à la suite de défèrements), et le poids de ces violences dans l'activité des juridictions correctionnelles a plus que doublé, passant de 4,1 % à 9,1 %3(*).
De même, entre 2020 et 2023, les poursuites pour viol aggravé ont connu une augmentation (certes moins marquée, mais nette) de 31 %, avec une croissance préoccupante du nombre d'affaires considérées comme « non poursuivables » (2 948 en 2020 contre 5 012 en 2023) : ces chiffres semblent refléter non seulement une libération de la parole des victimes mais aussi, peut-être, le fait que cette libération a pu concerner des faits anciens, par nature exposés à davantage de difficultés probatoires.
Cette amélioration de la répression ne doit pas masquer le nombre toujours élevé des faits de violence conjugale et/ou sexuelle. Comme le rappelle la députée Maud Bregeon dans son rapport sur la présente proposition de loi4(*), les forces de sécurité intérieure ont recensé 114 135 victimes de violences sexuelles en 2023, celles-ci étant principalement des femmes (85 %), dont la majorité sont des mineures (57 %), et les mis en cause étant à 96 % des hommes. Un diagnostic analogue peut être fait s'agissant des violences commises par un partenaire ou ex-partenaire : les services de police et de gendarmerie dénombrent 271 263 faits en 2023, avec là encore une majorité de femmes victimes (85 %) et d'hommes mis en cause (86 %).
B. LA PRISE EN COMPTE, PAR LES JURIDICTIONS ET LES SERVICES D'ENQUÊTE, DU CONCEPT DE CONTRÔLE COERCITIF
L'efficacité renforcée de la répression des situations de violences sexuelles ou de violences commises au sein des couples a été soutenue par un mouvement de formation des professionnels de la chaîne pénale appelés à les traiter. En atteste par exemple, au sein de l'autorité judiciaire, la création de « pôles VIF » spécialisés dans tous les tribunaux judiciaires et toutes les cours d'appel depuis le 1er janvier 2024, conformément aux recommandations formulées par le rapport de Dominique Vérien et de la députée Émilie Chandler, remis en juin 2023 au garde des sceaux.
Au-delà de ces évolutions organisationnelles, certains magistrats, gendarmes et policiers ont pu s'approprier des notions extra-juridiques pour mieux analyser la dynamique des violences conjugales. Tel est en particulier le cas du « contrôle coercitif » : ce concept (mis en évidence par le sociologue américain Evan Stark) a en effet contribué à la compréhension de faits qui, pris isolément, peuvent paraître anecdotiques, mais constituent en réalité une stratégie de domination d'un membre du couple sur l'autre et révèlent une volonté de limiter l'autonomie de l'autre.
Utilisée par certains enquêteurs, comme en a témoigné lors de son audition publique5(*) le colonel Nicolas Nanni, commandant du groupement de gendarmerie départementale de l'Yonne, la notion de « contrôle coercitif » est également le levier d'une meilleure caractérisation des violences psychologiques ou du harcèlement sur conjoint par les juridictions. En attestent les arrêts rendus le 31 janvier 2024 par la cour d'appel de Poitiers, qui définissent ce contrôle comme une série de « manoeuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique [qui] ont pour effet de diminuer la capacité d'action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion » et jugent qu'il constitue « une atteinte aux droits humains, en ce qu'il empêche de jouir de ses droits fondamentaux comme la liberté d'aller et venir, de s'exprimer, de penser, d'entretenir des liens familiaux ».
C. DES INTERROGATIONS SUR LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES DU VIOL SOUS L'EFFET DU PROCÈS DES « VIOLS DE MAZAN »
Un autre débat structurant, cette fois relatif aux circonstances aggravantes prévues en cas de viol, s'est noué au cours du procès des « viols de Mazan ».
En effet, la loi prévoit déjà de nombreuses circonstances aggravantes lorsque ce crime est commis : elles ont pour effet de porter le quantum encouru de quinze à vingt ans (viol ayant produit une mutilation ou infirmité permanente ; viol commis sur un mineur de quinze ans ou sur une personne particulièrement vulnérable ; viol commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; viol au sein du couple, etc.), voire à trente ans de réclusion (viol ayant entraîné la mort de la victime) ou à la perpétuité (viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d'actes de barbarie).
Le droit actuel ne prévoit toutefois aucune circonstance liée au caractère prémédité des faits, alors même que cette circonstance, aggravante pour plusieurs autres infractions pénales6(*), constitue de toute évidence un critère à la fois de la gravité de l'infraction et de la dangerosité de son auteur.
II. UNE PROPOSITION DE LOI LARGEMENT REMANIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Initialement composée de trois articles, la proposition de loi en comporte six à l'issue de son examen par les députés. Outre l'article 4, qui concerne une demande de rapport portant sur sept thématiques distinctes en rapport avec l'inceste, le texte s'articule désormais autour de cinq axes, dont deux ne présentent qu'un lien très indirect avec son périmètre initial : la prescription civile et pénale des infractions sexuelles, la création d'une infraction autonome de contrôle coercitif, mais aussi la modification du régime des circonstances aggravantes du viol et la création d'une garde à vue de 72 heures pour certains crimes.
A. LA PRESCRIPTION DES INFRACTIONS SEXUELLES
Les deux premiers articles de la proposition de loi apportent des modifications au régime de la prescription de certaines infractions sexuelles.
L'article 1er visait à instituer une imprescriptibilité civile pour les viols commis sur des mineurs. Il procédait ainsi à une modification de l'article 2226 du code civil, qui prévoit actuellement un délai de prescription dérogatoire de vingt ans pour les actes de torture et de barbarie et pour les violences ou agressions sexuelles perpétrées sur un mineur. Le délai de droit commun s'élève à cinq ans, et la prescription pour dommage corporel a été établie à dix ans. Cet article a été supprimé en commission à l'Assemblée nationale contre l'avis de la rapporteure et ne fut pas rétabli en séance publique, en dépit des avis contraires et concordants du gouvernement et de la rapporteure.
La proposition de loi étend aux victimes majeures de viol le mécanisme de la prescription glissante introduit par la loi du 21 avril 2021. Ce mécanisme revient à allonger le délai de prescription de certains crimes et délits sexuels, lorsque l'auteur d'une telle infraction en commet une autre sur une nouvelle victime avant que les précédents faits ne soient prescrits. L'article 2 apporte ainsi trois modifications au code de procédure pénale : il généralise le dispositif de la prescription pour les victimes de viol, indépendamment de leur âge, applique aux majeurs le mécanisme d'interruption de la prescription prévu pour les victimes mineures d'infractions sexuelles et étend l'application de la prescription glissante prévue pour les infractions sexuelles délictuelles aux cas dans lesquels un viol serait commis par la suite.
B. LA CRÉATION D'UNE INFRACTION AUTONOME FONDÉE SUR L'EXERCICE D'UN CONTRÔLE COERCITIF
Initialement d'une portée limitée, puisqu'il se bornait à préciser la définition des violences psychologiques pour y intégrer, en reprenant une formule utilisée par la cour d'appel de Poitiers dans ses arrêts précités du 31 janvier 2024, le contrôle coercitif sous la forme de « manoeuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ayant pour effet de diminuer la capacité d'action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion », l'article 3 a été supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il a été rétabli en séance publique par les députés, avec une rédaction substantiellement différente résultant d'un amendement déposé par Sandrine Josso.
Cet article prévoit ainsi la création d'une infraction pénale autonome, fondée sur l'existence d'un contrôle coercitif - ce terme se trouvant inscrit dans le code pénal - et caractérisée par « le fait d'imposer un contrôle coercitif sur la personne de son conjoint, du partenaire auquel on est lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin par des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d'actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature ». L'infraction serait par ailleurs assortie de circonstances aggravantes originales, et souvent floues ou d'une rédaction divergente avec celle qui prévaut traditionnellement en droit pénal sans que ce choix rédactionnel soit particulièrement justifié, conduisant à aggraver la peine encourue jusqu'à un maximum de dix ans d'emprisonnement.
Au plan civil, l'Assemblée nationale a ajouté à cet article en séance des mesures relatives à l'aménagement, la suspension et au retrait de l'autorité parentale pour y intégrer la notion de contrôle coercitif. Il serait ainsi notamment précisé que le contrôle coercitif constitue un motif grave au titre duquel l'exercice du droit de visite et d'hébergement peut être refusé à un parent (373-2-1 du code civil). Des poursuites engagées au titre d'un « délit reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif » entraîneraient, par ailleurs et par principe, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent concerné (378-2 du code civil) ; de même, une « condamnation reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif » engendrerait en principe le retrait de l'autorité parentale (378 du code civil).
Serait également modifié le régime de l'ordonnance de protection pour qu'il intègre explicitement la notion de contrôle coercitif et prévoie des conséquences sur la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent présumé violent (515-11 du code civil).
C. DES AMÉNAGEMENTS AU DROIT APPLICABLE À CERTAINS CRIMES SEXUELS OU VIOLENTS
La proposition de loi a, enfin, été enrichie de deux articles issus d'amendements du Gouvernement adoptés par les députés en séance publique.
L'article 5 fait évoluer les circonstances aggravantes applicables en cas de viol. Il en crée, tout d'abord, deux nouvelles qui auraient pour effet de faire passer le quantum encouru de quinze à vingt ans de réclusion criminelle : il s'agit, d'une part, de la préméditation et du guet-apens (étant rappelé que cette proposition paraît être une réponse directe à l'affaire dite des « viols de Mazan ») et, de l'autre, de l'introduction dans un local d'habitation « par ruse, effraction ou escalade », ce qui correspond à une circonstance aggravante déjà prévue par le code pénal en cas de vol (article 311-5) ou d'atteinte à un bien (article 322-3). Parallèlement, le même article aggrave la répression des viols sériels (ou en concours) en la faisant passer de vingt à trente ans de réclusion et en alourdissant le régime de la peine de sûreté encourue.
L'article 6 permet, quant à lui, une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures de la garde à vue - pour une durée totale de soixante-douze heures - pour les crimes de meurtre ou de viol lorsqu'il est perpétré par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS) ou pour le crime d'empoisonnement.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION : SÉCURISER JURIDIQUEMENT LE TEXTE POUR FAVORISER LA RÉPRESSION EFFECTIVE DES INFRACTIONS SEXUELLES ET SEXISTES
La commission a souhaité soutenir, dans leur principe, l'initiative des auteurs du texte comme l'esprit d'innovation des députés. Elle a cependant estimé indispensable de sécuriser juridiquement le texte dont elle a été saisie, celui-ci présentant plusieurs motifs sérieux de non-conformité à la Constitution : tel est le cas, en particulier, à l'article 3 tendant à créer une infraction de contrôle coercitif.
Adoptant cinq amendements, dont quatre des rapporteures, la commission a ainsi procédé à plusieurs modifications d'ampleur.
A. SE PRÉMUNIR CONTRE L'EFFET DÉCEPTIF, POUR LES VICTIMES, D'UNE RÉFORME DE LA PRESCRIPTION
Si la commission est unanimement attachée à la protection des victimes - mineures et majeures - de violences sexuelles, elle considère cependant que la modification du régime de la prescription exige la plus grande prudence. L'introduction d'une imprescriptibilité civile pour certaines infractions sexuelles commises sur des mineurs soulève ainsi plusieurs difficultés juridiques significatives. La disparition des preuves dans le temps rendrait une telle mesure largement inefficace et donc déceptive pour les victimes. Au surplus, la commission a constaté que le régime actuel de la prescription des viols commis sur des mineurs revêt déjà des caractères qui le distinguent nettement du droit commun, du fait tant d'évolutions législatives récentes que de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 juillet 2022, qui retient la consolidation du préjudice comme point de départ du délai de prescription. La commission considère de plus que ni un allongement du délai de prescription, ni l'imprescriptibilité ne seraient opportuns, compte tenu de la spécificité de l'action en responsabilité civile, étant rappelé que cette dernière fait peser la charge de la preuve sur le demandeur. Enfin, et surtout, l'action en responsabilité civile peut être transmise aux héritiers de la victime.
L'extension de ce délai pourrait donc compromettre gravement la paix sociale, justifiant que la commission renonce à rétablir l'article 1er.
Concernant la prescription glissante en matière pénale (article 2), la commission a constaté que, s'il présente la vertu d'assurer la capacité à agir en justice des victimes de criminels en série, ce mécanisme entraîne toutefois plusieurs difficultés juridiques. En premier lieu, il provoque par définition l'allongement du délai de prescription, et complique donc la réunion des preuves nécessaires à l'action de la justice. Par ailleurs, il repose sur une interdépendance des délais de prescription d'infractions autonomes, ce qui pourrait conduire à des complications procédurales importantes - notamment en cas de requalification, de décès ou de refus d'agir en justice d'une victime intermédiaire. Enfin, introduit pour les mineurs par la loi du 21 avril 2021, ce dispositif n'a fait l'objet d'aucun bilan d'application, ni d'aucune saisine de la Cour de cassation.
Si elle a maintenu l'extension aux majeurs de la prescription glissante en cas de viol, elle n'a pas souhaité ajouter le viol au mécanisme prévu à l'article 8 du code de procédure pénale. Une telle évolution introduirait une exception au régime général de la prescription extinctive pénale, qui distingue les délits et les crimes. En outre, la commission a écarté la modification de l'article 9-2 du code de procédure pénale, qui prévoit l'interruption des délais de prescription lorsque certains actes sont réalisés et qui s'applique aux infractions connexes, aux auteurs et complices d'une même infraction et, depuis la loi du 21 avril 2021, aux infractions sexuelles commises par la même personne sur plusieurs mineurs. L'extension de ce dispositif à toutes les victimes de viol, d'agression sexuelle ou d'atteinte sexuelle pourrait entraîner des effets disproportionnés, qu'il est délicat d'évaluer en l'absence de bilan d'application de la loi du 21 avril 2021.
B. SÉCURISER LA RÉPRESSION DU CONTRÔLE COERCITIF
S'agissant de l'article 3, la commission a estimé que les modalités proposées pour réprimer le contrôle coercitif posaient de multiples difficultés. Outre le risque majeur d'une censure par le Conseil constitutionnel au vu de l'imprécision des termes employés, ce qui porte atteinte à la légalité de l'infraction proposée, elle a jugé :
- de manière générale, qu'il n'était pas opportun d'inscrire dans la loi les termes de « contrôle coercitif », ceux-ci correspondant à un concept sociologique par nature évolutif et dont tous les éléments ne sont pas susceptibles d'être saisis par le droit. Il est en outre apparu aux rapporteures qu'une telle formulation aurait pour effet d'enserrer la notion de « contrôle coercitif » dans une définition législative limitative, ce qui la priverait de son utilité probatoire pour les enquêteurs et les magistrats ;
- au plan pénal, qu'il était préférable de ne pas traiter les faits associés au contrôle coercitif comme une infraction autonome, la multiplication des infractions étant un facteur de risque juridique est de nature à brouiller l'articulation entre les différentes qualifications mobilisables en matière de violences conjugales, donc à complexifier l'engagement des poursuites par les parquets ;
- au plan civil, qu'il n'était pas souhaitable d'intégrer la notion de contrôle coercitif aux dispositions relatives aux modalités d'exercice, à la suspension et au retrait de l'autorité parentale. Le code civil assure en effet déjà la prise en compte des violences psychologiques qui s'apparentent au concept du contrôle coercitif. De telles évolutions pourraient ainsi priver le juge aux affaires familiales de la liberté d'appréciation qui lui permet, en l'état du droit, de protéger les victimes de violences psychologiques et leurs enfants. En outre, certaines modifications prévues porteraient atteinte à l'office même du juge aux affaires familiales, qui doit se prononcer au regard de l'intérêt de l'enfant, et contreviendraient vraisemblablement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).
C'est pourquoi la commission a fait le choix, en adoptant un amendement des rapporteures, d'intégrer les faits et comportements s'apparentant à la notion sociologique de contrôle coercitif dans le cadre des dispositifs réprimant le harcèlement sur conjoint (cette infraction apparaissant mieux adaptée que les violences psychologiques dans tout ce qu'elle suppose de répétition et de continuité des actes délictueux) et de le définir selon des termes juridiques déjà connus et maîtrisés, ainsi qu'aisément compréhensibles par les citoyens.
Le texte adopté par la commission, inspiré des auditions de juristes, de magistrats et d'associations menées par les rapporteures, prévoit dès lors que ce harcèlement sera constitué par des « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d'aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale, de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques ou financières ou de la placer dans une situation de particulière vulnérabilité ».
L'infraction verrait sa répression aggravée dans des circonstances tenant à l'incapacité subie par la victime ou de sa situation initiale de vulnérabilité, à la présence d'un mineur, mais aussi au cumul éventuel entre ces circonstances. De même que pour le harcèlement sur conjoint existant, la loi prévoirait en outre que la peine encourue est portée à dix ans de prison lorsque les faits ont poussé la victime à se suicider ou à tenter de le faire.
C. UNE POSITION CONSTANTE EN MATIÈRE DE DEMANDES DE RAPPORT AU PARLEMENT
Conformément à sa position constante en matière de demandes de rapport au Gouvernement, et sans méconnaître l'importance de la lutte contre l'inceste, la commission a supprimé l'article 4.
D. ENRICHIR LES OUTILS DE RÉPRESSION DES VIOLENCES GRAVES DANS LE RESPECT DES PRINCIPES DE LA PROCÉDURE PÉNALE
La commission a adhéré sans réserve à l'article 5, qui procède à une réforme bienvenue et ne soulève aucune difficulté juridique ou opérationnelle.
La commission a toutefois supprimé l'article 6 relatif à la prolongation de la garde à vue pour les crimes de meurtre et viol sur conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ainsi que pour le crime d'empoisonnement.
Elle a jugé peu cohérent le périmètre des infractions retenues et considéré que la nécessité d'une telle prolongation n'était pas suffisamment justifiée, s'agissant d'une mesure fortement attentatoire aux libertés. Comme l'ont confirmé un grand nombre de magistrats et d'enquêteurs entendus par les rapporteures, l'intérêt opérationnel apparaît très limité dès lors que les infractions en cause ne se caractérisent pas par une complexité particulière des investigations ; son utilité du point de vue de la protection des victimes s'avérerait également réduite dès lors que, pour les infractions en cause, la garde à vue se conclut le plus souvent par le placement de l'auteur en détention provisoire.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er (suppression maintenue)
Institution d'une
imprescriptibilité civile
pour certaines infractions commises sur
des mineurs
L'article 1er vise selon l'exposé des motifs de la proposition de loi à rendre imprescriptibles au civil les viols commis sur des mineurs, en apportant une modification à l'article 2226 du code civil. Or, le dispositif étend l'imprescriptibilité aux actes de torture et de barbarie, d'une part, et à d'autres infractions sexuelles commises sur des mineurs, d'autre part. Au-delà, ce dispositif soulève les difficultés probatoires inévitables que la tradition juridique attache à l'imprescriptibilité. Il a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Si la commission est attachée à la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, elle a jugé que cette mesure entraînerait, du fait de la disparition inévitable des preuves dans le temps, des effets déceptifs pour les victimes. Elle a considéré au surplus que le récent arrêt de la Cour de cassation relatif à la consolidation du préjudice corporel qui résulte d'une agression sexuelle et la législation actuelle garantissent une protection significative des mineurs - et devraient faire l'objet d'une évaluation pour apprécier les effets qu'elles ont emportés ces dernières années.
La commission a en conséquence maintenu la suppression de l'article 1er.
1. L'imprescriptibilité demeure en principe écartée au civil et au pénal, en dépit des évolutions récentes de la prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs
a) Malgré les critiques dont elle fait désormais l'objet, la prescription extinctive apparaît à plusieurs égards nécessaire et n'a été écartée qu'en droit pénal pour des crimes d'une exceptionnelle gravité
Les modalités de la prescription, civile comme pénale, voire son principe même, font l'objet de contestations régulières. Les fondements de la prescription sont en effet de plus en plus critiqués. Certains considèrent ainsi que, loin de protéger la société, la prescription ne bénéficierait qu'aux délinquants et qu'elle priverait en outre indûment les justiciables de la reconnaissance juridictionnelle du préjudice qu'ils ont subi.
Ces diverses critiques expliquent largement les réformes législatives et les aménagements jurisprudentiels récents de la prescription extinctive des crimes sexuels commis sur des mineurs, en droit civil comme en droit pénal.
La tradition juridique française tient toutefois la prescription extinctive comme essentielle pour différentes raisons, qui découlent tant du souci d'assurer la paix sociale que de la volonté de prévenir les erreurs judiciaires.
Qu'il s'agisse de la prescription pénale ou civile, ce mécanisme juridique apparaît favorable à la paix sociale, qui serait troublée par la résurgence de différends anciens que l'autorité judiciaire peinerait à résoudre. La prescription vise également, en creux, à défendre la société, en ce qu'elle incite les justiciables à saisir un juge en temps utile, ce qui est particulièrement manifeste en droit pénal.
Au-delà, le principe de la prescription s'impose du fait des difficultés probatoires que le passage du temps soulève immanquablement. L'éloignement temporel favorise en effet le dépérissement des preuves et, partant, réduit significativement la capacité de l'autorité judiciaire à trancher les différends.
Ce phénomène, souvent évoqué pour justifier la prescription extinctive pénale, se retrouve en matière civile - et ce d'autant que la charge de la preuve ne pèse plus sur l'action publique, qui dispose de moyens d'enquête significatifs, mais sur le justiciable. L'action civile extracontractuelle exige ainsi de la victime présumée de prouver l'existence d'un fait générateur, d'un dommage et d'un lien de causalité entre ces deux précédents éléments.
Les représentants la conférence nationale des procureurs généraux ont par ailleurs signalé aux rapporteures que « l'engorgement des services d'enquête et de l'institution judiciaire » accentue les difficultés rencontrées pour réunir les preuves nécessaires à la conduite d'un procès.
L'allongement des délais de prescription, voire l'institution d'une imprescriptibilité entraîneraient donc le risque de provoquer des situations déceptives, voire d'installer une inégalité entre les justiciables. La disparition des preuves empêcherait ainsi la plupart des recours d'aboutir, ce qui pourrait susciter chez les justiciables un sentiment d'incompréhension et de frustration. Une certaine inégalité pourrait par ailleurs s'installer entre les justiciables, car seuls ceux pouvant se prévaloir de l'aveu du défendeur obtiendraient aisément gain de cause.
Les fondements de la prescription extinctive apparaissent ainsi similaires en droit pénal et en droit civil, ce qui justifia l'application durable du principe de solidarité des prescriptions civile et pénale, jusqu'à ce qu'elles ne soient partiellement dissociées par la loi n° 80-1042 du 23 décembre 1980 portant réforme de la procédure pénale relative à la prescription et au jury d'assises ou par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.
Aussi, à ce jour, l'imprescriptibilité n'a été retenue en droit français que pour trois cas spécifiques, que sont le génocide, les crimes contre l'humanité et certains crimes de guerre (articles 211-1 à 212-3 du code pénal), conformément à l'article 7 du code de procédure pénale.
La Cour de cassation a du reste rappelé dans un arrêt du 1er juin 1995, dit Paul Touvier, qu'en vertu de l'article 10 du code de procédure pénale, « lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique », et qu'en conséquence « l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité s'applique tant à l'action publique qu'à l'action civile pouvant résulter de tels crimes »7(*).
b) Le droit de la prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs a connu récemment plusieurs évolutions législatives et jurisprudentielles favorables aux victimes
Le régime de la prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs a connu plusieurs évolutions législatives depuis les années 1990, qui ont toutes oeuvré à allonger le délai dont bénéficient les victimes mineures pour agir en justice.
Les réformes successives des règles
de prescription
des infractions sexuelles commises sur des
mineurs
Le législateur a modifié à plusieurs reprises depuis 1989 les règles de prescription de l'action publique pour favoriser la saisine de la justice par les victimes mineures - et majeures - d'infractions sexuelles :
- loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard de mineurs et à la protection de l'enfance : report à la majorité de la victime du point de départ du délai de prescription du crime commis sur un mineur par un ascendant ;
- loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur : règles de connexité de la prescription ;
- loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social : report à la majorité de la victime du point de départ du délai de prescription du délit commis sur la victime mineure par un ascendant ;
- loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs : report à la majorité de la victime du point de départ du délai de prescription du crime commis sur la victime mineure ou d'un certain nombre d'infractions à caractère sexuel et allongement à dix ans du délai applicable aux délits ;
- loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure : extension du champ des délits commis à l'encontre d'un mineur soumis à un délai de prescription de dix ans ;
- loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : allongement du délai de prescription à dix ans pour certains délits et à vingt ans pour d'autres ;
- loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs : allongement du délai de prescription à vingt ans pour certains délits ;
- loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs : extension du champ des délits soumis à un délai de prescription de vingt ans ;
- loi n° 2011-167 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure : report du point de départ de la prescription pour les personnes vulnérables ;
- loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale : doublement des délais de prescription de droit commun ;
- loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : délai de prescription du viol commis sur mineur porté à trente ans révolus à compter de la majorité de la victime ;
- loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste : instauration de la prescription glissante.
Source : commission des lois du Sénat8(*)
Concernant spécifiquement la prescription extinctive civile des violences sexuelles commises sur des mineurs, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a complété l'ancien article 2270-1 du code civil d'un alinéa qui dispose que « lorsque le dommage est causé par des tortures et des actes de barbarie, des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans ».
Cette disposition a été reprise à l'article 2226 du code civil par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, qui n'y a apporté qu'une modification rédactionnelle.
La prescription extinctive civile qui s'applique aux violences sexuelles commises sur des mineurs s'élève donc à vingt années et son point de départ est en principe établi à la majorité de la victime, en vertu de l'article 2235 du code civil, tandis que la prescription extinctive civile pour dommage corporel court dix ans à compter de la date de consolidation de ce dernier. Le régime de la prescription civile des violences sexuelles sur mineurs apparaît donc à plusieurs égards dérogatoire, car l'article 2224 du code civil fixe à cinq ans la prescription extinctive civile de droit commun.
Au surplus, l'article 2232 du code civil, qui prévoit que le délai de prescription ne peut excéder vingt ans en intégrant les éventuels reports du point de départ, suspension ou interruption de la prescription, ne s'applique pas aux faits de violence sexuelle sur des mineurs.
La prescription civile des infractions sexuelles commises sur des mineurs a également fait l'objet d'une évolution jurisprudentielle récente. Dans un arrêt du 7 juillet 20229(*), la Cour de cassation a non seulement considéré que les agressions sexuelles entraînent un préjudice corporel, mais encore qu'en conséquence le point de départ du délai de prescription d'une telle infraction commence à courir le jour de la consolidation de ce préjudice ; le point de départ du délai peut donc être postérieur à la majorité de la victime.
La Cour de cassation estime que « cette date permet seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci »10(*). Le groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels a consacré plusieurs développements à cette notion dans son rapport conclusif. Il a notamment affirmé que « la consolidation correspond à la fin de la maladie traumatique, c'est-à-dire à la date, fixée par l'expert médical, de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques »11(*).
Par ailleurs, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du16 septembre 201012(*) qu'en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime postérieure à l'indemnisation du préjudice initial, un nouveau délai de prescription court dès la date de consolidation du dommage aggravé.
Ces jurisprudences allongent donc en pratique significativement le délai de prescription des infractions sexuelles commises sur des mineurs, compte tenu des désordres psychiatriques que celles-ci entraînent et qui empêchent la consolidation du préjudice initial.
2. L'article 1er, qui prévoyait d'instaurer une imprescriptibilité civile pour certains crimes commis sur des mineurs, a été supprimé par l'Assemblée nationale
Le dispositif apportait une modification à l'article 2226 du code civil, qui établit à dix ans le délai de prescription extinctive de l'action en responsabilité engagée à la suite d'un dommage corporel.
Ce principe connaît toutefois une exception, prévue au deuxième alinéa du même article 2226, suivant laquelle « en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans ».
L'article 1er visait à substituer le mot « imprescriptible » aux mots « prescrite par vingt ans ». Si l'exposé des motifs de la proposition de loi attachait à cet article l'objectif d'introduire « l'imprescriptibilité civile des viols commis sur des mineurs, leur permettant ainsi de pouvoir obtenir une réparation », il importe d'observer qu'une telle modification aurait aussi écarté la prescription extinctive civile pour les actes de torture et de barbarie commis sur des victimes, indépendamment de leur âge, et pour les violences et agressions sexuelles commises contre des mineurs. Le dispositif, tel qu'il était rédigé, ne cantonnait donc pas l'instauration de l'imprescriptibilité civile aux viols commis sur des mineurs.
En outre et par définition, l'institution de cette imprescriptibilité civile dissocierait le régime des prescriptions civile et pénale. La prescription extinctive pénale pour les crimes sexuels commis sur des mineurs s'élève ainsi à trente ans, en vertu de l'article 7 du code de procédure pénale.
L'allongement de la prescription civile, voire l'instauration d'une imprescriptibilité civile, soulève en outre une difficulté juridique significative, du fait du régime de l'action en responsabilité civile. Comme l'ont rappelé la Cour de cassation et la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires, cette action en réparation pourrait être transmise aux héritiers de la victime du préjudice. Le droit à la réparation d'un dommage, peu importe sa nature, entrerait dans le patrimoine d'une personne et serait donc transmis à ses héritiers en cas de décès13(*). Il s'agit d'une différence significative avec l'engagement de l'action publique : les héritiers possèdent le droit de demander réparation du préjudice devant la juridiction pénale seulement si l'action publique fut au préalable mise en mouvement par le ministère public ou la victime elle-même. La Cour de cassation souligne ainsi dans deux arrêts du 9 mai 2008 que « toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir réparation de celui qui l'a causé par sa faute ; que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers », mais que « sauf exceptions légales, le droit de la partie civile de mettre en mouvement l'action publique est une prérogative de la victime qui a personnellement souffert de l'infraction ; que l'action publique n'ayant été mise en mouvement ni par la victime ni par le ministère public, seule la voie civile était ouverte à la demanderesse pour exercer le droit à réparation reçu en sa qualité d'héritière »14(*). L'extension du délai de la prescription civile emporte donc un risque accru sur la paix sociale, compte tenu des actions qu'elle permettrait d'introduire entre un héritier de victime et un accusé, voire à l'égard des héritiers de ce dernier, dont la responsabilité pourrait également être engagée, mais uniquement en cette qualité d'héritiers.
Les représentants de la Cour de cassation ont enfin averti les rapporteures que les modifications législatives fréquentes du régime de la prescription « [compliquent] la tâche des praticiens ».
Lors de la première lecture, l'Assemblée nationale a supprimé cet article en commission, contre l'avis de la rapporteure Maud Bregeon15(*), et il ne fut pas rétabli en séance publique, contre les avis concordants de la rapporteure et du gouvernement.
3. Le dispositif proposé présente plusieurs limites qui l'empêcheraient d'atteindre l'objectif qui lui est attribué, ce qui explique la décision de la commission d'entériner son rejet
Si la commission est attachée à la protection des victimes mineures de violences sexuelles, comme en témoigne l'adoption de nombreux textes en la matière ces dernières années, elle considère que l'instauration d'une imprescriptibilité civile de ces crimes n'est pas de nature à améliorer la situation de ces justiciables.
L'article 1er de la proposition de loi soulève en effet plusieurs difficultés juridiques.
Il apparaît tout d'abord que le dispositif étend l'imprescriptibilité civile à des crimes a priori étrangers à l'objectif que poursuivent les auteurs du texte, que sont les actes de torture et de barbarie et les autres infractions sexuelles commises sur des mineurs.
La commission a de surcroît considéré que le régime actuel de prescription des viols commis sur des mineurs est déjà exorbitant du droit commun, en raison tant des évolutions législatives fréquentes qu'il a connues, que de la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 7 juillet 2022. Le délai de prescription dérogatoire de ces crimes et l'appréciation libérale, par le juge, de la consolidation du dommage corporel qui en résulte, apparaissent favorables à la protection des victimes présumées.
La spécificité de l'action en responsabilité civile, qui peut être transmise aux héritiers de la victime, a par ailleurs convaincu la commission qu'il ne serait opportun ni d'adopter une imprescriptibilité civile, ni de prolonger le délai de prescription de ces crimes.
Enfin, l'institution d'une imprescriptibilité civile pourrait, en plus de soulever d'inévitables difficultés probatoires, entraîner des effets déceptifs pour les victimes qui ne pourront pas se prévaloir des aveux de l'accusé.
La commission a maintenu la suppression de l'article 1er.
Article
2
Extension de la prescription glissante aux viols commis sur des majeurs,
intégration du viol à la prescription glissante
délictuelle et généralisation de l'application de
l'article 9-2 du code de procédure pénale aux victimes
d'infractions sexuelles indépendamment de leur âge
L'article 2 procède à l'extension de la prescription glissante aux victimes majeures de viol. Ce mécanisme a été introduit, pour certaines infractions sexuelles commises sur des mineurs, par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Il a pour effet d'allonger le délai de prescription de certains crimes et délits, dans le cas où l'auteur d'une telle infraction en aurait perpétré une nouvelle sur une autre victime par la suite et avant que les faits précédents ne soient prescrits. Cet article prévoit par ailleurs le déclenchement de la prescription glissante délictuelle lorsqu'un viol a été commis par la suite et généralise à toutes les victimes d'infractions sexuelles, majeures et mineures, le mécanisme de l'interruption du délai de prescription prévu à l'article 9-2 du code de procédure pénale.
La commission a maintenu l'extension de la prescription glissante aux victimes majeures de viol, mais a supprimé l'insertion du viol dans le mécanisme prévu à l'article 8 du code de procédure pénale, pour ne pas introduire une exception au régime général de la prescription extinctive pénale, qui distingue classiquement les délits et les crimes. La commission a en outre supprimé la modification de l'article 9-2 du code de procédure pénale, dans la mesure où elle pourrait entraîner des effets disproportionnés, qu'il est difficile d'apprécier en l'absence d'évaluation de la loi du 21 avril 2021.
1. Le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des majeurs court en principe vingt années révolues, mais la prescription glissante récemment introduite par le législateur ne s'applique qu'à certaines infractions commises sur des mineurs
a) Le régime du viol commis sur un majeur a connu deux évolutions significatives récentes qui concernent sa définition et son délai de prescription
Le législateur a récemment apporté des modifications tant à la définition du crime de viol qu'aux modalités de prescription de ce dernier, de manière à assurer une meilleure protection des victimes.
L'article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise », et le punit de « quinze ans de réclusion criminelle ». La mention explicite des actes bucco-génitaux résulte de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste.
Le délai de prescription du viol, qui s'élevait à dix années révolues à compter de sa commission, a été porté à vingt années par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale. Cette loi a en effet doublé les délais de la prescription extinctive pénale de principe pour les crimes et les délits.
b) Le législateur a instauré un mécanisme de prescription glissante pour certains crimes et délits sexuels commis sur des mineurs, qui obéissent par ailleurs à un régime exorbitant du droit commun
Si le délai de prescription de la majorité des infractions commises sur des mineurs court suivant le régime de droit commun, c'est-à-dire à compter du jour où l'infraction a été perpétrée, plusieurs exceptions ont été prévues par le législateur à compter des années 1980.
Le rapport d'information adopté par la commission des lois du Sénat le 7 février 201816(*) dénombrait ainsi entre 1989 et 2017 près de dix réformes substantielles de la prescription extinctive des infractions sexuelles commises sur des mineurs.
Le délai de prescription de ces infractions a en effet été progressivement allongé par la modification de son point de départ et par l'augmentation de sa durée même. Le délai de prescription du viol sur mineur, par exemple, qui a progressivement été porté à trente ans, ne commence ainsi à courir qu'à compter de la majorité de la victime.
Enfin et comme cela a été évoqué à l'article 1er de la proposition de loi, le délai de prescription extinctive civile ne commence à courir pour ces infractions que lorsque la situation de la victime a été consolidée.
La prescription glissante a été introduite en droit français pour certaines infractions commises sur des mineurs par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Elle consiste en l'allongement du délai de prescription de certains crimes et délits, dans le cas où l'auteur d'une telle infraction en aurait perpétré une autre, par la suite et avant que ces faits ne soient prescrits, à l'égard d'une nouvelle victime. Le délai de prescription de la première infraction court ainsi jusqu'à ce que le second délit ou crime soit prescrit ; ce dispositif ne s'applique donc pas aux infractions prescrites.
L'impossibilité de restaurer une prescription acquise constitue en effet un principe structurant du droit pénal. L'article 112-2 du code pénal précise par exemple que les lois relatives à la prescription sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur uniquement lorsque les prescriptions ne sont pas acquises.
Ce dispositif de prescription glissante a été inséré aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale, qui traitent respectivement de la prescription criminelle et de la prescription délictuelle.
L'article 7 du code de procédure pénale dispose ainsi, en son troisième alinéa, que « l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du présent code, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par trente années révolues à compter de la majorité de ces derniers ; toutefois, s'il s'agit d'un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l'expiration de ce délai, d'un nouveau viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle, le délai de prescription de ce viol est prolongé, le cas échéant, jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction ».
L'article 8 du même code, qui traite de la prescription des délits et l'établit pour certains d'entre eux à vingt années révolues à compter de la majorité lorsqu'ils ont été commis sur des mineurs, précise désormais en son quatrième alinéa que, « toutefois, s'il s'agit d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle commise sur un mineur, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, [...] d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle, le délai de prescription de la première infraction est prolongé, le cas échéant, jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction ».
Tant la Cour de cassation, qui n'a pas encore été saisie de pourvois relatifs à ces dispositions, que la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), qui estime qu'« il est trop tôt pour tirer un bilan » de cette loi, et le Conseil national des barreaux (CNB) ont signalé aux rapporteures que l'institution récente de la prescription glissante en droit français empêche d'identifier les difficultés juridiques et opérationnelles qui pourraient en résulter.
L'analyse de l'application de cette réforme est rendue d'autant plus délicate qu'il n'y a qu'un faible nombre d'affaires « dans [lesquelles] un auteur commet des faits de manière successive », selon la Conférence nationale des procureurs généraux.
Il apparaît en outre que ce mécanisme entraîne, dans une moindre mesure que l'imprescriptibilité, les difficultés probatoires qu'emporte inévitablement l'écoulement du temps, comme l'ont rappelé plusieurs personnes auditionnées par les rapporteures.
La conférence nationale des procureurs généraux estime toutefois que « la découverte de faits successifs est de nature à étayer la matérialité des faits pour une procédure où les éléments de preuve pourraient manquer ».
L'article 9-2 du code de procédure pénale, qui énumère les différents cas d'interruption du délai de prescription de l'action publique, a également été modifié par la loi du 21 avril 2021. Il prévoit désormais en son dernier alinéa que « le délai de prescription d'un viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle commis sur un mineur est interrompu par l'un des actes ou l'une des décisions mentionnés [par le présent article] intervenus dans une procédure dans laquelle est reprochée à la même personne une de ces mêmes infractions commises sur un autre mineur ».
Les cas d'interruption prévus par l'article 9-2 du code de procédure pénale sont constitués de :
- tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique ;
- tout acte d'enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
- tout acte d'instruction, accompli par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
- tout jugement ou arrêt, même non définitif, s'il n'est pas entaché de nullité.
Ce dispositif entraîne donc des effets considérables sur les délais de prescription. Il apparaît utile de préciser qu'il n'était initialement applicable qu'« aux infractions connexes ainsi qu'aux auteurs ou complices non visés par l'un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt ».
L'exception que l'article 9-2 du code de procédure pénale établit à l'écoulement normal du délai de la prescription s'appliquait donc aux différents auteurs et complices d'une même infraction et à des infractions très spécifiques, régies par l'article 203 du même code.
Or, la modification qui y a été apportée en 2021 n'a pas davantage pu faire l'objet d'une évaluation, ce qui appelle donc à la prudence.
2. L'Assemblée nationale a adopté un dispositif qui étend la prescription glissante à certaines infractions sexuelles commises sur des majeurs
L'article 2 de la proposition de loi étendrait aux viols commis sur des majeurs le mécanisme de la prescription glissante introduit par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste. Il modifierait en outre le régime de la prescription glissante établi en matière délictuelle, pour prévoir qu'un viol peut aussi déclencher ce mécanisme. Enfin, il appliquerait également aux victimes majeures « d'un viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle » les différents cas d'interruption de la prescription prévus à l'article 9-2 du code de procédure pénale.
La rédaction initialement proposée par les auteurs de la proposition de loi a été amendée, pour des raisons essentiellement légistiques, en commission, puis en séance.
Cet article procèderait donc à la modification des articles 7, 8 et 9-2 du code de procédure pénale.
Un alinéa serait inséré après le troisième alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale pour généraliser le principe de la prescription glissante, indépendamment de l'âge de la victime d'un viol. Il disposerait ainsi que « le délai de prescription d'un viol est prolongé, le cas échéant, en cas de commission sur une autre victime par la même personne, avant l'expiration de ce délai, d'un nouveau viol, d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle, jusqu'à la date de prescription de cette nouvelle infraction ».
Ce dispositif reprend donc la rédaction qui a été retenue pour la prescription glissante actuellement en vigueur - et que l'article 2 supprimerait par coordination.
La formule « en cas de commission sur une autre victime par la même personne » d'une nouvelle infraction a été introduite par la loi du 21 avril 2021 précitée. Le législateur l'a interprétée en ce sens lors de l'examen de ce texte : « La condamnation pour les faits les plus anciens ne sera naturellement possible que si l'accusé est effectivement condamné pour les faits les plus récents, sans quoi le mécanisme proposé poserait un problème au regard du principe de la présomption d'innocence. Si l'affaire la plus récente se solde par un classement sans suite, un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, la prescription des faits les plus anciens devra être constatée »17(*).
Le professeur Audrey Darsonville, entendue par les rapporteures, a exprimé une réserve similaire, qui tient au chaînage des délais inhérent à un tel mécanisme. La prescription glissante instaure une interdépendance entre les délais d'infractions distinctes. Or, en cas de requalification d'une des infractions en délit, et donc de réduction du délai de prescription qui s'applique, les infractions suivantes pourraient s'avérer prescrites. Cette difficulté, liée à la complexité procédurale de ce dispositif, pourrait donc entraîner des effets déceptifs pour les victimes.
Au-delà et comme cela a été évoqué ci-dessus, ce dispositif soulève par nature des difficultés probatoires similaires à celles que l'on rattache à l'imprescriptibilité.
L'article 8 du code de procédure pénale, qui traite de la prescription des délits, serait modifié pour que son quatrième alinéa précise explicitement que la prescription glissante prévue pour les délits sexuels commis sur des mineurs vaut aussi lorsque l'infraction suivante est un viol.
Selon le dispositif proposé, la commission par le même auteur, sur un autre mineur, « d'une agression sexuelle ou d'une atteinte sexuelle », prolongerait le délai de prescription applicable à la première infraction. Il s'agirait en conséquence d'une évolution significative, car si le viol appartient par définition à la catégorie juridique des agressions sexuelles (article 222-22 du code pénal), l'article 8 du code de procédure pénale traite expressément des infractions sexuelles délictuelles.
Il importe ainsi de souligner que ce régime permettrait en pratique d'appliquer à certains délits le délai de prescription du crime de viol.
Cette éventualité avait été explicitement écartée par la commission des lois lors de l'examen de la loi du 21 avril 2021. Le rapporteur Marie Mercier avait ainsi précisé qu'« en revanche, la commission d'un crime sur mineur ne pourrait prolonger la prescription du délit jusqu'à la date de prescription du crime car une telle prolongation serait excessive »18(*).
Une telle évolution accentuerait donc les difficultés probatoires liées à l'allongement du délai de prescription et introduirait une incohérence dans le régime général de la prescription des infractions pénales.
L'article 9-2 du code de procédure pénale, qui détaille les cas dans lesquels le délai de prescription de l'action publique s'interrompt, serait modifié en son dernier alinéa, pour étendre à toutes les victimes de viol, d'agression sexuelle ou d'atteinte sexuelle - et non plus seulement aux mineurs - l'interruption simultanée des délais de prescription qui courent pour les infractions sexuelles commises sur différentes victimes pour un même auteur.
L'interruption du délai de prescription entraîne un effet significatif, car elle « fait courir un délai de prescription d'une durée égale au délai initial ».
Comme le relevait le rapporteur Marie Mercier, « son principal avantage réside dans le fait que des actes interruptifs de prescription, régulièrement accomplis, permettraient, conformément à la jurisprudence bien établie en la matière, de poursuivre des faits anciens, et de condamner leur auteur, quand bien même l'auteur ne serait finalement pas condamné dans l'affaire la plus récente »19(*).
Les effets notables que l'article 9-2 du code de procédure pénale entraîne vraisemblablement sur les délais de prescription d'infractions sexuelles commises sur des mineurs n'ont pas encore pu faire l'objet d'une évaluation.
Or, si cette mesure apparaît justifiée pour les violences sexuelles commises sur des victimes mineures, compte tenu de la particularité de ces infractions, l'évolution proposée de son champ pourrait entraîner des effets disproportionnés, dans la mesure où elle s'appliquerait aux viols, aux agressions sexuelles et aux atteintes sexuelles.
3. La commission a étendu la prescription glissante aux victimes adultes de viol, mais a rejeté les autres modifications du code de procédure pénale au regard des difficultés juridiques qu'elles soulèvent
Si les personnes auditionnées ont rappelé l'intérêt que le mécanisme de la prescription glissante pouvait présenter, tant pour les victimes que pour le ministère public, dans les cas de crimes sériels, elles ont toutefois exprimé de nombreuses réserves.
Ces dernières résultent principalement des difficultés probatoires que l'allongement du délai de prescription entraîne inévitablement et des complications procédurales inhérentes à ce dispositif.
Enfin, les représentants de la Cour de cassation et la DACG ont souligné qu'il n'était pas encore possible d'établir un bilan d'application de la prescription glissante, qui a été introduite par la loi du 21 avril 2021.
La commission, attachée à la protection des victimes d'infractions sexuelles, a maintenu l'extension aux victimes majeures de viol de ce mécanisme. Elle a cependant supprimé la modification de l'article 8 du code de procédure pénale, dans la mesure où l'inscription du viol dans ce dispositif introduirait une exception à la distinction classique du régime de prescription des délits et des crimes. En outre, les difficultés probatoires et procédurales évoquées seraient dans un tel cas accentuées.
Enfin, la commission a écarté l'extension aux victimes majeures du mécanisme prévu à l'article 9-2 du code de procédure pénale. Cet article prévoit des cas d'interruption du délai de prescription qui valaient initialement pour les infractions connexes et les auteurs et complices d'une même infraction. Son extension aux victimes mineures d'infractions sexuelles commises par un même auteur n'ayant pas encore fait l'objet d'une évaluation, la commission a décidé de supprimer sa généralisation.
La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.
Article 3
Création d'une infraction de contrôle
coercitif
Initialement limité à un renfort de caractérisation de l'infraction (existante) de violences psychologiques, l'article 3 a été substantiellement modifié au cours de l'examen de la proposition de loi par l'Assemblée nationale ; il consacre désormais, d'une part, une nouvelle infraction de contrôle coercitif, soumise en matière pénale à un quantum de peine allant de trois ans à dix ans d'emprisonnement sous l'effet de diverses circonstances aggravantes et, d'autre part, les conséquences de cette infraction dans le domaine civil (autorité parentale, délivrance d'une ordonnance de protection, etc.).
Constatant que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale posait de lourdes difficultés et présentait un risque majeur de contrariété à la Constitution, notamment en raison de l'emploi de termes dont la portée juridique n'était pas déterminée, la commission des lois a souhaité, à l'initiative de ses rapporteures, sécuriser ce dispositif pour assurer l'effectivité de la répression des comportements s'apparentant à un contrôle coercitif : elle a, pour ce faire, enrichi l'infraction existante de harcèlement sur conjoint afin d'y intégrer les propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de porter une atteinte grave aux capacités d'autonomie de la victime.
Très largement modifié par l'Assemblée nationale au cours de l'examen du texte par les députés, l'article 3 visait initialement à prévoir une meilleure caractérisation de l'infraction - déjà prévue par l'article 222-14-3 du code pénal - de violences psychologiques pour, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, « faire rentrer [la] définition [du contrôle coercitif] dans le code pénal ».
Comme l'ont rappelé tant les auteurs du texte que la rapporteure Maud Bregeon, la notion de « contrôle coercitif » est issue de la sociologie. Elle a été théorisée par Evan Stark qui, dans son ouvrage de 2007 Coercive Control : How Men Entrap Women in Personal Life (« Le contrôle coercitif : comment les hommes prennent les femmes au piège dans l'intimité »), estimait que les hommes s'étaient adaptés aux progrès des droits des femmes en adoptant au sein du couple des « stratégies de contrôle et de domination moins ouvertement visibles, plus subtiles, mais tout aussi dévastatrices » ayant pour effet d'instaurer, par une série d'actes, un schéma d'oppression et d'humiliation privant la victime de son autonomie d'action.
La notion de contrôle coercitif
« Le contrôle coercitif se distingue par une dynamique de domination et de contrôle, où un partenaire exerce un pouvoir sur l'autre. Les caractéristiques principales du contrôle coercitif incluent la restriction de l'autonomie et de la liberté de l'autre partenaire. Cela peut se manifester par des actions telles que l'isolement social, où l'individu impose des limitations sur les interactions sociales de sa partenaire, en limitant ses contacts avec sa famille, ses amis ou d'autres sources de soutien. Le contrôle coercitif peut également se manifester par une surveillance, où l'agresseur exerce un contrôle intrusif sur la vie privée de sa partenaire, surveillant ses communications, ses déplacements et ses activités en ligne. Le contrôle financier est souvent utilisé comme un moyen de maintenir le pouvoir et le contrôle dans la relation.
« Dans de nombreuses sociétés, les normes de genre traditionnelles favorisent une dynamique de pouvoir inégale dans les relations intimes, où les hommes sont socialement et culturellement encouragés à exercer un contrôle sur leurs partenaires. Ces normes de genre peuvent légitimer le contrôle coercitif en tant que moyen pour les hommes de maintenir leur supériorité et leur autorité dans la relation. [...]
« Le contrôle coercitif se manifeste à travers diverses tactiques visant à restreindre l'autonomie et la liberté de l'autre partenaire. [...] Parmi les formes les plus courantes de contrôle coercitif, on trouve également le contrôle financier, où l'agresseur exerce un pouvoir sur les ressources financières de sa partenaire, la rendant dépendante économiquement, mais également une surveillance, quand l'agresseur surveille de près les activités et les interactions de sa partenaire, créant ainsi un climat de méfiance et d'insécurité. L'agresseur peut aussi isoler délibérément sa partenaire de ses amis et de sa famille, réduisant ainsi ses sources de soutien, ou encore utiliser des tactiques manipulatrices pour contrôler les émotions et les pensées de sa partenaire.
« Le contrôle coercitif s'exprime aussi souvent par le contrôle des activités, quand l'agresseur dicte le quotidien de sa partenaire, limitant ainsi son autonomie et sa liberté. »
L'article 3 de la proposition de loi vise, à l'issue des débats à l'Assemblée nationale, à créer une nouvelle infraction de contrôle coercitif au sein du code pénal et à tirer au plan civil les conséquences de la commission de cette infraction.
Les auditions menées par les rapporteures ont permis d'isoler les principales caractéristiques conceptuelles du contrôle coercitif. Spécifique aux rapports conjugaux, celui-ci consiste synthétiquement - et si l'on excepte ceux de ses traits déjà pris en compte par le droit sous l'angle de la violence physique, sexuelle ou psychologique ou du harcèlement - en une série durable d'actes répétés tendant à :
- porter atteinte, par un cumul de privations ou de micro-contrôles, aux droits humains de la victime (privation de la liberté d'aller et venir, de fréquenter certains proches, d'user de ses ressources financières de manière autonome, de disposer de documents administratifs, de choisir sa tenue, etc.) ;
- établir à son encontre une forme de surveillance, voire de captivité ;
- créer un rapport de domination émotionnelle de l'auteur sur la victime.
1. L'arsenal juridique existant pour traiter des violences au sein des couples
S'il n'intègre pas à ce jour, en tant que telle, la notion de contrôle coercitif, le droit français comporte des outils qui permettent une prise en compte relativement large des violences non physiques, notamment lorsqu'elles sont commises au sein des couples.
a) Le droit pénal a progressivement étendu la répression des violences commises au sein des couples
Reconnues par la jurisprudence depuis la fin du XIXe siècle20(*), les violences psychologiques sont intégrées à plusieurs titres au code pénal. Leur répression s'appuie en particulier :
- sur la consécration, depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, de l'équivalence entre les violences physiques et les violences psychologiques, ce principe ayant pris corps à l'article 222-14-3 du code pénal qui dispose, en pleine cohérence avec la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, que « les violences [...] sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques » ;
- sur l'infraction de harcèlement sur conjoint, prévue depuis la loi précitée de 2010 par l'article 222-33-2-1 du code pénal et qui réprime « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de[s] conditions de vie [d'un conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un concubin] se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale », l'infraction étant aggravée lorsqu'un mineur y a assisté ou lorsque ce harcèlement a conduit la victime au suicide ou à une tentative de suicide ;
- sur la notion d'emprise, introduite à l'article 226-14 du code pénal par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales : la disposition correspondante permet la levée du secret médical par un médecin ou un professionnel de santé lorsque ce dernier, confronté à des violences exercées au sein du couple, « estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences » et ce, y compris en l'absence de consentement de la victime ;
- sur la répression des diverses formes de violences commises en ligne par un conjoint ou sur un ex-conjoint pour humilier une victime ou faire pression sur cette dernière, à l'instar de la pratique qui consiste à diffuser des photographies ou vidéos à caractère sexuel de son conjoint ou ex-conjoint (« revenge porn ») (article 226-2-1 du code pénal) ;
- plus largement, et hors les cas précités d'infractions autonomes, sur la présence systématique, en matière d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la personne, de circonstances aggravantes permettant de réprimer plus lourdement l'infraction lorsqu'elle est commise sur un conjoint ou un ex-conjoint.
Ces évolutions législatives ont permis une amélioration tendancielle de la réponse pénale aux violences de toutes natures commises au sein des couples, comme en témoignent les données recueillies par la sénatrice Dominique Vérien (par ailleurs co-rapporteure du présent texte) et par la députée Émilie Chandler à l'occasion du rapport Plan rouge VIF : Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales remis au garde des sceaux en mai 2023. Reproduites ci-dessous21(*), ces statistiques montrent l'augmentation rapide, depuis 2019, du nombre de personnes mises en cause, du nombre des condamnations prononcées et de la part consacrée aux violences intrafamiliales dans l'activité juridictionnelle.
Le rapport précité soulignait, plus généralement, que la principale difficulté rencontrée en matière de lutte contre les violences intrafamiliales tenait non pas véritablement aux normes pénales, mais à l'éducation et à la formation des intervenants à tous les stades de la procédure, ainsi qu'aux outils d'accompagnement et de protection des victimes : il rappelait ainsi que, en dépit de nombreuses lois, circulaires et dépêches, « le développement de la politique de lutte contre les violences conjugales n'a[vait] pas à ce jour eu un impact significatif sur l'ampleur du phénomène ».
En revanche, et sans formuler de recommandation en matière de droit pénal stricto sensu, Dominique Vérien et Émilie Chandler avaient appelé de leurs voeux une réflexion sur l'emprise au sein des couples et sur la notion de contrôle coercitif.
C'est dans ce contexte, et dans le cadre des infractions existantes, que la notion de contrôle coercitif a pu être, d'ores et déjà, prise en compte par les juridictions : à titre d'exemple, dans plusieurs arrêts en date du 31 janvier 2024, largement commentés par la doctrine, la cour d'appel de Poitiers - par ailleurs source affichée d'inspiration des auteurs de la proposition de loi, puisque le dispositif initial de l'article 3 reprenait extensivement l'une des formules employées dans l'un de ses arrêts - s'est appuyée sur ce concept pour caractériser la commission d'infractions existantes - violences psychologiques, harcèlement sur conjoint, etc.
Les arrêts de la Cour d'appel de Poitiers du
31 janvier 2024
(M. T., M. B., M. T., M. P., M. S.) - extraits
« La cour analyse l'ensemble de ces faits comme la mise en place d'un contrôle coercitif sur la personne de Madame, dans lequel les infractions pénales de harcèlement et de violences se contextualisent. Les agissements de M. sont divers et cumulés. Pris isolément, ils peuvent être relativisés. Identifiés, listés et mis en cohérence, ils forment un ensemble : les outils du contrôle coercitif. Ils visent à piéger la femme dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s'érige en maître du domicile et du fonctionnement familial. Ces actes ne peuvent s'expliquer que comme le résultat d'inconduites individuelles : frustration, colère, alcoolisation, désocialisation, déséquilibre psychologique ou maladie mentale, manque de maîtrise des émotions. Ils s'inscrivent dans un mécanisme collectif et historique d'inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et leurs manifestations dans le couple et la famille. Les violences faites aux femmes s'adossent à un système de pensée, de représentations qui encadrent les conduites humaines, masculines comme féminines. La violence intrafamiliale doit être alors analysée comme une forme de violence sociale. Le cadre est l'affirmation du pouvoir sur l'autre. Le principe est la domination. Les moyens sont les tactiques diverses et cumulées. Le tout vise à contrôler, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer, contraindre. [...]
« La stratégie de l'auteur est fondée sur la micro-régulation du quotidien de la femme, par une série d'actes repérables dans les procédures judiciaires. La violence physique n'est que la partie la plus visible de cet échafaudage de comportements. Le contrôle coercitif est permanent et cumulatif. Ce schéma de conduite calculé est déployé pour contrôler la vie des femmes. Il fait peser un danger sur la femme et un risque indissociable sur l'intégrité psychologique et physique des enfants. Les manoeuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ont pour effet de diminuer la capacité d'action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion. Les conséquences en sont le psycho-traumatisme, le mal-développement ou la carence et donc le dommage moral. Elles aboutissent à une altération de la santé de la femme, notamment en la contraignant à vivre dans un climat de crainte pour sa sécurité et où celle de ses enfants, auquel elle s'adapte constamment.
« Le contrôle coercitif est une atteinte aux droits humains, en ce qu'il empêche de jouir de ses droits fondamentaux comme la liberté d'aller et venir, de s'exprimer, de penser, d'entretenir des liens familiaux. »
Source : arrêt de la Cour d'appel de Poitiers, 31 janvier 2024
Ces éléments figurent également dans plusieurs jugements de première instance, comme par exemple ceux des tribunaux correctionnels de Sens (un jugement du 29 octobre 202422(*) définit le contrôle coercitif comme étant « une forme de violence exercée au sein du couple, où l'un des partenaires impose une domination constante sur l'autre, à travers des stratégies psychologiques et comportementales. Il ne s'agit pas d'actes isolés, mais d'un schéma répétitif et insidieux qui vise à contrôler l'ensemble des aspects de la vie de la victime : ses pensées, ses émotions, ses actions et ses choix. Cette dynamique place la victime dans un état de soumission permanente, alimenté par la peur, la confusion et la perte progressive d'autonomie ») ou de Paris (qui a souligné, le 29 février 202423(*) que « les moyens sont des tactiques diverses et cumulées. Le tout vise à contrôler, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer, contraindre »).
En l'absence de position prise par la Cour de cassation sur la viabilité, en l'état du droit, du recours au concept de « contrôle coercitif » par les juridictions, on peut toutefois relever que la jurisprudence récente confirme la grande plasticité des infractions actuellement prévues par le code : à titre d'illustration, un arrêt du 15 mai 2024 de la chambre criminelle a approuvé une cour d'appel ayant jugé un prévenu coupable de violences psychologiques dans la mesure où ce dernier « inspirait de la crainte à sa compagne, [...] la menaçait, la surveillait sans cesse, sans la laisser libre de ses mouvements [...], l'empêchant d'approcher ses enfants »24(*).
La Cour de cassation a, pour sa part, consacré le premier collège thématique de son nouvel observatoire des litiges au contrôle coercitif, ce qui atteste de l'usage croissant de la notion par les juges du fond : selon les éléments recueillis par les rapporteures, celui-ci rendra ses conclusions entre la fin du premier semestre et la rentrée 2025, et ses travaux tant sur l'analyse des décisions déjà rendues par les juges du fond en matière civile et pénale que sur la dimension internationale du concept juridique de contrôle coercitif.
b) Les dispositions du code civil permettent de tirer des conséquences sur l'autorité parentale lorsque des violences psychologiques sont exercées par un parent sur l'autre
Si le code civil ne contient pas non plus la notion de contrôle coercitif, plusieurs de ses dispositions permettent au juge aux affaires familiales de moduler l'autorité parentale d'un parent qui commet des violences psychologiques sur l'autre parent au détriment de l'intérêt de l'enfant, et certaines de ses dispositions entraînent en principe l'aménagement de l'exercice de l'autorité parentale, voire son retrait, lorsqu'un parent est poursuivi ou condamné pour certains crimes et délits.
i. Le juge aux affaires familiales peut aménager l'exercice de l'autorité parentale d'un parent lorsqu'il est coupable de violences psychologiques qui compromettent l'intérêt de l'enfant
Le code civil prévoit qu'en principe, « les père et mère exercent en commun l'autorité parentale », suivant la formule de l'article 372 de ce code, qui est définie comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant » et qui doit s'exercer « sans violences physiques ou psychologiques » (article 371-1 du code civil).
Plusieurs dispositions permettent toutefois d'aménager l'exercice de l'autorité parentale d'un parent qui perpétrerait, au détriment de l'intérêt de l'enfant, des violences psychologiques sur son conjoint - voire de le lui retirer dans certains cas spécifiques.
(1) Le juge aux affaires familiales peut priver un parent de l'exercice du droit de visite et d'hébergement pour des motifs graves, au rang desquels figurent les violences psychologiques
Si, en principe, « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale », conformément à l'article 373-2 du code civil, le juge peut toutefois, « si l'intérêt de l'enfant le commande, [...] confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents », en vertu de l'article 373-2-1 du même code. Cet article précise que seuls des « motifs graves » peuvent justifier que l'exercice du droit de visite et d'hébergement soit refusé à un parent. Le juge aux affaires familiales dispose d'une liberté d'appréciation pour caractériser de tels motifs.
Les violences psychologiques fréquemment rattachées au phénomène du contrôle coercitif peuvent donc, si elles compromettent l'intérêt de l'enfant, constituer un motif grave au sens de la loi et justifier que le juge prive un parent du droit de visite et d'hébergement.
(2) Les modalités d'exercice de l'autorité parentale peuvent être déterminées par le juge au regard des violences commises par un parent sur l'autre
Le juge aux affaires familiales peut se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale dans deux cadres principaux, que sont la saisine de droit commun, et les différents dispositifs d'urgence.
Le code civil indique, de manière non exhaustive, les éléments que le juge aux affaires familiales doit prendre en compte lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. L'article 373-2-11 de ce code mentionne notamment « l'aptitude de chacun des parents à [...] respecter les droits de l'autre » et « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre ». La décision du juge aux affaires familiales tient donc compte des éléments qui relèvent du concept de contrôle coercitif.
Plusieurs dispositifs d'urgence permettent en outre au juge aux affaires familiales de se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur les droits de visite et d'hébergement d'un parent qui exercerait des violences, notamment psychologiques :
- l'ordonnance de protection, instituée en 2010 et réformée à six reprises depuis lors25(*), permet au juge aux affaires familiales d'adopter des mesures provisoires dans l'attente d'un éventuel jugement pénal « lorsque les violences exercées au sein du couple [...] ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin [...] mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs enfants ». Ce dispositif, régi par les articles 515-9 à 515-13 du code civil, permet ainsi d'obtenir dans un délai restreint des mesures protectrices d'une victime présumée de violences, au rang desquelles figure l'aménagement des modalités d'exercice de l'autorité parentale. Le juge doit en effet convoquer les parties pour une audience « par tous moyens adaptés » dès la réception de la demande, puis adopter l'ordonnance « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience » si elle lui apparaît fondée ;
- l'ordonnance provisoire de protection immédiate, introduite par la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate et dont le décret d'application a récemment paru26(*), permet d'assurer une protection à une victime présumée de violences conjugales dans une urgence extrême ;
- l'assignation « à bref délai » prévue à l'article 1137 du code de procédure civile, conçue pour les situations de modification unilatérale de l'organisation de la vie d'un enfant, constitue elle aussi un recours en cas de violences présumées. Si l'urgence est « dûment justifiée », le juge détermine une date d'audience sous quinze jours, lors de laquelle il peut se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et sur le droit de visite et d'hébergement.
Il apparaît enfin que le juge aux affaires familiales adapte le régime des preuves à la particularité des violences psychologiques, qui sont par nature difficiles à établir du fait de leur caractère insidieux. Selon plusieurs cours d'appel, une atteinte proportionnée peut désormais être portée au principe de loyauté de la preuve dès lors qu'elle est nécessaire pour prouver le fait allégué27(*). Il peut s'agir, par exemple, de l'enregistrement déloyal de discussions ou d'appels privés, qui est en principe interdit. Cette évolution est favorable à la qualification de violences psychologiques qui se rattachent au concept de contrôle coercitif.
(3) Un parent peut se voir retirer l'autorité parentale indépendamment d'une condamnation pénale, notamment lorsque l'enfant assiste aux violences physiques ou psychologiques qu'un de ses parents exerce sur l'autre
Le ministère public, un membre de la famille, le tuteur de l'enfant ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance auquel l'enfant est confié peuvent saisir le tribunal judiciaire pour obtenir, en dehors de toute condamnation pénale, le retrait de l'autorité parentale d'un parent.
Selon l'article 378-1 du code civil, le retrait peut être justifié par plusieurs faits qui « mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ». Le même article précise explicitement que les pressions ou les violences, « à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre », peuvent fonder une telle décision.
Ce dispositif peut ainsi être mobilisé dans une situation de violences qui inclurait un phénomène de contrôle coercitif et qui compromettrait gravement l'intérêt de l'enfant.
ii. Plusieurs dispositions entraînent en principe le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, voire de l'autorité parentale elle-même, lorsqu'un parent est poursuivi ou condamné pour certains crimes ou délits
Le législateur a prévu plusieurs dispositifs qui entraînent la suspension de l'exercice de l'autorité parentale ou le retrait de l'autorité parentale du parent respectivement poursuivi ou condamné pour certains crimes ou délits qui peuvent s'accompagner d'un phénomène de contrôle coercitif.
L'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement d'un parent poursuivi ou mis en examen pour un crime perpétré sur l'autre parent, pour une agression sexuelle incestueuse ou un crime commis sur l'enfant sont automatiquement suspendus, en vertu de l'article 378-2 du code civil, introduit par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille. Cette mesure protectrice s'applique avant même la décision du juge pénal, jusqu'à la décision du juge aux affaires familiales s'il a été saisi, du juge d'instruction ou de la juridiction pénale.
La loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a apporté à cette disposition des modifications favorables à la protection des victimes présumées de violences. La suspension de l'exercice de l'autorité parentale était jusqu'alors limitée en principe à six mois et n'était appliquée qu'en cas de poursuite pour un crime perpétré sur l'autre parent. L'article 378-2 du code civil permet donc d'assurer une meilleure protection des victimes présumées de violences intrafamiliales.
Enfin, le législateur a favorisé le retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pénale pour certaines infractions commises au sein de la famille. L'article 378 du code civil prévoit ainsi, sauf décision spécialement motivée, le retrait total de l'autorité parentale du parent condamné « comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou d'une agression sexuelle incestueuse commis sur la personne de son enfant ou d'un crime commis sur la personne de l'autre parent ». En cas de décision contraire, le juge pénal doit, sauf nouvelle décision motivée, ordonner « le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale ». Ce dispositif permet donc de protéger les victimes et covictimes de violences exercées au sein de la famille, qui peuvent intégrer un phénomène de contrôle coercitif.
Le retrait ou la suspension de l'exercice de l'autorité parentale
Cette mesure revient à confier exclusivement à l'autre parent titulaire de l'autorité parentale le devoir de protéger l'enfant dans sa sécurité, sa moralité et sa santé, de fixer sa résidence et de conduire son éducation. Si ce parent est dans l'impossibilité de le faire ou décédé, le juge aux affaires familiales (JAF) délègue cet exercice à une tierce personne en application de l'article 377 du code civil.
Source : commission des lois du Sénat28(*)
Le retrait de l'autorité parentale revêt toutefois une particulière gravité, ce qui explique qu'en dépit de l'adoption de mécanismes qui le favorisent, le juge procède davantage au retrait de l'exercice de l'autorité parentale qu'à celui de son autorité elle-même.
Retrait de l'exercice de l'autorité parentale |
Retrait partiel des droits attachés à l'autorité parentale |
Retrait total de l'autorité parentale |
Total |
|
2020 |
97 |
8 |
264 |
369 |
2021 |
332 |
21 |
395 |
748 |
2022 |
691 |
13 |
421 |
1 125 |
2023* |
1 010 |
22 |
534 |
1 566 |
Source : SG-SSER, tables statistiques du casier judiciaire national29(*)
2. La caractérisation du contrôle coercitif : un exercice acrobatique au plan juridique, fondé sur un consensus sociologique imparfait
Les évolutions de l'article 3 au cours des discussions à l'Assemblée nationale témoignent de la difficulté à caractériser le contrôle coercitif sur le plan juridique. D'abord limité à une extension du champ des violences psychologiques, puisqu'il prévoyait que celles-ci pourraient être constituées par des « manoeuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ayant pour effet de diminuer la capacité d'action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion », le dispositif a été rejeté par la commission des lois au motif que ni la rédaction initiale, ni celles qui auraient été issues des amendements alors déposés n'apparaissaient suffisamment abouties.
En séance publique, les députés ont cependant adopté un amendement déposé par Sandrine Josso venant, d'une part, créer une nouvelle infraction pénale fondée sur le contrôle coercitif et, de l'autre, fixer les conséquences de cette infraction sur les relations civiles au sein du couple.
a) La nouvelle infraction de contrôle coercitif
Le I de l'article 3 crée une nouvelle infraction pénale, réprimée par un emprisonnement de trois ans et une amende de 45 000 euros, fondée sur l'existence d'un contrôle coercitif ainsi défini :
« Sans préjudice de l'application des articles 223-15-3 [sujétion psychologique ou physique] et 222-33-2-1 [harcèlement sur conjoint], le fait d'imposer un contrôle coercitif sur la personne de son conjoint, du partenaire auquel on est lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin par des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d'actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail. »
Cette rédaction s'écarte substantiellement de celle qui a été retenue dans les pays étrangers ayant introduit dans leur droit une infraction autonome fondée sur le contrôle coercitif30(*) :
- depuis 2015, l'article 76 du Serious Crime Act britannique définit le contrôle coercitif comme le comportement adopté par un auteur, lié par des liens intimes ou familiaux à une victime ; il s'agit d'un « adopt[é] de manière répétée ou continue » et « contrôlant ou coercitif » ;
- en Écosse, le Domestic Abuse Act réprime le comportement violent d'une personne à l'encontre de son partenaire ou ex-partenaire, d'une part, lorsque ce comportement est de nature à causer un préjudice physique ou psychologique et, d'autre part, si l'auteur a l'intention de provoquer un tel préjudice ou ne se soucie pas de savoir s'il le cause ;
- depuis 2021, l'État américain de Washington sanctionne le contrôle coercitif en le définissant comme « une conduite contre un membre de sa famille, un membre du ménage ou un partenaire intime [...] sans son consentement afin de limiter ou de restreindre, en tout ou en partie, son comportement, ses déplacements, ou son accès à ses propres finances ou à ses informations financières ou à leur utilisation » ;
- en Belgique, depuis la loi-cadre de lutte contre les féminicides du 13 juillet 2023, le contrôle coercitif est intégré au droit pénal en tant que forme de la violence psychologique ; la loi définit à cette fin plusieurs notions puisque, outre le contrôle coercitif (donc « les comportements coercitifs ou de contrôle, continus ou répétés, qui causent un dommage psychique »), elle introduit les termes de « comportement coercitif » (soit « un acte ou une série d'actes d'agression, de menaces, d'humiliation et d'intimidation ou d'autres abus utilisés pour blesser, punir ou effrayer la victime ») et de « comportement contrôlant » (défini comme « un ensemble d'actes visant à rendre une personne subordonnée ou dépendante en l'isolant de ses sources de soutien, en exploitant ses ressources et ses capacités à des fins personnelles, en la privant des moyens nécessaires à son indépendance, à sa résistance et à sa fuite, ou en réglementant son comportement quotidien »).
Le code criminel canadien a, de même, été modifié en juin 2024 pour réprimer « le fait d'exercer un contrôle coercitif à l'égard d'un partenaire intime par la combinaison ou la répétition de l'un de ces actes : user de violence contre certaines personnes ou tenter ou menacer de le faire, contraindre ou tenter de contraindre le partenaire intime à une activité sexuelle ou agir de toute autre manière dans le cas où il est raisonnable de s'attendre à ce qu'il soit possible de faire croire au partenaire intime que sa sécurité, ou celle d'une personne qu'il connaît, est en danger »31(*).
Sur le fond, la définition adoptée par les députés - issue d'un amendement dont le gouvernement avait, sans succès, demandé le retrait à l'Assemblée nationale au profit d'une rédaction présentée par la rapporteure Maud Bregeon au motif que cette dernière « caractéri[sait] mieux cette infraction autonome »32(*) - présente plusieurs particularités notables.
En premier lieu, elle limite la commission de l'infraction aux rapports de couple, ce qui est sans précédent dans le code pénal : en effet, et comme on l'a relevé, les infractions existantes commises au sein des couples procèdent soit d'une circonstance aggravante, soit - lorsqu'il s'agit d'une infraction autonome - d'une définition « miroir » d'un délit par ailleurs prévu dans le droit commun : à titre d'illustration, le harcèlement sur conjoint constitue la réplique mutatis mutandis du harcèlement moral réprimé par l'article 222-33-2 du code pénal, c'est-à-dire qu'il en reprend à la fois la structure et les principales caractéristiques matérielles.
En deuxième lieu, la définition de cette nouvelle infraction repose sur des notions à ce jour inexistantes en droit pénal (« droits et libertés fondamentaux », « peur », « crainte », « actes exercés [...] indirectement [...] sur autrui », etc.), ce qui soulève des doutes quant à la portée effective du dispositif.
Ces craintes sont d'ailleurs partagées par la Cour de cassation dont les représentants, entendus par les rapporteures, ont considéré que le mécanisme proposé était « complexe » et que « tant la combinaison de ces divers éléments que la définition donnée à chacun d'entre eux contribuent à la complexité de l'infraction », pointant en particulier que « la définition du champ des droits et libertés ainsi protégés sera délicate » et que la référence à la crainte d'actes exercés sur soi-même ou sur autrui, « très générale », était « susceptible d'ouvrir considérablement la définition de l'infraction, surtout combinée à la possibilité que les actes soient exercés indirectement ».
Dans le même temps, sur le fond, la rédaction proposée en matière pénale ne semble pas présenter de différence substantielle avec des infractions existantes approchantes, comme en atteste l'usage de la formule « Sans préjudice... » en tête de l'article projeté.
D'autres doutes sur la viabilité des choix effectués par l'Assemblée nationale naissent de la faiblesse juridique de l'infraction, dont la rédaction semble entièrement tournée vers la subjectivité de la victime au détriment de l'existence des éléments matériel et moral pourtant essentiels à la caractérisation d'une infraction pénale. Cette analyse, largement partagée par les personnes entendues par les rapporteures, a pu conduire la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice à souligner que l'« élément intentionnel paraît encore flou, dans la mesure où il ne semble pas consister en la volonté délibérée d'atteindre un résultat particulier. Ici, l'élément moral semble s'effacer, ou être emporté, par l'élément matériel lui-même (consistant dans le fait d'imposer un contrôle) » : cette situation semble, à tout le moins, tautologique, voire dangereuse.
En troisième lieu, les circonstances aggravantes retenues en l'état du texte posent, elles aussi, plusieurs difficultés :
- sur la forme, de même que la définition de l'infraction « source », elles reposent sur des termes qui ne sont pas définis : tel est notamment le cas du « handicap temporaire », dans la mesure où cette notion est étrangère au code pénal qui ne reconnaît en la matière que le nombre de jours d'incapacité totale de travail (ITT) ou la création d'une « infirmité permanente » du fait de l'infraction, ou encore de l'« usage abusif33(*) de dispositifs ou d'institutions, tels que des actions en justice, des lieux de soins, des dispositifs administratifs ou des mesures de protection de l'enfance », étant souligné que cette expression, manifestement très large, englobe plusieurs termes inconnus dans le droit en vigueur ;
- sur le fond, certaines circonstances sont contestables dans leur principe : ainsi, le simple fait que l'infraction soit commise « dans un contexte » où un mineur réside habituellement au domicile de l'auteur ou de la victime suffirait, même s'il n'a pas assisté à la commission de l'infraction, à constituer une circonstance aggravante faisant passer la peine encourue à dix ans d'emprisonnement. De même, la vulnérabilité de la victime serait constitutive d'une circonstance aggravante, y compris lorsqu'elle n'est ni apparente, ni connue de l'auteur, ce qui met en cause la solidité de l'élément moral de l'infraction et, partant, la conformité à la Constitution de la disposition citée.
Les représentants de la Cour de cassation relevaient plus largement au cours de leur audition que la circonstance relative à l'incapacité présentait un caractère « aléatoire » ; ils jugeaient également « très incertaine » la circonstance portant sur l'usage abusif de dispositifs ou d'institutions en ce sens qu'elle « revien[drai]t à sous-entendre que les institutions puissent, en étant manipulées, participer à la commission de l'infraction et pourrait ouvrir la porte à d'éventuelles poursuites pour complicité ».
En termes de cohérence de l'échelle des peines, par ailleurs, la rédaction proposée crée de lourdes distorsions entre la gravité objective de l'élément retenu et l'aggravation du quantum encouru : outre l'hypothèse (déjà citée) de résidence habituelle d'un mineur avec l'auteur ou la victime (hypothèse qui serait de facto réalisée dans tout couple ayant des enfants), qui suffirait à faire monter la peine encourue à dix ans de prison, cette remarque s'applique notamment au cas où l'infraction a créé un « handicap temporaire ». En effet, et au-delà de la difficulté de principe déjà relevée, un tel handicap aurait pour effet de porter le quantum encouru à sept ans ; or celui-ci ne se distingue guère, aux plans intellectuel et pratique, d'une blessure ayant engendré une ITT de plus de huit jours, circonstance dans laquelle le texte prévoit une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. En d'autres termes, la rédaction actuelle a pour effet de soumettre les mêmes faits à deux peines différentes selon la qualification retenue par la juridiction, ce qui est de nature à porter une grave atteinte au principe constitutionnel de légalité34(*).
Enfin et surtout, les rapporteures soulignent que certaines circonstances aggravantes créent le risque d'un dévoiement de l'infraction au détriment des victimes elles-mêmes : ainsi de la notion d'« usage abusif de dispositifs ou d'institutions, tels que des actions en justice, des lieux de soins, des dispositifs administratifs ou des mesures de protection de l'enfance », qui pourrait permettre à un conjoint violent d'alléguer que son ou sa partenaire exerce un contrôle coercitif au motif que ce dernier (ou cette dernière) demande la garde des enfants du couple ou l'application d'une mesure de protection.
b) La proposition de loi apporterait plusieurs modifications significatives au code civil pour y intégrer la notion de contrôle coercitif et lui attribuer des effets considérables sur l'aménagement, l'exercice ou le retrait de l'autorité parentale
L'Assemblée nationale a ajouté à l'article 3 de la proposition de loi un paragraphe II qui modifie plusieurs dispositions du code civil relatives à l'autorité parentale pour y intégrer la notion de contrôle coercitif et lui donner des conséquences substantielles sur l'autorité parentale.
(1) La désignation explicite du contrôle coercitif comme l'un des motifs graves au regard desquels l'exercice du droit de visite et d'hébergement d'un parent peut lui être refusé au titre de l'article 373-2-1 du code civil
Le code civil prévoit en son article 373-2-1 qu'en cas de séparation des parents, le juge peut faire exception au principe d'un exercice commun de l'autorité parentale « si l'intérêt de l'enfant le commande ».
Le deuxième alinéa de cet article précise toutefois que « l'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves ».
La proposition de loi compléterait ce deuxième alinéa pour attribuer expressément au contrôle coercitif la qualification de « motif grave ». Au surplus, elle lierait la notion de contrôle coercitif à la définition qui en serait donnée à l'article 222-14-3-1 du code pénal.
Le deuxième alinéa de l'article 373-2-1 du code civil disposerait ainsi que « l'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves, parmi lesquels l'exercice d'un contrôle coercitif, au sens de l'article 222-14-3-1 du code pénal, d'un parent sur l'autre en présence de l'enfant ».
La mention expresse du contrôle coercitif et le renvoi explicite au code pénal laissent donc à penser que la caractérisation de l'infraction pénale serait nécessaire à la qualification d'un motif grave. Une telle rédaction entraînerait donc deux difficultés juridiques principales :
- la caractérisation du contrôle coercitif étant plus exigeante que celle des violences psychologiques du fait des différents critères à réunir, cette disposition pourrait avoir un effet inverse à celui espéré par ses rédacteurs. Les éléments de caractérisation de l'infraction pourraient donc être préjudiciables à la protection des victimes présumées. À titre d'illustration, en l'état du texte, la définition pénale du contrôle coercitif mentionnerait la présence de l'enfant uniquement au rang des circonstances aggravantes. Or, des violences psychologiques peuvent avoir une influence sur l'enfant même en son absence. Plusieurs personnes auditionnées par les rapporteures considèrent ainsi que l'état actuel du droit assure aux juges du fond une grande liberté d'appréciation qui leur permet de qualifier des violences psychologiques de motifs graves ;
- cette désignation explicite contreviendrait a priori au principe cardinal auquel obéit l'intervention du juge aux affaires familiales. Il lui revient en effet de se prononcer au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme le précise à plusieurs reprises le code civil. L'article 373-2-6 dispose ainsi que ce juge exerce son office « en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ». Les motifs graves qualifiés par le juge aux affaires familiales doivent donc toujours compromettre l'intérêt supérieur de l'enfant. Les représentants de la Cour de cassation ont enfin signalé aux rapporteures plusieurs décisions qui établissent que la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant permet de caractériser des motifs graves qui s'apparentent au phénomène du contrôle coercitif, que des violences physiques y soient ou non associées35(*).
(2) La substitution de la notion de contrôle coercitif à celle d'emprise parmi les cas dans lesquels la médiation est écartée en vertu de l'article 373-2-10 du code civil
Si le code civil prévoit en principe que le juge aux affaires familiales doit « [s'efforcer] de concilier les parties » en cas de désaccord, il a prévu plusieurs exceptions à l'engagement d'une procédure de médiation lorsque « des violences sont alléguées par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant, ou sauf emprise manifeste de l'un des parents sur l'autre parent ».
La notion d'« emprise manifeste » a été intégrée à cet article par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. La substitution du contrôle coercitif à l'emprise pourrait donc emporter plusieurs conséquences défavorables à la protection des victimes présumées de violences psychologiques :
- la notion de contrôle coercitif est plus précise que celle d'emprise. Exclure la médiation dans les cas de contrôle coercitif manifeste réduirait donc a priori le champ des victimes présumées qui pourraient bénéficier de cette mesure de protection. Au surplus, la formule de « contrôle coercitif manifeste » pourrait tenir de l'oxymore, du fait de la nature particulièrement insidieuse de cette infraction ;
- la notion d'emprise n'a été introduite que récemment dans la loi. Cette évolution traduirait donc une instabilité législative préjudiciable à la protection des victimes. Si les différentes personnes auditionnées par les rapporteures n'ont pas été en mesure d'établir un bilan d'application de cette disposition, il a été fait mention des mesures d'exécution adoptées par le ministère de la justice, qui a diffusé des « fiches navette » à ce sujet, pour accoutumer ses services à cette notion.
(3) L'ajout de la notion de contrôle coercitif au sein de la liste des éléments que le juge prend en considération avant de se prononcer sur les modalités de l'autorité parentale, conformément à l'article 373-2-11
La décision du juge relative aux modalités d'exercice de l'autorité parentale doit être prise notamment au regard de plusieurs éléments qu'énumère l'article 373-2-11 du code civil, parmi lesquels figurent les sentiments exprimés par l'enfant mineur ou la pratique passée des parents en la matière ; il ne s'agit donc pas d'une liste exhaustive.
La proposition de loi ajouterait le contrôle coercitif au 6° de cet article, qui mentionne en l'état du droit « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre ». Cet ajout a suscité plusieurs réserves de la part des personnes auditionnées par les rapporteures :
- l'opportunité de cette modification apparaît limitée, puisque les différents éléments qui figurent au sein de cet article permettent déjà d'appréhender des faits qui s'apparentent au concept de contrôle coercitif. Le 3° renvoie par exemple à « l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre », et le 6° aux pressions ou violences psychologiques ;
- la mention explicite du contrôle coercitif, qui renverrait donc à une infraction pénale spécifique dont les critères de qualification seraient complexes et en tout état de cause restrictifs du fait du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, pourrait en outre s'avérer inopérante, car le juge aux affaires familiales ne dispose pas des moyens d'enquête du juge pénal. Au surplus, la Cour de cassation estime que la « grille de lecture » propre à cette infraction pourrait « avoir à certains égards un effet simplificateur » et risquer de « masquer les éléments de fait propres à une situation singulière qui doit être appréciée au prisme de l'intérêt de l'enfant ».
(4) La possibilité laissée au juge de requérir une enquête sociale au sujet d'un contrôle coercitif en vertu de l'article 373-2-12 du code civil
Le juge aux affaires familiales peut demander « à toute personne qualifiée » de réaliser une enquête sociale pour éclairer sa décision relative aux modalités de l'exercice de l'autorité parentale et au droit de visite. L'article 373-2-12 dispose en l'état du droit que « [cette enquête] a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants ». La proposition de loi ajouterait à cette précision : « ainsi que sur un éventuel contrôle coercitif et les psycho-traumatismes associés ».
Les représentants de la Cour de cassation ont signalé aux rapporteures que la pertinence de cette évolution apparaissait contestable et que cette dernière supposait au préalable « de s'interroger sur la nature des missions qui peuvent être conférées à un enquêteur social, la détection du contrôle coercitif paraissant particulièrement délicate et sa qualification, relever d'une opération juridique ».
(5) Prévoir le retrait en principe de l'autorité parentale ou de son exercice lors d'une condamnation « reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif »
Un parent coupable de certains crimes ou délits au sein de la famille peut se voir retirer l'autorité parentale ou l'exercice de cette dernière, en vertu de l'article 378 du code civil. La proposition de loi étendrait ce mécanisme aux condamnations « reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif », en ajoutant au troisième alinéa du même article 378 les deux phrases suivantes : « néanmoins, s'il s'agit d'une condamnation reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif, la juridiction ordonne le retrait total de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée. Si elle ne décide pas le retrait total de l'autorité parentale, la juridiction ordonne le retrait partiel de l'autorité parentale ou le retrait de l'exercice de l'autorité parentale, sauf décision contraire spécialement motivée ».
Cette disposition soulève des difficultés juridiques considérables, qui font l'objet d'un consensus parmi les personnes auditionnées par les rapporteures :
- la rédaction du dispositif apparaît en premier lieu imprécise, voire approximative. Il est en effet fait mention d'une « condamnation reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif », ce qui ne renvoie pas distinctement à une infraction ;
- la nature même du dispositif a suscité la réserve des rapporteures, car ce mécanisme a été instauré pour des crimes et des agressions sexuelles incestueuses d'une rare gravité, compte tenu des conséquences lourdes qu'entraîne le retrait de l'autorité parentale comme de son exercice. L'extension de ce mécanisme au contrôle coercitif, tandis qu'il demeure écarté pour d'autres délits, tels que les violences physiques aggravées, n'apparaît donc pas cohérente ;
- une telle disposition revêt un caractère disproportionné et pourrait donc méconnaître la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a en effet jugé, sur le fondement de l'article 8 de la Convention, que « seules des circonstances tout à fait exceptionnelles [peuvent] conduire à une rupture du lien familial » dans un arrêt du 19 septembre 2000, Gnahoré c. France36(*) ;
- enfin, la DACS identifie le risque d'une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale garanti par la Constitution.
(6) Permettre le retrait de l'autorité parentale d'un parent lorsque l'enfant est témoin d'un contrôle coercitif
La proposition de loi permettrait au juge de retirer l'autorité parentale à un parent, en dehors de toute condamnation pénale, « lorsque l'enfant est témoin d'un contrôle coercitif ».
Cette modification de l'article 378-1 du code civil présente des inconvénients juridiques similaires à ceux évoqués aux points (3) et (5). Les rapporteures estiment en effet que cette insertion serait disproportionnée, en particulier au regard de la jurisprudence de la CEDH.
Une telle précision pourrait du reste priver le juge de sa marge d'appréciation, car l'article précité dispose déjà expressément en son premier alinéa que l'autorité parentale peut être retirée « notamment lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique », à condition que les agissements du parent concerné « mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ».
(7) Étendre aux poursuites relatives à un contrôle coercitif la suspension provisoire et automatique de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement actuellement prévus pour les poursuites relatives à certains crimes et délits sexuels perpétrés au sein de la famille.
La proposition de loi étendrait le dispositif exposé supra de l'article 378-2 du code civil aux poursuites et aux mises en examen pour « un délit reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif » commis par un parent sur l'autre parent ou son enfant. L'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement d'un parent seraient donc suspendus en cas de poursuite ou de mise en examen pour un délit relatif à un contrôle coercitif.
Cette disposition suscite les mêmes réserves que celles exprimées au sujet de la modification envisagée de l'article 378, qui ont été exposées supra au point (5). La rédaction proposée apparaît en effet imprécise, car « un délit reposant sur l'existence d'un contrôle coercitif » ne renvoie pas à une ou plusieurs infractions précises. Le risque constitué par la disproportion de ce dispositif serait par ailleurs accentué par sa potentielle instrumentalisation lors de ruptures conflictuelles et par l'atteinte qu'elle porterait à la présomption d'innocence, comme l'ont souligné auprès des rapporteures le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris et la Conférence des bâtonniers.
(8) L'extension du régime de l'ordonnance de protection au contrôle coercitif
La proposition de loi propose d'étendre le mécanisme de l'ordonnance de protection, décrit supra, au contrôle coercitif et d'attribuer à ce dernier des effets juridiques spécifiques. Ainsi, dans le cadre d'une ordonnance de protection octroyée en raison d'un contrôle coercitif, « l'absence de suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement [ferait] l'objet d'une décision spécialement motivée ».
Ces deux modifications présentent plusieurs inconvénients juridiques :
- la mention explicite de l'infraction éventuelle du contrôle coercitif pourrait amoindrir la liberté d'appréciation du juge, qui prononce déjà des ordonnances de protection en cas de violences psychologiques, voire en faisant explicitement référence à la notion de contrôle coercitif pour qualifier un danger actuel37(*) ;
- prévoir, sauf décision motivée, la suspension de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement pourrait constituer une mesure disproportionnée, qui méconnaîtrait la jurisprudence de la CEDH.
(9) La modification de la définition de la violence comme vice du consentement pour y intégrer la notion de contrôle coercitif
Le code civil définit en son article 1140 le vice du consentement qu'est la violence en ces termes : « Il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ».
Il s'agit d'une définition stable et éprouvée de l'un des principaux vices du consentement, qui a été consacrée lors de l'adoption de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
La proposition de loi complèterait cet alinéa de la phrase suivante : « Une telle contrainte peut résulter du contrôle coercitif imposé au cocontractant ».
Plusieurs personnes auditionnées par les rapporteures ont exprimé leurs doutes quant à l'opportunité d'une telle modification. Le juge civil qualifie déjà de violences les situations de dépendance psychologique au sein d'un couple. La Cour de cassation a ainsi, dans un arrêt du 4 mai 2016, caractérisé une violence constitutive d'un vice du consentement, dans une situation où un cocontractant en état de fragilité psychologique était soumis à l'emprise de son conjoint38(*).
La DACS considère que l'introduction de la notion de contrôle coercitif au sein de cette définition « risque d'être source de confusion dans son interprétation, de limiter le pouvoir d'appréciation du juge civil et de manquer l'objectif poursuivi par la proposition ».
3. La position de la commission : apporter une réponse effective au phénomène de contrôle coercitif grâce à une répression pénale sécurisée au plan juridique
La commission a été convaincue de la nécessité d'assurer la répression effective du contrôle coercitif, constitué par des faits particulièrement insidieux et dont le droit pénal actuel ne saisit qu'imparfaitement les contours et la complexité. Il convient à cet égard de rappeler que, selon la DACG, deux tiers des féminicides ne sont précédés d'aucun acte de violence physique alors même que, selon les auditions menées par les rapporteures, l'immense majorité d'entre eux se produit dans un contexte de contrôle coercitif : il y a donc urgence pour le législateur à se saisir de cet enjeu.
Néanmoins, la commission a estimé que la protection des victimes et la défense des intérêts de la société passaient par l'adoption d'un dispositif compatible avec les principes constitutionnels qui s'appliquent à la matière pénale, a fortiori dans un contexte où le texte adopté pourrait être soumis au Conseil constitutionnel non seulement ab initio, mais aussi par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité, créant - en cas de censure dans cette seconde hypothèse - un risque majeur pour la viabilité des procédures engagées sur le fondement de l'infraction ainsi créée.
Or, la commission n'a pu que constater que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne permettait pas de garantir la réduction à leur plus stricte expression de ces risques juridiques et, ce pour deux raisons majeures :
- premièrement, les termes employés dans la définition retenue par les députés ne permettent pas de respecter les principes constitutionnels applicables à la matière pénale ;
- deuxièmement, la création d'une infraction autonome et l'emploi de l'expression « contrôle coercitif » par le législateur soulèvent des problèmes juridiques difficilement surmontables.
a) Des termes dont la portée juridique n'est pas définie
Comme on l'a relevé ci-avant, le texte issu de l'amendement déposé par Sandrine Josso emploie des termes inconnus du code pénal, si bien que leur portée ne peut pas être déterminée avec précision (voir supra) : ce point a été unanimement relevé par les juristes (magistrats, avocats, universitaires...) entendus par les rapporteures qui, tous, ont appelé de leurs voeux a minima une évolution de la rédaction du texte.
La nature du dol associé à l'infraction est, elle aussi, incertaine en l'état de la rédaction. Interrogés sur ce sujet, les spécialistes que les rapporteures ont sollicités ont apporté des réponses divergentes, certains estimant que la formulation correspondait à une infraction dite « complexe », et donc à un dol spécial (c'est-à-dire à la volonté de l'auteur de parvenir à un résultat déterminé, étant rappelé qu'un tel dol doit être prouvé par la juridiction de jugement et que, faute d'une telle preuve, aucune condamnation ne peut être acquise), alors que d'autres ont soutenu la position inverse (donc celle d'un dol simple) au vu des termes employés pour définir le délit de « contrôle coercitif ». Une telle incertitude illustre les difficultés soulevées par le texte adopté par l'Assemblée nationale, dont il n'est pas possible de déduire la nature des actes qui pourraient en pratique tomber sous le coup de la nouvelle infraction pénale.
Cette situation est le reflet d'une définition qui, à rebours de la logique qu'imposent les principes constitutionnels dégagés en matière répressive - légalité, proportionnalité, etc. -, a été pensée non pas en fonction des actions effectuées par l'auteur, mais sur la base des sentiments de la victime. Or, si cette démarche est louable dans son principe et communément admise en sciences humaines, elle ne saurait être retenue dans le domaine juridique.
b) Les difficultés créées par la création d'une infraction autonome de « contrôle coercitif »
La création d'une infraction autonome expressément fondée sur l'existence d'un « contrôle coercitif » soulève, elle aussi, de lourdes difficultés.
S'agissant de la mise en place d'une infraction autonome, les points de vue exposés aux rapporteures au cours de leurs auditions ont été particulièrement partagés. Cependant, les personnes ou entités plaidant pour l'autonomie du « contrôle coercitif » appuient leur raisonnement sur des motifs essentiellement symboliques ou de pédagogie envers les victimes. Bien que légitimes, ces justifications ne suffisent pas à contrebalancer les lourds inconvénients qu'une telle solution impliquerait, à savoir :
- la complexité technique induite par la création d'une infraction nouvelle, dont l'articulation avec les délits existants serait source de difficultés pour les enquêteurs et les parquets et qui porterait en elle un surcroît de risques vis-à-vis du respect du principe constitutionnel de légalité. En effet, et comme l'a rappelé aux rapporteures Ariane Amado, chargée de recherche au CNRS-CHJ, la prolifération d'infractions pénales spécifiques est de nature à « brouiller la lisibilité des dispositifs de lutte contre les violences conjugales et [...] affaiblir leur portée », notamment dans un contexte où le contrôle coercitif peut valablement être interprété comme un acte préparatoire ou un commencement d'exécution d'autres infractions pénales : « certains comportements peuvent très vite basculer dans des violences psychologiques, des menaces, du harcèlement voire même séquestration, torture, sévices et actes de barbarie ». De même, la consommation de l'acte lui-même présenterait certainement des points de contact avec d'autres infractions, étant rappelé que la pose de balises GPS, de caméras de surveillance et d'un traçage téléphonique autour d'une victime sont déjà des éléments constitutifs de harcèlement moral dans un cadre conjugal39(*) ;
- le risque, pointé par les services d'enquête, qu'une infraction autonome n'exerce un effet d'éviction sur les infractions existantes, y compris lorsque celles-ci pourraient donner lieu de jure à une peine encourue plus élevée ;
- la faiblesse des condamnations acquises à l'étranger par le biais de l'infraction autonome de contrôle coercitif : une résolution du Conseil national des barreaux transmise aux rapporteures rappelait ainsi que, en Écosse, pays souvent cité en exemple en la matière, « les données disponibles révèlent une faible proportion de poursuites et des condamnations souvent légères » en raison des « obstacles significatifs » que rencontrent les victimes dans les procédures judiciaires.
Pour toutes ces raisons, il n'a pas paru opportun à la commission de créer une infraction autonome.
Elle n'a pas davantage souhaité inscrire dans la loi les termes « contrôle coercitif » estimant, là encore, que les difficultés l'emportaient sur les avantages projetés, dans la mesure où :
- la notion de « contrôle coercitif » fait encore l'objet de travaux non seulement sociologiques, mais aussi juridiques : outre l'initiative déjà citée de la Cour de cassation et de son Observatoire des litiges, le Conseil national des barreaux travaille lui aussi sur cette thématique. Dans ce contexte, nombre de personnes auditionnées par les rapporteures ont estimé que toute inscription du concept dans la loi serait, à tout le moins, prématurée ;
- l'inscription de la notion dans le code pénal aurait pour effet, au vu du principe (protecteur pour les citoyens) d'interprétation stricte de la loi pénale, d'entourer le concept d'une rigidité que non seulement il ne présente pas aujourd'hui, comme en témoignent ses utilisations jurisprudentielles de plus en plus nombreuses, mais surtout qui le priverait d'une plasticité qui répond aux besoins des services d'enquête pour mieux détecter les faits de violence conjugale, notamment lorsqu'ils sont insidieux : la direction générale de la gendarmerie nationale a ainsi souligné que le contrôle coercitif devait rester « un guide pour les praticiens afin de mettre en lumière et caractériser (matériellement et moralement) une stratégie d'emprise pensée et mise en oeuvre de manière systématique et continue par l'auteur (dans des domaines multiples et dans le temps) », cette nécessité pragmatique étant indéniablement remise en question par toute initiative législative qui conduirait à graver l'expression « contrôle coercitif » dans le marbre de la loi pénale ;
- enfin et surtout, en visant le « contrôle coercitif », le code pénal viendrait lier les mains des juges civils dans un sens plus restrictif que ce que leur permet le silence de la loi. En pratique, et comme l'a rappelé la Cour de cassation, « on peut s'interroger d'un point de vue formel sur la référence à la définition pénale qui pourrait laisser un doute sur le fait de savoir si la caractérisation de l'infraction pénale, voire la condamnation pénale est nécessaire pour retenir le motif grave, ce qui conduirait à un effet inverse à celui recherché, les violences psychologiques constituant d'ores et déjà un motif grave susceptible de suspendre le droit de visite et d'hébergement ». Les diverses modifications que l'article 3 vise à apporter au code civil ont ainsi suscité des réserves significatives chez la plupart des personnes auditionnées par les rapporteures. La mention expresse du contrôle coercitif limiterait la liberté d'appréciation du juge aux affaires familiales, qui peut déjà aménager l'exercice de l'autorité parentale en cas de violences psychologiques qui s'apparentent à ce concept. Au-delà, la rédaction adoptée par les députés méconnait à plusieurs égards l'office du juge aux affaires familiales, qui doit statuer au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant, et la jurisprudence de la CEDH. Gwenola Joly-Coz, qui siégeait à la cour d'appel de Poitiers lorsqu'ont été rendus les arrêts du 31 janvier 2024, a plus généralement souligné que l'adaptation du code civil n'était pas nécessaire au traitement juridictionnel du contrôle coercitif. Il n'a donc pas semblé opportun aux rapporteures d'apporter de modification aux articles du code civil qui traitent de l'autorité parentale.
c) La solution dégagée par la commission : une infraction claire, lisible pour le citoyen et réellement opérationnelle pour les praticiens et les victimes
La commission n'a, à l'inverse, pas remis en cause la pertinence d'une évolution de la loi pour tenir pleinement compte des comportements constitutifs d'un contrôle coercitif. Elle a notamment estimé que la relative faiblesse des poursuites et des condamnations prononcées sur le fondement de l'actuelle infraction de harcèlement sur conjoint attestait d'une difficulté de la loi à saisir les contours des formes les plus pernicieuses de violence conjugale.
Selon les données transmises par la DACG aux rapporteures, cette infraction présente en effet la particularité de donner lieu à un taux élevé d'affaires non poursuivables (environ 5 800 sur 11 800 affaires orientées en 2023, cette proportion restant stable depuis 2020), mais aussi de procédures alternatives aux poursuites (entre 39 % et 31 % sur la période 2020-2023). L'analyse des condamnations corrobore ce constat : pour 2023 et sur environ 3 500 cas de poursuites, on ne dénombre que 1 600 condamnations pour lesquelles le harcèlement sur conjoint est l'infraction principale, lesquelles ont donné lieu à 1 200 peines d'emprisonnement dont seules 377 ont comporté une peine ferme en tout ou partie. Ainsi, en synthèse, sur 11 800 cas de harcèlement dénoncés aux acteurs de la chaîne pénale, moins de 400 ont donné lieu à un emprisonnement ferme.
C'est dans ce contexte que la commission, à l'initiative des rapporteures (amendement COM-10) et sur la base du raisonnement exposé ci-avant, a fait le choix de réécrire intégralement l'article pour y préciser l'infraction de harcèlement sur conjoint.
Elle a ainsi permis la répression, avec un quantum encouru de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (identique à celui du harcèlement précité), des « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d'aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale, ou de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques ou financières », l'ensemble des termes retenus figurant déjà dans le code pénal - et donc connus et maîtrisés par les professionnels du droit -, tout en étant aisément compréhensibles pour les citoyens.
Ces faits seraient réprimés dès lors qu'ils sont commis dans le cadre conjugal ou envers un ex-conjoint, étant rappelé que, en application de l'article 132-80 du code pénal, la relation de couple ainsi définie ne suppose pas que les personnes concernées cohabitent.
La commission a également assorti le harcèlement sur conjoint, dans sa forme actuelle comme dans sa forme projetée, de circonstances aggravantes précises et objectives (incapacité totale de travail supérieure à huit jours ; commission en présence d'un mineur ayant assisté aux faits ; commission sur un mineur ou sur une personne d'une particulière vulnérabilité lorsque celle-ci est apparente ou connue de l'auteur) qui permettent de porter la peine encourue à cinq ans d'emprisonnement, voire à sept ans lorsque plusieurs de ces circonstances sont réunies au cours d'une même commission d'infraction. Pour mémoire, cette logique de cumul est déjà prévue par le code pénal, par exemple en matière de vol (article 311-4).
Enfin, de même qu'en l'état du droit, les peines seraient portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d'amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.
La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Article 4
(supprimé)
Demande de rapport sur l'évaluation et
l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte
contre l'inceste
et d'accompagnement des victimes
Introduit en commission et réécrit en séance publique, l'article 4 prévoit la remise au Parlement d'un rapport sur l'évaluation et l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte contre l'inceste et d'accompagnement des victimes, en précisant sept points auxquels ce rapport doit répondre.
Conformément à sa position constante en matière de demande de rapports au Gouvernement, la commission a supprimé cet article.
Adopté en commission puis réécrit en séance publique à l'initiative de la députée Émilie Bonnivard, l'article 4 vise à obtenir, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport du Gouvernement sur l'évaluation et l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte contre l'inceste et d'accompagnement des victimes.
L'article 4 fixe sept objectifs à ce rapport :
- « Analyser les dispositifs existants en matière de prévention, de communication et de sensibilisation sur l'inceste » ;
- « Étudier les freins à la prise de parole des mineurs victimes, notamment ceux liés à la temporalité psychique des traumatismes, tels que la dissociation, la honte ou la peur, et à l'absence d'identification précoce des faits » ;
- « Proposer des mesures pour renforcer l'accompagnement des victimes, avec un accent sur la réparation juridique et psychologique adaptée aux délais nécessaires à l'émergence de la parole » ;
- « Évaluer la formation des professionnels en contact avec les enfants, comme les enseignants, le personnel de santé, les éducateurs, les policiers ou les magistrats, pour détecter et signaler les cas d'inceste » ;
- « Formuler des recommandations pour améliorer l'accessibilité et l'efficacité des dispositifs d'écoute et de signalement, en particulier pour les enfants et les jeunes adultes » ;
- « Définir une stratégie nationale de sensibilisation du grand public sur les conséquences de l'inceste et l'importance de briser le silence » ;
- Évaluer les « besoins en formation initiale et continue concernant l'accueil des victimes, la prise de plainte dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie ainsi que les spécificités de ces infractions à l'attention des magistrats ».
Ces objectifs sont très inégaux dans leur nature et dans leur portée, allant même jusqu'à la détermination d'une « stratégie nationale » qui appartient en principe à l'exécutif. Ils rejoignent aussi en grande partie les missions de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
Sans méconnaître l'importance de la lutte contre l'inceste, la commission a, conformément à sa position constante en matière de demandes de rapport au Gouvernement, adopté l'amendement COM-11 des rapporteures supprimant cet article.
La commission a également relevé que les dispositions en cause, qui ont trait à la lutte contre l'inceste et à l'accompagnement des victimes, ne paraissaient pas présenter un lien suffisamment direct avec l'objet du texte initial.
La commission a supprimé l'article 4.
Article 5
Circonstances aggravantes du viol
L'article 5 définit de nouvelles circonstances aggravantes en matière de viol et alourdit l'aggravation encourue en cas de viols en concours.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. L'ajout de nouvelles circonstances aggravantes en cas de viol
Adopté en séance publique à l'initiative du Gouvernement, l'amendement de ce dernier ayant été jugé recevable au regard de l'article 45 de la Constitution en dépit d'un lien relativement distant avec le périmètre initial de la proposition de loi, l'article 5 (qui s'inspire de toute évidence d'une proposition de loi déposée en 2024 par Laurence Rossignol40(*)) apporte trois enrichissements aux circonstances aggravantes en matière de viol.
Les circonstances aggravantes existantes en matière de viol
Puni de quinze ans de réclusion criminelle dans sa forme simple (article 222-23 du code pénal), le viol peut voir sa répression augmentée par certaines circonstances aggravantes.
Il est puni de vingt ans de réclusion criminelle (article 222-24) :
- lorsqu'il a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;
- lorsqu'il est commis sur un mineur de quinze ans ;
- lorsqu'il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l'auteur ;
- lorsqu'il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l'auteur ;
- lorsqu'il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;
- lorsqu'il est commis par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;
- lorsqu'il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ;
-lorsqu'il est commis avec usage ou menace d'une arme ;
- lorsque la victime a été mise en contact avec l'auteur des faits grâce à l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non déterminé, d'un réseau de communication électronique ;
- lorsqu'il est commis en concours avec un ou plusieurs autres viols commis sur d'autres victimes ;
- lorsqu'il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ;
- lorsqu'il est commis par une personne agissant en état d'ivresse manifeste ou sous l'emprise manifeste de produits stupéfiants ;
- lorsqu'il est commis, dans l'exercice de cette activité, sur une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle ;
- lorsqu'un mineur était présent au moment des faits et y a assisté ;
- lorsqu'une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d'altérer son discernement ou le contrôle de ses actes.
Le même crime est puni de trente ans de réclusion lorsqu'il a entraîné la mort de la victime, et de la réclusion à perpétuité lorsqu'il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d'actes de barbarie (articles 222-25 et 222-26).
Source : commission des lois du Sénat
Tout d'abord, l'article 5 crée une circonstance aggravante en cas de préméditation ou de guet-apens : cette hypothèse (déjà prévue pour d'autres types d'atteintes à la personne, comme par exemple en matière de meurtre ou d'actes de torture et de barbarie) porterait le quantum encouru par l'auteur à vingt ans de réclusion. Cette évolution répond aux observations faites par certaines associations et par plusieurs juristes au cours de débats sur le procès dit des « viols de Mazan »41(*).
Ensuite, il introduit une seconde circonstance aggravante, avec le même effet sur le quantum encouru (porté à vingt ans), en cas d'introduction dans un local d'habitation « par ruse, effraction ou escalade », ce qui correspond à une circonstance aggravante déjà prévue par le code en cas de vol (article 311-5) ou d'atteinte à un bien (article 322-3).
Enfin, il augmente l'aggravation prévue en cas de viols sériels (c'est-à-dire en cas de viol commis en concours avec des viols commis sur d'autres victimes). Actuellement sanctionné d'une peine maximale de vingt ans de réclusion criminelle, le viol en concours serait désormais soumis à un quantum de trente ans - ce qui aurait pour conséquence de le soustraire à la compétence des cours criminelles départementales. Par ailleurs, il pourrait faire l'objet d'une période de sûreté renforcée : en d'autres termes, le condamné ne pourrait plus bénéficier d'une suspension ou d'un fractionnement de sa peine, d'un placement à l'extérieur, de permissions de sortie, d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle pendant sa période de sûreté et, d'autre part, la peine de sûreté prononcée par la juridiction pourrait atteindre les deux tiers de la peine prononcée, par dérogation au droit commun.
2. Une réforme opportune et juridiquement sécurisée
La commission a constaté que le dispositif de l'article 5 créait des circonstances aggravantes effectivement corrélées à la portée des faits commis, révélatrices de la dangerosité de leur auteur et rédigées selon des termes déjà employés par le code pénal et définis par une abondante jurisprudence.
Elle n'a, par conséquent, pas fait évoluer cet article.
La commission a adopté l'article 5 sans modification.
Article 6
(supprimé)
Prolongation supplémentaire de la garde à
vue pour les crimes de meurtre et de viol sur conjoint, concubin ou partenaire
lié à un PACS
et pour le crime d'empoisonnement
Introduit en séance publique par l'Assemblée nationale, l'article 6 permet une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures de la garde à vue, portant à soixante-douze heures sa durée maximale, pour les nécessités de l'enquête portant sur les crimes de meurtre ou de viol lorsqu'ils sont perpétrés par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS) ou sur le crime d'empoisonnement.
Estimant que les justifications apportées pour un tel allongement de la durée de la garde à vue étaient insuffisantes et relevant que le choix des infractions en cause était peu cohérent, la commission a supprimé cet article.
1. La durée de la garde à vue : un régime strictement encadré
a) Une durée de droit commun qui ne peut être prolongée au-delà de quarante-huit heures
Aux termes de l'article 62-2 du code de procédure pénale, la garde à vue est « une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, par laquelle une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ».
La garde à vue doit constituer « l'unique moyen de parvenir » à l'un des six objectifs limitativement énumérés par ce même article :
« 1° Permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête ;
« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ;
« 6° Garantir la mise en oeuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit. »
Le I de l'article 63 du même code donne compétence à l'officier de police judiciaire, agissant « d'office ou sur instruction du procureur de la République », pour placer une personne en garde à vue. Cette mesure s'exécute sous le contrôle du procureur de la République qui « apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre » (article 62-3).
Du fait de l'atteinte portée à la liberté d'aller et venir, qui est une composante de la liberté personnelle garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 (décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003), et à la liberté individuelle protégée par l'article 9 de cette même Déclaration, la durée de la garde à vue est strictement encadrée et subordonnée aux nécessités des investigations.
Pour ces raisons, la durée de la garde à vue de droit commun n'a pas varié depuis la création du code de procédure pénale par la loi du 31 décembre 195742(*).
Un
précédent éphémère pour certaines
infractions
étrangères à la bande organisée ou
au trafic de stupéfiants
La loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes avait prévu, à l'article 63-1 du code de procédure pénale, une prolongation supplémentaire de la garde à vue, pour une durée totale de soixante-douze heures, pour certaines infractions graves : l'arrestation, la détention ou la séquestration de personnes (et les infractions associées), la prise d'otages, l'enlèvement de mineurs, le vol aggravé par un port d'armes et commis par deux ou plusieurs personnes.
Jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 (considérants 23 à 28), ces dispositions ont toutefois été abrogées par l'article 17 de la loi n° 83-466 du 10 juin 1983 portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi n° 81-82 du 2 février 1981 et complétant certaines dispositions du code pénal et du code de procédure pénale.
Source : commission des lois du Sénat
En application du II de l'article 63 du code de procédure pénale43(*), la durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures.
Le même II permet toutefois une unique prolongation, de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation « écrite et motivée » du procureur de la République - ou, lorsqu'elle intervient dans le cadre d'une commission rogatoire, par le juge d'instruction (article 154 du même code).
Une telle prolongation n'est possible qu'à la condition que l'infraction en cause soit un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à un an et que cette prolongation soit l'unique moyen de parvenir à l'un des objectifs mentionnés à l'article 62-2 précité ou de permettre la présentation de la personne devant l'autorité judiciaire.
La durée totale de la garde à vue de droit commun ne peut ainsi excéder quarante-huit heures. Le dernier alinéa de l'article 63 précise en outre que « [si] une personne a déjà été placée en garde à vue pour les mêmes faits, la durée des précédentes périodes de garde à vue s'impute sur la durée de la mesure ».
Les dispositions relatives à la garde à vue des mineurs
La garde à vue des mineurs est régie par les articles L. 413-6 à L. 413-11 du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), qui adaptent les dispositions du code de procédure pénale auxquels ils renvoient.
Le régime de la durée de la garde à vue est identique à celui du code de procédure pénale, à la différence que, pour le mineur de moins de seize ans, la prolongation n'est possible qu'à la condition que l'infraction en cause soit un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans (art. L. 413-10 du CJPM). En outre, en vertu du même article, la présentation du mineur au procureur de la République ou au juge d'instruction est obligatoire.
S'agissant des régimes dérogatoires, l'article L. 413-11 du CJPM rend l'article 706-88 du code de procédure pénale applicable au mineur de plus de seize ans « lorsqu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'une ou plusieurs personnes majeures ont participé, comme auteurs ou complices, à la commission de l'infraction ».
Source : commission des lois du Sénat
b) Des régimes dérogatoires pour des infractions d'une gravité ou d'une complexité particulière
(1) Un allongement de la durée de la garde à vue subordonné à la gravité des infractions et à la complexité des investigations
Le législateur a prévu des prolongations supplémentaires de la garde à vue plus étendue pour certaines infractions, en considération de leur gravité ou de la difficulté particulière des investigations qu'elles nécessitent.
Le Conseil constitutionnel n'a admis l'allongement de la durée maximale de la garde à vue que sous réserve qu'il revête un caractère proportionné, qu'il apprécie au regard des critères de gravité et de complexité des infractions : « si le législateur peut prévoir des mesures d'investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'est sous réserve [...] que les restrictions qu'elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises [...] »44(*).
Dans une décision du 19 janvier 202345(*), le Conseil constitutionnel a jugé qu'en adoptant des dispositions permettant notamment une prolongation dérogatoire de la garde à vue pour certaines infractions, « le législateur a entendu tenir compte de la difficulté d'appréhender les auteurs des infractions qu'elles visent. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions. En second lieu, d'une part, ces infractions présentent un caractère de particulière complexité tenant soit au profil spécifique des auteurs de crimes de meurtre ou de viol en concours, soit à l'existence d'un groupement ou d'un réseau dans le cas du délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse. D'autre part, ces infractions, qui constituent des atteintes à la personne humaine, sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Dès lors, eu égard à la gravité et à la complexité de ces infractions, le législateur a pu prévoir, pour la recherche de leurs auteurs, la mise en oeuvre de techniques spéciales d'enquête ainsi que le recours à la garde à vue selon les modalités dérogatoires [...] ».
Il n'a en revanche admis l'application des dispositions en cause au vol commis en bande organisée « que s'il présente des éléments de gravité suffisants » (même décision) et a déclaré contraires à la Constitution des dispositions prévoyant une prolongation de la garde à vue pour les infractions de corruption et de trafic d'influence ainsi que de fraude fiscale et douanière46(*), ainsi que pour le délit d'escroquerie en bande organisée47(*).
(2) Des prolongations supplémentaires prévues pour certains crimes et délits commis en bande organisée, dont les actes de terrorisme
En l'état du droit, il existe deux hypothèses distinctes de prolongation de la garde à vue à raison de la nature de l'infraction.
L'article 706-88 du code de procédure pénale permet, pour certaines infractions relevant de la criminalité ou de la délinquance en bande organisée (art. 706-73 du même code48(*)), deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune (premier alinéa) ou une prolongation supplémentaire de quarante-huit heures (cinquième alinéa), pour une durée maximale totale de quatre-vingt-seize heures. Ces prolongations sont autorisées soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention (JLD), soit par le juge d'instruction.
L'article 706-88-1 du même code permet, pour les actes de terrorisme réprimés par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal, de porter cette durée maximale à cent quarante-quatre heures, par l'ajout de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures « s'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement ».
Durée maximale de la garde à vue pour les personnes majeures (en heures)
Source : commission des lois du Sénat
2. Le dispositif proposé : une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures pour quelques infractions commises au sein du couple
Issu d'un amendement du Gouvernement adopté en séance publique, le présent article prévoit une nouvelle hypothèse de prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures.
Il complète à cet effet l'article 63 du code de procédure pénale par un II bis qui permet, « à titre exceptionnel », une prolongation supplémentaire de la garde à vue de vingt-quatre heures, pour une durée totale de soixante-douze heures, pour les seules infractions suivantes :
- le meurtre, lorsqu'il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (9° de l'article 221-4 du code pénal) ;
- le viol, lorsqu'il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (11° de l'article 221-24 du même code) ;
- le crime d'empoisonnement (article 221-5 dudit code), sans condition tenant à ce qu'il soit commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire de la victime.
Le dispositif reprend en partie la procédure prévue à l'article 706-88 du code de procédure pénale :
- la seconde prolongation est subordonnée à ce que les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent ;
- elle est autorisée par le JLD à la requête du procureur de la République ou par le juge d'instruction, par décision écrite et motivée ;
- la personne doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision - à la différence de l'article 706-88, il n'est pas prévu d'exception à cette règle « en raison des nécessités des investigations en cours à effectuer » ;
- une fois cette seconde prolongation décidée, la personne gardée à vue fait l'objet d'un examen médical.
Comme l'indique l'exposé des motifs de l'amendement du Gouvernement, cette disposition a pour objet « de permettre que les services d'enquête conduisent de la manière la plus aboutie et la plus approfondie les investigations, en leur donnant le temps nécessaire à la réalisation de constatations techniques et scientifiques, à la réception et la prise en compte des rapports d'examen ou d'expertise (médicolégal, psychiatrique, psychologique...) et/ou du retour de réquisitions techniques (téléphoniques, informatiques, bancaire...) en facilitant également la réalisation de toutes les auditions pertinentes ». Il s'agit également « que tout soit mis en oeuvre pour s'assurer d'une mise en protection adaptée et efficace des victimes des faits de viol et d'actes de tentatives d'atteintes à la vie, et le cas échéant une mise à l'abri de celles-ci ».
3. La position de la commission : un champ d'application peu cohérent, des justifications insuffisantes
La commission a considéré qu'il n'était pas opportun de prévoir une nouvelle hypothèse de prolongation supplémentaire de la garde à vue pour les infractions en cause.
Tout d'abord, elle a estimé que les justifications présentées par le Gouvernement pour la création d'un tel régime dérogatoire sont insuffisantes : il n'est pas établi que les infractions en cause nécessiteraient des investigations plus poussées que d'autres infractions criminelles, à l'instar des autres formes du meurtre et du viol (par ex. sur un mineur ou sur une personne particulièrement vulnérable). Certains interlocuteurs ont même souligné que le meurtre et le viol conjugal présentaient une complexité moindre dès lors que l'identité de l'auteur est a priori connue.
Outre qu'elle interroge la cohérence du périmètre des infractions retenues et au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelée supra, ces considérations tendent à remettre en cause la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 6.
L'intérêt opérationnel d'une telle prolongation supplémentaire n'est nullement évident : magistrats comme enquêteurs entendus par les rapporteures ont souligné que les actes d'enquête relatifs à ces infractions se font le plus souvent dans le cadre d'une information judiciaire, limitant l'utilité d'un allongement de la garde à vue au regard de l'enquête.
Si certains représentants des services de police et de gendarmerie ont pu faire part de leur intérêt pour un allongement de la garde à vue pour certaines infractions graves (au-delà des seules infractions en cause), ils ont néanmoins relevé que la création d'un nouveau régime dérogatoire tendrait à complexifier encore davantage le cadre juridique de la garde à vue, déjà peu lisible pour les services chargés de le mettre en oeuvre, et ainsi d'accroître le risque d'erreurs de procédure.
Enfin, l'intérêt en ce qui concerne la protection des victimes n'est pas non plus démontré. Eu égard à la nature des infractions en cause, il a été indiqué aux rapporteures que le défèrement de l'auteur constitue l'orientation privilégiée par les parquets à l'issue de la garde à vue et permet le prononcé de mesures de sûreté de nature à protéger la victime, à l'instar du placement en détention provisoire.
Au bénéfice de ces observations, la commission a adopté les amendements COM-12 présenté par les rapporteures et COM-14 de Mélanie Vogel et de ses collègues du groupe Écologiste, solidarités et territoires supprimant l'article 6.
La commission a supprimé l'article 6.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons le rapport de nos collègues Elsa Schalck et Dominique Vérien sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée par l'Assemblée nationale.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - S'il est bien un domaine dans lequel l'intervention du législateur, pourtant fréquente, ne tombe pas sous la critique d'une inflation législative préjudiciable aux citoyens, c'est celui de la lutte contre les violences sexuelles, sexistes et intrafamiliales.
Nous avons en effet adopté de nombreux textes à ce sujet, ces dernières années, qui tous participent à la protection des victimes.
Mais le chemin est encore long, car le droit peine à saisir la particularité de ces infractions de l'intime et car la justice éprouve de grandes difficultés à caractériser des faits qui se déroulent le plus souvent derrière des portes closes.
Nous avons donc, Elsa Schalck et moi-même, accueilli favorablement la proposition de loi déposée par Aurore Bergé.
Ce texte traitait initialement de la prescription des infractions sexuelles et intégrait à la définition des violences psychologiques des précisions inspirées du concept sociologique de contrôle coercitif, dans le sillage des arrêts rendus par la cour d'appel de Poitiers le 31 janvier 2024. Nous y reviendrons. L'Assemblée nationale a assez largement modifié la proposition de loi et y a ajouté des dispositions relatives aux circonstances aggravantes encourues en cas de viol et aux modalités de la garde à vue spécifiques à certains crimes, selon une procédure marquée par une interprétation large des règles qui découlent de l'article 45 de la Constitution.
Nous traiterons donc ces différents points successivement, en évoquant d'abord les articles relatifs à la prescription de certaines infractions sexuelles, puis la prise en compte législative du phénomène de contrôle coercitif et enfin les dispositions concernant les circonstances aggravantes du viol et les modalités particulières de garde à vue.
L'article 1er visait à introduire l'imprescriptibilité civile, et non pénale, pour les viols commis sur des mineurs. Rappelons à cet égard que seule l'imprescriptibilité pénale est prévue en droit français, et uniquement pour le génocide et les crimes contre l'humanité. Elle revêt donc un caractère à la fois exceptionnel et particulièrement grave, voire solennel.
L'article 1er a été supprimé à l'Assemblée nationale en commission, contre l'avis de la rapporteure Maud Bregeon, et n'a pas été rétabli en séance.
Certains de nos collègues ont d'ores et déjà proposé de rétablir cet article 1er et nous nous attendons à ce que le débat ait de nouveau lieu en séance.
Cette question sensible mérite que nous nous y arrêtions un instant.
De nombreuses personnes considèrent que les viols commis sur des mineurs ne devraient pas être prescrits au civil, pour des motifs tout à fait fondés : d'une part, la particularité de ces infractions empêche les victimes de parler avant des décennies et, d'autre part, ces victimes éprouvent le besoin, pour se reconstruire, d'obtenir la reconnaissance judiciaire du préjudice qu'elles ont subi.
Toutefois, les nombreuses auditions que nous avons menées nous ont convaincues qu'une telle évolution provoquerait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait.
Tout d'abord, en ce qui concerne le viol sur mineur, la disparition des preuves dans le temps rendrait cette imprescriptibilité souvent théorique et donc déceptive pour les victimes.
Par ailleurs, l'action en responsabilité civile se distingue par certaines spécificités qui accentuent les inconvénients de l'imprescriptibilité. La charge de la preuve pèse en effet sur le demandeur qui, le temps passant, n'a souvent pas d'autre moyen probatoire que sa propre parole et ses propres souvenirs.
Je relève également que, contrairement à l'action publique, l'action civile en réparation peut être transmise aux héritiers de la victime, même si elle n'a pas été engagée avant le décès. L'allongement du délai de la prescription civile soulève donc des difficultés certaines.
Enfin, ce qui a achevé de nous convaincre de ne pas rétablir l'article 1er, c'est que le régime actuel de la prescription civile est déjà favorable aux victimes. Le délai de droit commun de l'action en responsabilité est, pour rappel, de cinq ans. Il s'élève à dix ans pour les dommages matériels et a été porté à vingt ans pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Le point de départ du délai, lui aussi, est dérogatoire, car il n'est pas établi lors du fait générateur, mais en principe à la majorité de la victime. La Cour de cassation a toutefois retenu la consolidation du préjudice comme point de départ du délai de prescription, dans un arrêt du 7 juillet 2022, ce qui permet à des victimes d'agir en justice longtemps après les faits. L'état du droit semble donc suffisamment protecteur. C'est pourquoi nous vous proposerons de maintenir la suppression de l'article 1er.
L'article 2 apporte plusieurs modifications aux dispositions relatives au mécanisme de la prescription glissante du code de procédure pénale. Pour rappel, cette prescription glissante consiste en l'allongement du délai de prescription de certains crimes et délits, dans le cas où l'auteur d'une telle infraction en aurait perpétré une autre, par la suite et avant que ces faits ne soient prescrits, à l'égard d'une nouvelle victime. Le délai de prescription de la première infraction court ainsi jusqu'à ce que le second délit ou crime soit prescrit.
Si nous sommes favorables à l'objectif fixé dans le cadre de ce mécanisme, dans la mesure où il permet de mieux appréhender les criminels en série et de réparer le préjudice du plus grand nombre possible de victimes, il a toutefois suscité notre vigilance pour plusieurs raisons. La prescription glissante n'a été introduite qu'en 2021 et aucune des personnes que nous avons entendues en audition n'a été en mesure d'en présenter un bilan. La plupart considèrent en tout état de cause que ce dispositif soulève des difficultés probatoires certes légèrement moins marquées que l'imprescriptibilité civile, mais identiques en nature. Enfin, l'interdépendance des délais de prescription d'infractions autonomes pourra entraîner des complications procédurales, voire de grandes déceptions en cas de relaxe ou de requalification.
Nous avons donc adopté une position prudente que nous développerons lors de la présentation de l'amendement. Il s'agirait de conserver l'extension aux majeurs de la prescription glissante pour viol, mais de ne pas modifier les articles 8 et 9-2 du code de procédure pénale, pour des motifs que nous aurons l'occasion d'exposer plus en détail.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Nous en arrivons à la répression du contrôle coercitif, qui est sûrement le point du texte qui a été le plus commenté dans le débat public.
En effet, l'article 3 introduit dans le code pénal une infraction autonome fondée sur l'exercice d'un contrôle coercitif, c'est-à-dire sur une somme de micro-régulations qui ont lieu au sein d'un couple et qui contraignent tous les aspects de la vie quotidienne de la victime jusqu'à la placer dans une situation de captivité et jusqu'à la priver de son indépendance et de tout pouvoir de décision autonome.
C'est là l'enjeu principal du texte. Précisons qu'il s'agit d'un enjeu essentiellement juridique à nos yeux, car nous souscrivons à l'objectif politique du dispositif : il nous paraît essentiel que le phénomène sociologique de contrôle coercitif puisse être mieux appréhendé par le droit et qualifié par nos juges. La question se pose donc de savoir quel mécanisme permet le mieux d'y parvenir. L'Assemblée nationale a adopté en séance la solution d'une infraction autonome : examinons-la.
La première difficulté provient de la rédaction du texte. L'article 3 est en effet articulé autour d'une définition de l'infraction qui a été unanimement décriée par les juristes que nous avons entendus, notamment parce qu'elle repose sur des termes centrés sur les sentiments de la victime et, partant, sur des notions étrangères au droit pénal, comme la « peur » ou l'« usage abusif de dispositifs ou d'institutions ». L'article 3 prévoit également des circonstances aggravantes inconnues en droit et parfois incompatibles entre elles.
Pour toutes ces raisons, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale méconnaît a priori les principes constitutionnels applicables en matière pénale, notamment le principe de légalité.
En outre, le principe même d'instituer une infraction autonome explicitement fondée sur l'existence d'un contrôle coercitif a suscité de grandes réserves chez les personnes que nous avons entendues en audition.
Tout d'abord, la création d'une infraction nouvelle induit par nature une complexité technique. Son articulation avec les délits existants apparaît délicate, tant pour les enquêteurs que pour les victimes, notamment dans un contexte où, au vu de la définition adoptée par les députés, le contrôle coercitif apparaît davantage comme l'acte préparatoire à une infraction ou comme le commencement de l'exécution d'un délit que comme une infraction susceptible d'être prise en compte de manière isolée.
Ensuite, cette infraction pourrait exercer un effet d'éviction sur les infractions existantes, y compris pour celles qui sont assorties d'une peine encourue plus élevée : le risque est donc réel que nous ne dégradions le niveau de la répression, en complète contradiction avec l'objectif que nous nous sommes fixé.
Enfin, les comparaisons internationales nous enseignent que les condamnations acquises au titre d'une infraction autonome de contrôle coercitif sont faibles et ce, même en Écosse, pays souvent cité en exemple en matière de lutte contre les violences conjugales et qui a été l'un des premiers à prévoir une incrimination spécifique réprimant le contrôle coercitif, faute pour les acteurs de la chaîne pénale de parvenir à s'en saisir.
Nous avons donc estimé qu'il n'était pas opportun de créer une infraction autonome.
Nous nous sommes également interrogées sur l'inscription dans la loi des termes « contrôle coercitif », étant rappelé qu'ils figurent expressément dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, mais pas dans le texte initial de la proposition de loi. Là encore, nous n'avons pas estimé que cette piste était opportune, pour trois raisons.
Premièrement, la notion de contrôle coercitif n'est pas stabilisée. Elle fait l'objet de travaux tant sociologiques que juridiques : la Cour de cassation et le Conseil national des barreaux l'étudient actuellement. Il serait donc prématuré de l'inscrire dans la loi.
Deuxièmement, la notion est utilisée de manière souple et pragmatique par les enquêteurs et les magistrats ; elle permet de mieux comprendre et de mieux analyser le faisceau d'actes, souvent insidieux, qui caractérise les violences conjugales. L'inscrire dans la loi pénale, alors même que celle-ci est d'interprétation stricte, priverait ces professionnels de la plasticité et de la souplesse dont ils ont besoin pour coller au mieux aux réalités vécues par les victimes, notamment s'agissant de faits pernicieux de micro-régulation du quotidien.
Enfin et surtout, la mention expresse du contrôle coercitif dans le code pénal et son inscription simultanée dans le code civil lieraient les mains du juge aux affaires familiales. L'article 3 procède en effet à plusieurs modifications des articles du code civil qui traitent de l'aménagement, voire du retrait de l'autorité parentale, pour y intégrer explicitement la notion de contrôle coercitif et lui attribuer des conséquences spécifiques. Un consensus s'est élevé parmi les magistrats, juristes et universitaires que nous avons entendus en audition pour souligner les risques divers qu'entraîneraient ces évolutions. Elles méconnaissent en effet, entre autres, la liberté d'appréciation du juge aux affaires familiales et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). La magistrate Gwenola Joly-Coz elle-même, qui siégeait à la cour d'appel de Poitiers lorsque les arrêts du 31 janvier 2024 ont été rendus, a affirmé lors de son audition que l'adaptation du code civil n'était ni utile ni nécessaire au traitement juridictionnel du contrôle coercitif.
Nous considérons donc que la meilleure solution pour faciliter l'appréhension des comportements qui s'apparentent au contrôle coercitif est d'améliorer la définition de l'infraction de harcèlement sur conjoint, sans mentionner explicitement le contrôle coercitif. L'amendement de réécriture globale de l'article 3 nous permettra de vous exposer plus en détail notre proposition, mais je peux déjà vous indiquer qu'elle repose sur des termes existants dans le droit pénal, connus et maîtrisés par les praticiens, et que nous avons apporté une particulière vigilance quant au plein respect des principes de légalité et de proportionnalité de cette rédaction.
L'article 4 est une demande de rapport au Parlement sur l'évaluation et l'amélioration des politiques publiques en matière de lutte contre l'inceste et d'accompagnement des victimes. Les députés auteurs de l'amendement ont tenu à fixer sept objectifs à ce rapport, qui vont des besoins en formation des forces de l'ordre et des magistrats à la définition d'une « stratégie nationale de sensibilisation du grand public sur les conséquences de l'inceste et l'importance de briser le silence ».
Conformément à la position constante de la commission en matière de demandes de rapport, nous vous proposons la suppression de cet article, dont on peut relever par ailleurs que son adoption procède d'une interprétation extensive de l'objet du texte pour l'application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Nous en arrivons enfin aux articles 5 et 6 du texte, adoptés par les députés en séance publique sur l'initiative du Gouvernement selon la même interprétation libérale de la règle de l'entonnoir.
L'article 5 vient faire évoluer les circonstances aggravantes en matière de viol. Il procède à deux modifications : tout d'abord, il augmente le quantum encouru à vingt ans de réclusion, contre quinze ans aujourd'hui, en cas de préméditation ou de guet-apens - vous l'aurez compris, il s'agit là d'une réponse à l'affaire dite des « viols de Mazan » qui a révélé cette lacune de notre droit -, mais aussi en cas de viol par effraction au domicile de la victime. Cela nous paraît légitime, dans la mesure où ces circonstances attestent en effet la particulière dangerosité de leur auteur.
Ensuite, l'article vient aggraver la répression des viols sériels : ils seraient à l'avenir punis non plus de vingt ans, mais de trente ans de réclusion criminelle, avec une peine de sûreté renforcée.
Nous adhérons sans réserve à ces évolutions et nous ne vous proposons à ce stade aucune modification de l'article 5.
L'article 6 pose davantage de difficultés. Il prévoit une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures de la garde à vue, pour une durée totale de soixante-douze heures, pour les crimes de meurtre ou de viol, lorsqu'ils sont perpétrés par le conjoint ou le concubin de la victime, par le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (Pacs), ou pour le crime d'empoisonnement, sans condition, pour ce dernier, tirée du lien de l'auteur avec la victime.
Le choix de limiter cette faculté à ces trois infractions peut étonner. Nos travaux n'ont pas permis de l'éclairer et encore moins de le conforter.
Outre le caractère peu cohérent de son champ d'application, cette prolongation supplémentaire de la garde à vue ne paraît ni opportune ni proportionnée.
Comme vous le savez, eu égard à l'atteinte portée à la liberté individuelle ainsi qu'à la liberté d'aller et venir, la garde à vue est très encadrée. Limitée à vingt-quatre heures, elle peut faire l'objet d'une prolongation d'une même durée, pour un maximum de quarante-huit heures. On ne peut aller au-delà de cette durée qu'en matière de criminalité et de délinquance organisées, la garde à vue pouvant alors aller jusqu'à quatre-vingt-seize heures, et de terrorisme, avec une durée maximale de cent-quarante-quatre heures.
Le Conseil constitutionnel contrôle strictement la proportionnalité d'un allongement de la durée de la garde à vue, et ce au regard de deux critères : la gravité de l'infraction et sa complexité. Il a censuré, à plusieurs reprises, des dispositions législatives prévoyant une prolongation au-delà de quarante-huit heures lorsque l'un de ces deux critères n'était pas satisfait.
En l'espèce, si les infractions en cause sont certainement graves, elles ne présentent pas un caractère particulièrement complexe, d'autant que l'identité de l'auteur est a priori connue. Le Gouvernement n'a d'ailleurs apporté aucune justification en la matière.
S'il se prévaut également de la protection des victimes, il s'avère que prolonger la garde à vue ne présente pas véritablement d'intérêt en la matière. Eu égard à la nature des infractions en cause, les auteurs font le plus souvent l'objet d'un défèrement à l'issue de la garde à vue, qui peut donner lieu à un placement en détention provisoire ou à une mesure de contrôle judiciaire.
Enfin, et comme l'ont souligné les enquêteurs, créer un troisième régime de prolongation de la garde à vue viendrait ajouter de la complexité à un cadre juridique qui n'en manque pas.
Pour ces raisons, nous vous proposons de supprimer l'article 6.
Mme Olivia Richard. - Je remercie les rapporteures pour cet excellent rapport et les améliorations qu'elles proposent au texte de la proposition de loi. Celle-ci est très attendue, notamment en ce qui concerne le contrôle coercitif, et je sais que Dominique Vérien, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, y tient particulièrement. Je félicite les rapporteures d'avoir su trouver un compromis équilibré et satisfaisant.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie à mon tour les rapporteures pour la qualité de leur travail, qui me conduit à faire trois observations.
La première porte sur la rigueur juridique qui doit présider à nos travaux. En effet, nous ne pouvons pas nous satisfaire de textes qui soient rédigés sous le coup de l'émotion ou sous l'influence de l'opinion publique, au risque d'être ensuite censurés par le Conseil constitutionnel. C'est la raison pour laquelle j'approuve tout particulièrement l'analyse des rapporteures sur l'allongement des délais de la garde à vue.
Ma deuxième observation concerne la jurisprudence constante du Sénat quant aux demandes de rapport. Je ne doute pas que l'auteure de cette proposition de loi, désormais ministre, aura tout le loisir de mobiliser ses services pour que la feuille de route d'un plan pluriannuel d'action soit établie dans les meilleurs délais. En effet, nous avons besoin, comme dans d'autres pays à l'instar de l'Espagne, d'une loi-cadre pluriannuelle pour lutter efficacement contre les violences sexuelles et sexistes.
Ma dernière observation a trait aux moyens : nous pourrons voter tous les projets de loi et toutes les propositions de loi que nous voudrons, si nous n'allouons pas les moyens nécessaires pour les mettre en oeuvre, dans les tribunaux comme dans les commissariats et les gendarmeries ou encore dans le secteur du travail social, ces textes n'auront qu'un effet très limité. Il faut des hommes et des femmes pour utiliser les moyens mis en place, c'est-à-dire pour apporter le meilleur accompagnement possible aux victimes, pour les mettre à l'abri et pour permettre à la justice de faire son travail.
Je félicite les rapporteures pour la rigueur juridique et intellectuelle dont elles ont fait preuve.
Mme Marie Mercier. - Je félicite à mon tour nos collègues pour ce rapport passionnant.
Je me suis longuement interrogée sur le contrôle coercitif. Cette notion recouvre un processus qui agit comme un poison lent et insidieux et j'ai du mal à la distinguer de l'emprise, qui recouvre la prise de possession du psychisme d'une personne par une autre.
Il me semble que la seule manière de lutter contre ce type de phénomène est de développer l'éducation des jeunes sur le sujet et de favoriser le repérage des victimes.
Il faut donc communiquer davantage sur la notion de contrôle coercitif qui reste trop méconnue. L'identification des victimes est également essentielle.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je remercie Hussein Bourgi d'avoir mentionné notre position quant aux demandes de rapports au Parlement. Je me permets toutefois de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une jurisprudence propre à la commission des lois, mais qu'elle est tout simplement la traduction du principe de séparation des pouvoirs qui a valeur constitutionnelle. En tant que détenteurs du pouvoir législatif, nous ne pouvons pas donner d'instructions au pouvoir exécutif, qui peut commettre des rapports sur sa propre initiative. Nous détenons également un pouvoir de contrôle, de sorte que nous n'avons guère besoin de demander au pouvoir exécutif d'oeuvrer à notre place.
Nos deux rapporteures ont travaillé sur un sujet délicat. Elles ont réussi à traduire dans la loi un fait qui était qualifié sociologiquement et qui est bien réel, comme l'a rappelé Marie Mercier. Elles ont abouti à une rédaction juridique solide, en faisant appel à des notions que les juristes pourront utiliser. La tâche n'était pas facile et elles l'ont réussie. Je les en remercie.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Monsieur Bourgi, nous reparlerons bientôt de la loi-cadre pluriannuelle que vous avez évoquée. Je crois que la ministre y travaille.
Pour ce qui est de la nécessité de prévoir des moyens, les tribunaux doivent bénéficier de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers supplémentaires et ces effectifs commencent à intégrer les juridictions. J'ai participé, hier, à une formation de l'École nationale de la magistrature (ENM) portant sur l'équipe autour du magistrat, dont l'organisation doit évoluer. De la même manière, les pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales ont été déployés à partir du 1er janvier 2024 et se mettent progressivement en place. Les situations varient selon les territoires, mais ces moyens nouveaux devraient permettre, malgré tout, une meilleure prise en charge et une meilleure formation sur les violences intrafamiliales et les violences sexuelles.
Pour répondre à notre collègue Marie Mercier, la différence entre le contrôle coercitif et l'emprise tient à ce que la première notion touche au comportement de celui qui veut contrôler l'autre. Il s'agit dans la grande majorité des cas d'un homme qui veut contrôler une femme, mais la notion est surtout d'ordre psychologique, de sorte que les cas peuvent aussi être inversés. L'intérêt de cette notion est qu'elle permet de se concentrer sur une série de micro-régulations, qui ne seraient pas susceptibles de donner lieu à des poursuites si elles étaient prises séparément mais qui, en s'additionnant, aboutissent à la construction d'un système pour enfermer l'autre, dont l'une des conséquences peut être un phénomène d'emprise. Certains témoignages que nous avons entendus ont montré que les effets du contrôle coercitif pouvaient perdurer même après la séparation d'avec le conjoint qui l'exerçait.
La notion de contrôle coercitif permet de focaliser l'analyse de la situation sur la victime, ce qui nous a paru très intéressant. Pour pouvoir repérer ce genre de situation, il faut former les médecins et les services sociaux.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives au régime de prescription civile des crimes et délits à caractère sexuel perpétrés sur des mineurs ; au régime de prescription pénale des viols commis sur des majeurs ; à la répression des agissements s'apparentant à un contrôle coercitif et aux décisions que les juridictions peuvent prendre en la matière ; aux circonstances aggravantes en matière de viol et à la procédure pénale applicable à certains crimes commis au sein des couples.
Il en est ainsi décidé.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à présent à l'examen des articles.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié vise à rétablir l'imprescriptibilité civile des actes de torture, de barbarie et des infractions sexuelles commises sur des mineurs. Nous aurons certainement l'occasion de débattre en séance de cette question, qui est un véritable serpent de mer.
Plusieurs raisons nous ont convaincues que l'allongement du délai de prescription civile n'était pas une solution opportune.
En premier lieu, l'imprescriptibilité n'a été retenue en droit français que pour des crimes d'une extraordinaire gravité, à savoir le génocide et le crime contre l'humanité.
En deuxième lieu, et c'est là un des fondements principaux de la prescription, les preuves disparaissent dans le temps. Allonger le délai accentue donc le risque de permettre des recours déceptifs, comme l'ont montré certaines de nos auditions. C'est le demandeur qui doit, dans une telle action, apporter la preuve du fait générateur, du dommage et du lien de causalité. C'est d'ailleurs là ce qui distingue le procès civil du procès pénal.
En troisième lieu, même lorsqu'une preuve peut être apportée, grâce aux témoignages ou aux aveux, l'allongement du délai de prescription civile ne semble pas opportun. Notre avis découle d'une particularité de l'action en responsabilité civile, qui veut qu'il y ait une transmission de l'action civile aux héritiers, quand bien même la partie demanderesse ne l'aurait pas portée de son vivant.
Pour toutes ces raisons, nous émettons un avis défavorable à l'amendement COM-1 rectifié ainsi qu'à l'amendement de repli COM-2 rectifié bis.
Les amendements COM-1 rectifié et COM-2 rectifié bis ne sont pas adoptés.
L'article 1er demeure supprimé.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-3 rectifié vise à allonger à soixante ans le délai de prescription extinctive pénale pour certains crimes commis sur des mineurs. Aujourd'hui le délai est de trente ans à compter de la majorité de la victime. Attendons de voir si ce délai, qui a été fixé par la loi du 3 août 2018, porte ses fruits avant de l'allonger. Avis défavorable.
L'amendement COM-3 rectifié n'est pas adopté.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-9 a pour objet de supprimer l'ajout du viol à la prescription glissante délictuelle ainsi que l'extension du dispositif d'interruption des délais de prescription.
En effet, nous souhaitons garder le dispositif tel qu'il a été prévu initialement pour les majeurs. Notre droit prévoit depuis 2021 la prescription glissante pour les mineurs, mais nous n'avons pas de recul suffisant sur cette mesure. Dans un souci de cohérence, nous ne souhaitons donc pas intégrer le viol au dispositif prévu pour les agressions sexuelles délictuelles, car cela reviendrait à appliquer à des délits des délais de prescription aujourd'hui réservés à des crimes.
L'amendement COM-9 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-13 a pour objet de prévoir une dispense de solidarité pour les enfants à l'égard d'un parent incestueux.
Cet amendement ne nous paraît pas présenter de lien suffisamment direct avec l'objet du texte initial : son adoption serait contraire à l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-13 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Notre amendement COM-10 vise à réécrire intégralement l'article 3 sur le contrôle coercitif.
En effet, nous souhaitons éviter de créer une infraction autonome, d'où notre proposition de ne pas mentionner expressément le contrôle coercitif, pour les raisons que nous vous avons exposées dans notre propos liminaire. Mieux vaut rattacher cette notion à l'infraction existante de harcèlement sur conjoint plutôt qu'à une violence psychologique, ce qui permettra de lui donner une écriture proprement juridique. L'écriture de la loi ne doit pas être soumise à l'émotion, mais elle doit permettre aux magistrats de disposer d'un texte qu'ils pourront utiliser juridiquement et qui, par conséquent, profitera réellement aux victimes.
L'amendement COM-10 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-7 rectifié bis devient sans objet.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Même s'il devient sans objet, je souhaite quand même dire un mot de l'amendement COM-7 rectifié bis, qui vise un sujet important, à savoir la prise en compte des menaces ou des violences commises sur les animaux dans la caractérisation du contrôle coercitif. Si ces comportements relèvent des pressions psychologiques mentionnées dans la rédaction que nous proposons, il me semble toutefois important que nous puissions en débattre en séance publique.
Mme Nadine Bellurot. - Je remercie la rapporteure d'avoir pris en considération notre amendement. La loi du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate prévoit que le magistrat pourra statuer sur l'avenir d'un animal quand son propriétaire doit quitter le domicile familial, comblant ainsi un vide juridique. Il est important de pouvoir prendre en compte cet animal avec lequel la victime peut entretenir un lien affectif fort, de sorte qu'il peut être utilisé pour la retenir dans une situation de contrôle coercitif.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-8 rectifié vise l'élargissement de l'ordonnance de protection aux violences commises sur un enfant. Nous estimons, au regard du périmètre du texte que nous avons adopté, qu'il est irrecevable.
L'amendement COM-8 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Notre amendement COM-11 supprime l'article 4, conformément à la position de la commission en matière de demandes de rapport.
L'amendement COM-11 est adopté.
L'article 4 est supprimé.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-4 rectifié bis a trait au caractère incestueux du viol ou de l'agression sexuelle commis sur un cousin germain mineur. Ces dispositions nous semblent aller au-delà de l'objet du texte initial.
L'amendement COM-4 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 5 (nouveau)
L'article 5 est adopté sans modification.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement COM-5 rectifié nous semble irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution, car il vise le renforcement des peines encourues pour l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée.
L'amendement COM-5 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement COM-6 rectifié, qui crée un délit d'interruption involontaire de grossesse sans consentement, est également irrecevable.
L'amendement COM-6 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements identiques COM-12 et COM-14 visent à supprimer l'article 6, qui a pour objet de porter à soixante-douze heures la durée de la garde à vue pour le meurtre ou le viol sur conjoint ainsi que pour le crime d'empoisonnement. Comme nous l'avons exposé, un tel allongement de la durée de la garde à vue ne paraît pas justifié et serait très probablement censuré par le Conseil constitutionnel.
Les amendements identiques COM-12 et COM-14 sont adoptés.
L'article 6 est supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er (Supprimé) |
|||
Mme BILLON |
1 rect. |
Imprescriptibilité civile des actes de torture, de barbarie et des infractions sexuelles commises sur des mineurs |
Rejeté |
Mme BILLON |
2 rect. bis |
Allongement à trente ans du délai de prescription des actes de torture, de barbarie et infractions sexuelles commises sur des mineurs |
Rejeté |
Article 2 |
|||
Mme BILLON |
3 rect. |
Allongement à soixante ans du délai de prescription extinctive pénale pour certains crimes commis sur des mineurs |
Rejeté |
Mme SCHALCK, rapporteure |
9 |
Suppression de l'ajout du viol à la prescription glissante délictuelle et de l'extension du dispositif d'interruption des délais |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article 2 |
|||
Mme Mélanie VOGEL |
13 |
Dispense de solidarité pour les enfants à l'égard d'un parent incestueux |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 3 |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
10 |
Intégration du contrôle coercitif au harcèlement sur conjoint |
Adopté |
M. BAZIN |
7 rect. bis |
Prise en compte des violences commises sur les animaux au sein de l'infraction de contrôle coercitif |
Tombé |
Article(s) additionnel(s) après Article 3 |
|||
Mme Maryse CARRÈRE |
8 rect. |
Élargissement de l'ordonnance de protection aux violences commises sur un enfant |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 4 (nouveau) |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
11 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article 4 (nouveau) |
|||
Mme BILLON |
4 rect. bis |
Caractère incestueux du viol ou de l'agression sexuelle commise sur un cousin germain mineur |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article(s) additionnel(s) après Article 5 (nouveau) |
|||
Mme LERMYTTE |
5 rect. |
Renforcement des peines encourues pour l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Mme LERMYTTE |
6 rect. |
Création d'un délit d'interruption involontaire de grossesse sans consentement |
Déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution |
Article 6 (nouveau) |
|||
Mme SCHALCK, rapporteure |
12 |
Suppression de l'article |
Adopté |
Mme Mélanie VOGEL |
14 |
Suppression de l'article |
Adopté |
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 49(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie50(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte51(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial52(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 26 mars 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 279 (2024-2025) visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives :
- au régime de prescription civile des crimes et délits à caractère sexuel perpétrés sur des mineurs ;
- au régime de prescription pénale des viols commis sur des majeurs ;
- à la répression des agissements s'apparentant à un « contrôle coercitif » et aux décisions que les juridictions peuvent prendre en la matière ;
- aux circonstances aggravantes en matière de viol ;
- à la procédure pénale applicable à certains crimes commis au sein des couples.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)
M. Julien Morino-Ros, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales
Mme Naïma Mohraz, rédactrice du bureau de la législation pénale générale
Direction nationale de la police judiciaire (DNPJ)
M. Franck Dannerolle, chef de l'office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP)
Direction des affaires civiles et du sceau (DACS)
Mme Flavie Le Tallec, sous-directrice du droit civil
Mme Raphaëlle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille
M. Emmanuel Germain, adjoint à la cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille
M. Thomas Magadlah, rédacteur au sein du bureau du droit des obligations
Cour de cassation
Mme Sandrine Zientara, présidente de chambre, directrice du service de documentation, des études et du rapport, en charge de la structure opérationnelle de l'Observatoire des litiges judiciaires, présidente du groupe de travail sur le contrôle coercitif
M. Edouard de Leiris, conseiller du premier président
Mme Caroline Azar, conseillère référendaire, chargée de mission en charge des affaires civiles et pénales
Mme Maud Fouquet, conseillère référendaire, chargée de mission en charge des affaires civiles et pénales
Table ronde des représentants des avocats
Barreau de Paris
Mme Helena Christidis, membre du Conseil de l'Ordre
Conseil national des Barreaux
Mme Amélie Morineau, présidente de la commission Libertés et droits de l'homme
M. Alexis Werl, président de la commission Textes
Mme Mona Laaroussi, chargée de mission en charge des affaires publiques
Conférence des bâtonniers
M. Pierre Dunac, vice-président
Mme Sophie Cais, membre
Personnalités qualifiées
Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d'appel de Papeete
M. Éric Corbaux, procureur général près la cour d'appel de Bordeaux
Mme Ombeline Mahuzier, présidente du tribunal judiciaire de Colmar
Unité spécialisée en accompagnement du psycho-traumatisme (USAP) de Seine-Saint-Denis
Mme Fatima Le Griguer Atig, responsable, coordinatrice de l'USAP (Centre Régional Paris Nord, Aulnay-sous-Bois), doctorante au laboratoire de psychologie sociale à l'université de Nanterre
Mme Magali Morales, juriste de l'association Sosvictimes93
Me Christine Dubois, responsable de la commission d'aide aux victimes du barreau du tribunal judiciaire de Bobigny
Me Zouina Lalam, responsable de la commission d'aide aux victimes du barreau du tribunal judiciaire de Bobigny
Table ronde de juristes
Mme Audrey Darsonville, professeure de droit privé et de sciences criminelles à l'université Paris-Nanterre
Mme Yvonne Muller, professeure de droit privé et de sciences criminelles à l'université Paris-Nanterre
Mme Julie Léonhard, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'université de Lorraine (visioconférence)
Mme Ariane Amado, chargée de recherche au CNRS-CHJ, coordinatrice de l'ANR VioletGinger
Associations de défense des droits des victimes
Association 125 et après
Mme Sarah Barukh, fondatrice
Mme Sophie Huard, directrice stratégique bénévole
Association des familles de victimes de féminicides (AFVF)
M. Noël Agossa, président
Mme Selin Tifliz Kose, juriste
Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE)
M. Pierre-Alain Sarthou, directeur général
L'Enfant bleu
Mme Laura Morin, directrice nationale
Mme Typhaine Morand, juriste
Mouv'Enfant
M. Arnaud Gallais, fondateur
Association Mémoire traumatique et victimologie
Mme Muriel Salmona, présidente
Women for women France
Mme Ouarda Sadoudi, membre du groupe d'experts
Mme Alexandra Lachowsky, membre du conseil d'administration
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)
Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires (CNPTJ)
Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)
Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)
Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)
Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)
Association OPALE
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-279.html
* 1 Et notamment depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
* 2 Pour reprendre l'expression employée par Ariane Amado, docteure en droit privé et en sciences criminelles, au cours de son audition par les rapporteures.
* 3 Source : direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.
* 4 Rapport n° 845, XVIIe législature.
* 6 Une telle aggravation est visée par le code pénal en cas de meurtre (ce qui en fait un assassinat : article 221-3), de tortures et d'actes de barbarie (article 222-3), de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-8) ou une incapacité temporaire de travail (articles 222-12 et 222-13).
* 7 Cour de cassation, Crim., 1er juin 1995, n° 94-82.590, 94-82.610, 94-82.614.
* 8 Rapport d'information n° 289 (2017-2018), Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, fait par Marie Mercier, sénateur, au nom de la commission des lois, adopté le 7 février 2018.
* 9 Cour de cassation, Civ. 2ème, 7 juillet 2022, FS-B, n° 20-19.147, Dalloz actualité, 20 septembre 2022, obs. Anaïs Hacène-Kebir.
* 10 Cour de cassation, Civ., 1ère, 15 juin 2016, n° 15-20.022.
* 11 Rapport du groupe de travail chargé d'élaborer une nomenclature des préjudices corporels, dirigé par Jean-Pierre Dintilhac, juillet 2005.
* 12 Cour de cassation, Civ. 2ème, 16 septembre 2010, n° 09-15.391.
* 13 Conseil d'État, Sect., 29 mars 2000, n° 195662.
* 14 Cour de cassation, Ass. plén., 9 mai 2008, n° 05-87.379 ; dans le même sens, n° 06-85.751.
* 15 Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, par Maud Bregeon, députée, adopté le 22 janvier 2025.
* 16 Rapport d'information n° 289 (2017-2018), Protéger les mineurs victimes d'infractions sexuelles, fait par Marie Mercier, sénateur, au nom de la commission des lois, adopté le 7 février 2018.
* 17 Rapport n° 467 (2020-2021) sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, fait au nom de la commission des lois par Marie Mercier, adopté le 23 mars 2021.
* 18 Idem.
* 19 Ibid.
* 20 Dans un arrêt du 19 février 1892, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé que la notion de « violences » au sens de la loi pénale intégrant celles qui « sans atteindre matériellement la personne sont cependant de nature à provoquer une sérieuse émotion ». Dans deux arrêts rendus respectivement en 2005 (04-87.046, 2 septembre 2005) et en 2008 (07-86.075, 18 mars 2008, la chambre criminelle a plus récemment rappelé que la violence pouvait être constituée « en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique » et «même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif ».
* 21 Source : rapport parlementaire de Dominique Vérien et Émilie Chandler, « Plan rouge VIF : Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales ».
* 22 Minute 663/2024, citée par la DACG.
* 23 10e chambre correctionnelle 2, minute 3, citée par la DACG.
* 24 Crim., 15 mai 2024, pourvoi n° 23-83.439.
* 25 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure et loi n° 2024-536 du 13 juin 2024 renforçant l'ordonnance de protection et créant l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 26 Décret n° 2025-47 du 15 janvier 2025 relatif à l'ordonnance de protection et à l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
* 27 Cour d'appel de Paris, 23 mars 2021, RG n° 21/01409 ; cour d'appel d'Aix, 22 février 2022, RG n° 21/12145.
* 28 Rapport n° 113 (2024-2025) sur la proposition de loi instituant une ordonnance de sûreté de l'enfant victime de violences, fait au nom de la commission des lois par Marie Mercier.
* 29 Transmis aux rapporteures par la direction des affaires civiles et du sceau (DACS). *données provisoires.
* 30 Les développements qui suivent sont issus d'une présentation d'Éric Corbaux et Agathe Wehbe à l'occasion de la 21e édition des États généraux du droit de la famille et du patrimoine du Conseil national des barreaux de janvier 2025.
* 31 Loi C-332, adoptée le 12 juin 2024.
* 32 Voir les propos tenus par Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, en séance publique le 28 janvier 2025.
* 33 Si l'usage abusif est cité à l'article R. 226-9 du code pénal, il n'existe pas en partie législative et ne s'applique en l'état du droit qu'à des appareils ou à des dispositifs techniques.
* 34 La Cour de cassation relevait, de manière analogue, que la circonstance aggravante de présence d'un mineur telle qu'elle était rédigée au sein du texte adopté par les députés « risqu[ait] de se rencontrer extrêmement fréquemment et de priver les distinctions précédentes, fondées sur le préjudice subi directement par la victime, de tout caractère opérant ».
* 35 Cour de cassation, 1ère Civ., 15 avril 2015, n° 14-15.369 ; Cour de cassation, 1ère Civ., 10 février 2021, n° 19-21.902 ; Cour de cassation, 1ère Civ., 17 octobre 2007, n° 06-18.167 ; Cour de cassation, 1ère Civ., 14 avril 2010, n° 09-13.686 ; Cour de cassation, 13 décembre 2017, n° 16-21.183.
* 36 CEDH, 19 septembre 2000, Gnahoré c. France, n° 40031/98 ; dans le même sens, CEDH, 14 mars 2017, K.B. et autres c. Croatie, n° 36216/13.
* 37 Cour d'appel de Versailles, 21 novembre 2014, RG n° 24/00992.
* 38 Cour de cassation, 3ème Civ., 4 mai 2016, n° 15-12.454.
* 39 Cour de cassation - Chambre criminelle, 2 septembre 2020 / n° 19-82.471 (arrêt cité par Ariane Amado).
* 40 Proposition de loi visant à permettre le cumul de circonstances aggravantes en matière de viol et à adapter les peines encourues à la gravité du viol commis (n° 589, 2023-2024) : ce texte prévoit l'introduction de circonstances aggravantes au viol en cas de préméditation, de guet-apens, d'effraction, de ruse ou d'escalade.
* 41 Les débats survenus au Sénat dans le cadre d'un récent colloque sur le consentement et la définition pénale du viol témoignent de ces interrogations.
* 42 Loi n° 57-1426 du 31 décembre 1957 instituant un code de procédure pénale.
* 43 Applicable également à la garde à vue effectuée dans le cadre d'une enquête préliminaire par renvoi de l'article 77 du code de procédure pénale.
* 44 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004.
* 45 Décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023.
* 46 Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013.
* 47 Décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014 et décision n° 2015-508 QPC du 11 décembre 2015.
* 48 Le dernier alinéa de l'article 706-88 du code de procédure pénale exclut toutefois les délits prévus au dernier alinéa de l'article 414 du code des douanes commis en bande organisée, mentionnés au 21° de l'article 706-73 du code de procédure pénale. L'article 706-73-1 du même code exclut également l'application de l'article 706-88 pour une série de délits qui relèvent de la délinquance en bande organisée.
* 49 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 50 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 51 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 52 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.