N° 580

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi organique tendant à
modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française,

Par M. Mathieu DARNAUD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt,
Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte,
Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia,
M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

223 et 581 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par les deux sénateurs de la Polynésie-Française, Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, vise à faciliter l'exercice par les communes de la Polynésie française d'actions de proximité dans certaines matières relevant de la collectivité de Polynésie française, comme par exemple le développement économique, l'aide sociale, la culture ou le sport.

En l'état du droit, leur intervention dans ces matières est soumise à l'adoption d'une loi de pays destinée à organiser la coordination entre les deux niveaux de collectivités. Or, depuis 2004, seules trois lois de pays, à l'objet très restreint, ont été adoptées à cet effet, ce qui empêche juridiquement les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale d'intervenir dans des matières où l'échelon communal ou intercommunal apparait pourtant légitime.

La proposition de loi organique remplace l'exigence de l'adoption préalable d'une loi de pays par une convention facultative et supprime toute référence au respect par les communes intervenantes de la réglementation édictée par la Polynésie française.

La commission des lois s'est montrée favorable à l'objectif de la présente proposition de loi. Elle a cependant adopté, avec l'accord des auteurs, un amendement visant à sécuriser juridiquement l'action des communes ainsi qu'à améliorer la coordination de leur action avec la Polynésie française.

I. UN DISPOSITIF DONT L'ABSENCE DE MOBILISATION PAR LE PAYS RÉVÈLE L'INADAPTATION AU TERRITOIRE POLYNÉSIEN

A. LA LOI STATUTAIRE PERMET AUX COMMUNES D'INTERVENIR DANS CERTAINES MATIÈRES SOUS RÉSERVE DE L'ADOPTION PRÉALABLE DE LOIS DE PAYS

1. Une compétence de principe de la collectivité de Polynésie française

La loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française confère à la collectivité de Polynésie française (le « Pays ») une compétence de droit commun pour l'exercice de l'action publique sur le territoire polynésien ; les communes, de création récente, ne bénéficiant pour l'essentiel que de compétences d'attribution.

Or, cette répartition des compétences empêche aujourd'hui les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale d'exercer des actions de proximité pourtant indispensables au profit des habitants de leurs territoires.

2. Le II de l'article 43 de la loi organique impose l'adoption préalable d'une loi de pays pour permettre aux communes d'intervenir dans huit matières

Aux termes du II de l'article 43 de la loi organique, des lois de pays peuvent autoriser l'intervention des communes ou des EPCI dans les matières suivantes : « développement, aides et interventions économiques » (1°), « aide sociale » (2°), « urbanisme et aménagement de l'espace » (3°), et « culture et patrimoine local » (4°), « jeunesse et sport » (5°), « protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie » (6°), « politique du logement et du cadre de vie » (7°) et « politique de la ville » (8°).

3. 3

LE NOMBRE DE LOIS DE PAYS ADOPTÉES EN 20 ANS

Ce dispositif mal adapté n'est que peu utilisé

Néanmoins, depuis 2004, seules trois lois de pays ont été adoptées, de portée limitée, dont une temporaire portant sur l'action sociale des communes pendant la crise du Covid-19.

Le fait que l'ensemble des situations des communes polynésiennes doive être régi par une seule loi de pays, ajouté à une certaine réticence du Pays à autoriser une intervention des communes dans ses compétences, semble apparaitre, du fait de la diversité des situations communales, comme le principal frein à la mise en oeuvre de ce dispositif.

B. LES COMMUNES INTERVIENNENT MALGRE TOUT AFIN DE RÉPONDRE AUX DEMANDES DE LEUR POPULATION

1. Face à l'absence de mise en oeuvre de certaines de ses compétences par le Pays, certaines communes doivent malgré tout intervenir pour répondre aux besoins de la population

Alors que plusieurs territoires ne bénéficient pas toujours des implantations suffisantes des services déconcentrés du Pays ou que les mesures prises par ce dernier ne sont pas toujours adaptées aux situations locales, les communes se doivent de répondre aux demandes d'intervention de proximité exprimées par leurs administrés. Ainsi les personnes auditionnées ont fait état d'initiatives aussi diverses que des cantines scolaires, la construction de halles de marchés, l'aménagement de sentiers de randonnée, la création de musées ou le financement de fêtes traditionnelles.

2. Ce cadre d'intervention n'est pas optimal et présente des risques juridiques pour les élus

Les initiatives communales, bien que répondant aux légitimes exigences du terrain, présentent d'importants risques pour les élus intervenant en dehors du champ légal de leurs compétences, notamment en termes de responsabilité pénale. De plus, peu de communes sont en capacité d'exercer des compétences structurantes. Ainsi, seulement trois d'entre elles comptent plus de 20 000 habitants, et près de la moitié moins de 2 000 habitants. Le vide juridique s'oppose également à l'obtention de financements externes ou à l'appui des services de l'État en termes d'ingénierie.

2. UNE PROPOSITION QUI VISE À DONNER UNE RÉELLE LIBERTÉ D'ACTION DE PROXIMITÉ AUX COMMUNES

A. LA SUPPRESSION DE L'EXIGENCE PRÉALABLE D'UNE LOI DE PAYS

La proposition de loi organique vise d'abord à lever le verrou institutionnel laissé à la Polynésie française en la matière, puisque dans les faits l'assemblée de la Polynésie française n'a, à ce jour, pas réellement permis l'intervention des communes pour exercer des actions de proximité, entrainant la frustration de la majorité des maires. Elle supprime donc l'exigence de l'adoption d'une loi de pays préalablement à l'intervention des communes ou EPCI.

Elle prévoit néanmoins la conclusion, facultative, de conventions, au cas par cas, entre chaque commune ou établissement public de coopération intercommunale et le Pays, pour assurer la complémentarité de l'action locale en déterminant les actions respectives des collectivités.

B. LA SUPPRESSION DE TOUTE RÉFÉRENCE À LA RÉGLEMENTATION ADOPTÉE PAR LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Répondant au souci de placer l'action des communes dans une situation d'autonomie vis-à-vis de la Polynésie française, le texte supprime parallèlement toute référence au respect de la réglementation adoptée par cette dernière. Ceci pourrait ainsi permettre aux communes de déterminer les règles juridiques applicables aux actions qu'elles entendent mener.

3. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : DONNER AU BLOC COMMUNAL UNE RÉELLE FACULTÉ D'INITIATIVE ET FAVORISER LA COORDINATION AVEC LE PAYS

A. OUVRIR L'INITIATIVE COMMUNALE AUX ACTIONS DE PROXIMITÉ

Bien que consciente des enjeux de lisibilité de l'action publique, la commission mesure la complexité de régir par les lois du pays prévues au II de l'article 43 de la loi organique toute la diversité des territoires polynésiens et des aspirations communales concernant les matières listées. Les exemples donnés lors des auditions du rapporteur démontrent pourtant toute la légitimité de l'action du bloc communal dans ces matières. Or, il est indéniable que, depuis près de vingt ans, on assiste à une situation de blocage dans la mise en oeuvre du mécanisme de l'article 43.

En conséquence, la commission considère, comme les auteurs de la proposition de loi organique, que l'exigence d'une loi du pays doit être supprimée afin de permettre aux communes d'exercer de manière effective, dans ces matières, des actions de proximité attendues par les habitants, tout en rappelant que le dialogue et la coordination doivent être recherchés.

B. FAVORISER LA COORDINATION ENTRE LES INTERVENTIONS DES DIFFÉRENTES COLLECTIVITÉS

1. L'obligation d'information du Pays afin de permettre la signature d'une convention

En accord avec les auteurs du texte, et à l'initiative du rapporteur, la commission des lois a entendu mettre en place une procédure d'information préalable du Pays sur les interventions envisagées par la commune ou l'EPCI, qui ne pourront intervenir qu'à l'expiration d'un délai de six mois.

Cette mesure vise à ouvrir un espace de dialogue entre la commune ou l'EPCI et les autorités du Pays, pouvant déboucher sur la conclusion d'une convention destinée à préciser la nature et la complémentarité des interventions de chacun. En tout état de cause, cette convention resterait facultative : ainsi la commune ou l'EPCI pourra, même en son absence, procéder aux interventions prévues à l'expiration d'un délai de six mois suivant l'information du Pays.

2. Conserver l'encadrement réglementaire au niveau du Pays

Les communes et les autorités de la Polynésie française ont toutes insisté, au cours des auditions, sur le fait qu'il n'apparaissait pas opportun d'opérer un transfert de compétence au profit des communes. C'est pourquoi la commission a considéré, à l'invitation du rapporteur et en accord avec les auteurs du texte, qu'il convient de conserver la référence au pouvoir réglementaire de la Polynésie française, dans le cadre duquel s'inscriront les interventions des communes.

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique
Suppression de l'exigence d'une loi du pays comme condition à l'exercice par le bloc communal de certaines compétences listées par le statut de la Polynésie française

L'article unique vise à permettre aux communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de Polynésie française d'intervenir directement dans les matières où le statut conditionne aujourd'hui leur intervention à l'adoption préalable d'une loi du pays. Il supprime également la référence à la réglementation édictée dans ces matières par la Polynésie française. Il précise toutefois qu'une convention facultative peut être conclue entre les communes ou les EPCI et la Polynésie française afin de préciser le cadre de ces interventions et les moyens mis à leur disposition.

Partageant le double constat que, dans les faits, certaines de ces matières sont déjà investies par les communes et que le dispositif de lois du pays n'a que très rarement été mobilisé et avec un objet particulièrement restreint, la commission approuve l'objectif général du texte. La commission a complété ce dispositif afin de garantir sa mise en oeuvre opérationnelle, en prévoyant un mécanisme d'information préalable du Pays sur les actions que les communes ou les EPCI entendent mener.

1. Les compétences communales conditionnées à l'adoption d'une loi du pays : un dispositif cohérent mais mal adapté à la situation polynésienne

a) Le statut de 2004 a distingué parmi les compétences des communes celles qu'elles exercent directement et celles qu'elles n'exercent que dans les conditions fixées par une loi du pays

1.1. La compétence générale de la Polynésie française et la discrète extension de la compétence des communes polynésiennes

L'article 13 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française (ci-dessous « le statut ») précise que la Polynésie française est compétente dans les matières qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. Autrement dit, la Polynésie française exerce la compétence de droit commun, les communes ne disposant que d'une compétence d'attribution.

Il convient de noter que les communes polynésiennes bénéficiaient jusqu'à 2004 de la clause de compétence générale en application de la loi n° 77-1460 du 29 décembre 1977 modifiant le régime communal de la Polynésie française. Même si les conséquences concrètes de cette clause de compétence générale doivent être relativisées compte tenu du fait que la plupart des ressources fiscales et domaniales étaient par principe confiées à la Polynésie française, le statut de 2004 a pu apparaître pour les maires comme un inquiétant frein à leur action de proximité.

L'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics, a étendu aux communes de Polynésie l'application de la clause de compétence générale des communes prévue à l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales (CGCT) (article qui appartient à la deuxième partie de ce code). Depuis, à l'image de la Polynésie, les communes sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas attribuées à une autre collectivité par le statut ou un texte spécial. Toutefois le statut apporte une importante restriction à cette compétence générale, notamment au II de l'article 43, dont plusieurs des matières listées sont spontanément investies par les communes.

La création des communes de Polynésie française par la loi du 24 décembre 1971 et l'extension de la clause de compétence générale à ces communes

La plupart des 48 communes polynésiennes sont de création récente, puisqu'à part celles de Papeete (1890), de Uturoa (1931), de Faa'a et de Pira'e (1965), elles ont toutes été créées par la loi du 24 décembre 1971.

La loi n° 77-1460 du 29 décembre 1977 modifiant le régime communal de la Polynésie française a ensuite étendu à ce territoire des dispositions du code des communes applicable aux communes de l'Hexagone. Cette évolution a notamment eu pour conséquence d'étendre aux communes polynésiennes la clause de compétence générale prévue alors à l'article L. 121-26 du code des communes.

L'ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007 portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics présente un mécanisme comparable, puisqu'elle étend aux communes polynésiennes l'application de l'article L. 2121-29 du code général des collectivités territoriales.

Toutefois, cette clause ne s'exerce que sous réserve de dispositions spéciales. L'article 43 du statut a ainsi été interprété comme interdisant toute intervention des communes dans les matières listées à son II en dehors des possibilités qui seraient le cas échéant offertes par une loi du pays.

1.2. L'article 43 du statut liste les compétences attribuées aux communes et celles qu'elles n'exercent que dans les conditions fixées par les lois du pays

Les compétences des communes sont listées à l'article 43 du statut, qui distingue celles de ces compétences que les communes exercent directement (art. 43 I), de celles où elles ne peuvent intervenir qu'après l'adoption d'une loi du pays et dans le cadre de la réglementation fixée par la Polynésie française (art. 43 II).

Le I de l'article 43 liste les neuf matières pour lesquelles les communes sont directement compétentes : police municipale (1°), voirie communale (2°), cimetières (3), transports communaux (4°), constructions, entretien et fonctionnement des écoles de l'enseignement du premier degré (5°), distribution d'eau potable (6°), collecte et traitement des ordures ménagères (7°), collecte et traitement des déchets végétaux (8°), collecte et traitement des eaux usées (9°). Il s'agit de compétences d'attribution dans lesquelles les communes et, le cas échéant, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), sont seuls compétents.

Le II mentionne les matières pour lesquelles les communes n'interviennent qu'après l'adoption d'une loi du pays, et dans le cadre de la réglementation édictée par la Polynésie française. Il s'agissait initialement, en 2004, des compétences « aides et interventions économiques » (1°), « aide sociale » (2°), urbanisme (3°), et « culture et patrimoine local » (4°).

La loi organique n° 2019-706 du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française a modifié ce II en ajoutant au 1° la matière « développement économique » et au 3° « l'aménagement de l'espace ». Elle a également rajouté les matières « jeunesse et sport » (5°), « protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie » (6°), « politique du logement et du cadre de vie » (7°) et « politique de la ville » (8°).

Pour ces huit matières, l'intervention d'une loi du pays n'a pas pour effet de transférer la compétence, mais seulement d'y permettre l'intervention des communes. De manière dérogatoire au droit commun, la réglementation adoptée par la Polynésie française s'impose aux communes. Ce mécanisme permet de garantir la cohérence de l'action publique, coordonnée au niveau de la Polynésie française, et permet de répondre aux difficultés par les plus petites communes dans l'élaboration de politiques publiques. Il se révèle toutefois concrètement difficile à mettre en oeuvre, puisqu'une seule loi du pays est censée, pour chaque matière, régler toutes les questions de répartition et de coordination avec l'ensemble des communes polynésiennes, ensemble marqué par une très grande diversité de situations. Ce modèle qualifié parfois de « prêt-à-porter » a pu être dénoncé comme mal adapté à des situations qui exigeraient plutôt du « sur mesure ». Il s'agit sans doute là d'une des principales raisons qui expliquent le manque de recours à ce dispositif.

b)  La collectivité de Polynésie française éloignée, les communes empêchées : faute de loi du pays, une répartition des compétences mal adaptée aux réalités de terrain

1.1. Le recours largement insuffisant aux lois du pays dans ces matières

Le II de l'article 43 peut être vu comme listant des matières relevant de la compétence de la Polynésie tant qu'une loi du pays n'est pas intervenue pour y organiser l'action des communes. Le mécanisme est justifié par la volonté de placer la Polynésie française dans un rôle de coordonnateur.

Toutefois, force est de constater que seulement trois lois du pays sont intervenues en la matière depuis 2004, témoignant de blocages qui paraissent indépassables dans le dispositif tel qu'il a été conçu. Cela conduit à un déficit d'action publique au plus près de la population dans ces compétences qui demeurent centralisées, alors même qu'elles s'exercent sur un territoire dont l'étendue est comparable à l'Europe occidentale.

Certes, le statut comporte par ailleurs deux mécanismes permettant d'associer les communes à l'exercice de compétences dévolues à la Polynésie : l'article 48 permet à la Polynésie française de déléguer aux maires la compétence pour prendre les mesures individuelles d'application des règles qu'elle édicte ; l'article 55 permet de confier à une commune la réalisation d'équipements collectifs ou la gestion de services publics relevant de sa compétence. Mais les communes n'agissent alors que sur délégation de la Polynésie française, ce qui ne répond pas à leur aspiration à une plus grande capacité d'initiative.

Les trois lois du pays adoptées depuis 2004 mettant en oeuvre le dispositif prévu au II de l'article 43 du statut 

La loi du pays n° 2010-12 du 25 août 2010 permet à la Polynésie française de confier aux communautés de commune le soin d'élaborer les projets de développement économique ainsi que la réalisation d'équipement collectifs ou la gestion de services publics.

La loi du pays n° 2016-10 du 4 avril 2016 autorise certaines communes à intervenir dans la mise en oeuvre de contrats de redynamisation des sites de défense.

La loi du pays n° 2020-33 du 8 octobre 2020 a encadré exceptionnellement les actions sociales touchant à des besoins de première nécessité durant une période de deux mois pendant la crise du Covid-19.

Il convient d'insister sur la réalité géographique polynésienne : d'après les chiffres de l'INSEE, près de 75 % des 283 147 habitants résident dans l'archipel des îles du vent de Tahiti et Moorea. Le reste de la population est disséminé dans un territoire de 5 millions de km². Les maires entendus par le biais du Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française (SCPCF) ont fait part d'un grand sentiment de vide laissé par la Polynésie française dans les communes des archipels les plus éloignés, faute d'antennes locales des services de la collectivité.

L'exemple a été donné au rapporteur de la gestion centralisée de l'aide sociale, ce qui peut avoir pour conséquence d'imposer aux administrés concernés de se déplacer en avion à Papeete pour faire valoir leurs droits. Le bénéfice pour la population d'une action communale en la matière, en complément de l'action de la Polynésie française, apparaitrait évident.

1.2. Les communes confrontées aux exigences de l'action publique de proximité

Chacun reconnait l'impossibilité matérielle pour la Polynésie française d'intervenir de façon exclusive dans chacune des matières sur un si vaste territoire.

Afin de combler le vide de l'action publique, de nombreuses communes ont décidé d'intervenir pour mener des actions ponctuelles d'intérêt strictement communal dans plusieurs des matières listées, comme le développement économique, l'aide sociale ou la culture et le patrimoine. Leur intervention y est d'autant plus naturelle qu'elle s'inscrit dans la continuité des actions qu'elles pouvaient mener jusqu'en 2004 au titre de leur compétence générale. Ainsi les personnes auditionnées ont fait état d'initiatives aussi diverses que des cantines scolaires, la construction de halles de marchés, l'aménagement de sentiers de randonnée, la création de musées ou le financement de fêtes traditionnelles. Il convient de rappeler à cet égard que le tourisme représente 9 % du PIB polynésien, domaine qui dépend grandement des actions en matière de patrimoine et de développement économique.

Un exemple d'intervention communale dans le domaine du II de l'article 43 du statut : la commune de Makemo située dans l'archipel des Tuamotu-Gambier (564 km de Tahiti - 1 392 habitants)

Développement économique, aides et interventions économiques : des ateliers relais sont organisés pour former la population au développement d'un tissu économique local, notamment dans les secteurs primaires comme la pêche et l'agriculture.

Aide sociale : depuis 2015, la mairie a créé un service social en lien avec la caisse de prévoyance sociale et un service du logement en collaboration avec l'Office polynésien de l'habitat, pour accompagner la population dans leurs démarches administratives

Restauration sociale : mise en place d'une forme de bourse pour le petit-déjeuner afin de soutenir les familles.

Culture et patrimoine local : subventions aux associations locales pour l'organisation du Heiva, incluant fêtes foraines et animations sportives pour Makemo et ses communes associées.

Jeunesse et sport : financement, via le budget principal, de la construction de deux salles omnisports et soutient des jeux inter-îles.

Politique du logement et cadre de vie : mobilisation du personnel communal pour la rénovation des maisons des administrés.

Soutien aux actions de maîtrise de l'énergie : projet de centrale hybride avec extension du réseau électrique. Ce projet vise à verdir la production d'électricité et limiter l'utilisation de carburant.

Éducation : démarches pour la rénovation du collège de Makemo, pourtant géré par la Polynésie française.

Aménagement et urbanisme : projet d'extension de route depuis l'aéroport jusqu'à une pension agricole.

1.3. L'ardente obligation de dépasser les blocages institutionnels du mécanisme actuel

Les initiatives communales, bien que répondant aux légitimes exigences du terrain, présentent d'importants risques pour les élus intervenant en dehors du champ légal de compétence, notamment en termes de responsabilité pénale. De plus, peu de communes sont en capacité d'exercer des compétences structurantes. Ainsi, seulement trois d'entre elles comptent plus de 20 000 habitants, près de la moitié moins de 2 000 habitants. Le vide juridique s'oppose également à l'obtention de financements externes ou à l'appui des services de l'État en termes d'ingénierie.

Il a été toutefois indiqué au rapporteur que le comité des finances locales avait acté, le 27 février 2025, un élargissement des domaines et projets éligibles au financement du fond intercommunal de péréquation, incluant les actions menées dans les matières listées au II de l'article 43. La légalité de cet élargissement reste cependant à apprécier.

Ces constats démontrent que l'équilibre recherché en 2004 ne peut être atteint sans l'adoption effective des lois du pays prévues par le II de l'article 43. Il n'appartient pas au rapporteur de revenir sur les raisons qui ont conduit aux blocages déplorés par tous, mais seulement de constater l'échec de ce dispositif et d'essayer de le dépasser afin de répondre aux attentes des élus et de la population.

Si les autorités polynésiennes, qui partagent ce constat, ont indiqué au rapporteur avoir entamé des démarches visant à l'adoption de plusieurs lois du pays, le rapporteur ne peut que rejoindre les auteurs la proposition de loi organique dans leur volonté de faire évoluer le dispositif vers une plus grande souplesse en faveur de l'initiative du bloc communal.

Enfin, le rapporteur est sensible aux interrogations relatives à la capacité des communes à assumer de nouvelles interventions alors qu'en l'état certaines peinent déjà à exercer certaines compétences qui leur sont dévolues par le I de l'article 43. Il considère toutefois que l'avancée proposée n'empêche pas une réflexion ultérieure sur la réattribution de compétences lourdes, telles par exemple que la collecte et le traitement des eaux usées.

2. La proposition de loi organique vise à simplifier l'intervention des communes, notamment afin de régulariser une situation de fait

a) La suppression de l'exigence d'une loi du pays préalable et de la référence au respect de la réglementation édictée par la Polynésie française

La proposition de loi organique s'inspire de la proposition n° 18 du rapport d'information de la commission des lois, réalisé à la suite de la mission effectuée en Polynésie française en avril 2024 sur « la situation institutionnelle et administrative et la justice en Polynésie française »1(*). Elle vise à supprimer l'exigence d'une loi du pays préalable à toute intervention des communes ou des EPCI pour l'ensemble des huit matières listées au II de l'article 43.

Il est également proposé de supprimer toute référence à la réglementation qui serait édictée par le pays en ces matières, consacrant une compétence directe, dans le respect du principe de subsidiarité, des communes qui auraient décidé d'y intervenir.

b) La création d'une convention facultative précisant le cadre de l'intervention communale et les moyens mis en oeuvre par le pays

La seule contrepartie de cette liberté retrouvée serait la possibilité pour les communes et le pays de négocier une convention fixant le cadre de cette intervention. La convention resterait toutefois facultative. Néanmoins, l'Assemblée de la Polynésie française, consultée par le haut-commissaire en application de l'article 9 du statut, a rendu le 24 avril 2025 un avis défavorable sur cette proposition de loi organique. Toutefois, il est notable que la commission des institutions, des affaires internationales et des relations avec les communes de cette assemblée avait rendu le 16 avril 2025 un avis favorable à l'unanimité sur ce texte, sous réserve de l'introduction d'un mécanisme d'information du président de la Polynésie française sur les actions que les communes comptaient mettre en oeuvre.

3. La position de la commission des lois donne au bloc communal une faculté d'initiative et favorise la coordination avec la Polynésie française

a) Supprimer l'exigence d'une loi du pays pour ouvrir l'initiative communale aux actions de proximité

Bien que consciente des enjeux de lisibilité de l'action publique, la commission mesure la complexité de régir par les lois du pays prévues au II de l'article 43 du statut toute la diversité des territoires polynésiens et des aspirations communales concernant les matières listées. Le fait que, comme l'a indiqué lors de son audition le Syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française (SPCPF), 40 des 48 maires des communes polynésiennes soutiennent la proposition de loi organique souligne l'urgence ressentie au plus près des territoires. Les exemples donnés d'actions concrètes souhaitées ou déjà mises en oeuvre démontrent toute la légitimité de l'action du bloc communal dans ces matières.

Depuis lors, il semble que l'adhésion des maires de Polynésie au dispositif proposé se soit encore renforcée : selon les dernières indications fournies au rapporteur, un seul maire sur 48 serait aujourd'hui opposé à l'évolution de la loi organique.

En conséquence, la commission considère, comme les auteurs de la proposition de loi organique, que l'exigence d'une loi du pays doit être supprimée afin d'ouvrir ces matières à l'initiative directe des communes, tout en rappelant que le dialogue et la coordination doivent être recherchés.

b) Favoriser la coordination des différents échelons de collectivités

Alors que la proposition de loi organique ne soumet l'initiative des communes qu'à une convention facultative avec la Polynésie française, la commission, par l'adoption de l'amendement COM-1 de son rapporteur, a souhaité favoriser la coordination des acteurs, sans aller toutefois jusqu'à un conventionnement obligatoire, qui conduirait potentiellement à la même situation de blocage que les dispositions en vigueur.

Le dispositif proposé fixe en conséquence une simple obligation d'information préalable de la Polynésie française et du représentant de l'État par la commune ou l'EPCI sur les interventions qu'elle entend mener dans la ou les matières concernées. Les interventions annoncées ne pourraient alors être mises en oeuvre avant l'expiration d'un délai d'au moins six mois.

Cette mesure vise à ouvrir un espace de dialogue entre la commune ou l'EPCI et les autorités du Pays, pouvant déboucher sur la conclusion d'une convention destinée à préciser la nature et la complémentarité des interventions de chacun. À défaut de signature d'une convention dans le délai de six mois, le bloc communal pourra, en tout état de cause, procéder aux interventions envisagées.

En revanche la commission considère qu'il convient de ne pas transférer de pouvoir réglementaire aux communes dans ces matières. Ainsi, en accord avec les auteurs de la proposition de loi organique, il est choisi de conserver la référence au pouvoir réglementaire de la Polynésie française figurant dans les dispositions en vigueur, dans le cadre duquel s'inscriront les interventions des communes.

La commission a recherché un équilibre acceptable par chaque partie prenante. Il s'agit d'un dispositif « à la carte » qui présente certainement des défis mais parait seul offrir la possibilité de répondre à la diversité des situations. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que la Polynésie française prenne l'initiative de normaliser le conventionnement, par exemple en proposant différents types de conventions adaptés à chaque strate de communes. En tout état de cause, l'idée directrice doit être celle du dialogue des différentes collectivités afin de répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 7 mai 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de Mathieu Darnaud et du texte proposé par la commission sur la proposition de loi organique tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, présentée par Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Mes chers collègues, il me revient de vous présenter aujourd'hui ce texte de nos collègues sénateurs de Polynésie française Lana Tetuanui et Teva Rohfritsch, que je salue. Il vise à faciliter l'exercice par les communes de Polynésie française d'actions de proximité dans certaines matières relevant de la collectivité de Polynésie française, communément appelée le « Pays », comme le développement économique, l'aide sociale, la culture ou le sport, compétences d'ores et déjà partiellement exercées en pratique -par certaines communes de Polynésie.

Nos collègues proposent, par ce texte, une avancée fondamentale pour la bonne administration des communes polynésiennes. Il s'agit d'ailleurs de l'une des vingt-deux propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française formulées par nos collègues Nadine Bellurot, Jérôme Durain et Guy Benarroche dans le rapport d'information qu'ils ont rendu le 9 octobre dernier.

En l'état du droit, l'intervention des communes polynésiennes dans ces matières est soumise à l'adoption d'une loi du Pays destinée à organiser la coordination entre les deux niveaux de collectivités.

Or, depuis 2004, seules trois lois du Pays, à l'objet très restreint, ont été adoptées à cet effet, ce qui empêche, juridiquement et concrètement, les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'intervenir dans des matières où l'échelon communal ou intercommunal apparaît pourtant légitime, eu égard notamment à l'enjeu de proximité. Cet enjeu est du reste d'une centralité évidente dès lors que l'on connaît la géographie polynésienne et l'étendue du territoire concerné.

Mes chers collègues, vous qui connaissez la vie des collectivités locales, vous comprendrez aisément l'importance que revêtent ces matières pour les communes : il s'agit de construire une petite halle pour accueillir un marché, de créer une bourse du petit-déjeuner pour les enfants de familles défavorisées, d'aménager un sentier de randonnée, de créer un petit musée ou de financer des fêtes traditionnelles.

La proposition de loi organique, qui est soutenue par quarante des quarante-huit maires polynésiens, les tavanas, remplace l'exigence de l'adoption préalable d'une loi du Pays par une convention facultative et supprime toute référence au respect par les communes concernées de la réglementation édictée par la Polynésie française.

Nous ne pouvons que partager l'objectif sous-tendu par la présente proposition de loi organique.

Je vous proposerai toutefois, avec l'accord de ses auteurs, un amendement visant à sécuriser juridiquement l'action des communes ainsi qu'à améliorer la coordination de leur action avec le Pays.

Le statut de la Polynésie française confère au Pays une compétence de droit commun pour l'exercice de l'action publique sur le territoire polynésien, les communes, de création récente et aux capacités financières limitées, ne bénéficiant initialement pour l'essentiel que de compétences d'attribution listées au I de l'article 43 de la loi organique statutaire : police municipale, transport, assainissement, etc.

Le dispositif du II de l'article 43 était bien pensé : il permettait aux communes d'intervenir au-delà de ces compétences d'attribution et répondait à l'exigence d'autoriser une intervention publique adaptée à chaque territoire, au niveau des communes, dans une cohérence globale décidée au niveau du Pays. C'est pourquoi il fallait pour chaque matière adopter une loi du Pays déterminant de façon générale les périmètres d'intervention de chacun.

Les matières concernées sont les suivantes : développement, aides et interventions économiques ; aide sociale ; urbanisme et aménagement de l'espace ; culture et patrimoine local ; jeunesse et sport ; protection et mise en valeur de l'environnement et soutien aux actions de maîtrise de l'énergie » ; politique du logement et du cadre de vie ; politique de la ville.

Or, je l'ai dit, depuis 2004, seules trois lois du Pays ont été promulguées aux fins de permettre une meilleure répartition des compétences entre le Pays et les communes de Polynésie française. Elles sont de surcroît de portée limitée, et l'une d'entre elles, à visée temporaire, portait sur l'action sociale des communes pendant la crise du covid-19.

Le fait que l'ensemble des situations des communes polynésiennes doive être régi par une seule loi du Pays, ajouté à une certaine réticence du Pays à autoriser une intervention des communes dans ces champs de compétences, apparaît, du fait de la diversité des situations communales, comme le principal frein à la mise en oeuvre de ce dispositif.

Or ce mécanisme, logique mais difficile à mettre en oeuvre, empêche aujourd'hui les communes ou les EPCI d'exercer des actions de proximité pourtant indispensables au profit des habitants de leurs territoires.

Voilà en quelques mots résumé l'objet de cette proposition de loi organique, qui représente une avancée nécessaire. Ce texte répond à une aspiration très forte : je l'ai dit, quarante des quarante-huit tavanas le soutiennent. Par-delà les différentes sensibilités représentées à l'Assemblée de la Polynésie française, il existe une réelle volonté d'avancer sur ce sujet. Chacun en est convaincu, en effet, la configuration territoriale de ce territoire appelle davantage de proximité, donc un renforcement des capacités d'action des communes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur pour ces éclaircissements, et je remercie nos deux collègues polynésiens d'avoir proposé ce texte, qui fait envie aux élus que nous sommes, s'agissant de donner plus de moyens aux maires et davantage de proximité.

N'oublions pas que la Polynésie française est grande comme l'Europe. On peut comprendre qu'un pouvoir très centralisé à Papeete puisse empêcher des territoires très dispersés de mener à bien leurs projets. Quarante des quarante-huit maires approuvent ce texte, nous a rappelé le rapporteur : cela veut dire quelque chose. Ce texte répond à un réel besoin : merci à nos deux collègues polynésiens de défendre ces territoires auxquels ils sont tant attachés.

M. Jérôme Durain. - Une délégation de la commission des lois alors composée de François-Noël Buffet, Nadine Bellurot, Guy Benarroche, Philippe Bonnacarrere et moi-même, dûment accompagnés par Teva Rohfritsch et Lana Tetuanui, s'était rendue, en avril 2024, en Polynésie française pour travailler sur les questions institutionnelles avec les élus locaux.

Cette proposition de loi organique reprend l'une des recommandations que nous avions formulées dans le rapport issu de ce travail : il s'agit de répondre à une demande pressante des tavanas, car l'éloignement des territoires polynésiens les uns par rapport aux autres fait primer les enjeux territoriaux dans le débat institutionnel.

La disposition organique dont il est question, qui fait dépendre l'action des communes d'une décision du Pays, obère toute initiative locale. L'esprit et la lettre de ce texte justifient donc que nous y apportions tout notre soutien.

M. Teva Rohfritsch. - Avec ma collègue Lana Tetuanui, nous tenons à remercier le rapporteur pour les travaux qu'il a engagés et les nombreuses consultations qu'il a menées.

Les communes polynésiennes ne bénéficient pas de la clause générale de compétence, contrairement aux communes de l'Hexagone. Nous attendions beaucoup - et nos tavanas, nos maires, attendaient beaucoup - de la mise en application du II de l'article 43 de la loi organique statutaire, qui n'a pas produit les effets escomptés.

Pendant la période du covid-19, vers qui l'État et la collectivité de la Polynésie française se sont-ils tournés pour organiser l'assistance et l'aide d'urgence, notamment en matière sociale ? Vers nos tavanas, vers nos communes ! Des dispositions avaient alors été prises de manière temporaire, via une loi du Pays, chacun jurant ses grands dieux qu'ensuite nous en tirerions collectivement les leçons.

Les communes ont été ce maillage nécessaire dans des périodes d'urgence et ont dû faire face à une forme d'impréparation. Ne disposant pas du cadre qui avait été prévu au II de l'article 43, elles ont été saisies en urgence pendant la crise du covid-19. Nous tirons les leçons de cette expérience : par ce texte mesuré et adapté, qui sera enrichi par l'amendement de notre rapporteur, nous avons l'occasion de permettre à ces communes d'intervenir au-delà des situations d'urgence.

Il ne s'agit pas d'un transfert de compétences : la Polynésie française conserve la compétence de droit commun dans les domaines qui ont été énumérés, et elle conserve la faculté d'adopter des lois du Pays, c'est-à-dire de donner un cadre à l'intervention publique dans ces matières. Ainsi nos tavanas pourront-ils mener des « actions » - le terme est important - au bénéfice de nos populations.

Je précise que nous avons aujourd'hui le soutien de quarante-sept maires sur quarante-huit, ainsi que de l'actuel président de l'Assemblée de la Polynésie française. Je tairai le nom du maire qui ne souhaite pas soutenir ce texte, mais tous ceux qui connaissent un peu ce territoire savent de qui il s'agit.

La commission des institutions, des affaires internationales et des relations avec les communes de l'Assemblée de la Polynésie française s'est prononcée à l'unanimité, sur le fond, en faveur de cette proposition - ensuite a eu lieu, en séance plénière, un débat politicien.

Notre rapporteur a su tenir compte des demandes techniques qui ont été formulées : je pense à la question de l'information du Pays.

Je conclurai en disant qu'il s'agit de combler une carence. La Polynésie française comprend soixante-dix-huit îles habitées ; l'État et le Pays, au travers de leurs administrations, ne peuvent être présents partout. Ce sont donc les maires qui font office de service public, dans un cadre qui n'est pas toujours sécurisé : vecteurs de proximité et de subsidiarité, ils comblent surtout un vide.

Avec la proposition qui vous est faite, mes chers collègues, il s'agit de permettre aux tavanas de mener des actions tout en respectant la réglementation édictée par le Pays.

Le précédent dispositif a péché par le fait qu'il engageait de facto le financement du Pays. Tel n'est pas le cas de la mesure que nous proposons. Cela ne veut pas dire que le Pays sera encouragé à se dessaisir de ces sujets : cela signifie qu'un dialogue doit s'instaurer entre les communes et le Pays si les premières veulent une convention avec le second et une participation financière de celui-ci. À défaut, l'action de ces communes se restreindra au périmètre de leur territoire et se fera au bénéfice de leurs seuls administrés et dans la limite de leur budget communal.

Nous espérons, sur ce sujet, une expression unanime, car les communes attendent beaucoup de ce nouveau dispositif. Il y va d'une action publique conduite « au dernier kilomètre » et au plus près de nos administrés.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Tout a été dit par nos collègues.

Jacqueline Eustache-Brinio l'a rappelé, on ne saurait évoquer la Polynésie française sans parler de sa géographie : certains tavanas sont aussi éloignés de Papeete que Varsovie, Prague ou Athènes le sont de Paris. On voit dès lors qu'il est nécessaire, ici peut-être plus encore qu'ailleurs, de prendre en compte cette réalité territoriale, laquelle plaide pour davantage de proximité, dans le dialogue, bien sûr, avec le Pays. Notre volonté est de sécuriser l'exercice par les tavanas d'un certain nombre de compétences et de responsabilités qui peuvent les engager pénalement. Cette inversion des rapports entre communes et État ou Pays fera peut-être des envieux dans l'Hexagone...

D'une manière générale, il s'agit tendanciellement d'aligner sur le droit commun une partie des dispositions des différents statuts d'autonomie et, en l'espèce, de reconnaître à la commune sa capacité d'action singulière.

Jérôme Durain l'a rappelé à juste titre, ce texte épouse les conclusions d'un rapport d'information, qui vaut étude d'impact : tout converge aujourd'hui dans la direction ici indiquée.

Chacun a bien compris qui était le tavana réfractaire, mais il n'est pas question de stigmatiser qui que ce soit : chacun est bien sûr libre de ses positions sur ce sujet de la faculté d'initiative des communes.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi organique. En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut la modification des conditions dans lesquelles les communes polynésiennes peuvent intervenir dans les matières listées au II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise tout simplement à favoriser un dialogue entre les communes, d'une part, et le haut-commissaire et le Pays, d'autre part, en « bordant » la capacité d'initiative offerte aux premières par l'exigence de la prise préalable d'une délibération qui serait transmise aux seconds. Le dialogue entre ces trois entités - communes, État, Fenua - s'en trouvera nourri.

Mme Lana Tetuanui. - Nous sommes évidemment favorables à cet amendement, qui répond aux réserves émises par les élus indépendantistes lors des débats qui ont eu lieu au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, où se sont exprimées des postures politiques - je parle en connaissance de cause, puisque j'y ai moi-même défendu ce texte la semaine dernière.

Je ne m'attends malheureusement pas à ce que ce texte fasse l'unanimité au Sénat en séance publique : j'entends qu'une vague va déferler sur Paris pour plaider la cause du seul maire, opposé à ce texte toujours très critique sur l'État français !

Je remercie Mathieu Darnaud d'apporter ces précisions et de lever les ambiguïtés qui avaient été évoquées lors des débats à l'Assemblée de la Polynésie française. Je vous appelle, mes collègues à voter cet amendement et, bien sûr, le texte ainsi modifié.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique est adopté, à l'unanimité, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. DARNAUD, rapporteur

1

Information préalable des autorités de la collectivité de Polynésie française et de l'Etat sur les actions que les communes ou les EPCI souhaitent engager dans les matières mentionnées au II de l'article 43 de la loi organique statutaire.

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 2(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie3(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte4(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial5(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 7 mai 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi organique n° 223 (2024-2025), tendant à modifier le II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

Elle a considéré que ce périmètre incluait la modification des conditions dans lesquelles les communes polynésiennes peuvent intervenir dans les matières listées au II de l'article 43 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 précitée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française et auteur de la proposition de loi organique

Mme Lana Tetuanui, sénatrice de la Polynésie française et auteur de la proposition de loi organique

Direction générale des Outre-mer 

M. Olivier Benoist, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles

Présidence de la Polynésie française

M. Moetai Brotherson, président de la Polynésie française

Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française

M. Cyril Tetuanui, président

M. Christophe Valadier, directeur de cabinet

Haut-commissariat de la République en Polynésie française

M. Éric Spitz, haut-commissaire de la République en Polynésie française

Assemblée de la Polynésie française

M. Antony Géros, président de l'Assemblée de la Polynésie française

M. Richard Tuheiava, directeur de cabinet

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-223.html


* 1  Rapport d'information n° 17 (2024-2025) 22 propositions pour conforter l'autonomie et la proximité de l'action publique en Polynésie française, fait par Mme Nadine Bellurot, MM. Guy Benarroche et Jérôme Durain, au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 9 octobre 2024.

* 2 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 3 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 4 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 5 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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