N° 721

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports (procédure accélérée),

Par Mme Nadège HAVET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli,
premier vice-président ;
Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet, M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine,
MM. Jean Bacci, Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Marc Delia, Stéphane Demilly, Gilbert-Luc Devinaz,
Franck Dhersin, Alain Duffourg, Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold, Daniel Gueret,
Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier Jacquin, Damien Michallet, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili, Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth, M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet,
MM. Pierre Jean Rochette, Bruno Rojouan, Jean-Marc Ruel, Mme Denise Saint-Pé, M. Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, MM. Paul Vidal, Michaël Weber.

Voir les numéros :

Sénat :

319 et 722 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Le 11 juin 2025, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, suivant la rapporteure Nadège Havet, a adopté à l'unanimité avec une modification, la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, présentée par la rapporteure, Michel Canévet et Yves Bleunven.

L'article unique de cette initiative sénatoriale vise opportunément à mettre à la disposition de toutes les collectivités territoriales et de leurs groupements un outil dont le recours était restreint, celui de la société portuaire. Mis en place par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, ce dispositif autorise les collectivités et leurs groupements à prendre des participations dans le capital d'une société portuaire.

Les collectivités qui ont choisi de bénéficier de ce dispositif ont ainsi pu devenir les acteurs principaux du développement et de la résilience de leur écosystème portuaire. Elles ont pu préserver ou accroitre le volume de leurs investissements, rentabiliser leurs efforts en faveur de la transition technologique et écologique, tout en améliorant leur compétitivité. Elles ont pu conserver le lien avec leur partenaire historique, les chambres de commerce et d'industrie, tout en profitant des avantages d'un capital détenu à 100 % par des personnes publiques.

Soucieuse de répondre aux besoins des collectivités territoriales, la commission a approuvé ce texte, sous le bénéfice d'un amendement visant à mettre le texte en conformité avec le droit européen.

I. LES PORTS DÉCENTRALISÉS : DES MAILLONS ESSENTIELS DES TERRITOIRES CÔTIERS QUI NE SONT PAS TOUS ÉLIGIBLES AU MODÈLE DE SOCIÉTÉ PORTUAIRE

Source : DGITM et étude de 2022 du cabinet Mensia pour le compte de l'UPF

Les ports décentralisés sont des maillons essentiels au développement économique et à l'attractivité des territoires côtiers. Acteurs de premier plan, les principaux ports décentralisés emploient en effet près de 11 000 personnes (27 000 en ajoutant les emplois indirects) et génèrent annuellement 600 millions d'euros de valeur ajoutée.

Certaines régions comme la Corse, la Bretagne et l'Occitanie ne sont d'ailleurs dotées que de ports décentralisés.

Le processus de décentralisation a débuté en 1983 et s'est déroulé en trois étapes (voir schéma ci-contre). Toutefois, la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 créant le modèle de société portuaire ne permet qu'aux 18 ports (17 métropolitains et 1 outre-mer) dont la propriété et l'exploitation avaient été transférées par l'État en 2004 de bénéficier de ce dispositif, excluant les autres ports décentralisés par le législateur en 1983 et 2015.

Source : CATDD

II. LA SOCIÉTÉ PORTUAIRE : UN MODÈLE POLYVALENT DOTÉ DE PLUSIEURS AVANTAGES

Pourtant, le modèle de société portuaire permet de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires.

La participation des collectivités constitue également un atout pour ces sociétés portuaires en leur donnant une assise financière plus large qui permet le financement des investissements d'infrastructures, de modernisation ou de transition que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) n'étaient pas ou plus en mesure de porter seules.

Le modèle de société portuaire (SP) présente en outre de nombreux avantages par rapport aux autres modèles à la disposition des collectivités : société publique locale (SPL) ou société d'économie mixte (SEM).

Source : CATDD

Il permet aux CCI de participer au capital des SP. Les CCI peuvent ainsi apporter à la société portuaire leur expertise, leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'international.

Il permet aussi, si les conditions du code de la commande publique sont remplies, de bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Ainsi, le contrat de concession sera dispensé de procédure de mise en concurrence.

III. LA SOCIÉTÉ PORTUAIRE : L'EXTENSION D'UN MODÈLE QUI A FAIT SES PREUVES SOUHAITÉE PAR CERTAINES COLLECTIVITÉS

Seules deux collectivités ont, pour l'instant, eu recours au modèle de la société portuaire. Les régions de Bretagne et de Nouvelle-Aquitaine, autorités portuaires et propriétaires de leurs ports, ont en effet créé, respectivement en 2021 et 2024, la société portuaire « BrestPort » (anciennement Société Portuaire Brest Bretagne (SPBB)) et la société portuaire « Port de Bayonne ».

Source : CCI France

De nombreux autres ports souhaiteraient pouvoir en bénéficier, mais se heurtent à un verrou législatif.

À titre d'illustration, le port de Concarneau pourrait utilement adopter ce modèle, toutefois, les 6 autres ports de pêche du pays de Cornouaille auxquels il est lié et avec lesquels il forme la première place de pêche fraîche française (20 % de la pêche nationale et 50 % de la pêche bretonne) ne le peuvent pas.

Source : Syndicat mixte Ports de Pêche et Plaisance de Cornouaille

Ces ports de pêche, comme beaucoup d'autres ports français, ont dû faire face à plusieurs chocs exogènes : Brexit, Covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et, plus récemment, fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne. La participation des collectivités, aux côtés de la CCI, au sein d'une société portuaire offrirait de nombreux avantages : elle permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations et des négociations entre concédant et concessionnaire. Elle permettrait aussi de renouveler les contrats de concessions sans que l'équilibre financier pèse sur le concédant ou grève l'effort d'investissement. Enfin, cette concession pourrait être attribuée à la société portuaire, détenue à 100 % par des capitaux publics, sans procédure de mise en concurrence en répondant aux critères de la quasi-régie.

L'article unique de la proposition de loi vise à supprimer à l'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 la référence à l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui limite drastiquement le nombre de bénéficiaires potentiels du modèle de société portuaire. Il clarifie et met en cohérence d'autres dispositions de l'article pour tenir compte de cette suppression. Il met enfin à jour des références du droit de la commande publique et du code du travail devenues obsolètes.

La commission estime opportun d'étendre le modèle de la société portuaire qui favoriserait le développement économique des ports et rendrait plus performante leur gestion par les collectivités territoriales. Limiter ce dispositif aux 18 ports transférés par l'État en 2004 ne semble plus justifié et un changement d'échelle apparaît souhaitable.

La commission a ainsi approuvé ce texte, sous le bénéfice d'un amendement ( amdt) pour assurer la conformité du dispositif avec le droit européen de la commande publique. Cet amendement supprime la « présomption de quasi-régie » et assure que les conditions de dérogation aux règles de mise en concurrence lors des opérations d'attribution ou de modification des contrats de concession seront vérifiées au cas par cas.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique
Recours des collectivités territoriales au modèle de la société portuaire

Cet article vise à élargir la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire.

À cette fin, il permet à toutes les collectivités territoriales et leurs groupements, de prendre des participations dans une société portuaire dont l'activité est d'assurer l'exploitation commerciale d'un ou plusieurs ports se trouvant dans leur ressort géographique.

Il met également à jour des références à des articles abrogés.

La commission a adopté l'article unique modifié par un amendement tendant à assurer la conformité de la proposition de loi au droit européen de la commande publique.

I. La société portuaire : un modèle de gestion opportun, mais qui ne bénéficie pas à toutes les autorités portuaires

A. Le modèle de société portuaire recèle de nombreux avantages comparatifs...

S'inspirant du modèle des sociétés aéroportuaires défini à l'article 7 de la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports, l'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports1(*) a donné la possibilité aux collectivités territoriales et leurs groupements de prendre des participations dans des sociétés portuaires dont l'activité principale est d'assurer l'exploitation commerciale d'un ou plusieurs ports situés dans leur ressort géographique.

En effet, les collectivités territoriales ont interdiction, sauf cas dérogatoires, de créer et exercer des prises de participations dans des sociétés commerciales de droit commun (articles L. 2253-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) pour les communes, L. 3231-6 pour les départements, L. 4211-1 pour les régions et L. 5111-4 pour les groupements de collectivités territoriales et autres établissements publics locaux).

Deux collectivités : la région Bretagne et la région Nouvelle-Aquitaine, autorités portuaires et propriétaires de leurs ports, ont créé, respectivement en 2021 et 2024, la société portuaire « BrestPort » (anciennement Société Portuaire Brest Bretagne (SPBB)) et la société portuaire « Port de Bayonne ».

Ces sociétés portuaires sont ainsi dotées d'une assise financière large qui permet le financement des investissements d'infrastructures, de modernisation ou de transition que les CCI n'étaient pas ou plus en mesure de porter seules. Par ailleurs, cette structure renforce l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports.

Les sociétés portuaires en France

Depuis la loi de 2006 ayant institué le dispositif, deux sociétés portuaires ont été mises en place2(*).

1) « BrestPort »

En 2021, la CCI métropolitaine Bretagne occidentale (CCIMBO) a fait l'apport de ses concessions commerce et réparation navale du port de Brest pour créer la « société portuaire du port de Brest (SPPB) ». Cette dernière est une société anonyme, créée et détenue par la Région Bretagne (51 %), la CCIMBO (39 %) et Brest métropole (10 %). Sa mission est de gérer le port dans le cadre d'une concession de 40 ans accordée par la Région Bretagne, propriétaire et autorité concédante du port ;

1) « Société portuaire Port de Bayonne »

SAS à capitaux publics, cette société portuaire a des actionnaires multiples : la Région Nouvelle Aquitaine, actionnaire majoritaire avec 70,27 % du capital de la société, la CCI Bayonne Pays basque (CCI BPB), actionnaire prioritaire avec 27,03 % des parts, et la CCI des Landes, actionnaire à hauteur de 2,70 %. La société portuaire a tout d'abord repris la concession en cours sous forme de quasi régie jusqu'au 31 décembre 2024 et gère la prochaine concession pour une durée de 40 ans. Historiquement, la CCI BPB gérait le port depuis 1887.

Source : CCI France et Société portuaire Port de Bayonne

Le modèle de la société portuaire se différencie par ailleurs des deux autres « modèles » qui auraient pu être choisis par ces collectivités pour la gestion de leurs ports :

- la société publique locale (SPL), en application des articles L. 1531-1 et suivants du CGCT3(*),

- la société d'économie mixte (SEM), en application des articles L. 1521-1 et suivants du CGCT4(*).

La SPL est une société anonyme de droit privé dont le capital associe au moins deux personnes publiques et est détenu en totalité par ces personnes publiques. Cet actionnariat exclusivement public permettrait aux autorités portuaires de concéder l'exploitation de leurs ports sans publicité ni mise en concurrence, conformément aux articles L. 2511-1 et suivants (pour les marchés publics) et L. 3211-1 et suivants (pour les concessions) du code de la commande publique relatifs aux contrats de quasi-régie (ou contrats in house)5(*). Toutefois, ces contrats devront remplir trois conditions cumulatives pour que cette relation de quasi-régie soit retenue :

- le contrôle exercé par le ou les pouvoirs adjudicateurs sur le ou leur cocontractant doit être analogue à celui qu'ils exercent respectivement sur leurs propres services ;

- l'activité du cocontractant doit être principalement consacrée à ce(s) pouvoir(s) adjudicateur(s) ;

- la personne morale contrôlée ne comporte, en principe, pas de participation directe de capitaux privés, à l'exception des formes de participation de capitaux privés, sans capacité de contrôle ou de blocage requise par la loi, qui ne permettent pas d'exercer une influence décisive sur cette personne.

Seules les collectivités locales et leurs groupements (communauté urbaine, d'agglomération, de communes, syndicat intercommunal...) peuvent être actionnaires d'une SPL. Les établissements publics et autres organismes publics ou parapublics, eux, ne peuvent pas participer au capital d'une SPL, ce qui exclut la prise de participation des chambres de commerce et d'industrie (CCI), contrairement à ce que permet la société portuaire.

Pourtant, les CCI jouent un rôle important dans la gestion des infrastructures (575 sur le territoire national) et plus particulièrement des infrastructures portuaires. Les CCI ont souvent créé et géré ces ports depuis leur origine (comme le port de Roscoff-Bloscon dont les investissements ont été réalisés depuis sa création en 1969 par la CCI). Elles ont la compétence technique, la connaissance économique du territoire, la proximité des entreprises locales de divers secteurs (commerce, industrie, pêche...), ainsi qu'une capacité de projection à l'international, par le biais du réseau des CCI à l'étranger. À ces titres, elles ont toute la légitimité et l'expertise pour être actionnaires des sociétés portuaires.

La participation des CCI à la gestion des ports français

En France métropolitaine et en outre-mer, ce sont 116 ports qui sont gérés par le réseau des CCI, dans 14 régions sur 17 concernées. Certaines régions sont particulièrement représentées : 27 ports sont gérés en Bretagne, 19 en Normandie, 14 en Pays de la Loire ou encore 10 dans les Hauts de France.

Les modèles de gestion sont très variés et se répartissent comme suit :

- gestion déléguée par un tiers à la CCI : 50 % ;

- actionnariat minoritaire ou majoritaire : 19 % ;

- participation de la CCI à une structure mixte : 17 % ;

- gestion directe : 11 % ;

- gestion déléguée par la CCI à un tiers : 3 %.

S'agissant plus précisément des ports possédés par les collectivités ou d'organismes qui en dépendent, le réseau des CCI en gère 93, dont la gestion est répartie comme suit :

- gestion déléguée par un tiers à la CCI : 49 % ;

- actionnariat minoritaire ou majoritaire : 22 % ;

- participation de la CCI à une structure mixte : 20 % ;

- gestion directe : 9 %.

Source : CCI France

À l'inverse de la SPL, la SEM permet la prise de participation des CCI mais en raison de la participation de sociétés privées à son capital ne peut bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Le contrat de concession devra donc faire l'objet d'une procédure d'attribution avec mesures de publicité et mise en concurrence.

B. ...Qui ne profite qu'à un nombre limité d'autorités portuaires

Plusieurs projets de création de ce type de structure sont à l'étude, notamment en Bretagne, en raison, d'une part, de l'arrivée à échéance de plusieurs délégations de service public et, d'autre part, du souhait de créer des entités regroupant plusieurs ports de pêche pour en accroître la compétitivité et améliorer la résilience de leur gestionnaire.

Les auditions préparatoires de la rapporteure ont appelé à une vigilance particulière sur la situation des ports de pêche du pays de Cornouaille.

En effet, le département du Finistère a conclu un accord portuaire avec la Région Bretagne pour créer un Syndicat mixte permettant une gestion mutualisée de 7 ports de pêche à l'échelle de la Cornouaille. La compétence portuaire lui étant transférée par le département et la région pour les ports de Douarnenez, Audierne, Saint-Guénolé-Penmarc'h, Le Guilvinec, Lesconil, Loctudy et Concarneau (partie pêche plaisance). Ces ports représentent la première place de pêche fraîche française avec 20 % de la pêche nationale et la moitié de la pêche bretonne. Ils rassemblent 1 600 marins et près de 10 000 emplois dans les principaux domaines maritimes.

Ces ports de pêche, comme beaucoup de leurs homologues français, ont dû gérer plusieurs chocs exogènes : Brexit, Covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et dernièrement fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne pour protéger les dauphins communs des captures accidentelles.

La hausse des coûts et la baisse des volumes pèsent sur les concessionnaires qui exercent leurs activités « à leurs risques et périls » alors que leurs ressources financières baissent et que les besoins en investissements augmentent. Si une indemnisation du concessionnaire est envisageable au titre de la théorie de l'imprévision6(*), la fixation du montant de cette indemnisation donne lieu à des négociations fastidieuses entre le concessionnaire et son concédant et ne compense pas l'intégralité des pertes enregistrées par le concessionnaire.

La participation des collectivités, aux côtés de la CCI, permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations et des négociations entre concédant et concessionnaire et permettrait de renouveler les contrats de concessions sans que l'équilibre financier soit trouvé aux dépens du concédant ou de l'effort d'investissement. Toutefois, le droit en vigueur ne permet pas la création d'une société portuaire pour gérer de façon mutualisée ces 7 ports.

En effet, le champ d'application de l'article 35 de la loi de 2006 qui crée le modèle de société portuaire ne s'applique qu'aux 18 ports7(*) (17 métropolitains et 1 situé outre-mer) expressément visés à l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (dite « acte II de la décentralisation »). Il s'agit des anciens ports non autonomes de l'État ou ports d'intérêt national dont les compétences et la propriété ont été transférées aux collectivités territoriales, principalement les régions, en 2004.

Dans le cas des ports de pêche du Pays de Cornouaille, seul celui de Concarneau aurait pu être géré par une société portuaire, les 6 autres ports étant exclus alors qu'ils font partie du même bassin de pêche.

Pourtant, hormis les 11 grands ports maritimes et fluviomaritimes8(*) et les ports maritimes autonomes qui relèvent de l'État, tous les autres ports relèvent des collectivités territoriales et de leurs groupements9(*), comme suite à un processus successif de décentralisation.

En effet, jusqu'au 31 décembre 1983, tous les ports français relevaient de la seule compétence de l'État. Les articles 5 et 6 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État ont confié la gestion de certains d'entre eux aux collectivités territoriales.

Ainsi, les régions ont pu demander à exercer la compétence pour l'aménagement des ports et canaux fluviaux10(*). Les départements ont reçu compétence pour créer, aménager et exploiter 304 ports maritimes de commerce et de pêche. Enfin, les communes ont la responsabilité des quelques 228 ports « affectés exclusivement » à la plaisance. La loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale a autorisé le transfert de cette compétence aux établissements publics de coopération intercommunale. Restèrent de la compétence de l'État les ports autonomes, les ports d'intérêt national, ainsi que les ports maritimes contigus aux ports militaires.

L'article 104 de la loi 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a clarifié le transfert aux communes de tous les ports « dont l'activité dominante est la plaisance » et a autorisé les régions qui le demandaient à bénéficier, à titre expérimental, du transfert de la compétence sur les ports d'intérêt national.

L'article 30 de la loi de 2004 susmentionnée a transféré la propriété et la compétence de ces ports d'intérêt national aux collectivités territoriales ou à leurs groupements de leur ressort géographique.

Enfin, l'article 22 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRe ») a défini le cadre procédural d'un possible transfert de la propriété, de l'aménagement, de l'entretien et de la gestion des ports relevant des départements ou de groupements dont les départements sont membres aux autres collectivités territoriales ou groupements. Tous les ports départementaux étaient concernés par le dispositif et ce quel que soit leur type d'activité (commerce, pêche, plaisance).

Par exemple, avant cette loi, le département du Finistère avait la compétence sur 15 ports ayant une activité de pêche, de commerce ou de desserte des îles. Comme suite à la loi NOTRe, il a transféré à la Région Bretagne les ports de desserte des îles (Roscoff Vieux Port, Batz, Molène, Ouessant, Audierne-Sainte-Evette, Le Conquet, Sein) et les ports à dominante commerciale (Roscoff-Bloson et Concarneau)

On peut ainsi dénombrer plus de 600 ports décentralisés ou « territoriaux11(*) » : 470 ports de plaisance, 100 ports de pêche et halles à marée et 50 ports de commerce. Ces ports décentralisés représentent en 2024, 22 % du tonnage total de marchandises. Si ces ports sont peu présents sur le secteur du vrac liquide (4 %) et du conteneur (1 %), ils dominent le secteur roulier (75 % du transport de véhicules) et le transport de passagers (75 %). Certaines régions ne sont dotées que de ports décentralisés comme la Corse, la Bretagne et l'Occitanie. Une étude réalisée en 2022 par le cabinet Mensia pour le compte de l'Union des Ports de France portant sur les principaux ports décentralisés a indiqué que ce secteur génère une valeur ajoutée de 600 M€, uniquement en prenant en compte les activités directes, et emploie 11 000 personnes et 27 000 en ajoutant les emplois indirects. Ces ports ont rassemblé près de 2,1 milliards d'euros d'investissements entre 2015 et 2023.

Il serait opportun que les autorités portuaires, quel que soit le propriétaire du port12(*), puissent bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires alors que leur situation n'est guère différente des ports éligibles au dispositif de l'article 30 de la loi de 2004 précitée.

II. Un assouplissement du modèle de société portuaire pour en élargir le bénéfice

L'article unique propose d'élargir la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports en modifiant l'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports qui réglemente la création et le champ d'action de ces sociétés.

A. Permettre à toutes les autorités portuaires de ports décentralisés de recourir au modèle de société portuaire

L'article unique modifie le paragraphe I de l'article 35 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports (1° du paragraphe I).

Il en clarifie tout d'abord la rédaction en permettant aux collectivités locales et à leurs groupements de créer des sociétés dont l'activité principale serait d'assurer l'exploitation commerciale d'un ou plusieurs ports. Il qualifie également ces sociétés de « portuaires ». La rédaction actuelle mentionne seulement la possibilité de prendre des participations dans ces sociétés sans donner de qualification particulière à ces sociétés.

Il supprime ensuite le renvoi à l'article 30 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales de façon à ce qu'une société puisse être créée pour assurer l'exploitation commerciale de n'importe quel type de port (commercial, de pêche ou de plaisance). Ainsi, ne seraient plus seulement visés les 18 ports non autonomes transférés par l'État aux collectivités territoriales par la loi de 2004 : l'ensemble des ports décentralisés bénéficierait donc de la possibilité de recourir au modèle de la société portuaire.

Il permet enfin aux chambres de commerce et d'industrie, dans le ressort géographique desquelles les ports exploités se situent, de participer au capital de ces sociétés portuaires.

L'article unique procède à des coordinations au paragraphe II de l'article 35 de la loi susmentionnée, relatives aux possibilités de cession ou d'apport d'une concession à une société portuaire (2° du paragraphe I). La rédaction proposée supprime les références à la loi de 2004, compte tenu de l'élargissement du dispositif, et la mention des CCI, celle-ci n'étant plus utile compte tenu des modifications prévues au I (inscription du principe selon lequel les CCI peuvent participer au capital des sociétés portuaires).

Il précise enfin que les dispositions de l'article L. 3135-1 du code de la commande publique relatif aux modalités de modification des contrats de concession sans nouvelle procédure de mise en concurrence ne s'appliquent pas lors de la cession ou de l'apport de la concession à la société portuaire.

B. Mettre à jour des références obsolètes

1) L'article unique met à jour les références du paragraphe III de l'article 35 de la loi de 2006 susmentionnée (3° du paragraphe I)

En effet, ce paragraphe exclut l'application de certains articles de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (dite loi « Sapin ») aux opérations d'attribution, de cession ou d'apport de concession réalisées. Il s'agit :

- des deuxième à cinquième alinéas de l'article 38 de cette loi, relatifs aux obligations de procédures de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumises les délégations de service public

- des deuxième à quatrième alinéas de l'article 40 de cette loi, relatifs aux conditions de prolongation de ces délégations de service public.

Cependant, ces deux articles ont été abrogés par l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, elle-même abrogée par l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative du code de la commande publique qui a codifié ces dispositions.

En conséquence, il est proposé de mentionner les dispositions codifiées qui sont en vigueur :

- le titre II du livre Ier de la troisième partie du code de la commande publique relatif à la procédure de passation des contrats de concession (articles L. 3120-1 à L. 3126-3 du code de la commande publique)

- le chapitre préliminaire et le chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales relatifs aux règles générales applicables aux contrats de concession et aux délégations de service public (articles L. 1410-1 à L. 1410-3 et L. 1411 1 à L. 1411-19 du code général des collectivités territoriales)

2) L'article unique précise également la rédaction et met à jour certaines références du IV de l'article 35 de la loi de 2006 susmentionnée, qui fixe les modalités de mise à disposition des agents publics affectés à la concession (4° du paragraphe I)

D'une part, le dispositif précise que ces modalités ne s'appliquent qu'aux agents publics transférés lors de la cession ou de l'apport de la concession et non à l'ensemble des agents publics affectés à la concession.

D'autre part, il met à jour la référence au code du travail s'agissant du transfert des contrats de travail en cours des salariés de droit privé entre l'ancien concessionnaire-employeur et la société portuaire. En effet, la rédaction actuelle de l'article 35 mentionne les dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail qui ont été abrogées par l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail depuis le 1er mars 2008. Le dispositif remplace donc cette référence par celle de l'article L. 1224-1 du code du travail qui reprend ces dispositions.

C. Gages financiers

Les deux derniers paragraphes de l'article unique (II et III) constituent des gages financiers pour tenir compte des conséquences financières pour les collectivités territoriales et pour l'État du I.

Le premier compense les éventuelles conséquences financières pour les collectivités territoriales par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

Le second compense les éventuelles conséquences financières pour l'État par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs.

III. La position de la commission : assurer la conformité du dispositif au droit européen de la commande publique

La commission souscrit pleinement à l'objectif et aux modalités pour y parvenir définies à l'article unique de la proposition de loi afin de permettre aux collectivités territoriales et à leurs groupements de recourir au modèle de société portuaire pour exploiter leurs ports.

L'article unique prévoit une mise à jour, à droit constant des références au droit de la commande publique. Pour autant, il est apparu nécessaire que cette mise en cohérence respecte les exigences imposées par le droit européen de la commande publique et notamment les dispositions de l'article 4313(*) de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession. En effet, les opérations d'attribution et de modification des contrats de concession ne peuvent pas être dispensées des procédures de mise en concurrence sans une appréciation au cas par cas.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement (COM-1) pour supprimer les dérogations aux obligations de publicité et de mise en concurrence figurant aux alinéas 614(*) et 715(*) de l'article unique de cette proposition de loi.

La commission a adopté l'article unique ainsi modifié.

TRAVAUX EN COMMISSION

Désignation du rapporteur
(Mercredi 21 mai 2025)

M. Jean-François Longeot, président. - J'en viens au troisième point de notre ordre du jour. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à élargir la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports, déposée le 10 février dernier par notre collègue Nadège Havet ainsi que par Michel Canévet et Yves Bleunven, ses collègues du Finistère et du Morbihan, membres du groupe Union centriste.

En s'inspirant du modèle des sociétés aéroportuaires créées par l'article 7 de la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports a donné la possibilité aux collectivités territoriales et leurs groupements de prendre des participations dans des sociétés portuaires dont l'activité principale est d'assurer l'exploitation commerciale d'un ou plusieurs ports situés dans leur ressort géographique.

C'est suivant ce modèle « économique » que la Société Portuaire « Brest Bretagne » - renommée « Brest Port » -ou la société portuaire « Port de Bayonne » ont été créées avec des prises de participation des collectivités territoriales et des chambres de commerce et d'industrie (CCI) anciennement concessionnaires de ces ports. Ces sociétés portuaires sont ainsi dotées d'une assise financière large qui permet le financement des investissements d'infrastructures, de modernisation ou de transition que les CCI n'étaient pas en mesure de porter seules.

Plusieurs projets de création de ce type de structure sont à l'étude, notamment en Bretagne, en raison, d'une part, de l'arrivée à échéance de plusieurs délégations de service public et, d'autre part, du souhait de créer des entités regroupant plusieurs ports de pêche, pour gérer, par exemple, les ports de pêche de Roscoff à Saint-Brieuc ou la pêche en Cornouaille.

Toutefois, le droit en vigueur ne permet pas la création de sociétés portuaires dans ces cas d'espèce. En effet, l'article 35 de la loi de 2006 que j'ai citée ne concerne que les 18 ports (17 métropolitains et 1 en outre-mer) mentionnés à l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales - c'est-à-dire les anciens ports non autonomes de l'État transférés aux collectivités territoriales, principalement les régions, en 2007. Or, depuis cette date, de nombreux autres ports ont été transférés aux collectivités territoriales, notamment en application de la loi NOTRe de 2015, sans pouvoir pour autant bénéficier de cette possibilité.

L'objectif principal de cette loi est donc de permettre à toutes les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire et, ainsi, d'avoir les capacités pour investir afin d'améliorer la performance économique, environnementale et sociale de leurs ports.

Cette proposition de loi s'inscrit et complète le travail « au long cours » de notre commission dont l'ambition est de contribuer à ce que la performance de nos ports soit en adéquation avec les atouts maritimes de la France. Les travaux de notre collègue Didier Mandelli en témoignent. Il avait en effet été rapporteur, en 2021, avec notre ancienne collègue Martine Filleul de la mission d'information sur la première stratégie nationale portuaire (SNP) et, la même année, rapporteur de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français. Cette proposition de loi était la traduction législative des recommandations du rapport d'information de notre ancien collègue Michel Vaspart. Depuis son adoption par le Sénat, ce texte qui n'a pas connu de suite n'est toujours pas arrivé à bon port si j'ose dire.

Le Président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) a demandé l'inscription de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports à l'ordre du jour du Sénat. Le Gouvernement a donné une suite favorable à cette demande en l'inscrivant à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservée par priorité et, signal positif, en engageant la procédure accélérée le 14 mai dernier.

L'examen de ce texte en commission est prévu mercredi 11 juin prochain et en séance publique mercredi 18 juin.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature de l'auteure de la PPL, notre excellente collègue Nadège Havet et je vous propose de la désigner en qualité de rapporteure.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Examen du rapport
(Mercredi 11 juin 2025)

M. Jean-François Longeot, président. - J'en viens à notre dernier point d'ordre du jour et nous abordons l'examen de la proposition de loi élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports et je cède à la parole à notre collègue Nadège Havet qui va nous présenter ses travaux préparatoires.

Ce texte a été déposé le 10 février dernier par notre collègue Nadège Havet, qui en est également rapporteure, M. Michel Canévet, sénateur du Finistère, et M. Yves Bleunven, sénateur du Morbihan, tous deux membres du groupe Union Centriste.

Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au lundi 16 juin prochain à 12 heures. L'examen en séance publique aura lieu le mercredi 18 juin au cours de l'après-midi. Je vous rappelle que le président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) a demandé l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour des travaux du Sénat, le Gouvernement a donné une suite favorable à cette demande en l'inscrivant à l'ordre du jour d'une semaine qui lui est réservée par priorité et, signal positif, en engageant la procédure accélérée le 14 mai dernier.

Cette proposition de loi complète le travail au long cours de notre commission dont l'ambition est de tout mettre en oeuvre pour que la performance de nos ports soit en adéquation avec les atouts maritimes de la France. Nos précédents travaux de 2021, qu'il s'agisse du rapport d'information relatif à la première stratégie nationale portuaire (SNP) ou de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français toujours en attente d'examen par nos homologues de l'Assemblée nationale, portaient principalement sur l'organisation et le développement de nos grands ports maritimes. La proposition de loi que nous examinons s'intéresse plus particulièrement à nos ports décentralisés, maillons essentiels de l'aménagement et de l'emploi de nos territoires côtiers.

En effet, son objectif est de permettre à tous ces ports de bénéficier de la possibilité de créer des sociétés portuaires pour assurer leur exploitation.

Si cette possibilité a déjà été utilisée par les régions Bretagne et Nouvelle-Aquitaine pour la gestion du port de Brest et du port de Bayonne, l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports réservait cette possibilité aux 18 ports - 17 ports métropolitains et 1 port en outre-mer - non autonomes et d'intérêt national dont la propriété et la compétence de gestion avaient été transférées par l'État aux collectivités territoriales et à leur groupement par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales lors de l'acte II de la décentralisation.

Rien ne s'oppose à ce que cette limitation soit supprimée. Hormis les 11 grands ports maritimes et quelques ports d'intérêt particulier relevant encore de l'État, la compétence de création, d'aménagement et d'exploitation des ports maritimes, et pour certains d'entre eux la propriété, ont été transférées aux collectivités territoriales par les lois de décentralisation de 1983 et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe. Elles doivent pouvoir, si elles le souhaitent, utiliser cet outil polyvalent. C'est tout l'objet de cette proposition de loi.

Je salue le travail de la rapporteure Nadège Havet.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, ce texte vise avant tout nos ports maritimes décentralisés.

On peut en dénombrer plus de 600 en France, dont 470 ports de plaisance, 100 ports de pêche et halles à marée et 50 ports de commerce. Si ces ports décentralisés ne représentaient, en 2024, que 22 % du tonnage total de marchandises, 78 % passant par les grands ports maritimes, ils dominent à hauteur de 75 % le secteur du transport roulier et du transport de passagers. Certaines régions ne sont d'ailleurs dotées que de ports décentralisés, comme la Corse, la Bretagne et l'Occitanie.

Si ces ports sont un maillon essentiel pour le développement économique et l'attractivité de nos territoires, la loi de 2006 limite à 18 d'entre eux la possibilité d'être gérés par une société portuaire. Pourtant, le modèle de société portuaire permet de renforcer l'implication des collectivités territoriales concédantes et leur participation dans la stratégie de développement de leurs ports en devenant concessionnaires. La participation des collectivités dote également ces sociétés portuaires d'une assise financière large qui permet le financement des investissements d'infrastructures, de modernisation ou de transition que les chambres de commerce et d'industrie (CCI) n'étaient pas ou plus en mesure de porter seules.

Le modèle de société portuaire présente en outre de nombreux avantages par rapport aux autres modèles à la disposition des collectivités. À la différence du modèle de la société publique locale, il permet aux CCI de participer à son capital. Celles-ci peuvent ainsi apporter à la société portuaire leur expertise, leur connaissance du tissu économique de proximité et leur capacité de projection à l'international. À la différence du modèle de société d'économie mixte, il permet, si les conditions du code de la commande publique sont remplies, de bénéficier des dérogations liées aux contrats de quasi-régie. Ainsi, le contrat de concession, en cas de recours au modèle de la société portuaire, ne devra pas faire l'objet d'une procédure de mise en concurrence.

Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple des ports de pêche du pays de Cornouaille, qui sont à l'origine de cette proposition de loi. Ces 7 ports de pêche représentent la première place de pêche fraîche française avec 20 % de la pêche nationale et la moitié de la pêche bretonne. Ils rassemblent 1 600 marins et près de 10 000 emplois dans les principaux domaines maritimes. Ces ports de pêche, comme beaucoup de leurs homologues français, ont dû faire face à plusieurs chocs exogènes : Brexit, covid, flambée du prix des carburants, plan de sortie de flotte et dernièrement fermeture spatio-temporelle du golfe de Gascogne pour protéger les dauphins communs des captures accidentelles.

La hausse des coûts et la baisse des volumes pèsent sur le concessionnaire qui exerce cette activité « à ses risques et périls » alors que ses ressources financières baissent et que les besoins en investissements augmentent. Si une indemnisation du concessionnaire est envisageable au titre de la théorie de l'imprévision, la fixation du montant de cette indemnisation donne lieu à des négociations fastidieuses entre le concessionnaire et son concédant et ne compense pas toutes les pertes enregistrées par le concessionnaire.

La participation des collectivités aux côtés de la CCI permettrait ainsi une mutualisation des risques, une simplification des relations et des négociations entre concédant et concessionnaire, et permettrait de renouveler les contrats de concessions sans que l'équilibre financier soit trouvé aux dépens du concédant ou de l'effort d'investissement. Toutefois, le droit en vigueur ne permet pas la création d'une société portuaire pour gérer de façon mutualisée ces 7 ports.

Il convient de faire sauter ce verrou législatif qui ne se justifie plus. L'objet de cette proposition de loi n'est pas de supprimer les autres modèles de gestion déjà cités, mais de permettre à toutes les collectivités qui, après une étude des coûts et des avantages des différents modèles et en fonction de leurs particularismes locaux, trouveraient le modèle de la société portuaire le plus pertinent, de le faire.

En conséquence, l'article unique de ce texte vise à modifier l'article 35 de la loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports qui instaure le modèle de société portuaire. Il supprime la référence à l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui en limite le champ. Il clarifie et met en cohérence les autres dispositions de l'article 35 de la loi de 2006 précitée pour tenir compte de cette suppression. Enfin, il met à jour, à droit constant, les références à des articles abrogés de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite Sapin, et du code du travail.

Je vous proposerai un amendement visant à rendre cette dernière mise à jour compatible avec les exigences qui découlent du droit européen de la commande publique, notamment les mesures de mise en concurrence lors des opérations d'attribution ou de modification des contrats de concession.

M. Michel Canévet, auteur de la proposition de loi. - Il y a eu dans le domaine portuaire de grandes lois de décentralisation. À l'issue de la première vague de décentralisation qui s'est achevée en 1986, un certain nombre de ports de pêche ont été transférés aux collectivités territoriales. Puis, en 2004, une seconde vague de décentralisation a visé les principaux ports d'intérêt national. La loi de 2006 a institué les sociétés portuaires pour gérer de façon optimale les ports ainsi transférés. Toutefois, le périmètre de cette loi est trop restreint, puisqu'il ne concerne que les ports transférés en 2004. Dans la mesure où le dispositif de sociétés portuaires est adapté spécifiquement à la gestion des ports, nous avons souhaité que l'ensemble des ports de notre pays puisse en bénéficier. Tel est l'objet de notre proposition de loi.

M. Jean-François Longeot, président. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives à la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports ; à la possibilité pour les chambres de commerce et d'industrie de participer au capital d'une société portuaire ; aux modalités de cession ou d'apport d'une concession à une société portuaire et aux conséquences sur les contrats et conventions des personnels transférés.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Comme je l'ai indiqué lors de la présentation de mon rapport, les alinéas 6 et 7 de l'article unique de la proposition de loi qui nous est soumise tirent les conséquences, à droit constant, de l'abrogation des articles 38 et 40 de la loi Sapin, mentionnés dans la loi de 2006.

Toutefois, il est apparu nécessaire que cette mise à jour respecte les exigences imposées par le droit européen de la commande publique, notamment les dispositions de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession. En effet, les opérations d'attribution et de modification des contrats de concession ne peuvent pas être dispensées des procédures de mise en concurrence sans une appréciation au cas par cas.

L'amendement COM-1 vise donc à rendre conformes les dispositions de cette proposition de loi au droit européen de la commande publique en supprimant les dérogations envisagées.

Ces opérations d'attribution ou de modification des contrats de concession pourront toutefois toujours être réalisées sans être précédées d'une procédure de mise en concurrence si elles remplissent les conditions de la quasi-régie, telles qu'elles sont prévues dans le code de la commande publique.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de la commission est repris dans le tableau ci-dessous :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme HAVET, rapporteure

COM-1

Mise en conformité avec le droit européen de la commande publique

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie16(*) ».

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie17(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte18(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial19(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 11 juin 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 319 (2024-2025) élargissant la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports.

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives :

- À la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements d'avoir recours au modèle de la société portuaire pour l'exploitation de leurs ports ;

- À la possibilité pour les chambres de commerce et d'industrie (CCI) de participer au capital d'une société portuaire ;

- Aux modalités de cession ou d'apport d'une concession à une société portuaire et aux conséquences sur les contrats et conventions des personnels transférés.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 27 mai 2025

- Conseil départemental du Finistère : M. Maël DE CALAN, président du Conseil départemental du Finistère et Mme Virginie GUIEAU, conseillère au cabinet du Président.

Lundi 2 juin 2025

- Région Bretagne : Mme Céline THINSELIN, directrice de la préfiguratrice des ports de pêche breton.

Jeudi 5 juin 2025

- Directoire du port de Bayonne : MM. Pascal MARTY, président du directoire et Bruno VIGNES, Directeur Général Délégué de la Société Portuaire Port de Bayonne.

- Ministères de la transition écologique, de la cohésion des territoires et de la mer - Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités : Mme Stéphanie CUBIER, directrice des ports, MM. Raphaël DUFAU, chef du bureau de la réglementation portuaire et Nicolas BINA, conseiller élus et communication.

- CCI du Finistère : M. Claude RAVALEC, président de la CCI du Finistère, Mme Sophie DORSNER, directrice générale, MM. Christophe HAMEL, directeur des équipements et Mériadec Le MOUILLOUR, ancien directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie métropolitaine Bretagne ouest (CCIMBO) et ancien président du directoire de la société portuaire Brest Bretagne (SPBB).

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

- Chambre de commerce et d'industrie (CCI) France

- Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Direction des affaires juridiques (DAJ)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-319.html


* 1 Introduit par un amendement des sénateurs Jean-François Le Grand et Charles Guéné. Le premier avait d'ailleurs déposé une proposition de loi (n° 383, 2024-2025) relative à la création de sociétés portuaires le 8 juin 2005.

* 2 La région Occitanie est actionnaire (34 %) avec la Banque des territoires (15 %) à 49 % du capital de la société d'économie mixte à opération unique portuaire qui opère le port de Port-la-Nouvelle depuis le 1er mai 2021. Les 51 % restant sont détenus par Nou Vela, un groupement d'actionnaires privés. La création de ces sociétés mixtes à opération unique (SEMOP) est régie par les articles L. 1541-1 et suivants du CGCT.

* 3 Articles créés par la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 pour le développement des sociétés publiques locales.

* 4 Dispositions créées par la loi n° 83-597 du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixte locales et codifiées par la loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du code général des collectivités territoriales.

* 5 La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) avait reconnu en 1999 l'existence de ces contrats : considérant 50 de l'arrêt de la CJCE du 18 novembre 1999, Teckal, Aff. C-107/98. Cette jurisprudence avait été reprise et précisée à l'article 12 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

* 6 Théorie créée par le juge administratif dans sa décision du Conseil d'État du 30 mars 1916 Compagnie Générale d'Éclairage de Bordeaux et codifiée au 3° de l'article L. 6 du code de la commande publique qui en précise les conditions : « Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l'équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l'exécution, a droit à une indemnité ».

* 7 Il s'agit des ports de Calais, Boulogne-sur-Mer, Dieppe, Caen-Ouistreham, Cherbourg, Saint-Malo, Brest, Le Fret, Roscanvel, Concarneau, Lorient, La Rochelle (le port de pêche), Bayonne, Port-la-Nouvelle, Sète, Toulon, Nice et Le Larivot (en Guyane). Les ports d'Ajaccio et de Bastia avaient déjà été décentralisés par la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse. D'ailleurs, le Sénat a adopté le 2 juin 2025, un projet de loi portant création de l'établissement public de commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse doté d'un statut particulier permettant la gestion en quasi-régie des ports et aéroports de la collectivité.

* 8 Il s'agit de Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille, Haropa Port, les grands ports de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe et Port-Réunion. On peut également prendre en compte le port d'intérêt national relevant de l'État de Saint-Pierre-et-Miquelon.

* 9 Articles L. 5311-1 du code des transports. Le port de Port-Cros relève pour son aménagement, son entretien et sa gestion de l'Établissement public du parc national de Port-Cros.

* 10 Seules trois régions avaient décidé d'exercer cette compétence : la Bretagne, les Pays de la Loire et la Picardie.

* 11 Selon les mots d'Alain Bazille, Président de l'Association nationale des ports maritimes territoriaux (ANPMT) et Vice-Président de la Seine-Maritime.

* 12 Soit l'État soit la collectivité territoriale selon l'infrastructure visée.

* 13 Les dispositions de cet article sont notamment transposées en droit français à l'article L. 3135-1 du code de la commande publique auxquelles la proposition de loi souhaite déroger.

* 14 Dérogation aux dispositions de l'article L. 3135-1 du code de la commande publique.

* 15 Dérogation aux dispositions du titre II du livre Ier de la troisième partie du code de la commande publique ainsi que du chapitre préliminaire et du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales.

* 16 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 -- Loi portant réforme des retraites.

* 17 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 18 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 19 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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