N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 6a
Cohésion des territoires - Logement et ville

(Programmes 177 «  Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », 109 « Aide à l'accès au logement », 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et 147 « Politique de la ville »)

Rapporteur spécial : M. Jean-Baptiste BLANC

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Sur les principales politiques conduites dans le cadre des programmes 177, 109, 135 et 147 relatifs au logement et à l'urbanisme (logement d'abord, logement social et intermédiaire, renouvellement urbain...), les gouvernements successifs depuis 2022 ne parviennent pas à renverser une situation de crise.

2. Le nombre de places dans le parc d'hébergement d'urgence se maintient à son niveau historique de 203 000 places, signe d'une incapacité du gouvernement à déployer un véritable parcours pour le logement.

3. Il est urgent de rendre plus sincère la prévision budgétaire sur le programme 177, alors que le nombre de places se stabilise. Ce programme est en effet chroniquement sous-budgété.

4. L'accueil des réfugiés d'Ukraine s'inscrit dans le temps long et la politique de retour dans le droit commun doit être saluée. Néanmoins, cette politique manque toujours de lisibilité budgétaire, ce qui empêche de tracer le coût de cette action.

5. Les différentes réformes dans le calcul des aides au logement ont été mises en oeuvre avec efficacité et ont permis des économies budgétaires substantielles. Il convient néanmoins de perfectionner les modèles de prévision budgétaire pour ces aides, car la consommation a été largement moins importante que la budgétisation en 2024.

6. Le nombre d'agréments de logements sociaux remonte légèrement, après un niveau bas record, hors crise sanitaire, en 2023. La crise du logement perdure cependant, dans le contexte problématique d'une absence de financement du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP) après 2026.

7. Face aux lourds engagements liés à la mise en oeuvre du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), la participation de l'État est à nouveau repoussée aux années futures.

I. UNE EXÉCUTION QUI A MOBILISÉ LÉGÈREMENT MOINS DE CRÉDITS EN 2024 MALGRÉ UN MONTANT OUVERT SUPÉRIEUR À CELUI DE 2023

La mission « Cohésion des territoires » est composée de six programmes portant des politiques de natures diverses, allant de la politique du logement à celle de l'aménagement du territoire :

- le programme 109 « Aide à l'accès au logement » porte principalement les crédits des aides personnelles au logement ;

- le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » porte les subventions pour charges de service public allouée aux deux opérateurs rattachés (l'Agence nationale de cohésion des territoires et Business France) et comprend le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) qui finance une partie des contrats de plan État-régions, ainsi que divers dispositifs, dont « France Services » ;

- le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » finance, via des fonds de concours, les aides à la pierre et, au moyen de crédits budgétaires, d'autres actions relatives au logement, à la construction, à l'urbanisme et à l'aménagement ;

- le programme 147 « Politique de la ville » porte les moyens de l'État consacrés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et au nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) ;

- le programme 162 « Interventions territoriales de l'État » (PITE) portait, jusqu'en 2024, huit actions spécifiques de portée régionale ou interrégionale (il n'en compte plus que sept depuis 2025) ;

- le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » vise à répondre aux situations d'hébergement d'urgence et à permettre l'accès au logement.

A. LA MISSION « COHÉSION DES TERRITOIRES » REGROUPE DES POLITIQUES VARIÉES BIEN QUE LES CRÉDITS OUVERTS AIENT PROGRESSÉ DE 7 % AVEC UNE EXÉCUTION EN TRÈS LÉGÈRE DIMINUTION

Les crédits exécutés de la mission « Cohésion des territoires » se sont élevés en 2024 à 18,49 milliards d'euros en crédits de paiement, contre 18,51 milliards d'euros un an plus tôt, ce qui représente une très légère diminution de 0,1 %. Cela correspond à une sous-consommation d'environ 1 milliard d'euros par rapport aux 19,5 milliards d'euros de crédits ouverts en loi de finances initiale. En autorisations d'engagement, la diminution est légèrement plus marquée : 18,69 milliards d'euros en 2024 contre 18,83 milliards d'euros en 2023, soit une baisse de 0,7 %, ce qui représente environ 1,5 milliard d'euros de moins que les autorisations d'engagement ouvertes en loi de finances initiale - 20,2 milliards d'euros en tout.

Évolution des crédits de la mission « Cohésion des territoires » en 2024

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

2023

Exécution 2023 /

LFI 2023

2024

Exécution 2024 / LFI 2024

Exécution

   

2024 / 2023

   

LFI

Exécution

en volume

en %

LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

AE

2 825,8

3 068,7

+ 242,9

+ 8,6 %

2 900,9 

3 103,5

+ 202,6 

+ 7,0 %

+ 34,8 

+ 1,1 %

CP

2 850,6

3 076,5

+ 225,9

+ 7,9 %

2 925,7

3 131,3

+ 205,6 

+ 7,0 %

+ 54,8 

+ 1,8 %

109 - Aide à l'accès au logement

AE

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

13 656,4

13 102,2

- 554,2 

- 4,1 %

- 188,6 

- 1,4 %

CP

13 371,3

13 290,8

- 80,5

- 0,6 %

13 656,4

13 102,2

- 554,2 

- 4,1 %

- 188,6 

- 1,4 %

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

AE

1 567,1

1 395,6

- 171,5

- 10,9 %

2 459,5

1 466

- 993,5 

- 40,4 %

+ 70,4 

+ 5,0 %

CP

1 145,8

1 089,2

- 56,6

- 4,9 %

1 867,7

1 217,9

- 649,8 

- 34,8 %

+ 128,8 

+ 11,8 %

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

AE

380,8

396,8

+ 16,1

+ 4,2 %

444,9

396,8

- 48,1 

- 10,8 %

- 0,1 

- 0,0 %

CP

313,8

340,1

+ 26,3

+ 8,4 %

395,5

379,6

- 15,9 

- 4,0 %

+ 39,5 

+ 11,6 %

147 - Politique de la ville

AE

597,9

565,4

- 32,5

- 5,4 %

640

523,9

- 116,1 

- 18,1 %

- 41,5 

- 7,3 %

CP

597,9

565,5

- 32,4

- 5,4 %

640

524,1

- 115,9 

- 18,1 %

- 41,4 

- 7,3 %

162 - Interventions territoriales de l'État

AE

158,0

116,4

- 41,6

- 26,4 %

100,6

103,5

+ 2,9 

+ 2,8 %

- 12,9 

- 11,1 %

CP

104,5

148,5

+ 44,0

+ 42,1 %

53,2

141,9

+ 88,7 

+ 167,0 %

- 6,6 

- 4,5 %

Total mission

AE

18 900,9

18 833,7

- 67,1

- 0,4 %

20 202,4

18 695,9

- 1 506,5 

- 7,5 %

- 137,8 

- 0,7 %

CP

18 383,8

18 510,6

+ 126,8

+ 0,7 %

19 538,5

18 497,1

- 1 041,4 

- 5,3 %

- 13,5 

- 0,1 %

Note : AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. LFI : budgétisation en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement ou de résultats de la gestion.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette diminution se traduit néanmoins par un rythme de consommation des crédits très varié en fonction des programmes :

- les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » poursuivent leur augmentation, avec 205,6 millions d'euros en crédits de paiement consommés de plus en 2024 après une augmentation de 34,8 millions d'euros en 2023 et de 207,9 millions d'euros en 2022 ;

- les crédits du programme 162 « Interventions territoriales de l'État », bien qu'ayant connu en 2024 une diminution importante tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement ouverts, ont largement dépassé les prévisions initiales (167 % au-delà de la prévision initiale en crédits de paiement, soit un dépassement en exécution de 88,7 millions d'euros, bien au-dessus des 53,2 millions d'euros qui avaient été ouverts en LFI), en raison d'une structure de crédits constituée en grande partie par des reports, des transferts en gestion et des crédits de fonds de concours. Comme chaque année, le périmètre et la structure du programme rendent les comparaisons avec les exercices précédents peu probants, mais il faut aussi souligner que c'est l'une des contreparties de la souplesse du PITE. Au global, si l'on compare l'exécution constatée en 2024 à celle de 2023, la baisse en autorisations d'engagement atteint 11,1 % et celle en crédits de paiement est de 4,5 % ;

- les crédits des programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » connaissent une trajectoire diamétralement différente de celle du programme 162 puisqu'ils sont caractérisés en 2024 par une importante sous-exécution par rapport aux crédits initialement ouverts, alors même que le niveau d'exécution constaté dépasse, pour ces deux programmes, celui de 2023 ;

- enfin, les crédits des programmes 109 « Aide à l'accès au logement » et 147 « Politique de la ville » sont en diminution en volume exécuté, respectivement de 1,4 % et 7,3 %, en AE comme en CP.

La très grande majorité des crédits de la mission correspond à des dépenses largement contraintes : il s'agit de dépenses de guichet (les aides au logement du programme 109 représentent 75 % des crédits de la mission en 2023), ou de dépenses fortement déterminées par l'évolution de la situation économique et sociale (dépenses d'hébergement et de veille sociale portées par le programme 177) et donc difficilement pilotables.

La mission comporte très peu de dépenses de personnel, même si celles-ci ont connu une importante hausse sur l'exercice 2024 en raison du remboursement, financé sur le programme 112, des administrations qui mettent à disposition du personnel exerçant les missions des nouveaux chefs de projets « villages d'avenir » (4 192 740 euros exécutés en AE comme en CP en 2024 pour 8 millions d'euros ouverts).

Désormais, deux programmes comportent donc des dépenses de personnel : le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » comme indiqué, ainsi que le programme 147 « Politique de la ville », qui comprend une partie de la masse salariale des délégués du préfet. Sur le programme 147, les dépenses de personnel sont quasiment stables (passant de 1 347 086 euros en 2023 à 1 387 402 euros en 2024, aussi bien en AE qu'en CP). Au global, la mission affiche donc un total de dépenses de personnel de 5 580 142 euros exécutés, soit une hausse importante de 314 % mais qui demeure limitée en valeur absolue (+ 4 millions d'euros environ) puisque l'essentiel des dépenses de personnel en lien avec les activités de la mission « Cohésion des territoires » est en fait porté par la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Enfin, il faut souligner les effets importants des mouvements infra-annuels de gestion sur les crédits de la mission.

On relèvera en premier lieu l'annulation de plus de 736 millions d'euros, en AE comme en CP, avec le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. Ces annulations, intervenues moins de six semaines après la promulgation de la loi de finances pour 2024, ont touché tous les programmes de la mission à l'exception du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » dont le besoin de financement s'est une nouvelle fois traduit par l'ouverture de moyens supplémentaires en loi de finances de fin de gestion (cf. infra).

Montant des AE et des CP annulés par le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits, par programme

(en euros)

 

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement annulés

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

-

-

109 - Aide à l'accès au logement

300 000 000

300 000 000

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

358 922 453

358 922 453

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

26 114 412

26 114 412

147 - Politique de la ville

49 064 685

49 064 685

162 - Interventions territoriales de l'État

2 698 796

2 698 796

Total mission

736 800 346

736 800 346

Source : Commission des finances du Sénat à partir du décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits

En second lieu, la loi de finances de fin de gestion (LFG) du 6 décembre 2024 a eu pour effet de réduire, au total, les moyens alloués à la mission de 350,8 millions d'euros en AE et de 434,9 millions d'euros en CP.

AE et des CP ouverts et annulés en loi de finances de fin de gestion

(en euros)

 

Autorisations d'engagement ouvertes

Autorisations d'engagement annulées

Crédits de paiement ouverts

Crédits de paiement annulés

177 - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables

250 000 000

-

250 000 000

-

109 - Aide à l'accès au logement

-

224 191 058

-

224 191 058

135 - Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat

-

302 078 062

-

381 314 440

112 - Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire

-

20 033 674

-

18 033 674

147 - Politique de la ville

-

51 397 930

-

51 397 930

162 - Interventions territoriales de l'État

-

3 067 420

-

9 996 069

Total mission

250 000 000

600 768 144

250 000 000

684 933 171

Différentiel entre les ouvertures et les annulations en LFG

- 350 768 144

- 434 933 171

Source : Commission des finances du Sénat à partir de la loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024

Ce total résulte d'un double effet ayant consisté à :

ouvrir 250 millions d'euros supplémentaires, en AE comme en CP, destinés à abonder le programme 177 afin de maintenir le nombre de places du parc d'hébergement que le gouvernement s'est engagé à maintenir ouvertes. Cette ouverture n'était en rien surprenante puisque la mission d'information de la commission des finances sur la dégradation des comptes publics depuis 2023 avait constaté1(*) que l'insuffisance des crédits ouverts en 2024 était connue du Gouvernement avant même la promulgation de la loi de finances initiale et le ministre en charge du logement avait, dès le 8 janvier 2024, annoncé un besoin de crédits supplémentaires de 120 millions d'euros. La mission avait aussi constaté que s'y ajouteraient d'autres dépenses d'un montant au moins équivalent, aboutissant à l'ouverture de crédits ici rappelée ;

annuler un total de 600,8 millions d'euros en AE et 684,9 millions d'euros en CP sur les autres programmes.

Prévision et exécution des crédits du programme 177
« Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables »

Source : commission des finances, à partir des lois de finances initiales, des lois de règlement et du projet de loi de fin de gestion

Au total, les annulations de crédits opérées en février puis en fin de gestion ont représenté 6,8 % des AE (soit 1,34 milliard d'euros) et 7,41 % des CP (soit 1,42 milliard d'euros) votés en LFI. Bien que le volume d'annulation de crédits soit important, il n'a pas pénalisé l'exécution budgétaire des programmes les plus concernés par ces mesures, du fait d'estimations de dépenses assez supérieures aux besoins.


* 1 Le rapport d'information n° 685 (2023-2024) de la mission d'information, déposé le 12 juin 2024, intitulé « Dégradation des finances publiques : entre pari et déni » est disponible en ligne.

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