N° 91

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 octobre 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89,

Par Mme Lauriane JOSENDE,

Sénatrice








(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Laurence Harribey, Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, Lauriane Josende, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, MM. Marc Séné, Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

551 (2024-2025) et 92 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

La présente proposition de loi constitutionnelle tend à modifier les articles 11 et 89 de la Constitution de façon à exclure expressément tout recours au référendum législatif d'initiative présidentielle à des fins de révision constitutionnelle.

D'un point de vue juridique, ce texte se borne ainsi à stabiliser la rédaction de ces deux articles de manière à la conformer à l'interprétation qu'en retient la majorité de la doctrine. Son efficacité pratique reste toutefois incertaine, faute de prévoir un contrôle juridictionnel de son application.

Toutefois, en ce qu'elle est susceptible d'être interprétée comme dirigée contre un parti politique particulier (en l'espèce le Rassemblement national), la proposition de loi constitutionnelle est à la fois contestable dans son principe et potentiellement contre-productive quant à ses effets au plan politique. Il apparaît en effet essentiel de préserver la Constitution, notre pacte fondamental, de toute appropriation partisane.

Par ailleurs, les contraintes de la procédure d'adoption des propositions de loi constitutionnelle sont de nature à largement compromettre ses chances d'aboutir. Il paraît hautement improbable que le Président de la République soumette ce texte au référendum, au regard de l'instabilité qui caractérise la situation politique actuelle et à l'approche de l'élection présidentielle. Or, contrairement aux projets de révision, les propositions de révision ne peuvent être approuvées que par cette voie.

Plus fondamentalement, les enjeux de fond que ce texte conduit à soulever ont trait aux équilibres fondamentaux de notre régime politique. À cet égard, l'esprit de la Cinquième République veut que les questions de cette envergure soient tranchées lors de l'élection présidentielle au terme du débat approfondi mené devant les citoyens que seule permet la campagne qui la précède.

Pour ces raisons, la commission des lois, suivant l'avis de sa rapporteure Lauriane Josende, n'a pas adopté cette proposition de loi.

I. UNE INITIATIVE VISANT À STABILISER LA RÉDACTION DU TEXTE CONSTITUTIONNEL POUR LE CONFORMER ÀL'INTERPRÉTATION DE LA MAJORITÉ DE LA DOCTRINE

A. RAPPELS SUR L'ÉTAT DU DROIT EN MATIÈRE DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

La procédure de révision de la Constitution est régie par son article 89. Dérogeant à la procédure législative ordinaire, elle se caractérise par une rigidité forte destinée à garantir la stabilité de la norme suprême et prévenir des modifications précipitées ou opportunistes.

L'initiative de la révision appartient concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier ministre (projets de loi constitutionnelle), et aux parlementaires (propositions de loi constitutionnelle). Le texte doit ensuite être voté en termes identiques par les deux assemblées. Il doit enfin faire l'objet d'une approbation. Par principe, il est alors présenté au référendum. Par dérogation, s'agissant des seuls projets de loi constitutionnelle, le Président de la République peut décider de soumettre le texte au Congrès qui se prononce à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (cas le plus fréquent dans la pratique).

Cependant, la procédure du référendum législatif d'initiative présidentielle, prévue à l'article 11 a également pu être utilisée, en une occurrence, pour modifier la Constitution.

Pour mémoire, cette procédure permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au référendum « tout projet de loi » portant sur une série de matières limitativement énumérées, parmi lesquelles figure « l'organisation des pouvoirs publics ». En 1962, le général de Gaulle y a eu recours pour faire adopter la loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.

En outre, il est important de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge qu'il n'est pas compétent pour connaître des lois constitutionnelles ainsi que des lois référendaires, c'est-à-dire celles adoptées par le Peuple français.

B. AU REGARD DE L'INTERPRÉTATION DE LA MAJORITÉ DE LA DOCTRINE, LA PROPOSITION DE LOI NE PRODUIT PAS D'EFFET JURIDIQUE PARTICULIER

Perçu comme une stratégie de contournement du Parlement, le recours à l'article 11 par le général de Gaulle en 1962 avait suscité une forte opposition tant au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, avec l'adoption d'une motion de censure entraînant la démission du premier gouvernement Pompidou. Au plan juridique, le Conseil d'État avait rendu un avis défavorable sur le recours à cette procédure.

Dans sa grande majorité, la doctrine considère aujourd'hui que l'article 89 constitue déjà la seule voie de révision régulière de la Constitution. Parmi les arguments les plus souvent mobilisés à l'appui de cette thèse, peut être mentionné le fait que la Constitution comporte un titre spécial dédié à sa révision (titre XVI), dont les dispositions ne visent à aucun moment l'article 11. En outre, il résulte logiquement de l'économie générale des deux articles 11 et 89, qui prévoient tous deux une adoption par référendum, que seul le second, plus restrictif, permet de réviser la Constitution.

La proposition de loi constitutionnelle tend à modifier les articles 11 et 89 de façon à expliciter que seul l'article 89 peut être utilisé pour réviser la Constitution. Ce faisant, elle se borne à consacrer ce qui est déjà l'interprétation de la majorité de la doctrine.

II. UNE « BARRIÈRE DE PAPIER » QUI N'EST PAS DE NATURE À PRODUIRE L'EFFET POLITIQUE RECHERCHÉ

Dans leur exposé des motifs, les auteurs présentent cette initiative comme une réponse à la volonté affichée du Rassemblement national, dans l'hypothèse où son candidat remporterait la prochaine élection présidentielle, de recourir à l'article 11 en vue de modifier la Constitution, notamment afin d'y intégrer un principe de « priorité nationale ».

Or, le dispositif proposé ne permet pas d'empêcher un Président de la République d'imposer une lecture gaullienne de la portée du référendum législatif.

À cet égard, il est décisif de rappeler que sur un plan strictement formel, la loi du 6 novembre 1962 n'était qu'une loi ordinaire, et non une loi constitutionnelle, comme les lois adoptées sur le fondement de l'article 89. En témoigne, le Journal officiel du 7 novembre 1962, qui mentionne bien ce texte sous la dénomination de « loi », et non de « loi constitutionnelle » (voir ci-dessous). Ainsi, à proprement parler, et aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, on ne peut que constater que cette loi n'était autre qu'une loi « ordinaire », qu'il se trouve que ses dispositions tendaient à modifier des articles de la Constitution, qu'elle a été adoptée par le peuple selon la procédure prévue par l'article 11, qu'elle n'a pas fait l'objet d'un quelconque contrôle juridictionnel en raison de l'incompétence du Conseil constitutionnel en matière de lois référendaires, et qu'elle a donc pu valablement entrer en vigueur.

Extrait du Journal officiel du 7 novembre 1962

Source : Légifrance

Le dispositif proposé, qui est par ailleurs sans incidence sur le régime de contrôle juridictionnel des actes du Président de la République, n'est en pratique pas de nature à prévenir le recours à l'article 11 pour introduire dans l'ordre juridique des dispositions de valeur constitutionnelle.

III. UNE PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE POLITIQUEMENT INOPPORTUNE, SUSCEPTIBLE D'ÊTRE INTERPRÉTÉE COMME DIRIGÉE CONTRE UN PARTI PARTICULIER

A. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER LA CONSTITUTION, NOTRE PACTE FONDAMENTAL, DE TOUTE APPROPRIATION PARTISANE

Eu égard à l'objet de cette initiative de révision constitutionnelle, la commission a estimé, à l'initiative de sa rapporteure, qu'elle ne saurait fonder sa position sur la base d'une analyse purement juridique. En matière institutionnelle, en effet, l'appréciation d'une initiative est indissociable du discours politique qui la sous-tend, ainsi que du contexte politique dans lequel elle intervient.

En la matière, le recul historique est important. Il convient de rappeler que, par certains aspects, l'instabilité institutionnelle qui a marqué la France entre la Révolution de 1789 et 1958 peut être regardée comme la résultante d'un rapport partisan à la Constitution, en vertu duquel le triomphe d'un camp politique était toujours susceptible d'entraîner un changement de régime. La rupture opérée par la Constitution de la Cinquième République tient notamment à sa capacité à être enfin reconnue comme la « chose de tous ».

Or, l'exposé des motifs de la proposition de loi vise sans ambiguïté le projet d'un parti, le Rassemblement national. Le fait de viser aussi directement un parti particulier à l'appui d'une initiative de révision constitutionnelle est donc, pour la rapporteure, à la fois contestable dans son principe et potentiellement contre-productif quant à ses effets au plan politique.

B. UNE PROCÉDURE ET UNE TEMPORALITÉ POLITIQUEMENT INADÉQUATES

Force est d'observer que les contraintes de la procédure d'adoption des propositions de loi constitutionnelle sont de nature à largement compromettre les chances d'aboutissement de cette initiative. Au regard de l'instabilité qui caractérise la situation politique actuelle, il paraît hautement improbable que le Président de la République soumette ce texte au référendum, à plus forte raison à l'approche de l'élection présidentielle.

Surtout, la commission considère que les questions institutionnelles de cette envergure ont précisément vocation à être posées, et tranchées, dans le cadre de la prochaine élection présidentielle.

Les travaux de la rapporteure ont en effet montré que les enjeux soulevés par ce texte intéressaient les grands équilibres institutionnels. Ils ont mis en évidence la persistance, à l'intérieur du régime de la Cinquième République, d'une question d'équilibre institutionnel ouverte par le recours, en 1962, à l'article 11 pour modifier la Constitution. Cette interrogation résulte d'une confrontation entre les prérogatives du Président de la République en tant que gardien de la Constitution, et du Parlement, en tant que partie prenante essentielle du pouvoir constituant institué par l'article 89. Les travaux de la commission ont également conduit à observer que l'analyse de cette problématique conduisait nécessairement à interroger le rôle du Conseil constitutionnel, second gardien de la Constitution.

L'esprit de la Cinquième République veut que des questions aussi fondamentales soient tranchées lors de l'élection présidentielle, au terme du débat approfondi mené devant les citoyens que seule permet la campagne qui la précède.

À cet égard, préempter ce débat au travers de l'examen de cette proposition de loi constitutionnelle serait inopportun.

*

* *

La commission n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique, prévue le 6 novembre 2025, portera sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Exclusion expresse du recours au référendum législatif pour réviser la Constitution

L'article unique de la proposition de loi constitutionnelle tend à modifier les articles 11 et 89 de la Constitution de façon à exclure expressément tout recours au référendum législatif d'initiative présidentielle à des fins de révision constitutionnelle.

D'un point de vue juridique, elle se borne à ainsi à stabiliser la rédaction de ces deux articles de manière à la conformer à l'interprétation qu'en retient la majorité de la doctrine. Son efficacité pratique reste toutefois incertaine, faute de prévoir un contrôle juridictionnel de son application.

Surtout, la commission des lois a considéré que cette initiative était politiquement inopportune.

En ce qu'elle est susceptible d'être interprétée comme dirigée contre un parti politique particulier, la proposition de loi constitutionnelle est à la fois contestable dans son principe et potentiellement contre-productive quant à ses effets au plan politique. Il apparaît en effet essentiel de préserver la Constitution, notre pacte fondamental, de toute appropriation partisane.

Par ailleurs, les contraintes de la procédure d'adoption des propositions de loi constitutionnelle sont de nature à largement compromettre ses chances d'aboutir. Il paraît hautement improbable que le Président de la République soumette ce texte au référendum, au regard de l'instabilité qui caractérise la situation politique actuelle et à l'approche de l'élection présidentielle. Or, contrairement aux projets de révision, les propositions de révision ne peuvent être approuvées que par cette voie.

Plus fondamentalement, les enjeux de fond que ce texte conduit à soulever ont trait aux équilibres fondamentaux de notre régime politique. À cet égard, l'esprit de la Cinquième République veut que les questions de cette envergure soient tranchées lors de l'élection présidentielle au terme du débat approfondi mené devant les citoyens que seule permet la campagne qui la précède.

Pour ces raisons, la commission des lois, suivant la proposition de sa rapporteure, n'a pas adopté l'article unique de cette proposition de loi constitutionnelle.

1. L'état du droit en matière de révision constitutionnelle

1.1. La procédure de révision constitutionnelle prévue par l'article 89

La procédure de révision de la Constitution est régie par son article 89, unique disposition du Titre XVI « De la révision ».

Dérogeant à la procédure législative ordinaire, elle se caractérise par une rigidité forte destinée à garantir la stabilité de la norme suprême et prévenir des modifications précipitées ou opportunistes.

Comme l'explique en effet le professeur Denis Baranger, cette rigidité est propre à la norme constitutionnelle, en ce qu'elle « sert une finalité de fond, celle de la protection du contenu matériel de la Constitution : ses valeurs, ses règles d'organisation du pouvoir politique, etc. La rigidité est la traduction de ce mariage de la technique juridique et des valeurs politiques qui est le fond même du constitutionnalisme »1(*).

Sa rédaction n'a pas évolué depuis sa version initiale de 1958, sous réserve d'une modification de son deuxième alinéa précisant les conditions de délai d'examen du texte de la révision2(*), qui n'en modifie pas l'économie générale.

Article 89 de la Constitution

L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire.

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision.

a) Le cadre procédural et formel

L'article 89 de la Constitution prévoit que l'initiative de la révision appartient au Président de la République, sur proposition du Premier ministre à travers un projet de loi constitutionnelle, et aux parlementaires à travers une proposition de loi constitutionnelle.

Le projet ou la proposition est examiné par le Parlement à l'issue de son dépôt, dans les mêmes conditions de délai que les lois ordinaires, sans toutefois que la procédure accélérée ne puisse être engagée. Pour être adopté, le texte doit être voté par les deux assemblées dans des termes identiques. Le Gouvernement n'a pas la possibilité de convoquer une commission mixte paritaire ou de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, en application de ses prérogatives de droit commun prévues à l'article 45.

Pour entrer en vigueur, le texte doit ensuite être approuvé, selon une procédure qui peut différer en fonction de l'autorité à l'initiative de la révision :

- par principe, la révision est présentée au référendum ;

- par dérogation, s'agissant des seuls projets de loi constitutionnelle, le Président de la République peut décider de soumettre le texte au Parlement réuni en Congrès qui se prononce à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Dans la pratique, il convient toutefois de relever que 22 des 23 révisions de la Constitution de la Cinquième République conduites selon la procédure prévue par l'article 89 ont été approuvées par le Congrès, et que toutes ont été présentées à l'initiative du Président de la République3(*).

Historique des révisions constitutionnelles adoptées sur le fondement de l'article 89 de la Constitution

Date de la loi constitutionnelle

Objet

Initiative

Modalité d'approbation

30 décembre 1963

Régime des sessions parlementaires

Président de la République

Congrès

29 octobre 1974

Élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel

Président de la République

Congrès

18 juin 1976

Précisions concernant la procédure de l'élection présidentielle en cas d'accident

Président de la République

Congrès

25 juin 1992

Conséquences du traité de Maastricht

Président de la République

Congrès

27 juillet 1993

Réforme du Conseil supérieur de la magistrature et création de la Cour de justice de la République

Président de la République

Congrès

25 novembre 1993

Accords internationaux en matière de droit d'asile

Président de la République

Congrès

4 août 1995

Champ du référendum, immunités, régime des sessions, abrogation de dispositions obsolètes

Président de la République

Congrès

22 février 1996

Création des lois de financement de la sécurité sociale

Président de la République

Congrès

20 juillet 1998

Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie

Président de la République

Congrès

25 juillet 1999

Conséquences du traité d'Amsterdam

Président de la République

Congrès

8 juillet 1999

Cour pénale internationale

Président de la République

Congrès

8 juillet 1999

Égalité entre les sexes

Président de la République

Congrès

2 octobre 2000

Réduction de la durée du mandat du Président de la République

Président de la République

Référendum

25 mars 2003

Mandat d'arrêt européen

Président de la République

Congrès

28 mars 2003

Organisation décentralisée de la République

Président de la République

Congrès

1er mars 2005

Constitution européenne et référendum obligatoire concernant les adhésions futures à l'Union européenne

Président de la République

Congrès

1er mars 2005

Charte de l'environnement

Président de la République

Congrès

23 février 2007

Corps électoral en Nouvelle-Calédonie

Président de la République

Congrès

23 février 2007

Statut juridictionnel du Président de la République

Président de la République

Congrès

23 février 2007

Abolition de la peine de mort

Président de la République

Congrès

4 février 2008

Conséquences du traité de Lisbonne

Président de la République

Congrès

23 juillet 2008

Modernisation des institutions

Président de la République

Congrès

8 mars 2024

Liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse

Président de la République

Congrès

Source : commission des lois du Sénat

La Constitution a également été modifiée en dehors du cadre prévu à l'article 89 à deux reprises :

- en 1960, en application de l'article 85, aujourd'hui abrogé, pour une question qui intéressait la Communauté française ;

- en 1962, pour l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, par la voie d'un référendum législatif selon la procédure prévue à l'article 11 (voir infra).

b) Les limitations politiques

La Constitution pose également des limitations de nature politique à la révision, inspirées par la volonté de préserver la stabilité institutionnelle.

Elle tend, d'une part, à neutraliser la procédure de révision en certaines circonstances : ainsi, aucune révision ne peut être engagée en période de vacance de la présidence de la République4(*) ou lorsqu'est porté atteinte à l'intégrité du territoire national5(*). Le Conseil constitutionnel a également posé, de manière prétorienne, qu'une telle procédure ne pouvait pas non plus être engagée lorsqu'il est fait application de l'article 16 de la Constitution relatif aux pouvoirs exceptionnels du Président de la République6(*).

D'autre part, la Constitution pose également une limite matérielle à la révision constitutionnelle, en prévoyant que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'aucune révision7(*).

1.2. Le recours à la procédure du référendum législatif prévue à l'article 11 de la Constitution à des fins de révision constitutionnelle

La procédure du référendum législatif d'initiative présidentielle a également pu être utilisée à des fins de révision constitutionnelle.

Prévue au premier alinéa de l'article 11 de la Constitution, cette procédure permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au référendum « tout projet de loi » portant sur une série de matières limitativement énumérées (voir encadré infra), parmi lesquelles figure « l'organisation des pouvoirs publics ».

Elle tend ainsi à attribuer une compétence législative spéciale au corps électoral, dérogeant à la compétence générale en la matière dont le Parlement dispose en vertu de l'article 24 de la Constitution, donnant une traduction opérationnelle au principe, posé par l'article 3, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

Quoiqu'elle ne puisse être prise que sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, il convient également de relever que la décision définitive de recourir à cette procédure relève des pouvoirs propres du Président de la République, l'acte par lequel il décide de soumettre un projet de loi au référendum étant dispensé de contreseing ministériel8(*).

Article 11 de la Constitution

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.

Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.

Ainsi, comme l'expliquent Guy Carcassonne et Marc Guillaume, cette procédure porte la marque de la « geste gaullienne, qui y voyait à la fois l'instrument d'un arbitrage national et la manifestation du lien qui unit le peuple à celui qui préside ses destinées »9(*).

La procédure prévue à l'article 11 a été utilisée à huit reprises depuis 1958.

En deux occurrences, tout ou partie des dispositions du texte soumis au référendum visait à modifier la Constitution :

- en 1962 pour l'élection du Président de la République au suffrage universel direct10(*) ;

- en 1969 pour une réforme du Sénat et des régions.

Dans les deux cas, il s'agissait d'une initiative du général de Gaulle prise sur proposition du gouvernement. Si le « oui » l'a emporté en 1962, la victoire du « Non » lors du référendum de 1969 a entraîné sa démission.

Les projets de loi soumis au référendum
en application du premier alinéa de l'article 11 de la Constitution

Date

Objet

Présence de dispositions modifiant la Constitution

Issue

8 janvier 1961

Autodétermination de l'Algérie

Non

« Oui »

8 avril 1962

Accords d'Évian

Non

« Oui »

28 octobre 1962

Élection du Président de la République au suffrage universel direct

Oui

« Oui »

27 avril 1969

Réforme du Sénat et régionalisation

Oui

« Non »

23 avril 1972

Élargissement de la Communauté économique européenne

Non

« Oui »

6 novembre 1988

Statut de la Nouvelle-Calédonie

Non

« Oui »

20 septembre 1992

Ratification du Traité de Maastricht sur l'Union européenne

Non

« Oui »

29 mai 2005

Ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe

Non

« Non »

Source : commission des lois du Sénat

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, un référendum dit « d'initiative partagée » peut également être organisé. Celui-ci porte sur une proposition de loi déposée à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. L'article 61 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel exerce alors systématiquement un contrôle de constitutionnalité de telles propositions, excluant par principe toute révision de la Constitution sur ce fondement. Un tel contrôle n'est en revanche pas prévu s'agissant des projets de lois soumis au référendum à l'initiative du Président de la République.

1.3. Le contrôle juridictionnel des révisions de la Constitution

a) L'immunité juridictionnelle des lois constitutionnelles

Les lois constitutionnelles adoptées sur le fondement de l'article 89 de la Constitution échappent par principe au contrôle de constitutionnalité tel qu'il est prévu à l'article 61 pour les autres catégories de lois, leur objet étant précisément de modifier la Constitution en vigueur.

Saisi par soixante sénateurs sur le traité de Maastricht en application de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a posé que « le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »11(*).

Cette décision avait semblé ouvrir la voie à un contrôle des lois constitutionnelles, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a précisé que ce pouvoir n'était toutefois susceptible de s'exercer que « sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles “la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision” ».

Par la suite, alors qu'il a été saisi directement par soixante sénateurs de la révision de 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, le Conseil constitutionnel a cependant confirmé son incompétence pour se prononcer sur une loi constitutionnelle12(*).

b) L'immunité juridictionnelle des lois référendaires

Saisi par le Président du Sénat de la loi précitée de 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel directe après son adoption par référendum, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'a pas compétence pour se prononcer sur des lois adoptées par le peuple à la suite d'un référendum. Il a en effet considéré qu'« il résulte de l'esprit de la Constitution » que les lois visées par son contrôle sont « uniquement les lois votées par le Parlement », écartant les lois référendaires qui « constituent l'expression directe de la souveraineté nationale »13(*).

Ainsi, toute loi adoptée sur le fondement du premier alinéa de l'article 11, qu'elle modifie ou non la Constitution, bénéficie d'une immunité juridictionnelle.

c) Le contrôle des opérations référendaires

En application de l'article 60 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de veiller sur la régularité des opérations référendaires, qu'elles soient mises en oeuvre sur le fondement de l'article 11 ou de l'article 89.

Les conditions d'exercice de cette compétence sont précisées par la loi organique14(*), qui prévoit ainsi que le Conseil constitutionnel :

- est consulté par le Gouvernement sur l'organisation de ces opérations ;

- peut présenter des observations concernant la liste des organisations habilitées à user des moyens officiels de propagande ;

- peut désigner un ou plusieurs délégués choisis, avec l'accord des ministres compétents, parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif et chargés de suivre sur place les opérations ;

- assure directement la surveillance du recensement général ;

- examine et tranche définitivement toutes les réclamations. À cet égard, il est précisé que dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l'existence d'irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d'apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle ;

- proclame les résultats.

À l'occasion du référendum organisé en 2000 sur la révision constitutionnelle relative à la réduction de la durée du mandat du Président de la République, le Conseil constitutionnel a précisé l'étendue de son office en matière de réclamations. Dans sa décision dite « Hauchemaille », il a, pour la première fois, jugé qu' « en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l'article 60 de la Constitution, il [lui appartenait] de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d'opérations à venir dans les cas où l'irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs public », et qu'il était par conséquent compétent pour contrôler, à cette aune, le décret par lequel le Président de la République convoque les électeurs15(*). Cette jurisprudence16(*) a été confirmée à l'occasion du référendum de 2005 relatif au traité établissant une Constitution pour l'Europe, dernier référendum organisé jusqu'à aujourd'hui.

À ce stade, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet cependant pas de déterminer avec précision le champ de cette prérogative, et en particulier les contours de la notion d'« atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ».

Comparaison des procédures de la révision de la Constitution (article 89) et du référendum législatif d'initiative présidentielle (article 11, alinéa premier)

 

Article 89

Article 11, alinéa premier

Initiative

Président de la République, sur proposition du Premier ministre

Membres du Parlement

Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées
(absence de contreseing)

Rôle du Parlement

Dans tous les cas, nécessité d'adoption du texte en termes identiques par les deux assemblées

En cas d'initiative présidentielle, possible approbation par le Congrès à la majorité des 3/5èmes (procédure usuelle)

Nul en cas d'initiative présidentielle

Rôle du référendum

En cas d'initiative présidentielle, approbation par référendum possible (un précédent)

En cas d'initiative parlementaire, approbation par référendum nécessaire
(jamais mis en oeuvre à ce jour)

Adoption du texte

Garanties de stabilité constitutionnelle

Impossibilité de porter atteinte à la forme républicaine du Gouvernement

Impossibilité d'engager la procédure lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire

Impossibilité d'engager la procédure en période de vacance de la Présidence de la République ou en cas de recours aux pouvoirs exceptionnels

Impossibilité d'engager la procédure en période de vacance de la Présidence de la République

Rôle du Conseil constitutionnel

Contrôle des opérations référendaires

Absence de contrôle de constitutionnalité sur la loi constitutionnelle

Contrôle des opérations référendaires

Absence de contrôle de constitutionnalité sur la loi référendaire

Source : commission des lois du Sénat

2. La proposition de loi constitutionnelle : une exclusion expresse du recours au référendum législatif pour réviser la Constitution

La présente proposition de loi constitutionnelle vise à exclure expressément toute révision constitutionnelle sur le fondement de l'article 11, en consacrant exclusivement la procédure prévue par l'article 89.

Le 1° de son article unique tend ainsi à modifier l'article 11 de la Constitution, en précisant que la procédure qu'il prévoit ne peut s'appliquer qu'à une loi « organique ou ordinaire », ce qui exclut en creux les lois constitutionnelles.

Le 2° du même article tend à modifier l'article 89 de façon à prévoir qu'il ne peut être procédé à une révision de la Constitution qu'en application de cet article.

Cette initiative est présentée par ses auteurs, Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER)17(*), comme une réponse à la volonté affichée du Rassemblement national, dans l'hypothèse où son candidat remporterait la prochaine élection présidentielle, de recourir à l'article 11 en vue de modifier la Constitution, afin d'y intégrer un principe de « priorité nationale »18(*) ainsi qu'une série de dispositions jugées nécessaires à la mise en oeuvre de son programme concernant notamment la politique d'immigration et les droits des étrangers en France.

3. La position de la commission : une efficacité pratique douteuse, une opportunité politique contestable

3.1. Une stabilisation de la rédaction du texte constitutionnel pour le conformer à l'interprétation retenue par la majorité de la doctrine

Pour se prononcer sur l'opportunité d'adopter la présente proposition de loi constitutionnelle, il convient en premier lieu d'apprécier la nécessité de légiférer en ce sens pour atteindre l'objectif recherché par les auteurs.

Ce point conduit en premier lieu à soulever la question de la licéité du recours à la procédure prévue à l'article 11 pour réviser la Constitution.

Perçue à l'origine comme une stratégie de contournement du Parlement, son utilisation en 1962 par le général de Gaulle avait suscité une forte opposition tant au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, avec l'adoption d'une motion de censure entraînant la démission du premier gouvernement Pompidou19(*).

Au plan juridique, le Conseil d'État avait alors rendu un avis défavorable sur le recours à cette procédure20(*), estimant que « la Constitution a consacré un titre spécial aux modalités de sa révision [excluant] la possibilité de recourir à toute autre procédure de révision », dans la mesure où « le précédent qui serait institué permettrait ultérieurement l'emploi du référendum pour tout autre projet de révision [...] supprimant ainsi les garanties de stabilité constitutionnelle résultant de [...] l'article 89 ».

L'avis n'avait cependant pas été suivi par le général de Gaulle, qui a fait valoir que la manoeuvre était non seulement légale, en ce que le projet de référendum portait bien sur l'une des matières énumérées à l'article 11, à savoir « l'organisation des pouvoirs publics », mais aussi légitime, puisqu'elle faisait appel au peuple souverain.

La majorité des constitutionnalistes avait cependant contesté sa régularité, si bien qu'André Hauriou avait pu conclure que « tout le monde tombe finalement d'accord que la procédure révision décidée par le chef de l'État est contraire à la Constitution »21(*). Cette thèse est, encore aujourd'hui, majoritaire dans la doctrine22(*). Après avoir considéré un temps que le fait de 1962 avait créé du droit, donnant naissance à une coutume constitutionnelle, le doyen Georges Vedel a finalement abandonné cette position23(*).

En sus des motivations de l'avis du Conseil d'État de 1962 rappelées supra, les principaux arguments mobilisés par la doctrine à l'appui de la thèse de l'irrégularité sont tirés du texte et de la structure mêmes de la Constitution :

la Constitution comporte un titre spécial dédié à sa révision (titre XVI), dont les dispositions ne visent à aucun moment l'article 11 ;

aucune disposition de l'article 11 n'autorise à déroger à la procédure de révision prévue par l'article 89, contrairement à l'article 85 (abrogé), qui prévoyait expressément une telle dérogation concernant la révision des dispositions constitutionnelles relatives au fonctionnement des institutions de la Communauté (abrogées également) ;

la liste des matières énumérées au premier alinéa de l'article 11 suggère elle-même la portée simplement législative des dispositions susceptibles d'être soumises au référendum, puisqu'elle intègre « l'autorisation de la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Or, comme le souligne le professeur Mathieu Carpentier, « on ne saisirait la cohérence d'un dispositif qui prohibe le recours à l'article 11 pour réviser, fût-ce implicitement, la Constitution en vue de la ratification d'un traité, et qui l'autorise dans tous les autres cas »24(*).

il résulte logiquement de l'économie générale des deux articles 11 et 89, qui prévoient tous deux une adoption par référendum, que seul le second permet de réviser la Constitution. Comme l'explique à nouveau Mathieu Carpentier : « dès lors que l'article 89 prévoit déjà une procédure référendaire, il semble peu compréhensible (voire franchement irrationnel) de laisser ouverte une autre procédure référendaire moins contraignante, dès lors que c'est la même autorité qui est habilitée à choisir l'une ou l'autre des branches de l'alternative »25(*) ;

Plus fondamentalement, selon la majorité de la doctrine, le droit constitutionnel impose de distinguer, au moins sur le plan des principes, le peuple en tant que pouvoir constituant - celui qui s'est prononcé en faveur de l'adoption de la Constitution de la Cinquième République lors du référendum du 28 septembre 1958 - et le peuple en tant que pouvoir constitué, habilité par la Constitution, dans les conditions qu'elle fixe, soit à exercer le pouvoir législatif à titre dérogatoire sur le fondement de l'article 11, soit à approuver une révision constitutionnelle adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées sur le fondement de l'article 89. Aussi, la coïncidence des modes d'expression du pouvoir constituant et d'un tel pouvoir constitué - le suffrage du corps électoral - ne permet pas de surmonter la distinction de leur nature juridique.

Certes, le débat n'a pas été définitivement tranché. La thèse minoritaire de la licéité du recours à l'article 11 à des fins de révision constitutionnelle peut continuer de prendre appui sur des arguments d'ordre doctrinal26(*), ou encore sur une certaine interprétation de la volonté du Constituant, ou à tout le moins de la volonté qui fut celle du général de Gaulle en tant qu'inspirateur du texte de 195827(*). En tout état de cause, eu égard à son incompétence sur les lois référendaires (voir supra), le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur la question.

L'irrégularité de principe du recours au référendum législatif pour réviser la Constitution fait cependant aujourd'hui l'objet d'un large consensus. En tout état de cause, l'ensemble des professeurs de droit auditionnés par la rapporteure, de même que l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl28(*), s'accordent sur ce point.

Peut à ce titre être relevé le fait que, bien qu'il ne dispose pas de compétence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, le Conseil d'État a réaffirmé cette position à l'occasion d'une décision d'Assemblée de 1998, qui oppose expressément la « matière législative » des référendums prévus par l'article 11 à la « matière constitutionnelle » de ceux prévus par l'article 8929(*). Il convient également de relever que Laurent Fabius, lorsqu'il était président du Conseil constitutionnel et bien que sa parole n'engage pas l'institution, s'était publiquement exprimé contre l'utilisation de l'article 11 à des fins de révision constitutionnelle30(*).

Le fait que le recours à l'article 11 en 1962, pour l'élection du Président de la République au suffrage universel, ait permis de modifier avec succès les articles 6 et 7 de la Constitution ne vaut pas pour autant règle de procédure. Tout au plus, il est possible de considérer, à l'instar du professeur Bertrand Mathieu, que le vote favorable du peuple « couvre, au cas par cas, l'irrégularité ainsi commise »31(*). Cette thèse est également soutenue par les professeurs Jean Gicquel et Jean-Éric Gicquel, qui considèrent que « si, à l'origine, la procédure [utilisée en 1962] a pu être jugée contestable, l'adhésion populaire lui a conféré un caractère irrécusable, en ce sens qu'elle a purgé le vice qui était de nature à l'entacher »32(*). Cette analyse ne fait toutefois pas consensus. Pour le professeur Denis Baranger, un tel raisonnement « ouvre toutes les vannes : on peut ainsi tout permettre au corps électoral, puisque, s'il ne se maintient pas dans les bornes prévues par les textes constitutionnels (tel que l'article 11 ou l'article 89) on dira qu'il a agi en qualité de constituant, c'est-à-dire en état de toute-puissance »33(*).

Ainsi, la rapporteure considère que la proposition de loi se borne à consacrer ce qui est déjà l'interprétation de la majorité de la doctrine. À cette aune, elle ne produit donc pas d'effet juridique particulier.

À titre incident, la rapporteure relève que la modification proposée de l'article 89 suffirait à atteindre cet objectif de clarification, sans qu'il soit utile de modifier également l'article 11. Concernant cet article, la mention de « loi ordinaire » pourrait en outre être source de difficultés, cette notion n'étant pas définie dans la Constitution.

3.2. D'un point de vue pratique, l'efficacité du dispositif est douteuse

a) Une proposition de loi constitutionnelle risquant de n'être qu'une « barrière de papier » face à un pouvoir légitimé par le suffrage universel

Certes, la présente proposition de loi constitutionnelle permettrait donc de stabiliser la rédaction des articles 11 et 89 de manière à consacrer l'interprétation qu'en fait la majorité de la doctrine.

Il n'en reste pas moins douteux que cette rédaction constitue par elle-même une « digue » suffisamment puissante pour arrêter un pouvoir déterminé à la franchir.

Jusqu'à présent en effet, tous les présidents de la Cinquième République ont retenu une interprétation présidentialiste, d'inspiration gaullienne, des institutions. Il est par conséquent peu probable que la présente initiative, de nature, purement juridique, suffise à infléchir cette interprétation politique.

Le président François Mitterrand a lui-même pu affirmer en 1988, à rebours de la position de la majorité des juristes et des opposants politiques au général de Gaulle de 1962, que : « l'usage établi et approuvé par le peuple [de l'article 11] peut désormais être considéré comme une des voies de la révision, concurremment avec l'article 89 », en concédant néanmoins qu'il doit « être utilisé avec précaution, à propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction »34(*).

La lecture présidentialiste des institutions et la légitimité particulière du suffrage universel sont, en effet, au coeur de l'esprit de la Cinquième République et de la conception du pouvoir qu'elle sous-tend.

Si, au plan juridique, la Constitution ne contient pas d'énoncé supra-constitutionnel, il n'en demeure pas moins qu'au plan politique, certaines de ses dispositions peuvent s'avérer, davantage que d'autres, susceptibles de révéler les données fondamentales du régime tel qu'il fonctionne depuis 1958. C'est incontestablement le cas de l'article 3 qui, en rupture avec les régimes de la Troisième et de la Quatrième Républiques, affirme que le peuple exerce la souveraineté nationale non seulement par ses représentants mais également directement par la voie du référendum. C'est également le cas de l'article 5, en vertu duquel il appartient au Président de la République de veiller au respect de la Constitution et d'assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. C'est enfin le cas de l'article 16, qui permet au Président de la République, lorsque la nation est en situation de péril, de prendre les mesures qui s'imposent.

Dans ce contexte politique et historique, toute conception qui érigerait les énoncés juridiques du texte constitutionnel comme fondement suffisant et objectif d'un « pouvoir neutre » déterminé à les suivre à la lettre, serait nécessairement, comme l'explique Denis Baranger, « quelque chose comme un faux-semblant [...] car la Constitution de 1958 est une constitution de combat, et non le dépôt de traditions de dialogue et d'équilibre. Elle est le lieu où la pensée de la souveraineté rencontre celle des pouvoirs pour lui dicter sa loi »35(*).

S'agissant en particulier de la légitimité politique particulière conférée par le suffrage universel, le même auteur ajoute : « en démocratie, les manifestations du corps électoral sont aisément interprétées comme des consultations sur l'interprétation de la constitution [...] Ce type de discours relève évidemment de la rhétorique politique plutôt que du droit constitutionnel. Toutefois, le droit constitutionnel ne peut pas y être totalement indifférent. Droit politique par excellence, il ne connaît pas de séparation rigoureuse entre le discours du droit et le discours de la politique. Une interprétation politique quelconque peut contribuer à charger de sens une disposition de la constitution écrite, voire à influencer la nature du régime politique dans son ensemble »36(*).

Aussi, l'avis défavorable du Conseil d'État de 1962 n'a pu constituer qu'une « barrière de papier »37(*) face à la volonté du général de Gaulle de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution en 1962, et nul ne peut contester, en droit comme en fait, que les articles 6 et 7 ont été modifiés et que, depuis 1965, le Président de la République est élu au suffrage universel direct.

À cet égard, il est décisif de relever que sur un plan strictement formel, cette loi du 6 novembre 1962 n'était qu'une loi ordinaire, et non une loi constitutionnelle, comme les lois adoptées sur le fondement de l'article 89.

Ainsi, à proprement parler, et aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, on ne peut que constater que cette loi de 1962 n'est autre qu'une loi « ordinaire », qu'il se trouve que ses dispositions tendent à modifier des articles de la Constitution, qu'elle a été adoptée par le peuple selon la procédure prévue par l'article 11, qu'elle n'a pas fait l'objet d'un quelconque contrôle juridictionnel en raison de l'incompétence du Conseil constitutionnel en matière de lois référendaires (voir supra), et qu'elle a donc pu valablement entrer en vigueur le 6 novembre de la même année.

En témoigne, le Journal officiel du 7 novembre 1962, qui mentionne bien ce texte sous la dénomination de « loi », et non de « loi constitutionnelle », ainsi que l'historique des modifications des articles 6 et 7 de la Constitution sur le site « Légifrance ». De manière tout aussi significative, le projet de loi soumis au référendum en 1969, qui était également un projet de loi « ordinaire », comportait deux titres, le premier relatif aux régions et le second relatif au Sénat, s'ouvrant tous deux par un chapitre regroupant les « dispositions constitutionnelles »38(*) (voir les extraits ci-après).

Guy Carcassonne et Marc Guillaume peuvent ainsi conclure : « Une loi adoptée par référendum [...] prend la place que son contenu lui donne »39(*).

Comme l'explique en effet Denis Baranger (la rapporteure souligne) : « Il n'y a révision que du moment qu'est en cause l'idée de la constitution : sa substance, et non son enveloppe formelle ou ses dispositions accessoires ou secondaires. D'une part, certaines modifications sont appelées révisions pour des raisons techniques, mais elles n'affectent pas cette idée de fond. D'autre part, et inversement, le problème de la révision n'est pas exclusivement formel [...]. On doit [...] relativiser l'importance de la prise en compte des critères formels contenus dans les clauses de révision. Certaines transformations seront des révisions alors mêmes qu'elles ne respecteront pas la procédure prévue dans la clause de révision. C'est la raison pour laquelle la discussion typiquement française sur la validité et la légitimité des révisions opérées sur le fondement de l'article 11 de la Constitution de 1958, et non sur le fondement de son article 89, est ultimement d'un faible intérêt. La Constitution a bel et bien été révisée, non seulement parce que des formulations nouvelles y ont trouvé leur place à la suite du référendum de 1962, mais encore et surtout parce que le régime politique a, sous l'empire d'un changement de sa réglementation constitutionnelle, connu sa mutation la plus importante depuis 1958 »40(*).

Extrait du Journal officiel du 7 novembre 1962

Source : Légifrance

Extrait du Journal officiel du 3 avril 1969

Source : Légifrance

Extraits de l'historique des versions de l'article 6 de la Constitution
sur le site « Légifrance »

Dès lors, en pratique, le dispositif proposé n'est pas de nature à empêcher à un président d'imposer la lecture gaullienne de la portée du référendum législatif.

Un propos prêté au général de Gaulle par Alain Peyrefitte illustre bien cet enjeu : « le Président aura toujours le moyen de s'en sortir », et ce parce que « notre Constitution est fondée sur cette idée que c'est le peuple qui a le pouvoir » et que le Président de la République a constamment la possibilité de placer la nation en position de « juge du litige, par la dissolution, ou par référendum, ou en démissionnant pour se représenter »41(*).

Concrètement, même si la présente proposition de loi constitutionnelle était adoptée, il suffirait, pour la contourner, de recourir au même procédé qu'en 1962, en présentant son projet sous la forme d'une loi « ordinaire ». Une telle loi n'aurait d'ailleurs pas besoin de modifier expressément le texte de la Constitution du 4 octobre 1958, il suffirait qu'elle contienne des dispositions qui relèvent matériellement de la Constitution et qui lui soient contraires, laquelle contrariété ne pourrait être constatée par un juge compte tenu de l'incompétence du Conseil constitutionnel pour contrôler les lois référendaires. Quoique théorique, cet exemple montre que le dispositif proposé n'est pas de nature à produire l'effet recherché dans la pratique.

b) Une proposition de loi constitutionnelle qui laisse en suspens la question du contrôle juridictionnel

En dernière analyse, les doutes qui entourent l'effectivité de la présente proposition de loi résulte fondamentalement des incertitudes qui subsistent sur le rôle que pourrait jouer le Conseil constitutionnel face à un nouveau projet de loi soumis au référendum sur le fondement de l'article 11 à des fins de révision constitutionnelle.

Cela étant, la présente proposition de loi constitutionnelle est sans incidence sur les prérogatives du Conseil constitutionnel, qu'elle ne modifie pas.

Or, celles-ci sont fortement limitées.

En effet, une fois la loi référendaire adoptée par le peuple, il est acquis que le Conseil constitutionnel serait incompétent pour la contrôler (voir supra).

Son contrôle n'est donc susceptible de s'exercer qu'au cours de la phase de la procédure qui précède la proclamation du résultat du référendum. En l'espèce, un tel contrôle pourrait porter soit directement sur le projet en lui-même (contrôle par voie d'action), soit sur le décret par lequel le Président de la République convoque les électeurs (contrôle par voie d'exception).

Sur le premier point, il apparaît clairement que le Conseil constitutionnel est incompétent pour contrôler la conformité à la Constitution du projet en lui-même.

Si le quatrième alinéa de l'article 11 confère au Conseil constitutionnel une compétence pour contrôler les propositions de loi présentées sur le fondement de cet article, avant leur soumission au référendum, aucune disposition équivalente n'existe pour les projets de loi référendaires.

En outre, le premier alinéa de l'article 61, qui énumère les actes faisant l'objet d'un contrôle de constitutionnalité systématique, mentionne expressément les « propositions de loi » soumises au référendum en application de l'article 11, mais en aucun cas les « projets de lois » mentionnés à ce même article.

Cette exclusion des projets de loi référendaires de tout contrôle de constitutionnalité par voie d'action résulte sans ambiguïté de la volonté du pouvoir constituant, comme l'attestent les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle de 2008, qui avait institué les propositions de loi référendaire. La rédaction en vigueur de cet alinéa42(*) est en effet issue d'un amendement adopté en première lecture au Sénat à l'initiative de la commission des lois, présentée en ces termes dans son rapport (la rapporteure souligne) : « en l'absence de toute disposition constitutionnelle permettant un tel contrôle, le Conseil constitutionnel [...] devrait se déclarer incompétent pour contrôler la constitutionnalité d'une loi adoptée par référendum, avant sa promulgation [...] Il a semblé souhaitable à votre commission qu'un tel contrôle puisse intervenir sur les propositions de loi avant qu'elles ne soient soumises à référendum. En revanche, elle a exclu que ce contrôle porte sur les projets de loi afin d'éviter d'ouvrir le débat sur la possibilité, pour le Président de la République, de recourir à l'article 11 pour réviser la Constitution »43(*). Le Sénat avait d'ailleurs rejeté un amendement qui tendait à prévoir un tel contrôle pour toute loi soumise au référendum44(*).

Subsiste donc uniquement l'hypothèse d'un contrôle opéré à l'occasion de l'examen d'une réclamation de son décret de convocation des électeurs, dans le cadre défini par la jurisprudence « Hauchemaille » (voir supra).

Cette hypothèse soulève la question du champ de la notion d'« atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » : suppose-t-elle un contrôle par voie d'exception sur le fond des projets de loi soumis au référendum sur le fondement de l'article 11 ?

Cette question divise les constitutionnalistes, et en particulier les professeurs de droit entendus par la rapporteure.

Certains, à l'instar de Dominique Rousseau et Jean-Philippe Derosier, considèrent que le Conseil pourrait valablement, en l'état du droit constitutionnel et donc sans qu'il ne soit besoin d'adopter la présente proposition de loi constitutionnelle, annuler un tel décret en application de cette jurisprudence. Cette position semble également partagée par le Conseil d'État, qui observe dans le cadre d'un avis que : « le Conseil constitutionnel pourrait sans doute, même s'il ne s'est pas encore expressément prononcé sur ce point, contrôler, au travers des recours qu'il admet contre les décrets qui organisent un référendum en application de l'article 11 de la Constitution, que la question posée entre dans le champ de cet article »45(*).

À l'inverse, Bertrand Mathieu, considère qu'une telle solution serait inconstitutionnelle, en ce qu'elle conduirait le Conseil constitutionnel à outrepasser ses compétences, en ce qu'il n'appartient pas de vérifier la régularité du référendum en lui-même, mais seulement celle de son organisation. Selon ce professeur, si le pouvoir constituant avait entendu prévoir un tel contrôle de fond, il aurait expressément modifié les articles 11 ou 61 en ce sens, comme il l'a fait pour les propositions de loi référendaires.

Mathieu Carpentier adopte une position de synthèse, considérant que cette jurisprudence « donne déjà46(*) au Conseil la possibilité, s'il le souhaite, d'intervenir, tout en demeurant suffisamment imprécise ou vague pour qu'il puisse moduler son appréciation de la nécessité d'exercer ce contrôle au regard des circonstances » (la rapporteure souligne)47(*).

Il convient de rappeler en effet que la jurisprudence « Hauchemaille » est structurellement fragile.

Tout d'abord, cette fragilité tient au fait qu'elle a été dégagée sans base textuelle explicite, au titre de la « mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires » confiée au Conseil constitutionnel. C'est d'ailleurs pour cette raison que le Groupe du travail du Sénat sur les institutions, présidé par le Président du Sénat, a préconisé de la consacrer dans la loi organique (recommandation n° 3)48(*).

Surtout, la mise en oeuvre de cette jurisprudence pour écarter le recours au référendum pour modifier la Constitution est susceptible de placer le Conseil constitutionnel en porte-à-faux avec le Président de la République dans le cadre d'un rapport de force institutionnel qui ne lui est a priori pas favorable.

Ces deux institutions constituent en effet, comme l'explique le professeur François Saint-Bonnet, « les deux organes considérés comme les gardiens de la Ve République : le [Président de la République] est le gardien de la Constitution politique (ou gardien schmittien), le [Conseil constitutionnel] est le gardien des droits et libertés constitutionnellement protégés (ou gardien kelsénien) ». Ce dernier s'est interrogé sur les paramètres d'un conflit entre ces deux « gardiens » dans l'hypothèse d'une utilisation de l'article 16 de la Constitution relatif aux pouvoirs exceptionnels. Ses réflexions paraissent toutefois pouvoir s'appliquer de la même façon au cas d'un conflit sur le recours à l'article 11 pour modifier la Constitution : « Le risque d'une confrontation entre le gardien des droits et libertés et le gardien de la Constitution politique du pays peut être funeste... pour le premier [...] dans ce conflit entre gardiens, le gardien kelsénien n'a guère le ministère de la parole et jamais la possibilité du recours au registre émotionnel, armes décisives dans les circonstances exceptionnelles [...]. Le sage n'a aucune chance face au sauveur car l'affrontement lui est étranger. Il sait retenir, on ne peut lui demander de combattre »49(*).

Le même auteur ajoute, ailleurs, qu'« en cas de conflit, l'organe constitué investi de la même majesté que le Constituant peut se présenter comme celui dont dépend le salut de l'État en cas de nécessité, celui qui détient la puissance suffisante pour brandir l'étendard de la patrie en danger au nom d'un droit supérieur de nécessité. L'invocation de ce prétendu droit sera d'autant plus efficace qu'il ne sera pas délibéré mais présenté comme un devoir particulier du porte-parole du Constituant »50(*).

En définitive, l'esprit du régime de la Cinquième République veut que, face à une crise institutionnelle, seul le contrôle opéré par le Parlement constitué en Haute Cour peut, sur le fondement de l'article 68, mettre en cause l'action du Président de la République

3.3. Surtout, l'opportunité d'adopter cette proposition de loi constitutionnelle est politiquement contestable

Face à une initiative de révision constitutionnelle qui concerne, à tout le moins au travers des questions qu'elle soulève, les grands équilibres institutionnels de la Cinquième République, la commission a estimé, à l'initiative de sa rapporteure, qu'elle ne saurait fonder sa position sur la base d'une analyse purement juridique. En matière institutionnelle, l'appréciation d'une initiative est indissociable du discours politique qui la sous-tend, ainsi que du contexte politique dans lequel elle intervient. Or, à cette aune, l'opportunité de son adoption est contestable.

a) Une révision constitutionnelle susceptible d'être interprétée comme dirigée contre un parti politique particulier

La rapporteure juge essentiel de préserver la Constitution, notre pacte fondamental, de toute appropriation partisane.

Par certains aspects, l'instabilité institutionnelle qui a marqué la France entre la Révolution de 1789 et 1958 peut être regardée comme la résultante d'un rapport partisan à la Constitution, en vertu duquel le triomphe d'un camp politique était toujours susceptible d'entraîner un changement de régime51(*). La rupture opérée par la Constitution de la Cinquième République tient notamment à sa capacité à être enfin reconnue comme la « chose de tous », au travers des alternances politiques (à partir de 1981) ainsi que des périodes de cohabitation ou de majorités relatives.

Or, l'exposé des motifs de la proposition de loi vise sans ambiguïté le projet d'un parti, le Rassemblement national, face auxquels ses auteurs entendent créer un « barrage institutionnel ». Il indique également que l'initiative est directement inspirée d'une proposition formulée par Pierre-Yves Bocquet dans son ouvrage La « Révolution nationale » en 100 jours et comment l'éviter52(*), dont l'objet est d'alerter sur risques que représente le projet de révision constitutionnelle porté par le Rassemblement national et de formuler des recommandations pour empêcher ce parti de le mettre en application, si son candidat devait remporter la prochaine élection présidentielle.

Le fait de viser aussi directement un parti particulier à l'appui d'une initiative de révision constitutionnelle est donc, pour la rapporteure, à la fois contestable dans son principe et potentiellement contre-productif quant à ses effets au plan politique.

b) Une proposition de loi constitutionnelle qui s'inscrit dans le cadre d'une procédure et d'une temporalité inadéquates

La rapporteure considère que la présente initiative s'inscrit dans le cadre d'une procédure et d'une temporalité inadéquates.

Tout d'abord, force est d'observer que les contraintes de la procédure d'adoption des propositions de loi constitutionnelle sont de nature à largement compromettre les chances d'aboutissement de cette initiative.

En effet, dans l'hypothèse où le texte aurait été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, aucune disposition ne permet de garantir que le président de la République le soumette effectivement au référendum.

Formellement, la question du caractère obligatoire ou non, pour le président, de la convocation d'un référendum dans cette situation ne fait pas consensus parmi les professeurs de droit auditionnés par la rapporteure. Néanmoins, ils s'accordent pour relever que la tournure passive du deuxième alinéa de l'article 89, ainsi que l'absence de toute précision quant au délai du référendum (contrairement notamment à ce qui est prévu au cinquième alinéa de l'article 11 concernant le référendum d'initiative partagée) témoignent d'une absence de contrainte quant à l'exercice effectif de cette compétence.

En témoigne le précédent du projet de révision de 1973 relatif à la réduction de la durée du mandat du président : bien que le texte ait été adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, le président Pompidou n'avait finalement engagé aucune procédure d'approbation.

Au regard de l'instabilité qui caractérise la situation politique actuelle, il paraît hautement improbable que le président de la République soumette ce texte au référendum, à plus forte raison à l'approche de l'élection présidentielle.

Surtout, la commission considère que les questions institutionnelles de cette envergure ont précisément vocation à être posées, et tranchées, dans le cadre de la prochaine élection présidentielle.

Les travaux de la rapporteure ont en effet montré que les enjeux soulevés par ce texte intéressaient les grands équilibres institutionnels. Ils ont mis en évidence la persistance, à l'intérieur du régime de la Cinquième République, d'une question d'équilibre institutionnel ouverte par le recours, en 1962, à l'article 11 pour modifier la Constitution. Cette interrogation résulte d'une confrontation entre les prérogatives du Président de la République en tant que gardien de la Constitution et du Parlement, en tant que partie prenante essentielle du pouvoir constituant institué par l'article 89. Les travaux de la commission ont également conduit à observer que l'analyse de cette problématique conduisait nécessairement à interroger le rôle du Conseil constitutionnel, second gardien de la Constitution.

L'esprit de la Cinquième République veut que des questions aussi fondamentales soient tranchées lors de l'élection présidentielle, au terme du débat approfondi mené devant les citoyens que seule permet la campagne qui la précède.

À cet égard, préempter ce débat au travers de l'examen de cette proposition de loi constitutionnelle serait inopportun.

La commission n'a pas adopté l'article unique.

EXAMEN EN COMMISSION

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous terminons nos travaux par l'examen du rapport sur la proposition de loi constitutionnelle (PPLC) visant à protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues.

M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. - L'objet de cette proposition de loi constitutionnelle est de faire en sorte que le texte de la Constitution soit suivi à la lettre et qu'il ne soit possible de procéder à une révision constitutionnelle qu'en recourant à son article 89, figurant au titre XVI, précisément intitulé « De la révision ».

Or, certains considèrent aujourd'hui qu'il est possible de recourir à l'article 11 de la Constitution pour réviser la Constitution. C'est notamment le cas du Rassemblement national (RN).

Certes, en 1962, dans des conditions très particulières, le général de Gaulle, a recouru à l'article 11 pour transformer la Constitution en modifiant le mode d'élection du Président de la République, afin qu'il soit élu au suffrage universel direct. Pour le général de Gaulle, qui venait d'être victime de l'attentat du Petit-Clamart, il s'agissait d'assurer la pérennité du système politique afin de donner à ses successeurs, qui ne disposeraient pas de la même légitimité historique, une plus grande légitimité. Le général de Gaulle avait donc eu recours à cette solution pour aller vite. Il s'est d'ailleurs heurté à l'opposition de toutes les autres autorités. Il a ensuite à nouveau appelé les Français à se prononcer par référendum sur la régionalisation et la disparition du Sénat tel qu'on le connaissait, mais le peuple souverain a refusé cette évolution, ce qui semblait avoir définitivement fermé cette voie procédurale.

Toutefois, le Rassemblement national a déposé, en janvier 2024, une proposition de loi constitutionnelle afin de recourir à l'article 11 selon des modalités complètement différentes de celles que je viens de vous exposer.

En effet, le RN affirme qu'il s'agit d'un référendum sur l'immigration, un thème qui sera probablement encore au centre des débats de l'élection présidentielle. Toutefois, il a, à la vérité, l'intention de modifier dix-huit articles de la Constitution et d'en ajouter sept. Si ce référendum était approuvé par les Français, nous changerions de pays : la Constitution s'en trouverait donc profondément modifiée, avec une inversion de la hiérarchie des normes, le droit français étant alors considéré comme supérieur au droit européen ou international. Ce parti politique prend pour exemples la Russie ou la Hongrie arguant d'une évolution positive de leur régime pour s'abstraire des règles de l'État de droit. Au-delà de la préférence nationale, c'est toute la Cinquième République qui serait transformée.

La proposition de loi constitutionnelle que je vous présente ne se limite pas à contrer le projet du Rassemblement national. Dans le monde actuel, les tentations illibérales ou autoritaires sont de plus en plus présentes. La tentation de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution pourrait à vrai dire concerner tout président `quel que soit son bord politique.

Il doit rester difficile de modifier la Constitution parce que ce texte fondamental est au sommet de la hiérarchie des normes. C'est pour cette raison qu'interviennent dans les débats l'Assemblée nationale et le Sénat. Le recours à l'article 11 pour modifier la Constitution conduirait à court-circuiter le Parlement, alors que les assemblées doivent être parties prenantes à toute évolution de la Constitution. Toute révision doit faire l'objet d'un débat démocratique. Ainsi, c'est le Sénat qui aurait le plus à perdre, car son « veto constitutionnel » se trouverait remis en cause.

Avec cette proposition de loi constitutionnelle, il ne s'agit pas d'empêcher un parti politique de gouverner. Si le RN devait accéder au pouvoir, ce que je ne souhaite pas, il pourrait mettre en place son programme. Mais je conteste qu'il gouverne en remettant en cause le fonctionnement même de nos institutions. C'est pourquoi je vous propose de légiférer pour éviter que les règles relatives à la révision de la Constitution qui prévalent aujourd'hui ne puissent être remises en cause.

M. Dany Wattebled. - Dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, vous parlez uniquement de l'extrême droite. Et pourquoi pas l'extrême gauche ? J'aimerais que l'on évoque aussi La France insoumise (LFI).

M. Éric Kerrouche. - Je pense que mon propos a été assez clair. En l'espèce, le RN a déposé une proposition de loi constitutionnelle en janvier 2024. C'est cette raison qui m'a conduit à déposer le texte qui vous est présenté. Mais, je le répète, la règle doit être la même pour tous.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'objet de la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Kerrouche et plusieurs collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est annoncé avec clarté dans son intitulé : « protéger la Constitution, en limitant sa révision à la voie de l'article 89 ». Cet intitulé nous renvoie donc à la vieille querelle liée au recours par le général de Gaulle, en 1962, à l'article 11 pour réviser la Constitution, comme l'a rappelé monsieur Kerrouche.

Je ne m'étendrai donc pas outre mesure sur le contexte juridique et historique, me bornant à quelques rappels.

La Constitution comporte un article spécialement dédié à sa révision, l'article 89. Il prévoit que l'initiative de la révision appartient au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux parlementaires. Pour que le texte de révision soit adopté, il faut ensuite qu'il soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Pour entrer en vigueur, le texte doit enfin faire l'objet d'une approbation. Deux cas de figure se présentent alors.

S'il s'agit d'un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République a la possibilité de le faire approuver par référendum ou par le Congrès, qui se prononce à la majorité des trois cinquièmes - c'est de loin le cas le plus fréquent.

S'il s'agit d'une proposition de loi, comme c'est ici le cas, elle ne peut entrer en vigueur que si le Président de la République décide de la soumettre au référendum. Il faut bien garder cet élément à l'esprit lorsqu'on légifère sur un texte comme celui-ci, mais j'y reviendrai.

Toutefois, en 1962, le général de Gaulle a eu recours à un autre article de la Constitution, l'article 11, pour faire adopter une loi révisant la Constitution. Il s'agissait de modifier le mode d'élection du Président de la République, de façon qu'il soit désormais élu au suffrage universel direct, une réforme qui fut donc au coeur de la conception institutionnelle du général de Gaulle.

L'article 11 de la Constitution concerne le référendum législatif. Il permet au Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au référendum « tout projet de loi » portant sur une série de matières limitativement énumérées, parmi lesquelles figure « l'organisation des pouvoirs publics ».

Le général de Gaulle s'était appuyé sur l'ambiguïté de cette formulation pour utiliser cette procédure à des fins de révision constitutionnelle. La régularité de cette manoeuvre avait d'emblée fait l'objet d'un avis négatif du Conseil d'État. Perçue comme une stratégie de contournement du Parlement, elle avait suscité une forte opposition des deux assemblées, aussi bien au Sénat, sous la présidence de Gaston Monnerville, qu'à l'Assemblée nationale, qui vota la censure contre le gouvernement Pompidou.

Néanmoins, le projet fut soumis au référendum et fut adopté par le peuple. Le Conseil constitutionnel ayant jugé qu'il n'était pas compétent pour contrôler des lois référendaires, le texte a pu entrer en vigueur. Ainsi, depuis 1965, le Président de la République est effectivement élu au suffrage universel direct.

Depuis, la Constitution n'a plus jamais été révisée via la procédure de l'article 11. La seule autre tentative en ce sens, à nouveau par le général de Gaulle en 1969, s'est soldée par un échec.

Par la suite, 23 révisions constitutionnelles ont eu lieu, toutes par la voie de l'article 89, et toutes, sauf une, au moyen d'une approbation par le Congrès.

Dans ces conditions, pourquoi et de quoi « protéger la Constitution » ? La réponse à cette question nous est donnée par l'exposé des motifs des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle.

Il s'agit de s'opposer au projet, publiquement affiché par le Rassemblement national, de recourir à nouveau à l'article 11 pour réviser la Constitution dans l'hypothèse où son candidat remporterait l'élection présidentielle. Cette révision concernerait l'inscription d'un principe dit « de priorité nationale » ainsi que d'autres mesures liées à son programme en matière d'immigration et de droit des étrangers.

C'est donc sur la base de ces éléments que j'ai engagé mes travaux de rapporteure.

J'ai auditionné plusieurs constitutionnalistes ainsi que des spécialistes d'histoire du droit et d'histoire politique. J'ai également entendu monsieur Pierre-Yves Bocquet, auteur d'un essai qui nous alerte sur les risques associés au projet de révision constitutionnelle du RN, et dont le travail a inspiré les auteurs de la PPLC.

Monsieur Kerrouche ainsi que plusieurs collègues ont participé à une partie de ces auditions. Comme moi, je pense qu'ils ont pu constater que le texte que nous examinons a le mérite de soulever un certain nombre de questions importantes sur nos équilibres institutionnels.

Au fil de ces travaux, je me suis posé, au fond, deux questions. D'abord, une question juridique : le dispositif proposé permet-il d'atteindre l'effet recherché par ses auteurs ? Ensuite, une question politique : est-il opportun pour le Sénat d'adopter ce texte dans le contexte politique actuel ?

À mon sens, il faut répondre par la négative à ces deux questions.

Commençons par la première, la question juridique.

L'ensemble des constitutionnalistes que j'ai auditionnés s'accordent sur un point. La proposition de loi constitutionnelle se borne à consacrer dans le texte des articles 11 et 89, ce qui est déjà l'interprétation de l'écrasante majorité de la doctrine, et ce depuis 1962.

On sait également que c'est la position du Conseil d'État, qui l'a rappelée à plusieurs reprises. L'ancien président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, l'a également déclarée publiquement. Certes, sa parole n'engage pas l'institution, mais elle témoigne bien du consensus doctrinal qui existe sur la question. À l'aune de cette interprétation, la proposition de loi constitutionnelle ne produit donc pas d'effet juridique particulier.

Mais je veux en venir à un point décisif de l'analyse juridique du texte. Aussi explicite que soit la rédaction proposée, elle n'est pas de nature à empêcher un Président de la République de recourir à l'article 11 pour faire adopter des dispositions constitutionnelles.

Ce que je m'apprête à vous exposer peut sembler n'être qu'un détail formel, mais c'est en réalité un élément essentiel pour appréhender notre question. Si vous vous rendez sur Légifrance pour rechercher la loi de 1962 sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, vous pourrez constater qu'il ne s'agit que d'une loi ordinaire : pas d'une « loi constitutionnelle », comme tous les textes adoptés sur le fondement de l'article 89.

Aussi déroutant que cela puisse paraître d'un point de vue juridique, on doit constater que ce n'était à l'époque rien de plus qu'une loi ordinaire : une loi ordinaire, dont les dispositions modifient des articles de la Constitution, en l'espèce les articles 6 et 7.

Sa contrariété à la hiérarchie des normes a beau sembler évidente, le fait est qu'elle n'a pas fait l'objet d'un quelconque contrôle juridictionnel. Je rappelle en effet que le Conseil constitutionnel est incompétent en matière de lois référendaires. Par conséquent, elle a pu valablement entrer en vigueur.

La proposition de loi constitutionnelle qui nous est présentée est sans incidence sur le contrôle des actes du Président de la République. Par conséquent, elle ne permet pas, par elle-même, de prévenir une réitération de la manoeuvre de 1962. Dans son exposé des motifs, la PPLC est présentée comme un « rempart institutionnel ». Mais elle ne serait en réalité, pour reprendre un terme bien connu de la doctrine constitutionnelle, qu'une « barrière de papier ».

On pourrait se dire malgré tout : « c'est mieux que rien », ou encore « cela va mieux en le disant ». Je ne partage pas ce point de vue, et ce pour plusieurs raisons.

Eu égard au sujet et aux objectifs de cette proposition de loi constitutionnelle, nous ne pouvons pas, à mon sens, nous limiter à une analyse purement juridique. En matière institutionnelle, l'appréciation d'une initiative est indissociable du message politique qui la sous-tend.

Elle est également, à mes yeux, indissociable du contexte politique dans lequel elle intervient. J'en viens donc à la seconde question que j'évoquais, la question proprement politique.

L'un des principaux griefs que l'on peut faire à cette initiative, c'est qu'elle sera immanquablement interprétée comme dirigée contre un parti politique particulier : en l'occurrence, le Rassemblement national.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et c'est un problème ?

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Cela me paraît tout à fait problématique.

À mon sens, il est impératif de préserver la Constitution, notre pacte fondamental, de toute appropriation partisane. C'est d'autant plus fondamental dans le contexte que nous connaissons, alors qu'une part croissante de nos concitoyens perd confiance dans les institutions.

Sur ce sujet, un peu de recul historique s'impose. Entre la Révolution de 1789 et 1958, notre pays a connu quinze Constitutions différentes. Pendant plus de 150 ans, la France était le pays de l'instabilité constitutionnelle. Et ce pour une raison simple : les forces en présence entretenaient toutes un rapport partisan à la Constitution. Le triomphe d'un camp était toujours susceptible de provoquer un changement de régime.

C'est à cette aune que l'on doit considérer la rupture opérée par la Cinquième République et la Constitution de 1958. Pour la première fois, celle-ci s'est véritablement imposée comme la chose de tous, et non plus celle des partis. Elle l'a montré avec les alternances, les cohabitations, les majorités relatives, et encore aujourd'hui dans la situation que nous connaissons.

Sur ces sujets, il nous faut faire preuve de beaucoup de précaution.

Je ne suis pas favorable au fait de donner le sentiment que l'on révise la Constitution pour nous protéger d'une échéance électorale dont nous redouterions l'issue. Le fait de viser directement un parti, comme le fait cette PPLC, me paraît donc contestable dans son principe. C'est d'ailleurs aussi probablement, à mon sens, contre-productif d'un point de vue politique.

Il existe deux autres raisons, là encore d'ordre politique, qui me conduisent à vous proposer de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. Elles tiennent, d'une part, à la procédure, et d'autre part, à la temporalité de ce texte.

Je l'ai évoqué, les propositions de loi constitutionnelle sont régies par une procédure rigide. Quand bien même le texte serait adopté par les deux assemblées en termes identiques, il faudrait ensuite que le Président de la République décide de le soumettre au référendum. Autant dire que les chances d'aboutir sont compromises. Peut-on vraiment croire, en effet, que le Président de la République, dans le contexte actuel et dans la position dans laquelle il se trouve, puisse prendre une telle décision ?

Alors que les Français n'ont pas été appelés à se prononcer par référendum depuis vingt ans, avec le traité constitutionnel européen, alors que le Président Macron s'était engagé lors de ses voeux à consulter de nouveau le peuple, peut-on imaginer que c'est au travers de ce texte qu'il renouerait avec la pratique du référendum ?

Le débat autour de ce texte nous amène, on l'a vu, à nous poser des questions d'équilibre institutionnel qui sont au fondement de notre régime politique. Il y va du rapport entre le Président de la République, en tant que gardien de la Constitution, et le Parlement, en tant que part essentielle du pouvoir constituant. L'esprit de la Cinquième République veut que de telles questions soient tranchées devant les Français lors de l'élection présidentielle, et non à l'occasion d'une proposition de loi.

Pour l'ensemble de ces raisons, mes chers collègues, je vous propose donc de ne pas adopter ce texte.

Conformément au gentlemen's agreement en vigueur s'agissant des espaces réservés, ce sera donc le texte initial qui sera discuté en séance.

Mme Corinne Narassiguin. - Votre conclusion est intéressante : vous dites qu'il ne faut pas faire de politique avec les questions institutionnelles. Or vous justifiez vous-même votre proposition de ne pas adopter ce texte par des motifs politiques !

Une proposition de loi constitutionnelle déposée par le Rassemblement national en janvier 2024 a mis en lumière certaines faiblesses dans notre Constitution. Si un texte issu d'un autre parti politique avait fait de même, nous aurions eu la même attitude : celle de souligner la nécessité de sécuriser l'esprit de la Constitution de la Cinquième République et ses modalités de révision. Seul l'article 89 doit permettre des révisions constitutionnelles. Les référendums organisés au titre de l'article 11 doivent porter sur des questions très précises et non servir de chevaux de Troie pour modifier la Constitution à l'insu de nos concitoyens, à l'issue d'un débat focalisé sur la question de l'immigration qui occulterait la véritable question posée.

Quel rôle voulons-nous garantir au Parlement, en particulier au Sénat, dans le processus de révision constitutionnelle ?

La proposition du RN montre que ce dernier a bien identifié la faiblesse de la Constitution. En effet, non seulement elle prévoit des modifications importantes de la Constitution via une utilisation de l'article 11 contraire à la règle, mais elle contient également une proposition de verrouiller les modifications constitutionnelles à l'avenir, qui ne pourraient plus passer que par la voie référendaire. Cela doit nous interpeller, et même nous inquiéter.

Aucun parti n'est à l'abri d'une dérive illibérale lorsqu'il accède au pouvoir. Nous le voyons dans d'autres pays. Il ne s'agit pas d'entrer dans une campagne électorale contre un parti donné.

Une révision de la Cinquième République doit se faire dans un cadre indiscutable sur le plan de la légitimité institutionnelle. Modifier la Constitution doit être une démarche complexe, assortie d'un débat transparent, ouvert, qui prend du temps. Il ne faut pas qu'il soit possible de modifier la Constitution en quelques semaines, au moyen de questions susceptibles d'engendrer des réponses émotionnelles et non rationnelles.

Vous partez d'une analyse avec laquelle nous pouvons être d'accord, pour aboutir à une conclusion contraire à vos propres arguments. En effet, en définitive, c'est vous qui faites de la politique avec votre conclusion !

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - La Constitution est effectivement notre pacte fondamental, que nous ne devons pas pouvoir modifier aisément. Mais ne dénaturez pas mon propos. Ce que je dis, c'est que la Constitution est l'outil par excellence de règlement du pouvoir politique. Certes, notre interprétation de son rôle institutionnel est nécessairement politique, mais elle n'est en aucun cas partisane. La Constitution est la chose de tous.

Au cours de l'instruction du texte, je me suis attachée à analyser la portée de la clarification juridique proposée. Mais en réalité, comme je l'ai montré, le texte n'apporte aucune sécurisation !

Seul l'article 89 permet de réviser la Constitution. Le Conseil d'État, le Conseil constitutionnel, la doctrine : tous s'accordent sur ce point.

De plus, c'est le professeur Denis Baranger qui, lors de son audition, a appelé mon attention sur le fait que, sur un plan formel, c'est une loi ordinaire qui a entraîné la modification constitutionnelle proposée par le général de Gaulle. Personne ne pourrait empêcher un futur président de faire de même'. Le texte de cette PPLC ne prévient nullement ce risque.

D'un point de vue politique, dans le contexte actuel, le fait de proposer une révision constitutionnelle assortie d'un tel affichage partisan n'est absolument pas opportun.

Vous présumez par ailleurs que le peuple français dira forcément « oui » au référendum et que la voix populaire sera instrumentalisée. Mais le général de Gaulle lui-même s'est heurté au peuple français en 1969 ! Sachons raison garder : le remède peut être pire que le mal.

Mme Agnès Canayer. - Je me rallie à la position de la rapporteure dont les arguments juridiques et politiques et la grande maîtrise du sujet nous conduisent à rejeter cette proposition de loi constitutionnelle.

La Constitution de 1958 s'appuie sur un équilibre subtil, qui fait sa force. Elle est rigide dans sa forme et souple sur son fond ; c'est pourquoi elle a su s'adapter à de nombreuses évolutions structurelles. Son article 3 dispose ainsi que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Entre démocratie directe et démocratie représentative, la Constitution a trouvé un équilibre, dont la procédure prévue à l'article 11 fait partie. Il me paraîtrait extrêmement dangereux de rompre cet équilibre au détriment de l'expression du pouvoir populaire.

M. Olivier Bitz. - Madame la rapporteure, je ne peux pas souscrire à vos propos. En réalité, la PPLC ne politise pas la Constitution. Elle fait l'inverse. La procédure rigide qui encadre la révision de cette dernière la place précisément au-delà du jeu politique. La proposition qui est faite consiste précisément à mettre les révisions constitutionnelles en dehors du jeu politique du moment et à s'assurer que le texte fondamental recueille le plus large assentiment possible dans la société française comme au Parlement.

Vous dites que nous n'aurions pas besoin d'un texte parce que la doctrine serait unanime sur le sujet. Pourtant, les révisions constitutionnelles précédentes ont bien eu lieu.

En réalité, ce sujet relève moins de la théorie juridique que de l'effectivité du contrôle. Le simple fait d'ajouter une disposition visant à limiter le recours à l'article 89 a des limites, si l'on se réfère aux théories de l'interprétation, de Carl Schmitt à Michel Troper. En définitive, la question qui se pose est de savoir qui décide. Le texte ne permet pas de répondre à cette question, puisque, dans les mêmes circonstances, le Président de la République pourrait recourir au référendum.

Si l'on veut vraiment poser un verrou et faire en sorte que la Constitution soit respectée, il faut prévoir des modalités de contrôle effectives de la proposition de révision constitutionnelle. Dans cette hypothèse, le plus opportun serait de réfléchir à un contrôle a priori du Conseil constitutionnel, avant toute opération référendaire : le Conseil vérifierait alors que la proposition faite dans le cadre de l'article 11 respecte bien notre loi fondamentale. Un contrôle a posteriori est en revanche exclu, dans la mesure où le Conseil constitutionnel se refuse à contrôler la constitutionnalité d'un texte ayant reçu l'onction populaire.

En réponse à Mme Canayer, je souligne que notre Constitution ne prévoit pas que l'article 11 puisse servir à réviser la Constitution - toute la doctrine s'accorde sur ce point. Aussi, on ne toucherait pas à notre équilibre institutionnel en en excluant le recours. On ne peut pas considérer qu'une expression, même populaire, contraire à la Constitution puisse être valide en tant que telle, puisque la consultation du peuple ne peut être envisagée que dans le cadre prévu par la Constitution.

Cela étant dit, que penser de la proposition de loi constitutionnelle de M. Kerrouche ? Pour ma part, et même si son issue est incertaine, je voterai en faveur de ce texte en séance publique, et ce pour une seule et bonne raison : il permet au Sénat, conformément à une position constante de celui-ci, de réaffirmer qu'il considère qu'il n'existe qu'une seule voie pour réviser la Constitution, celle que prévoit l'article 89.

Même si j'estime qu'il aurait avant tout fallu assurer l'effectivité des dispositions en vigueur dans notre Constitution, je considère que l'examen de ce texte nous donne l'occasion de rappeler la philosophie qui est celle de notre assemblée à ce sujet depuis de longues années.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - `Nos débats montrent bien que le sujet ouvert par la PPLC nous conduit inévitablement à évoquer une fois de plus les places et les rôles du Président de la République, du Parlement ou encore du Conseil constitutionnel dans l'équilibre institutionnel de la Cinquième République. Comme je l'ai déjà évoqué, ce n'est à mon sens ni le bon lieu ni le bon moment pour examiner sérieusement des questions aussi sensibles.

On nous reproche la politisation du débat. Mais ce n'est pas moi qui ai fait de cette PPLC un outil partisan, ce sont ses auteurs ! Je vous renvoie à l'exposé des motifs, mes chers collègues. Un tel texte risque de nous faire tomber dans une logique de confrontation ami-ennemi. Les historiens du droit expliquent bien, de surcroît, que toutes les instrumentalisations partisanes de la Constitution ont pu être retournées contre leurs promoteurs.

S'agissant du contrôle du Conseil constitutionnel, il y a là encore beaucoup à dire. Je pense naturellement à la jurisprudence « Hauchemaille » et son champ d'application incertain. je pense aussi au comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, qui, en 2007, avait réfléchi à la mise en place d'un contrôle a priori en cas d'instauration d'un référendum d'initiative parlementaire, et qui avait finalement décidé de ne pas le recommander. Il y a là, je le reconnais, un sujet qui mérite véritablement débat. Je rappelle que lorsque le Sénat avait examiné la révision constitutionnelle de 2008, il avait été envisagé de prévoir un contrôle a priori du Conseil constitutionnel sur les projets de référendum, au même titre que pour les propositions de référendums d'initiative partagée, et que cette solution avait expressément été écartée.

M. Patrick Kanner. - Je vous remercie, madame la rapporteure, de ces explications très détaillées.

Sur la forme, vous considérez que, dans la mesure où cette proposition de loi constitutionnelle a peu de chances de prospérer, `il serait plus opportun de ne pas l'adopter. C'est pourtant le cas d'un certain nombre d'initiatives que nous adoptons. Permettez-moi de préférer une autre option, celle qui consiste à défendre nos convictions, à faire de la politique, au meilleur sens du terme, et à tenter de vous convaincre que nos initiatives, et celle-ci en particulier, peuvent être utiles au débat parlementaire.

Sur le fond, nous ne partons pas de rien. Dans l'exposé des motifs, nous insistons essentiellement sur une proposition de loi constitutionnelle déposée par les députés du RN, que nous jugeons extrêmement dangereuse pour notre démocratie. Il ne s'agit pas d'un fantasme, mais d'un fait : le RN s'inscrit dans une logique illibérale en défendant un texte qui, si ce parti politique arrivait au pouvoir, pourrait aller jusqu'à son terme.

Il ne s'agit pas pour autant de stigmatiser un tel plutôt qu'un autre, mais de s'opposer à toute possibilité, pour un parti politique susceptible d'accéder au pouvoir, de modifier notre Constitution en profondeur sans aucun garde-fou. Notre proposition de loi constitutionnelle vise en conséquence à sécuriser un dispositif, celui de l'article 89, sur lequel nous sommes tous d'accord. Il ne nous semble donc pas superfétatoire de faire adopter ce texte...

Le groupe socialiste soutiendra évidemment cette proposition de loi constitutionnelle, qui figurera au premier point de l'espace réservé à notre groupe le 6 novembre prochain.

M. Éric Kerrouche. - Si tout le monde s'accorde sur le fait que toute procédure de révision de la Constitution doit se faire sur le fondement de l'article 89, dans ce cas - et ce n'est pas indifférent -, pourquoi certains annoncent leur intention de recourir à l'article 11 pour modifier la Constitution ?

Vous nous dites, madame la rapporteure, que nous faisons de la politique avec ce texte. Non ! Nous ne faisons qu'apporter une réponse à un texte déposé par le Rassemblement national à l'Assemblée nationale et nous réagissons simplement face au danger qu'il représente. Ce qui m'étonne dans votre raisonnement, c'est que nous n'envisagez jamais les risques institutionnels et constitutionnels que l'adoption de ce texte implique, aussi bien pour les Français que pour notre assemblée. Par ailleurs, je ne préjuge pas ce que pourrait être la réponse du peuple français à la question qui lui serait posée ; je préjuge en revanche la malhonnêteté qui pourrait être celle de ladite question.

Depuis le XIXème siècle, les acteurs politiques entretiennent un rapport particulier avec le référendum. En l'espèce, le texte déposé par le RN n'a d'autre but que de ranimer l'adhésion à une logique plébiscitaire. Il s'inscrit dans une démarche émotionnelle, à l'image de ce qui a conduit au Brexit, et tente de jouer sur les peurs. Le Rassemblement national souhaite un référendum sur l'immigration ; au travers de notre proposition de loi constitutionnelle, ce n'est pas le sujet de l'immigration que nous abordons, mais celui de nos institutions.

Je m'étonne également de l'argument juridique que vous avez avancé : dès lors que c'est une simple loi ordinaire qui a conduit à la promulgation de la loi de 1962 sur l'élection du Président de la République, on ne pourrait rien faire. Cela voudrait dire qu'en excluant explicitement le recours à l'article 11 pour réviser la Constitution, on ne pourrait pas pour autant contraindre les acteurs politiques à s'y conformer. Un tel argument me semble quelque peu léger, dès lors qu'une nouvelle obligation constitutionnelle pèserait sur le Président de la République...

Mon texte n'est pas destiné à lutter contre un parti politique en particulier, mais à combattre une tentation qui continue de se développer, celle de l'illibéralisme. Il faut cesser d'invoquer les équilibres institutionnels de la Cinquième République : ceux-ci sont susceptibles d'être modifiés à tout moment. Pour défendre la Cinquième République telle que nous la connaissons, il me semble que nous avons tout intérêt à voter cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Sur la forme, monsieur Kanner, vous avez raison : la question que votre groupe soulève avec ce texte mérite d'être posée et suscite un débat juridique et politique important. En revanche, je maintiens qu'on voit mal comment un tel texte qui sera inévitablement interprété comme une limitation du référendum pourrait trouver une issue heureuse, quand bien même le Président de la République souhaiterait prendre le risque de le soumettre au peuple français dans un temps record d'ici aux prochaines présidentielles. Car encore une fois, selon les termes de l'article 89, une approbation par référendum est indispensable pour que cette initiative soit adoptée.

En tout état de cause, ce sont bien des lois ordinaires qui ont été soumises au référendum en 1962 et en 1969. C'est une façon de faire à laquelle tout acteur politique pourrait indubitablement encore recourir aujourd'hui. Dans un tel cas de figure, aucune approbation parlementaire n'est nécessaire, et aucun contrôle du Conseil constitutionnel n'est possible.

Vous vous demandez également pourquoi nous nous refusons à préserver le rôle du Sénat dans le processus de révision de la Constitution. Les messages que nous adressons à la population revêtent une importance capitale dans un contexte où nos institutions n'ont jamais été aussi critiquées et où les élus, a fortiori nationaux, n'ont jamais été autant pointés du doigt : si nous vous écoutions, nous risquerions de donner l'impression que nous ne cherchons qu'à nous protéger nous-mêmes et que nous tentons d'empêcher le peuple de s'exprimer comme il le souhaiterait. Ce serait une très mauvaise chose !

Enfin, vous dénoncez la dimension plébiscitaire du référendum. Vous redoutez notamment que le peuple puisse se faire manipuler. Pour ma part, j'estime que, au-delà de la discussion parlementaire, qui permet, il est vrai, d'échanger des arguments sérieux, étayés et profonds, le peuple français est assez raisonnable et intelligent pour qu'un débat digne de ce nom ait lieu.

M. Francis Szpiner. - Je suis sans doute un mauvais sénateur, parce que je suis un vieux gaulliste. Je rappelle que le général de Gaulle avait été accusé de forfaiture et que c'est sur cette sur cette « forfaiture » que s'est construite la Cinquième République !

Quelle est l'architecture du référendum dans la Constitution ? Cette question mérite assurément d'être posée. L'on pourrait, par exemple, prévoir un taux minimum de participation, mais à l'issue d'un véritable débat sur l'avenir de nos institutions.

Or le fait, avec la ratification du traité de Lisbonne, de ne pas avoir tenu compte de la réponse du peuple sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, a pourri la vie politique française et a encore des conséquences aujourd'hui. Ainsi, monsieur Kerrouche, votre mépris du peuple me fait peur. Les citoyens voteraient mal : ils ont voté le Brexit, quel scandale ! Avec un tel discours, vous êtes le meilleur pourvoyeur de votes au Rassemblement national, car vous opposez le peuple aux élus, créant les conditions d'un divorce catastrophique.

Sur un plan technique et juridique, Olivier Bitz a parfaitement raison : votre texte ne servira à rien sans un contrôle préalable de la question référendaire.

L'architecture de la Cinquième République est un débat sérieux, qui doit trouver sa place dans le cadre d'une élection présidentielle. Or aujourd'hui, vous donnez le sentiment de vouloir museler le peuple, puisque celui-ci soutiendrait le RN. C'est politiquement catastrophique. Je suivrai la rapporteure.

Mme Isabelle Florennes. - Les membres du groupe Union Centriste comprennent l'argumentation de notre collègue Éric Kerrouche sur la progression d'une tentation illibérale, y compris dans des pays qui ne sont pas si éloignés du nôtre. Mais ce n'est pas le sujet. J'ai été membre d'une autre assemblée, il y a quelques années : la famille centriste demande depuis longtemps un véritable débat sur nos institutions, les modes de scrutin et l'équilibre de la Cinquième République. On nous oppose que ce ne serait pas une préoccupation des Français, mais c'est faux ! Ils demandent à y participer.

Cette proposition de loi constitutionnelle, dont nous comprenons en partie l'exposé des motifs, n'y répond pas. Nous participerons au débat, même si nous sommes défavorables au texte. La question devrait être posée à l'occasion de la prochaine élection présidentielle : j'espère que nous serons alors réunis pour nous accorder sur certains grands principes.

Mme Mélanie Vogel. - Cette proposition de loi constitutionnelle aurait été élaborée dans la peur du peuple et de l'adhésion des Français au projet du Rassemblement national ? Mais en ce cas, monsieur Szpiner, il ne faudrait aucune limitation à l'article 11 de la Constitution. Or je ne connais pas de Constitution démocratique qui ne limite pas l'exercice référendaire. La portée de cet argument est donc limitée.

Nous pouvons rejoindre Mme la rapporteure sur certains points : même si c'est l'article 89 de la Constitution qui détermine les conditions de sa révision, il est avéré que le texte a déjà été modifié au moyen de son article 11, ce qui est regrettable. Mais depuis lors, rien n'a été fait pour que cela ne se reproduise pas. Proposition du Rassemblement national ou non, il serait donc logique de combler cette faille. Tout au plus, la proposition de loi constitutionnelle qui nous est soumise démontre-t-elle que le risque de se saisir de cette faiblesse existe bien.

On oppose aux auteurs de ce texte qu'ils politisent l'exercice parce qu'ils agissent en fonction d'un risque factuel. Il faudrait donc qu'il n'y ait pas de risque pour qu'il soit légitime d'agir pour résoudre un problème identifié depuis des décennies ?...

Les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires voteront pour cette proposition de loi constitutionnelle, et l'auraient fait même sans l'initiative du Rassemblement national.

Je vous invite à observer la manière dont, en Hongrie et en Pologne notamment, les protections démocratiques inscrites dans des Constitutions plus solides que la nôtre ont été détricotées. Des modifications constitutionnelles, adoptées par référendum, ont permis à Orban ou à Kaczynski de ne plus être contrôlés par les contre-pouvoirs. Cela leur a d'ailleurs probablement pris plus de temps qu'il en faudrait au Rassemblement national pour faire de même, compte tenu de ce qu'est la Constitution de la Cinquième République. Que direz-vous, alors même que nous aurons eu l'occasion de remédier à cette situation avec cette proposition de loi constitutionnelle ?

Quant à l'argument sur la nécessité d'un référendum pour réviser la Constitution au moyen d'une proposition de loi, je rappelle qu'il y a un an et demi, une proposition de loi constitutionnelle qui avait été déposée pour consacrer la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse avait permis de dégager un consensus et ouvert la voie à l'adoption d'un projet de loi constitutionnelle par le Congrès.

M. Louis Vogel. - Souvenons-nous des mots de Montesquieu : « il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante. » Il faut débattre de l'équilibre général de notre Constitution, et non d'un point de détail. Il est donc malvenu d'en discuter à ce moment.

M. Éric Kerrouche. - Je tiens à réagir aux propos de M. Szpiner, qui m'a pris à partie.

Dans quel pays est-il aisé de changer la Constitution ? Aucun. L'exemple du Royaume-Uni n'est pas pertinent, puisque ce pays n'a pas de Constitution écrite. En outre, on ne saurait me reprocher un quelconque mépris du peuple, monsieur Szpiner. Je suis un partisan du référendum d'initiative citoyenne en matière législative.

Nous disons en revanche qu'il est normal que la révision de la Constitution fasse l'objet de limitations. C'est de cela que nous parlons, et rien d'autre. Cessons donc de caricaturer les positions de chacun.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

M. Éric Kerrouche, sénateur des Landes et auteur de la proposition de loi constitutionnelle

M. Denis Baranger, professeur de droit constitutionnel à l'université Panthéon-Assas

M. Pierre-Yves Bocquet, directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, auteur de La « Révolution nationale » en 100 jours et comment l'éviter53(*)

M. Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l'université de Toulouse-Capitole

M. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille

M. Bertrand Mathieu, professeur émérite de l'École de droit de la Sorbonne, président de l'association française de droit constitutionnel

M. Dominique Rousseau, professeur émérite en droit public à l'université Panthéon-Sorbonne

M. François Saint-Bonnet, professeur en histoire du droit à l'université Paris-I

M. Arnaud Teyssier, haut-fonctionnaire et historien

Contribution écrite :

M. Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-551.html


* 1 Denis Baranger, La Constitution. Sources, interprétations, raisonnement, Éditions Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2022, p. 208.

* 2 Modification issue de l'article 45 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Cinquième République.

* 3 Seule la loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la République a été approuvée par référendum en application de l'article 89, alinéa 2.

* 4 Article 7 de la Constitution, dernier alinéa.

* 5 Article 89 de la Constitution, quatrième alinéa.

* 6 Cons. const., décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, considérant n° 19.

* 7 Article 89 de la Constitution, dernier alinéa.

* 8 Article 19 de la Constitution.

* 9 Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Points, 2016, p. 89.

* 10 Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

* 11 Cons. const., décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, considérant n° 19.

* 12 Cons. const., décision n° 2003-469 DC du 26 mars 2003.

* 13 Cons. const., décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962.

* 14 Articles 46 à 51 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

* 15 Cons. const., décision n° 2000-21 REF du 25 juillet 2000, dite « Hauchemaille ».

* 16 Cons. const., décision n° 2005-31 REF du 24 mars 2005, dite « Hauchemaille, Meyet ».

* 17 Voir l' exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle.

* 18 Tel est l'objet de la proposition de loi constitutionnelle Citoyenneté-Identité-Immigration, n° 2120, déposée le jeudi 25 janvier 2024 à l'Assemblée nationale par la députée Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national.

* 19 Motion de censure du 4 octobre 1962.

* 20 Conseil d'État, avis n° 286.146 du 1er octobre 1962 sur le projet de loi relatif à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

* 21 A. Hauriou, « C'est la première manche qu'il faut gagner », Le Monde, 21 et 22 octobre 1962 - cité par : Johanna Noël, Revue française de droit constitutionnelle, 2016/2 n° 106, pp. 391 à 410.

* 22 Comme le souligne Johanna Noël dans son article « Pour une analyse épistémologique de la querelle autour de l'article 11 : de la dénonciation à la réhabilitation d'une violation de la Constitution » (Revue française de droit constitutionnel, 2016/2 n° 106, pp. 391 à 410) : « Ce constat de la concertation unanime doctrinale a été posé dès 1962 par plusieurs auteurs, voir J. Fauvet, “Vers une révision constitutionnelle ? ”, Le Monde, 19 juillet 1962. ; M. Prélot, “Sur une interprétation « coutumière » de l'article 11”, Le Monde, 15 mars 1969. Le constat est également réalisé par de nombreux auteurs contemporains de manière rétrospective, voir P. Ardant, B. Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ Lextenso éd., 2012, 24e éd., p. 100 ; D. Chagnollaud, Droit constitutionnel contemporain, t. 3, La Ve République, Paris, Dalloz, 2009, 5e éd., p. 100 ; V. Constantinesco, S. Pierré-Caps, Droit constitutionnel, Paris, PUF, “Thémis-droit”, 2013, 6e éd., p. 351 ; P. Foillard, Droit constitutionnel et institutions politiques, Bruxelles, Larcier, “Paradigme”, 2011-2012, p. 183 ».

* 23 G. Vedel, Introduction aux études politiques, Fascicule I, Paris, Les cours de droit, 1969-1970.

* 24 Mathieu Carpentier, « Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à (presque) aimer le recours à l'article 11 pour réviser la Constitution », Jus Politicum, 21 février 2018.

* 25 Ibid.

* 26 Ibid. Mathieu Carpentier, qui soutient la thèse de l'irrégularité du recours à l'article 11 pour réviser la Constitution, propose néanmoins un raisonnement par l'absurde pour démontrer la fragilité de l'argument consistant à interpréter l'existence d'une procédure spéciale dédiée à la révision de la constitution comme exclusive de toute autre. En effet, en tirant toutes les conséquences de cet argument, il serait possible de conclure qu'aucune loi ne peut être adoptée sur le fondement de l'article 11, dans la mesure où les articles 45 et 46 de la Constitution fixent également la procédure d'adoption des lois ordinaires et organiques, sans prévoir de dérogation.

* 27 Voir par exemple Jean-Marcel Jeanneney, « Le référendum comme source de légitimité en France », Deux constitutions, la Ve République et la République italienne, parallèles et commentaires, actes du colloque organisé par l'Associazione Italia-Francia et l'École française de Rome du 1er au 3 décembre 1980, École française de Rome, 1988, pp. 31-39. Jean-Marcel Jeanneney, ministre sous la présidence du général de Gaulle, y rapporte un échange oral au cours duquel ce dernier l'aurait assuré que son intention, lors des travaux d'élaboration de la Constitution, était bien de permettre une révision constitutionnelle par la voie de l'article 11. Le général de Gaulle lui aurait confié :« Vraiment tout le monde m'a alors assuré qu'avec l'article 11, je pourrais réviser la Constitution », ajoutant : « Je sais bien moi, ce que je voulais, et ce que j'ai entendu écrire ».

* 28 Contribution écrite de Jean-Éric Schoettl adressée à la rapporteure.

* 29 Conseil d'État, Assemblée, 30 octobre 1998, n° 200286 dite « Sarran et Levacher ».

* 30 M. Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel, a déclaré dans une conférence de presse du 25 janvier 2022 : « Ceux qui [...] estiment pouvoir s'appuyer sur l'article 11 et le seul référendum pour réviser la constitution ont tout faux [...], toute révision de la Constitution doit se fonder non sur l'article 11 mais sur l'article 89 »

* 31 Contribution écrite du professeur Bertrand Mathieu adressée à la rapporteure.

* 32 Jean Gicquel et Jean-Éric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, 39e édition 2025-2026, LGDJ Lextenso, 2025, p. 617.

* 33 Denis Baranger, La Constitution. Sources, interprétations, raisonnement, Éditions Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2022, p. 208.

* 34 François Mitterrand, Président de la République, dans une interview à M. Olivier Duhamel pour la revue Pouvoirs, 1er avril 1988.

* 35 Denis Baranger, « Le dépérissement de la pensée institutionnelle sous la Ve République », Droits, 2006/2 n° 44, 2006, pp. 33-50.

* 36 Denis Baranger, La Constitution. Sources, interprétations, raisonnement, Éditions Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2022, pp. 107-108.

* 37 Selon l'expression de Georges Liet-Veaux.

* 38 Projet de loi annexé relatif à la création des régions et la rénovation du Sénat, annexé au décret n° 69-296 du 2 avril 1969 décidant de soumettre un projet au référendum.

* 39 Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Points, 2016, pp. 98-99.

* 40 Denis Baranger, La Constitution. Sources, interprétations, raisonnement, Éditions Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2022, p. 209.

* 41 Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, Quarto Gallimard, 2002, p. 742.

* 42 Article 28 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Cinquième République.

* 43  Rapport n° 387 (2007-2008) fait par Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des lois, 11 juin 2008.

* 44 Amendement n° 28 rect.

* 45 Conseil d'État, Sect., avis n° 397908 du 29 août 2019 sur un projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique.

* 46 C'est-à-dire, indépendamment de l'adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle.

* 47 Contribution écrite du professeur Mathieu Carpentier adressée à la rapporteure.

* 48  « 20 propositions d'évolution institutionnelle », Rapport du groupe de travail du Sénat sur les institutions, 7 mai 2024.

* 49 François Saint-Bonnet, « Le bien, le mieux et l'ennemi du bien (considérations sur le nouvel article 16 de la Constitution) », Les Petites affiches, n° 254, 19 décembre 2008, pp. 24-27.

* 50 François Saint-Bonnet, « Technique juridique du coup d'État », in Frédéric Bluche (dir.), Le Prince, le peuple, le droit, Léviathan, 2000, pp. 123-160.

* 51 Au cours de cette période, le professeur Marcel Morabito compte 15 constitutions avant l'adoption de celle de 1958, ajoutant que ce nombre est « inférieur à celui de nos régimes politiques, plusieurs régimes transitoires ayant fonctionné en l'absence de constitution » (Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, 16ème édition, 2020, p. 19).

* 52 Pierre-Yves Bocquet, La « Révolution nationale » en 100 jours et comment l'éviter, Gallimard, collection « Tracts », 2025.

* 53 Pierre-Yves Bocquet, La « Révolution nationale » en 100 jours et comment l'éviter, Gallimard, collection « Tracts », 2025.

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