N° 147
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 novembre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
européennes (1) sur la proposition
de résolution
européenne en application de l'article 73 quinquies C du
Règlement, visant à demander au
Gouvernement
français de saisir
la Cour de justice
de
l'Union européenne
pour empêcher la
ratification de l'accord
avec le Mercosur,
Par MM. Daniel GREMILLET et Didier MARIE,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Ronan Le Gleut, Mme Gisèle Jourda, MM. Didier Marie, Claude Kern, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Teva Rohfritsch, Mme Cathy Apourceau-Poly, MM. Cyril Pellevat, Louis Vogel, Mme Mathilde Ollivier, M. Ahmed Laouedj, vice-présidents ; Mme Marta de Cidrac, M. Daniel Gremillet, Mmes Florence Blatrix Contat, Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Georges Patient, Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, François Bonneau, Mmes Valérie Boyer, Sophie Briante Guillemont, M. Pierre Cuypers, Mmes Karine Daniel, Brigitte Devésa, MM. Jacques Fernique, Christophe-André Frassa, Mmes Pascale Gruny, Nadège Havet, MM. Olivier Henno, Bernard Jomier, Mme Christine Lavarde, M. Dominique de Legge, Mme Audrey Linkenheld, MM. Vincent Louault, Louis-Jean de Nicolaÿ, Mmes Elsa Schalck, Silvana Silvani, M. Michaël Weber.
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Sénat : |
99 et 148 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
La commission des affaires européennes a adopté avec modification, jeudi 20 novembre 2025, sur le rapport de MM. Daniel Gremillet et Didier Marie, la proposition de résolution européenne n° 99 (2025-2026) visant à demander au Gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour empêcher la ratification de l'accord avec le Mercosur.
I. L'ACCORD COMMERCIAL AVEC LES PAYS DU MERCOSUR : UN TEXTE CRITIQUÉ POUR SON MANQUE D'AMBITION ENVIRONNEMENTALE AINSI QUE LES RISQUES AUXQUELS IL EXPOSE L'AGRICULTURE EUROPÉENNE
A. L'ACCORD CONCLU EN 2019 A SUSCITÉ D'IMPORTANTES RÉSERVES AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE, RENDANT PEU PLAUSIBLE SA SIGNATURE PAR LES ÉTATS MEMBRES
Le Conseil de l'Union européenne a autorisé le 13 septembre 1999 la Commission européenne à ouvrir des négociations avec les quatre pays du bloc commercial du Mercosur1(*) - Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay. Après vingt ans de discussions souvent ralenties par des divergences économiques et politiques, l'Union européenne et le Mercosur ont annoncé le 29 juin 2019 avoir conclu les négociations sur la partie commerciale de l'accord.
En pratique, 91 % des biens européens exportés vers le Mercosur et 92 % des biens sud-américains exportés vers l'Union européenne devraient faire l'objet d'une libéralisation des tarifs douaniers. Selon l'analyse économique réalisée par les services de la Commission européenne, à horizon 2040, les exportations européennes vers le Mercosur devraient augmenter de 48,7 milliards d'euros (+ 39 %), ce qui génèrerait une hausse de 77,6 milliards d'euros (+ 0,05 %) du PIB de l'Union européenne - les gains les plus importants étant attendus dans le secteur des véhicules automobiles, des machines et équipements et des produits chimiques.
1. Sur le volet agricole, un accord exposant les producteurs de l'Union à une concurrence déloyale et les citoyens européens à des risques sanitaires
L'Union européenne libéraliserait 82 % de ses importations de produits agricoles.
Les produits agricoles sensibles feraient l'objet de quotas alimentaires à droits de douane réduits (ou contingents tarifaires).
L'accord prévoit ainsi l'ouverture progressive d'un nouveau contingent de 99 000 tonnes de viande bovine à 7,5 % de droits de douane, les importations au-delà de ce quota ayant vocation à rester soumises à des droits de douane plus élevés, de l'ordre de 55 %.
L'accord entraînerait un surplus d'importation de 53 000 tonnes de viande bovine, s'ajoutant aux contingents tarifaires existants2(*).
Les nouveaux contingents ouverts, qui concerneraient essentiellement les viandes issues de l'aloyau, correspondraient à environ un quart de la production d'aloyaux européens.
Or, les cours de l'aloyau issu du Mercosur s'avèrent nettement plus faibles que les prix européens3(*), reflet de coûts de production bovine en moyenne inférieurs de 40 % à ceux des exploitations européennes4(*).
Cet écart traduit essentiellement le différentiel existant entre l'Union européenne et le Mercosur en termes de réglementation applicable - qu'il s'agisse du recours aux produits phytosanitaires, des normes environnementales, des exigences en matière de traçabilité et de bien-être animal ou encore des conditions de travail.
Des contingents exemptés de droits de douane sont également prévu pour la volaille (180 000 tonnes), le miel (45 000 tonnes), le maïs doux (1 000 tonnes), le sucre (190 000 tonnes) ou encore l'éthanol (650 000 tonnes).
Dans ce contexte, les organisations agricoles dénoncent de longue date une concurrence déloyale, tandis que de nombreuses parties prenantes s'inquiètent des risques auxquels seraient exposés les citoyens européens en termes de santé publique.
2. Sur le volet environnemental, un accord étonnamment dénué d'ambition s'agissant de la lutte contre la déforestation et le changement climatique
Alors que les forêts du continent sud-américain représentent environ 27 % de la couverture forestière mondiale, le Brésil, le Paraguay et l'Argentine font partie des dix pays les plus touchés par la déforestation. Principalement lié à l'élevage bovin et à la culture du soja, le phénomène de déforestation serait inévitablement aggravé par la progression des exportations sud-américaines.
L'accroissement des échanges bilatéraux se traduirait, par ailleurs, par une hausse de 75 000 tonnes par an des émissions annuelles de gaz à effets de serre provenant du commerce agricole (+ 15 %)5(*).
De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l'absence de garanties suffisantes dans l'accord en termes de lutte contre la déforestation et le changement climatique et plaider en faveur d'engagements précis et contraignants dans ce domaine.
Ces réactions ont suscité des tensions avec les pays du Mercosur, lesquels ont dénoncé l'adoption, par l'Union européenne, de mesures unilatérales en matière de durabilité.
Dans ce contexte, les négociations ont connu un net ralentissement jusqu'en 2023.
* 1 Outre les quatre États fondateurs mentionnés, la Bolivie a rejoint le bloc du Mercosur en décembre 2023, mais n'est pas incluse dans l'accord. La participation du Venezuela au bloc a été suspendue en 2017.
* 2 Rapport de la commission d'évaluation du projet d'accord UE-Mercosur, Dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l'Accord d'Association entre l'Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, 18 septembre 2020.
* 3 Selon l'Institut de l'élevage, entre 2017 et 2021, les prix du faux-filet pratiqués au Brésil étaient inférieurs de 65 % aux prix européens.
* 4 D'après les données du réseau Agribenchmark, reprises par le rapport de l'Institut de l'évelage (IDELE), « Accord UE/Mercosur : quels risques pour la filière bovine européenne ? », 19 novembre 2024.
* 5 GRAIN, L'accord commercial UE-Mercosur va intensifier la crise climatique due à l'agriculture, 25 novembre 2019.
