B. LA RELANCE DES NÉGOCIATIONS EN 2023 A PERMIS D'INTRODUIRE DE NOUVELLES STIPULATIONS REMPLISSANT PARTIELLEMENT LES CONDITIONS POSÉES PAR LA FRANCE POUR SOUTENIR L'ACCORD

Le retour au pouvoir de M. Lula da Silva au Brésil, dans un contexte marqué par la recomposition des équilibres commerciaux mondiaux, s'est traduit par une relance progressive des discussions. Face à la montée en puissance de la Chine et aux tensions commerciales avec les États-Unis, l'Union européenne a manifesté un intérêt renouvelé pour le partenariat avec l'Amérique du Sud, permettant de réduire ses dépendances stratégiques.

Les échanges ont abouti à la conclusion, le 6 décembre 2024 à Montevideo, d'un nouvel accord politique entre l'Union européenne et le Mercosur.

En pratique, si le chapitre sur le Commerce et le développement durable est resté inchangé (y compris l'exclusion des sanctions), une nouvelle annexe a été introduite à la demande de l'Union européenne, sous la forme d'un « protocole additionnel » centré sur le développement durable.

En contrepartie, les États du Mercosur ont obtenu certaines flexibilités, ainsi que l'introduction d'un nouveau mécanisme de rééquilibrage dans le cas où les législations européennes affecteraient négativement les échanges.

Tableau récapitulatif des principaux changements réalisés
entre l'accord de 2019 et l'accord de 2024

 

Changements introduits dans l'accord de 2024

Durabilité

Introduction d'une nouvelle annexe au chapitre Commerce et Développement durable (CDD), comprenant :

- un lien avec les mesures unilatérales de l'Union (comme le règlement sur les produits exempts de déforestation) ;

- un engagement des pays du Mercosur à mettre fin à la déforestation à partir de 2030.

Accord de Paris sur le climat

Mention de l'Accord comme un élément essentiel

Calendriers d'élimination tarifaire

Agriculture : accès au marché marginalement accru pour la viande porcine du Paraguay ; contingent tarifaire pour le biodiesel du Paraguay.

Véhicules : différenciation selon le type de véhicules. Si rien ne change pour les moteurs à combustion interne, la période d'élimination des droits de douane est allongée pour les véhicules électriques / hybrides, passant de 15 à 18 ans.

Sauvegardes bilatérales

Véhicules : abaissement du seuil de déclenchement des mesures de sauvegarde pour les voitures, et allongement de la durée maximale de sauvegarde, de 4 à 5 ans.

Droits à l'exportation

Nouvelles exceptions pour le Brésil sur les matières premières, avec l'autorisation d'imposer des droits à l'exportation sur certains minéraux, assortie d'une protection parallèle pour l'Union, via des droits préférentiels et des plafonds.

Marchés publics

Modifications mineures concernant la portée de l'ouverture et les marges de flexibilité.

Indications géographiques

Les IG sont redéfinies comme un élément évolutif, permettant aux deux parties de mettre à jour continuellement la liste.

Règlement des différends

Introduction d'un nouveau mécanisme de rééquilibrage.

Clause de révision

Mise en place d'une révision périodique par un comité associant les parties prenantes.

Source : commission des affaires européennes, à partir des données de la direction générale des politiques externes de l'Union du Parlement européen

Or, la France avait posé trois conditions à la signature de l'accord : ne pas augmenter la déforestation importée dans l'Union européenne, mettre l'accord en conformité avec l'Accord de Paris et garantir que les produits agricoles et agroalimentaires imposés bénéficiant d'un accès préférentiel au marché de l'Union européennes respectent bien, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne.

Si notre pays a, en apparence du moins, obtenu gain de cause sur les deux premiers points, force est de constater que les demandes relatives à l'instauration de clauses miroirs sont restées lettre morte.

1. Les concessions obtenues par l'Union européenne : l'inclusion de l'Accord de Paris et de dispositions juridiquement contraignantes sur la lutte contre la déforestation
a) L'Accord de Paris érigé en clause essentielle : un outil de dissuasion, dont la portée réelle doit être nuancée

L'accord politique de 2024 érige l'Accord de Paris en élément essentiel de l'accord. En pratique, un article additionnel19(*) précise que chaque Partie « restera partie, de bonne foi, à la Convention cadre des Nations-Unies contre le changement climatique et à l'Accord de Paris conclu au titre de celle-ci », cette stipulation étant expressément définie dans l'article comme un élément essentiel de l'accord.

Or, en vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, si une partie viole un élément essentiel d'un accord, l'autre partie peut suspendre ou résilier unilatéralement cet accord, en tout ou en partie. L'article 30.4 de l'accord de partenariat stipule ainsi que si une partie considère qu'une des obligations décrites comme élément essentiel a été violée, elle pourra prendre les mesures appropriées, à savoir décider de la « suspension, totale ou partielle » de l'accord.

Cette disposition revêt pourtant une portée limitée, pour plusieurs raisons :

- l'accord précise que la suspension constitue « une mesure de dernier recours, et ne peut être imposée qu'en cas de violation particulièrement grave et substantielle des éléments essentiels » ;

- la notion de « bonne foi » demeure largement sujette à interprétation, si bien que la portée de l'engagement est incertaine ; pour certains observateurs, la clause ne saurait être interprétée comme imposant une conformité totale aux engagements prévus par l'accord de Paris ;

- les pays en développement ne sont soumis qu'à des obligations minimes dans le cadre de l'Accord de Paris, comme l'a relevé le think tank Farm Europe dans une analyse publiée en décembre 202420(*), si bien que l'inclusion de cette clause essentielle emporte peu de conséquences tant qu'un État ne se retire pas de l'Accord de Paris ;

- la décision d'activer la clause de suspension de l'accord relève de chacune des parties, et ces dernières pourraient refuser d'y recourir. En pratique, l'Union européenne a jusqu'à présent très peu recouru à cette faculté, en raison de considérations économiques et diplomatiques, alors que de nombreux accords comportent aujourd'hui des clauses essentielles relatives au respect des droits humains.

Pour la Commission européenne, toutefois, si un pays du Mercosur cessait d'être partie à l'Accord de Paris, il serait politiquement quasiment impossible de ne pas suspendre l'accord UE-Mercosur, au moins partiellement, ce qui ferait de cette clause un outil efficace de dissuasion.

Néanmoins, le cas échéant, le déclenchement de cette clause s'avèrerait particulièrement délicat, l'accord commercial étant conclu entre deux blocs régionaux. Dans une analyse sur l'accord final UE-Mercosur21(*), l'institut Veblen relève ainsi que « si l'Argentine décidait de quitter l'Accord de Paris, la suspension de l'ensemble de l'accord semble politiquement peu probable et une suspension partielle avec seulement l'Argentine, techniquement difficile à mettre en oeuvre ».

b) Les nouveaux engagements en matière de développement durable : une intention louable, une application incertaine en l'absence de toute sanction

La Commission a négocié l'introduction d'engagements juridiques contraignants en matière de développement durable, sous la forme d'une annexe au chapitre sur le Commerce et le Développement durable.

Cette annexe introduit plusieurs changements substantiels, avec l'insertion d'un nouveau chapitre consacré à l'autonomisation des femmes dans le commerce, la reconnaissance de différentes approches du développement durable ou encore la mise en exergue d'un objectif de réduction des inégalités entre et au sein des pays. Les parties s'y engagent également à mettre fin à la déforestation à partir de 203022(*).

Si cette annexe ne mentionne pas explicitement le règlement européen sur la déforestation, elle y fait référence en précisant que l'accord commercial sera « favorablement pris en compte » dans la classification qui sera établie concernant le niveau de risque dans les pays du Mercosur en matière de déforestation.

Le règlement sur la déforestation prévoit en effet trois classes de risque (standard, faible et élevé) pour les États et les régions, déterminant le niveau de rigueur des obligations de diligence raisonnable applicables ainsi que la fréquence des contrôles aux frontières des produits concernés par le règlement.

Perçue comme un symbole de la gestion environnementale des pays, cette classification peut donc s'avérer déterminante pour la fluidité des échanges commerciaux. Or, le protocole indexé reconnaît en creux que les pays du Mercosur pourront être considérés comme des pays sans risques de déforestation sous le nouveau règlement européen, ce qui paraît très contestable.

Ce chapitre sera, enfin, soumis une procédure spécifique de règlement des différends : si une partie estime que l'autre partie ne respecte pas un engagement de ce chapitre, elle pourra demander la tenue de consultations gouvernementales formelles. Si ces dernières ne suffisent pas à résoudre le différend, un panel d'expert indépendants pourra être saisi et sera chargé de rédiger un rapport assorti de recommandations à destination des deux parties.

Les rapporteurs relèvent, ainsi, qu'en cas de violation des stipulations de l'accord relatives au développement durable, les États membres du Mercosur ne pourront pas se voir infliger de sanctions, notamment commerciales, contrairement à ce qui est prévu dans les accords de libre-échange récemment négociés avec la Nouvelle-Zélande (2023) et le Kenya (2024). Dans ce contexte, il est permis de douter du caractère réellement exécutoire des engagements pris en matière de développement durable.

2. Les contreparties accordées en échange aux pays du Mercosur : des flexibilités et concessions tarifaires, ainsi que l'introduction d'un mécanisme de rééquilibrage dans le cas où les règlementations européennes affecteraient négativement les échanges
a) Les pays du Mercosur ont négocié de nouvelles stipulations en matière d'ouverture des marchés publics, de droits à l'exportation sur les matières premières et de commerce des véhicules

En contrepartie de ces avancées réclamées par l'Union européenne, plusieurs concessions ont été faites aux pays du Mercosur.

Le Brésil et l'Argentine ont ainsi obtenu que de nouveaux secteurs (notamment dans le domaine de la santé) soient exclus du champ d'application du chapitre sur les marchés publics, et que des flexibilités leur soient accordées s'agissant du calendrier de mise en oeuvre de l'ouverture des marchés publics.

Le Brésil a par ailleurs négocié un nouvel équilibre s'agissant des droits à l'exportation des matières premières et bien industriels depuis le Mercosur. Si certaines matières premières jugées stratégiques par l'Union européenne bénéficieront de droits nuls, le Brésil conservera des marges de manoeuvre pour imposer des droits à l'exportation sur d'autres matières premières.

S'agissant du commerce de véhicules, deux modifications notables ont été introduites, relatives au calendrier d'élimination des droits de douane pour le Mercosur et aux clauses de sauvegarde bilatérales applicables.

Ainsi, si les stipulations de l'accord restent inchangées pour les véhicules thermiques, avec une réduction progressive des droits de douane23(*) sur 15 ans, la période d'élimination des droits de douane a été allongée de 15 ans à 18 ans pour les véhicules électriques, et devrait s'échelonner sur une période de 25 ans pour les véhicules à hydrogène.

Les critères de déclenchement des mesures de sauvegarde applicables aux véhicules ont par ailleurs été assouplis ; tandis que dans l'accord de 2019, ces mesures pouvaient être appliquées si les importations effectuées dans le cadre des conditions préférentielles augmentaient à un point tel qu'elles entraînaient un préjudice grave ou une menace de préjudice grave pour l'industrie nationale, il suffit désormais que cette augmentation cause un préjudice ou une menace de préjudice. Cette évolution doit être replacée dans le contexte de la forte hausse des importations de véhicules électriques et hybrides chinois observée ces dernières années. La durée maximale de ces mesures a par ailleurs été allongée de 4 à 5 ans.

b) Le mécanisme de rééquilibrage : un dispositif « anti-mesures miroirs » ?

Confrontés à l'adoption unilatérale, par l'Union européenne, de mesures dans le domaine du développement durable et craignant que ces dernières ne réduisent les avantages commerciaux attendus de l'accord, les pays du Mercosur ont négocié l'introduction d'un nouveau mécanisme de rééquilibrage, sous la forme d'amendements au chapitre sur le règlement des différends.

L'accord créée ainsi une nouvelle procédure de plainte, inspirée de la plainte pour non-violation du règlement des différends de l'OMC24(*), à l'encontre d'une mesure de l'autre partie qui « annule ou réduit substantiellement tout avantage qui lui revient en vertu des dispositions couvertes, affectant ainsi le commerce entre les parties »25(*).

Après le dépôt d'une telle plainte, si des consultations bilatérales ne permettent pas de résoudre le différend, un panel d'arbitrage pourra être constitué pour examiner si la mesure en cause « annule ou réduit substantiellement » les avantages de la partie plaignante. Le cas échéant, il appartiendra au panel de déterminer le niveau de cette annulation et de recommander à la partie défenderesse de prendre un « ajustement mutuellement satisfaisant », tel qu'une élimination supplémentaire des droits de douane ou des obstacles non tarifaires. À défaut, en l'absence de tout ajustement mutuellement satisfaisant, le projet d'accord autorise la partie plaignante à recourir à des sanctions commerciales, comme le rétablissement de droits de douane ou la diminution de certains quotas.

Selon les informations transmises aux rapporteurs, ce dispositif, dont il n'existe à ce jour aucun équivalent dans les accords de libre-échange négociés et conclus par l'Union européenne, serait problématique à plusieurs égards.

Les dispositions encadrant ce mécanisme souffrent d'un défaut de clarté et d'intelligibilité, s'agissant notamment des critères permettant d'apprécier si une mesure réduit ou annule substantiellement les avantages attendus de l'accord, ou d'évaluer le préjudice causé au commerce entre les parties. Dans ce contexte, l'évaluation opérée par les futurs groupes spéciaux d'arbitrage pourrait présenter une part de subjectivité, d'autant plus préoccupante que la procédure ne prévoit aucun mécanisme d'appel, de sorte que les décisions arbitrales revêtiront un caractère définitif.

La portée temporelle de ce mécanisme fait par ailleurs l'objet d'interprétations contradictoires. Pour la Commission européenne, il ne s'appliquerait pas aux règlements et directives déjà adoptés, comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ou le règlement sur la déforestation, ou aux mesures prévisibles à la date de clôture des négociations. A contrario, certains observateurs soutiennent que ce mécanisme pourrait couvrir les législations qui n'ont pas encore été intégralement mises en oeuvre à la date de la conclusion des négociations, ainsi que les actes d'exécution afférents.

Le cas échéant, ce dispositif permettrait aux pays du Mercosur de faire obstacle à la mise en oeuvre effective des mesures miroirs réclamées par plusieurs États membres sur le respect des normes environnementales ou de bien-être animal - qui affecteraient nécessairement les flux commerciaux - ou d'exiger des concessions commerciales additionnelles en compensation, quand bien même ces mesures seraient jugées compatibles avec le droit de l'OMC.

À terme, il pourrait amener à un nivellement par le bas des normes régissant le commerce international (voir infra).

3. En matière agricole, l'absence notable de toute avancée depuis 2019 : en dépit des appels réitérés en ce sens, un accord ne comportant aucune garantie supplémentaire en faveur des producteurs européens

Si, dans la dernière phase de négociation, les pays du Mercosur ont obtenu un rééquilibrage afin de mieux protéger certaines de leurs filières, force est de constater que la Commission européenne n'a pas obtenu de mesures de protection similaires en faveur de l'agriculture européenne.

La structure et l'étendue générale des concessions tarifaires pour les produits agricoles restent ainsi inchangées par rapport à l'accord de 2019, à l'exception de quelques ajustements mineurs - des concessions supplémentaires ayant été accordées au Paraguay en matière agricole, avec l'ouverture d'un quota supplémentaire exempt de droits de 1 500 tonnes de porc (frais et surgelé) et un nouveau quota exempt de droits de 50 000 tonnes de biodiesel.

Ainsi, les modifications apportées au contenu de l'accord ne concernent ni le volet agricole, ni les standards sanitaires et environnementaux de production, alors même que de nombreuses organisations agricoles et certains États membres réclamaient l'inclusion de clauses miroirs dans l'accord ou l'adoption par l'Union européenne de mesures miroirs.

a) Alors que l'adoption de mesures miroirs au niveau européen n'a pas connu d'avancées substantielles, la renégociation n'a pas permis l'introduction de clauses miroirs

Directement intégrées aux accords, les clauses miroirs permettent de subordonner les préférences tarifaires au respect de certaines normes ; dans l'accord avec le Mercosur, cette approche n'a été utilisée que pour les oeufs en coquille, dont la libéralisation tarifaire est conditionnée au respect des normes de l'Union en matière de bien-être animal pour les poules pondeuses. Entre 2019 et 2024, la Commission n'a pas obtenu l'inclusion de nouvelles clauses miroirs.

En parallèle, les travaux relatifs à l'adoption et la mise en oeuvre de mesures miroirs n'ont connu que de très faibles avancées au cours des dernières années.

Adoptées par le biais de réglementations européennes, les mesures miroirs visent à conditionner l'accès au marché de l'Union européenne au respect des normes européennes en matière sanitaire et environnementale.

En effet, actuellement, si les importations agroalimentaires doivent respecter les prescriptions sanitaires et phytosanitaires de l'Union ou des conditions reconnues par l'Union comme étant au moins équivalentes26(*), les prescriptions relatives au mode de production (les « procédés et méthodes de production », PMP) ne sont pas imposées aux produits importés ; comme l'a précisé la Commission européenne dans un rapport du 3 juin 202227(*), « le droit de l'Union ne comporte actuellement pas de dispositions générales renvoyant à des prescriptions en matière d'environnement ou [...] de durabilité applicables aux produits importés ».

Or, comme l'a admis la Commission dans le rapport précité, le droit de l'OMC autorise l'adoption de mesures concernant les aspects environnementaux ou éthiques des PMP des produits importés (les « mesures miroirs »), pour tenir compte, notamment des exigences des consommateurs européens.

À ce jour, ces initiatives demeurent néanmoins relativement isolées. Parmi les rares mesures miroirs adoptées figurent ainsi :

- l'interdiction de l'accès au marché européen des produits animaux traités avec des hormones de croissance depuis 198828(*) ;

- l'interdiction de la mise sur le marché, l'importation ou l'exportation de fourrure de chat et de chien et de produits en contenant29(*) ;

- l'application des règles européennes relatives à l'abattage aux produits animaux30(*) (les viandes importées devant être accompagnées d'un certificat sanitaire certifiant le respect de prescriptions au moins équivalentes à celles de l'Union) ;

- l'interdiction de l'accès au marché européen d'animaux ou de produits animaux traités avec des antibiotiques activateurs de croissance31(*) ;

- ou encore l'interdiction de l'accès au marché européen de produits contenant des résidus de deux néonicotinoïdes (clothianidine et thiaméthoxame)32(*).

En réalité, les règlementations européennes visant à imposer aux produits importés des méthodes de production conformes aux standards européens peinent à voir le jour, comme en témoigne par exemple le report de l'entrée en vigueur du règlement sur la déforestation importée33(*), ou encore l'absence de toute avancée tangible sur les importations de produits contenant des résidus de pesticides interdits dans l'Union européenne.

De surcroît, comme l'ont relevé de nombreuses parties prenantes, l'introduction du nouveau mécanisme de rééquilibrage pourrait entraver, à l'avenir, les efforts de l'Union européenne pour adopter de telles mesures miroirs.

b) En l'absence de tout renforcement des contrôles, rien ne garantit le respect des normes sanitaires et phytosanitaires européennes par les produits importés

Au-delà de leur adoption, la mise en oeuvre de ces mesures miroirs, et plus largement le respect par les produits importés des exigences sanitaires et phytosanitaires de l'Union, se heurtent aux difficultés rencontrées par les autorités en matière de contrôle.

En pratique, les autorités compétentes des États membres, en coopération avec les autorités douanières nationales, sont chargées de vérifier la conformité des produits en provenance de pays tiers avec les normes européennes, aux frontières de l'Union ou sur le lieu de vente.

Le type de contrôle dépend de la nature des produits et des risques qui y sont associés (denrées alimentaires d'origine animale ou pas, par exemple).

La Commission européenne réalise, en parallèle, des contrôles et des audits dans les pays producteurs et dans les États membres, conformément à un programme de travail publié annuellement, afin de vérifier que les autorités compétentes remplissent leurs obligations légales.

Si ces contrôles sont évidemment nécessaires, les rapporteurs soulignent que ces audits tendent à placer sur un pied d'égalité les systèmes d'exploitation européens et sud-américains, alors même que tout les distingue.

Les rapporteurs relèvent, par ailleurs, que d'importantes disparités subsistent en matière de contrôles officiels et de sanctions dans les différents États membres. De plus, les vérifications ne portent que sur des échantillons, si bien qu'il n'est en pratique pas possible de garantir, pour tous les produits importés, le respect des normes sanitaires et phytosanitaires européennes.

Par ailleurs, certains résidus ne peuvent pas être détectés, ce qui rend la traçabilité des produits indispensable. Or, les opérateurs peinent à garantir la traçabilité des produits tout au long de la chaîne de valeur. Lors d'un audit réalisé en octobre 2024, la Commission européenne a ainsi souligné le déficit de traçabilité de la viande bovine exportée par le Brésil vers l'Union, les autorités brésiliennes n'étant pas en mesure de garantir l'absence d'oestradiol bêta, hormone prohibée sur le territoire européen.

Il en est de même s'agissant des organismes génétiquement modifiés (OGM) : tandis que 41 % des OGM transgéniques cultivés dans le monde le sont dans les pays du Mercosur, il n'existe aucune méthode d'analyse permettant de détecter si les viandes importées ont été nourries avec des céréales OGM - la culture de ces dernières étant, au demeurant, interdite au sein de l'Union européenne.

L'effectivité des contrôles se heurte, enfin, au manque de moyens de l'Union européenne, s'agissant notamment des vérifications hors des frontières européennes. Dès lors, comment garantir le respect de leurs engagements par les pays du Mercosur, s'agissant des modes de production comme de la lutte contre la déforestation ?

Dans ce contexte, la Commission européenne s'est certes engagée à augmenter le nombre d'audits et de contrôles dans les pays tiers, mais sans cibler spécifiquement le Mercosur.

Au demeurant, quand bien même ces contrôles démontreraient des failles, l'accord ne prévoit aucun moyen coercitif à la disposition des autorités européennes, la Commission se contentant d'instaurer un comité spécifique sur les normes sanitaires et phytosanitaires avec le Brésil, afin de permettre un dialogue plus approfondi à ce sujet.


* 19 Article 7.7 du projet d'accord de partenariat UE-Mercosur.

* 20 https://www.farm-europe.eu/fr/actualite-farm-europe/quelles-nouveautes-dans-le-dernier-texte-de-laccord-ue-mercosur/

* 21 https://www.veblen-institute.org/Ce-qu-il-faut-retenir-de-l-accord-final-UE-Mercosur.html

* 22 Le point 16 de l'annexe stipule ainsi que « Chaque partie réaffirme ses engagements internationaux pertinents et met en oeuvre des mesures, conformément à ses lois et réglementations nationales, pour empêcher toute nouvelle déforestation et intensifier les efforts visant à stabiliser ou augmenter le couvert forestier à partir de 2030. »

* 23 Le droit de douane actuel est de 35 % en Argentine et au Brésil, entre 10 et 20 % au Paraguay, et 23 % en Uruguay.

* 24 Article XXIII :1(b) de l'Accord du GATT de 1994.

* 25 Nouvel article XX.4(b) de l'accord UE-Mercosur.

* 26 Concernant la sécurité sanitaire des aliments, cette exigence figure à l'article 11 du règlement (CE) nº 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires, qui dispose que « [l]es denrées alimentaires et aliments pour animaux importés dans la Communauté dans le but d'y être mis sur le marché respectent les prescriptions applicables de la législation alimentaire ou les conditions que la Communauté a jugées au moins équivalentes ou encore, lorsqu'un accord spécifique existe entre la Communauté et le pays exportateur, les prescriptions qu'il comporte ».

* 27 Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Application des normes sanitaires et environnementales de l'Union aux produits agricoles et agroalimentaires importés, COM(2022) 226 final.

* 28 Directive 96/22/CE du Conseil, du 29 avril 1996, concernant l'interdiction d'utilisation de certaines substances à effet hormonal ou thyréostatique et des substances ß-agonistes dans les spéculations animales et abrogeant les directives 81/602/CEE, 88/146/CEE et 88/299/CEE.

* 29 Règlement (CE) n° 1523/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 interdisant la mise sur le marché, l'importation dans la Communauté ou l'exportation depuis cette dernière de fourrure de chat et de chien et de produits en contenant.

* 30 Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

* 31 Règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE.

* 32 Règlement (UE) 2023/334 de la Commission du 2 février 2023 modifiant les annexes II et V du règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus de clothianidine et de thiaméthoxame présents dans ou sur certains produits.

* 33 Règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l'Union et à l'exportation à partir de l'Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n °995/2010.

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