II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° 91 FORMULE PLUSIEURS RÉSERVES À L'ENCONTRE DES ORIENTATIONS SUIVIES PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE
La proposition de résolution de notre collègue M. René Trégouët, approuvée le 22 novembre 1995 par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, énonce plusieurs remarques critiques à l'égard du contenu des textes communautaires précités, mais elle exprime également des réserves à propos du contexte général et de la méthode d'élaboration de ces textes.
A. LES REMARQUES PORTANT SUR LE CONTENU DES PROJETS COMMUNAUTAIRES
1. L'insuffisante prise en compte des exigences d'un service universel de qualité
a) Le texte de la proposition de résolution
Trois des neuf considérants et trois des huit points du dispositif de la proposition de résolution de la délégation posent le problème de l'adéquation de la notion de service universel, telle que dessinée par les projets de textes communautaires, et du concept de service public « à la française ».
Afin d'en assurer une meilleure harmonisation, il est notamment demandé que :
(1) les investissements réalisés pour la construction du réseau public soient pris en compte pour le calcul du service universel (3ème alinéa du dispositif) ;
(2) le rééquilibrage des tarifs en fonction des coûts soit progressif et ne porte pas atteinte à la politique d'aménagement du territoire (4ème alinéa du dispositif) ;
(3) les nouveaux entrants sur le marché ne puissent pas être exonérés de toute contribution au financement du service universel jusqu'à ce que leur part de marché soit significative, et ce contrairement à ce qu'envisage le projet de directive E-508 concernant l'ouverture complète du marché des télécommunications à la concurrence (5ème alinéa du dispositif).
b) Les arguments présentés à l'appui
Cette triple demande est fortement étayée par le rapport d'information -très éclairant- que notre collègue M. René Trégouët a publié, au nom de la délégation, sur les projets d'actes communautaires E-467, E-508 et E-509, simultanément au dépôt de sa proposition de résolution.
Ce rapport souligne l'importance que les missions de service public dévolues à France Télécom revêtent pour notre pays, en raison de leur contribution à sa cohésion sociale et à l'aménagement du territoire. Il rappelle également que la Commission européenne et le Conseil ont, tous deux, reconnu la nécessité d'assurer le maintien des principes sur lesquels sont fondés ces missions au travers de la définition d'un « service de télécommunications universel ».
Ainsi, dans une résolution du 7 février 1994, le Conseil de l'Union européenne a reconnu :
« - que le maintien et le développement d'un service de télécommunications universel, assuré par un financement adéquat, sont un facteur clé pour le développement futur des télécommunications dans la Communauté ;
- que les principes d'universalité, d'égalité et de continuité sont à la base d'un tel service pour permettre l'accès à un ensemble minimal de services définis d'une qualité donnée, ainsi que la fourniture de ces services à tous les utilisateurs indépendamment de leur localisation géographique et, à la lumière des conditions spécifiques nationales, à un prix abordable ;
- que des principes communs en matière de fourniture d'un service universel seront nécessaires pour réaliser un environnement réglementaire équilibré et équitable dans toute la Communauté tout en tenant compte des conditions spécifiques nationales sur le plan réglementaire et sur celui du marché (...) ».
Ajoutons que l'objectif d'assurer un service universel en matière de téléphonie vocale figure dans la proposition de directive ONP-téléphonie vocale. Celle-ci précise dans l'un de ses considérants que « l'application du principe de l'orientation (des prix) en fonction des coûts doit tenir compte de l'objectif d'un service universel et peut tenir compte des politiques d'aménagement du territoire visant à assurer la cohésion à l'intérieur d'un État membre ». Parallèlement, la résolution du Conseil sur la libéralisation des services téléphoniques reconnaît « comme facteurs clés de l'élaboration de la future politique réglementaire des télécommunications dans la Communauté, l'application des mesures concernant le réseau ouvert de télécommunications (ONP) qui constitueront la base de la définition du service universel ».
Au vu de ces éléments, la délégation relève, à juste titre, que « la définition du service universel n'est plus aujourd'hui le problème essentiel dans l'élaboration du cadre réglementaire des télécommunications. La question la plus importante est celle du calcul du coût et du financement du service universel ».
C'est pourquoi, elle s'inquiète des « risques non négligeables » que présentent, de ce point de vue, les textes présentés par la Commission européenne.
• En effet, le sixième considérant de
la proposition de directive relative à l'interconnexion (E-467) indique
que
« le calcul du coût net du service universel doit tenir
dûment compte des dépenses et des recettes, ainsi que des
externalités économiques et des profits immatériels
découlant de la fourniture du service universel,
mais ne devrait
pas inclure d'éléments découlant d'anciens
déséquilibres tarifaires, afin de ne pas gêner l'actuel
processus de rééquilibrage des
tarifs »
.
Une telle méthode de calcul tendant notamment à ignorer les coûts non amortis de développement du réseau, c'est la perspective de son application qui justifie, au troisième alinéa du dispositif de la proposition de résolution n° 91, la demande de prise en compte des « investissements réalisés pour la construction du réseau public » .
• Par ailleurs, le projet de directive relatif
à l'ouverture complète du marché des
télécommunications (E-508), qui invite les États à
poursuivre la politique de rééquilibrage des tarifs en fonction
des coûts, prévoit à la fin de son 17e considérant
que «
les États membres devront supprimer toutes les
restrictions injustifiées au rééquilibrage des tarifs de
la part des organismes de télécommunications, et en particulier
celles empêchant l'adaptation des tarifs qui ne sont pas liés aux
coûts et qui accroissent la charge de la fourniture du service
universel ».
Or, malgré la vigoureuse réforme tarifaire que France Télécom a engagée en 1994 pour aligner le prix de ses prestations sur les coûts de leur production, l'entreprise connaît encore un important retard d'ajustement.
Par voie de conséquence, le rapport d'information de M. René Trégouët relève qu'en France, la mise en oeuvre rapide de la règle préconisée ne pourrait avoir pour effet qu'une forte et brutale augmentation du montant de l'abonnement. Il estime -de manière tout à fait pertinente- qu'une telle augmentation serait insupportable pour les populations les plus défavorisées et que le rééquilibrage des tarifs ne peut, en tout état de cause, être que progressif. Tel est le sens du quatrième alinéa du dispositif de la proposition de résolution étudiée.
• Enfin, la fin du deuxième alinéa du
16e considérant du même projet de directive (E-508) estime que,
pour le financement du service universel, «
il pourrait
être justifié d'exempter les nouveaux entrants dont la
présence dans le marché n'est pas encore
significative ».
C'est donc en arguant que l'ensemble des coûts du service universel doivent être partagés entre tous les intervenants sur le marché que la délégation du Sénat motive le cinquième alinéa du dispositif de sa proposition.
2. L'insuffisance des dispositions relatives à la réciprocité avec les pays tiers
Il est important que, dans le cadre de l'ouverture complète du marché européen des télécommunications, les entreprises européennes puissent obtenir un accès comparable et effectif aux marchés des pays tiers. La délégation du Sénat le souligne dans son rapport d'information.
De ce fait, elle s'inquiète quelque peu du caractère par trop général de l'article 20 (paragraphe 2) de la directive sur l'interconnexion (E-467).
Celui-ci prévoit que « lorsque la Commission constate qu'un pays tiers n'offre pas aux organismes communautaires les droits d'interconnexion effectifs, comparables à ceux que la Communauté accorde aux organismes des pays tiers, elle, si nécessaire, soumettra au Conseil des propositions concernant le mandat de négociation ou d'autres mesures appropriées, pour obtenir des droits comparables pour les organismes communautaires dans ces pays tiers ». La délégation se demande, en conséquence, s'il ne serait pas préférable d'envisager que les obligations des États membres puissent être suspendues, à l'égard des pays tiers n'accordant pas de réciprocité, jusqu'à un éventuel accord.
Surtout, elle s'inquiète de la rédaction d'un considérant qui se retrouve, en termes presque identiques, à la fois dans le projet de directive « libéralisation complète » (E-508) et dans celui concernant les communications mobiles (E-509), puisque ce considérant précise que « la présente directive n'exclut pas l'adoption de mesures conformes au droit communautaire et aux obligations internationales en vigueur afin d'assurer aux ressortissants des États membres un traitement équivalent dans les pays tiers ».
Très critique à l'égard de l'imprécision d'une telle formule, la délégation estime nécessaire que, lors de l'octroi de licences à des opérateurs originaires de pays tiers ou d'États membres ayant obtenu des délais pour l'application des règles communautaires, soit « mise en condition l'existence de règles de réciprocité afin d'assurer aux ressortissants des États membres un traitement équivalent dans ces pays » .
Cette analyse explique que, dans le dernier alinéa de sa proposition de résolution, elle « s'inquiète de l'insuffisance des propositions d'actes communautaires susvisées quant à l'exigence que l'ouverture du marché européen à des opérateurs de pays tiers soit compensée par un accès comparable et effectif aux marchés de ces pays. »