ANNEXE 2 - PROPOSITIONS DE CONCLUSIONS SOUMISES PAR M. DREYFUS-SCHMIDT À LA COMMISSION DES LOIS LE 8 NOVEMBRE 1995
PROPOSITION DE LOI
relative à la communication aux parties de la copie du dossier de l'instruction
Article premier
Le dernier alinéa de l'article 114 du code de procédure pénale est remplacé par les dispositions suivantes :
« Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier.
« Les avocats peuvent transmettre à leur client la copie ainsi obtenue. Celui-ci atteste au préalable par écrit avoir pris connaissance des dispositions des deux alinéas suivants qui sont reproduits sur chaque copie.
« Cette copie ne peut être communiquée à des tiers que pour les besoins de la défense.
« Le fait de la publier par tous moyens, en tout ou en partie, est puni de 25 000 francs d'amende.
« A titre exceptionnel, le juge d'instruction peut s'opposer, après avis du bâtonnier et par ordonnance motivée, à la transmission par l'avocat à son client de certaines copies de pièces ou actes du dossier. »
Article 2
Après le premier alinéa de l'article 180 du code de procédure pénale, est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'ordonnance de renvoi est devenue définitive, le prévenu et la partie civile peuvent se faire délivrer copie du dossier et ce, sauf lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d'emprisonnement, à leurs frais.»
Article 3
Au troisième alinéa de l'article 186 du code de procédure pénale, après les mots: "de l'ordonnance", sont insérés les mots : "prévue au dernier alinéa de l'article 114 ainsi que de l'ordonnance".
Article 4
L'article 194 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé:
« En matière d'appel de l'ordonnance prévue au dernier alinéa de l'article 114, la chambre d'accusation doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les quinze jours de l'appel, faute de quoi l'avocat est en droit de transmettre à son client les copies de pièces ou actes du dossier en cause.»
Article 5
L'article 279 du code de procédure pénale est ainsi rédigé: « Il est délivré gratuitement à chacun des accusés et parties civiles copie du dossier. »
Article 6
L'article 280 du code de procédure pénale est abrogé.
ANNEXE 3 - EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DE LA RÉUNION DE LA COMMISSION DES LOIS DU 6 DÉCEMBRE 1995
La commission a procédé à l'examen du rapport de M. Charles Jolibois sur la proposition de loi n° 378 (1994-1995) présentée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a tout d'abord rappelé que le problème de la transmission des copies du dossier de l'instruction aux parties avait été abordé par la mission d'information de la commission sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction.
Il a cependant précisé que cette mission, présidée par M. Jacques Bérard, avait conduit une réflexion globale, concernant l'ensemble des problèmes liés au secret de l'instruction.
Il a fait observer que deux des vingt-trois propositions de cette mission concernaient directement les avocats :
- la proposition n° 10, précisant que, tenu au secret professionnel, un avocat ne pourrait faire publiquement état d'un dossier d'instruction en cours que pour exercice des droits de la défense ;
- la proposition n° 16, permettant aux avocats, sous leur propre responsabilité, de transmettre à leurs clients, pour leur usage exclusif, des copies du dossier de l'instruction.
Il a rappelé que cette dernière proposition ne correspondait pas pleinement à la solution qu'il avait proposée, en sa qualité de rapporteur, à la mission, laquelle avait conféré au juge d'instruction la faculté de s'opposer à la transmission des copies au client de l'avocat.
Le rapporteur a ensuite indiqué que les deux arrêts rendus par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 30 juin 1995 avaient souligné le problème en confirmant que l'article 114 du code de procédure pénale interdisait à l'avocat de transmettre la copie d'une pièce du dossier à son client.
Puis, M. Charles Jolibois, rapporteur, a présenté la proposition de loi n° 378 (1994-1995) déposée en juillet 1995 par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachés pour remédier à la situation résultant de cette jurisprudence laquelle plaçait les avocats devant la nécessité de transgresser la loi pour assurer le plein exercice des droits de la défense.
Ila qualifié cette proposition de radicale dans la mesure où elle permettait aux parties d'obtenir des copies du dossier de l'instruction sans que quiconque ne puisse s'y opposer. Rappelant que les parties n'étaient pas tenues au secret de l'instruction, il a craint qu'une telle solution conduise à vider ledit secret de sa substance.
Il a contesté le bien-fondé de l'argumentation des signataires de la proposition de loi. Rappelant que, selon l'exposé des motifs de celle-ci, la législation actuelle conduirait à considérer le principal intéressé à l'instruction comme un étranger à sa propre affaire, à ignorer totalement le contenu du dossier s'il n'avait pas d'avocat et posait un problème de conformité avec la convention européenne des droits de l'homme, M. Charles Jolibois, rapporteur, a fait observer que toute personne mise en examen pouvait être assistée par un avocat et que la Cour européenne des droits de l'homme n'avait pas considéré une législation ne prévoyant pas la remise de copies aux parties comme contraire aux droits de la défense au sens de la convention précitée. Il a ensuite abordé la solution proposée par M. Michel Dreyfus-Schmidt, en sa qualité de rapporteur, lors de l'examen par la commission, le 8 novembre 1995, de la proposition de loi. Il a indiqué que ce dernier avait prévu des limites à la transmission des copies de pièces du dossier en permettant au juge d'instruction de s'y opposer et en interdisant non seulement leur publication mais aussi leur transmission à des tiers pour des besoins autres que ceux de la défense.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a rappelé que la commission avait rejeté la solution de M. Michel Dreyfus-Schmidt, estimant préférable d'intégrer cette question dans une réflexion d'ensemble sur le secret de l'instruction et la présomption d'innocence.
Après avoir précisé que cette position avait conduit M. Michel Dreyfus-Schmidt à se démettre de son rapport, M. Charles Jolibois, rapporteur, a demandé à la commission de confirmer sa position et donc de ne pas adopter la proposition de loi.
M. Jacques Larché, président, a indiqué que les journées d'initiative parlementaire, permettant à chaque Assemblée de fixer une fois par mois son ordre du jour, devraient notamment conduire à examiner en séance publique des textes émanant de l'opposition. Il a néanmoins souligné que ce souci ne préjugeait en rien de la position de la commission sur les propositions en question.
M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est déclaré déçu par les conclusions du rapporteur, qu'il a assimilées à un déni de justice.
Il a rappelé que la proposition de loi avait pour objet de régler un problème irritant en modifiant une législation qui conduit les avocats à méconnaître la loi pour assurer le plein exercice des droits de la défense.
Il a estimé que le souhait manifesté par la commission de mener une réflexion d'ensemble sur le secret de l'instruction aurait dû logiquement conduire le rapporteur à proposer un dispositif complet inspiré des conclusions de la mission d'information.
Sur le fond, il a considéré qu'une solution limitée à la transmission des copies du dossier de l'instruction ne revenait pas à vider le secret de l'instruction de sa substance dès lors que serait appliqué l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, interdisant la publication des actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant leur lecture en audience publique.
Il a ajouté que la nécessité pour une partie d'obtenir la copie de certaines pièces, notamment des rapports d'expertise, conduisait à des transgressions quotidiennes de la loi justifiant l'adaptation de celle-ci à la réalité. Il a enfin évoqué les propos tenus par le garde des sceaux devant le Syndicat des avocats de France (S.A.F.) selon lesquels la transmission de copies du dossier à une partie pourrait être autorisée sous certaines conditions, destinées notamment à assurer la sécurité des témoins.
M. Jacques Larché, président, a fait observer à M. Michel Dreyfus-Schmidt que le rapporteur, loin de commettre un « déni de justice », avait exposé une position claire, à savoir le rejet de la proposition. Il a indiqué que la commission serait appelée à se prononcer sur cette position et que, dans l'hypothèse où elle suivrait son rapporteur, le Sénat serait appelé, en vertu de l'article 42 (6, c) de son règlement, à se prononcer sur ses conclusions négatives.
M. Robert Badinter a estimé nécessaire de modifier rapidement l'article 114 du code de procédure pénale, sans attendre le dépôt, au demeurant aléatoire, d'un projet de loi réformant l'ensemble de la procédure pénale ou tout au moins la législation relative au secret de l'instruction.
Il a considéré comme indispensable de remédier à une situation conduisant les avocats à transgresser constamment la loi pour des raisons évidentes liées au bon exercice des droits de la défense. Il a indiqué que la transmission de copies du dossier d'instruction à des experts ou aux clients correspondait à une pratique constante liée à la technicité croissante des dossiers.
Tout en reconnaissant la possibilité de prévoir certaines exceptions dans des affaires sensibles, telles que celles liées au terrorisme, il a estimé nécessaire de modifier modestement une législation obsolète bien que, a-t-il reconnu, ni la jurisprudence de la cour européenne ni la convention européenne des droits de l'homme ne l'imposent. En conclusion, il a souligné que la proposition de loi permettait de régler un problème simple qui pouvait être abstrait d'autres réformes d'importance.
M. Michel Rufin a fait observer que la plupart des personnes entendues par la commission lors de la journée d'auditions du 8 juin 1994 n'avait pas jugé utile de modifier la législation sur le secret de l'instruction. Il a illustré son propos en évoquant l'intervention du professeur Jean Pradel, lequel avait estimé que l'application des textes existants permettrait d'assurer un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux de la personne et le bon fonctionnement de la justice.
Il s'est en conséquence déclaré partisan de l'adoption de la position du rapporteur.
M. Robert Badinter lui a objecté que la proposition de loi ne concernait pas les relations entre la presse et l'avocat ou son client, mais seulement les relations entre l'avocat et son client.
Il s'est déclaré partisan d'une modification à minima de l'article 114 du code de procédure pénale autorisant les avocats à se faire délivrer, sous leur responsabilité, copies de tout ou partie des pièces du dossier pour leur usage exclusif et celui de leur client. Il a précisé que, dans la mesure où l'ordre public serait menacé par cette transmission, le juge d'instruction pourrait s'y opposer.
M. Charles Jolibois, rapporteur, a indiqué que la solution préconisée par M. Robert Badinter était très proche de la proposition n° 16 de la mission d'information et qu'il y était opposé non sur le fond mais en raison de la nécessité d'une modification globale de la législation tenant au secret de l'instruction. Il a estimé que l'on ne pouvait isoler un élément des propositions de la mission, lesquelles formaient un tout cohérent.
Il s'est par ailleurs engagé à interroger le garde des sceaux en séance publique pour obtenir de sa part l'engagement de soumettre rapidement au Parlement un projet de réforme globale de la procédure pénale dans lequel pourrait s'insérer la question de la communication des pièces.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a de nouveau regretté que le rapporteur n'ait pas au moins proposé de reprendre la proposition n° 16 de la mission d'information tout en maintenant qu'elle n'écartait pas tout risque de sanctions pour l'avocat puisque la transmission des pièces se ferait sous « la seule responsabilité » de celui-ci.
A titre personnel, M. Maurice Ulrich a approuvé la position du rapporteur et a également appelé de ses voeux une réflexion d'ensemble sur la procédure pénale.
M. François Blaizot a en revanche fait part de son souci de modifier sans délai l'article 114 du code de procédure pénale pour réformer une législation qu'il a qualifiée de « moyenâgeuse ».
M. Pierre Fauchon a approuvé la position du rapporteur, estimant qu'il ne fallait pas dramatiser la situation actuelle dans la mesure où, en pratique, les avocats transmettent des copies du dossier à leurs clients sans être poursuivis. Il a estimé que le rejet de la proposition de loi permettrait de hâter le dépôt d'un texte d'ensemble sur la procédure pénale. Enfin, il a considéré que la transmission des copies du dossier aux parties devait être précédée d'une modification de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 afin de rendre cette disposition opérationnelle. Il a jugé que l'inapplication de celle-ci résultait notamment du fait que seul le parquet pouvait y recourir.
A l'issue de cet échange de vues, la commission, suivant la proposition de son rapporteur, a adopté des conclusions négatives sur la proposition de loi n° 378 (1994-1995)