ANNEXE - BULLETIN DE LA COMMISSION DES LOIS DU MERCREDI 27 MARS 1996
La commission a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, la proposition de loi n° 250 (1995-1996) modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence et de négligence.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a rappelé que le texte initial de cette proposition de loi traduisait les conclusions du groupe de travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, constitué au sein de la commission à l'initiative du président Jacques Larché et présidé par M. Jean-Paul Delevoye.
Il a précisé que la solution du groupe de travail consistait à demander au juge d'apprécier la responsabilité pénale de l'élu par référence non plus à un chef d'entreprise mais, d'une manière concrète, en tenant compte notamment de ses compétences, de ses pouvoirs et des difficultés propres à sa mission. Il a justifié l'exigence d'une appréciation in concreto par la spécificité de la fonction d'élu local, lequel ne peut être assimilé ni à un chef d'entreprise ni à un particulier gérant ses propres affaires.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a ensuite indiqué que, lors de la première lecture, le Sénat, sur la proposition du Gouvernement, avait inséré le principe de l'appréciation in concreto au sein de l'article 121-3 du code pénal afin de le rendre applicable à toute hypothèse, sans distinguer selon que le prévenu avait ou non la qualité d'élu local, ce principe étant rappelé dans les textes particuliers aux élus locaux et aux fonctionnaires. Il a précisé que le texte inséré au sein du code pénal ne concernait qu'une forme d'infraction non intentionnelle, à savoir celle résultant du manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Puis, le rapporteur a présenté le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, soulignant que celle-ci y avait apporté une triple modification :
- l'extension du champ d'application de l'appréciation in concreto à toutes les infractions non intentionnelles et non plus aux seules infractions liées au manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi et les règlements. Le rapporteur a déclaré ne pas avoir d'objection sur ce point ;
- une modification d'ordre rédactionnel, consistant à exiger du juge qu'il apprécie les éléments constitutifs du délit en tenant compte des circonstances de l'espèce et, notamment, des missions ou des fonctions de l'auteur des faits, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Le rapporteur a fait part de son scepticisme sur la portée réelle de cette modification, estimant que les juges prenaient d'ores et déjà en considération les circonstances de l'espèce ;
- la suppression des articles reprenant le principe de l'appréciation in concreto dans les textes relatifs aux élus locaux et aux fonctionnaires. Le rapporteur s'est déclaré fermement opposé à cette suppression, la reprise du principe général dans des textes particuliers lui paraissant présenter un double avantage : d'une part, assurer une meilleure information des élus ; d'autre part, dans la mesure où serait reprise la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture, mettre sans ambiguïté aucune la preuve de la négligence ou de l'imprudence d'un élu local à la charge de l'accusation.
M. Robert Badinter a fait observer que l'extension par l'Assemblée nationale du champ d'application de l'appréciation in concreto à toutes les infractions non intentionnelles pouvait avoir pour conséquence de généraliser les cas d'infractions par inattention ou maladresse alors que, en l'état actuel du droit, ces cas concernent les seuls homicides ou blessures involontaires.
Constatant que le rapporteur proposait, pour l'article 121-3 du code pénal, de revenir à une rédaction proche de celle adoptée par le Sénat en première lecture, il a estime peu souhaitable, pour éviter toute difficulté d'interprétation, d'exiger la preuve que la personne prévenue ait accompli « toutes » diligences normales.
Observant que le texte proposé par le rapporteur consistait à demander au juge de tenir compte, « le cas échéant », de la nature des missions ou des fonctions du prévenu, il s'est interrogé sur l'utilité d'une telle expression.
Après avoir partagé les observations de M. Robert Badinter, M. Jean-Marie Girault a considéré que la distinction entre les élus locaux et les simples citoyens quant à la charge de la preuve de l'imprudence ou de la négligence pouvait constituer une atteinte à l'égalité devant la loi pénale.
Rappelant les vives inquiétudes suscitées chez les élus locaux par le sentiment de voir leur responsabilité pénale mise en jeu de plus en plus fréquemment, M. Philippe de Bourgoing s'est associé à l'ensemble des observations présentées par le rapporteur.
M. Jacques Larché, président, a estimé que les sénateurs, représentants des collectivités territoriales, étaient particulièrement bien placés pour prendre la juste mesure de l'inquiétude des élus locaux face à une mise en jeu plus fréquente de leur responsabilité pénale. Il a jugé nécessaire de reprendre le principe de l'appréciation in concreto dans un texte spécifique aux élus locaux.
M. Jean-Jacques Hyest a vu dans la proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale une inversion de la solution retenue par le Sénat, qui avait mis en avant la spécificité du manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou les règlements alors que le texte adopté par les députés mettait cette hypothèse sur le même plan que l'imprudence ou la négligence.
M. Patrice Gélard a approuvé les propos de MM. Robert Badinter et Jean-Jacques Hyest. Estimant en outre contestable de modifier une disposition générale du code pénal sans en analyser toutes les conséquences, il s'est déclaré partisan d'un retour au texte adopté par le Sénat en première lecture.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a approuvé la modification de l'Assemblée nationale consistant à énumérer tous les cas d'infractions non intentionnelles, y compris la maladresse et l'inattention.
M. Robert Badinter lui a rappelé que la maladresse ou l'inattention ne pouvaient donner lieu à condamnation qu'en cas de blessures ou d'homicide, le texte de l'Assemblée nationale paraissant les généraliser à toutes les infractions non intentionnelles.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, lui a objecté que ces cas n'étaient pas généralisés dans la mesure où ils ne pourraient donner lieu à condamnation que lorsque la loi le prévoirait.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a critiqué la distinction proposée par le rapporteur concernant la charge de la preuve de l'imprudence ou de la négligence. Il a ajouté que, en pratique, les élus locaux poursuivis se voyaient reprocher non pas de ne pas avoir accompli toutes les diligences normales mais bien de n'avoir pris aucune précaution.
M. Jean-Pierre Schosteck a estimé nécessaire de supprimer la référence à la maladresse et à l'inattention. Il a considéré que le problème de la responsabilité pénale des élus locaux résultait de la multiplication des incriminations dans des domaines comme l'environnement, et de la faculté de remonter la chaîne de responsabilité jusqu'au plus haut niveau sans tenir compte des moyens concrets des élus. Il a illustré son propos en rappelant la condamnation d'un maire pour défaut d'installation d'une station d'épuration alors que les moyens financiers de la commune ne lui permettaient pas de la réaliser.
M. André Bohl a fait observer que l'objectif de la proposition de loi était avant tout de remédier à un problème pouvant donner lieu à des situations tragiques, ayant pu aller jusqu'au décès, provoqué par le sentiment d'une atteinte à la dignité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé qu'il appartenait au législateur de prendre la mesure des textes répressifs qu'il adoptait et d'éviter de multiplier les incriminations.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a supposé que, en visant les hypothèses de maladresse et d'inattention, l'Assemblée nationale n'avait pas souhaité généraliser leur champ d'application mais seulement tenir compte de l'existence de ces cas d'infractions non intentionnelles dans certains articles du code pénal.
Il a approuvé la suggestion de M. Robert Badinter consistant à apprécier le comportement du prévenu non pas par référence à toutes les diligences normales mais seulement par référence aux diligences normales qu'il aurait dû accomplir.
Il a en revanche estimé souhaitable de conserver l'expression « le cas échéant », l'article 121-3 du code pénal ayant vocation à s'appliquer à des personnes n'étant pas investies de missions ou de fonctions.
M. Robert Badinter s'est rallié à ce point de vue.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a reconnu l'importance du problème soulevé par M. Jean-Marie Girault quant au risque de rupture du principe d'égalité devant la loi. Il a néanmoins fait observer que le texte général pouvait être interprété comme faisant peser la charge de la preuve sur l'accusation. Il a ajouté que la jurisprudence du Conseil constitutionnel permettait au législateur de prévoir des règles de procédure différentes dès lors qu'elles concernaient des agissements de nature différente et qu'elles ne conduisaient pas à une exonération absolue de responsabilité.
Il s'est déclaré sensible aux observations de M. Jean-Jacques Hyest, estimant peut-être plus prudent de s'en tenir au manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi ou les règlements et de ne pas improviser pour les autres cas d'infractions non intentionnelles.
La commission a ensuite procédé à l'examen des articles.
À l'article premier A (appréciation in concreto de l'imprudence ou de la négligence), M. Pierre Fauchon, rapporteur, a approuvé la distinction opérée par l'Assemblée nationale entre la mise en danger délibérée et les autres cas d'infraction non intentionnelle. Il a en revanche reconnu que l'énumération de ceux-ci pouvait soulever certaines difficultés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé souhaitable de tenir compte de l'observation de M. Jean-Marie Girault en mettant expressément à la charge de l'accusation la preuve de l'imprudence ou de la négligence.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, s'est opposé à cette solution, qui lui a paru aller trop loin dans la mesure où elle concernerait, notamment, les accidents de la circulation.
M. Robert Badinter a rappelé le souci récurrent de la commission de ne modifier le code pénal, récemment réformé, que dans les hypothèses où cela s'avérait strictement nécessaire. Il a en conséquence suggéré de limiter la modification de l'article 121-3 à l'insertion d'un seul alinéa, comprenant une phrase aux termes de laquelle, conformément à la proposition du rapporteur, il n'y aurait point de délit dès lors que l'auteur des faits aurait accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, de son pouvoir et de ses moyens. Après que MM. Pierre Fauchon, rapporteur, et Daniel Hoeffel eurent approuvé cette suggestion, la commission a adopté un amendement en ce sens.
M. Jacques Larché, président, a fait observer que, après s'être doté d'un nouveau code pénal, le Canada avait prévu un moratoire législatif de trois années.
Sur la proposition de son rapporteur, la commission a ensuite adopté un amendement tendant à rétablir l'article premier (responsabilité des élus locaux) afin de préciser dans le code général des collectivités territoriales que les élus locaux ne pourraient être condamnés pénalement pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de leurs fonctions que s'il était établi qu'ils n'avaient pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie.
Elle a ensuite adopté un amendement tendant à rétablir l'article premier bis (responsabilité des fonctionnaires) afin d'apporter la même précision à propos des fonctionnaires et agents non titulaires de droit public.
Puis, la commission a approuvé l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.