EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Les relations entre les jeunes et les adultes sont depuis longtemps marquées du sceau de l'ambivalence : avenir de la société, et donc porteur d'espoir, le jeune est également considéré comme un sujet de trouble, d'indiscipline, de mise en cause des valeurs inculquées.
Notre époque n'échappe pas à cette réalité séculaire. Aujourd'hui comme hier, l'adolescent inquiète, voire dérange.
Mais les adultes ne portent-ils pas eux-mêmes une part de responsabilité de la délinquance juvénile ? Personne reconnue comme « particulièrement vulnérable » par le code pénal, le jeune n'est-il pas avant tout la victime des maux de notre société, tels que chômage, exclusion, désunion familiale, crise du système éducatif ?
La question est fondamentale car on ne saurait trouver des solutions à la délinquance juvénile sans en avoir bien perçu les véritables causes.
De même, il convient de prendre la mesure du bien-fondé d'affirmations récurrentes sur ce sujet telles que : « la délinquance des mineurs est en constante augmentation », « elle prend des formes de plus en plus violentes », « elle est le fait d'individus toujours plus jeunes et pour lesquels elle devient une délinquance d'habitude »...
C'est pour mieux en analyser les causes, apprécier son évolution et les solutions susceptibles d'être apportées à l'épineux problème de la délinquance juvénile, que votre commission, à l'initiative de son président, M. Jacques Larché, a procédé à une journée d'auditions publiques le jeudi 25 avril 1996.
Le problème de la délinquance des mineurs ne se limitant pas à la procédure pénale, ni même au droit en général, elle a a ainsi souhaité entendre des personnes venant d'horizons divers. Outre M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la justice, sont intervenus devant elle non seulement des juristes spécialisés dans le droit des mineurs (magistrats, avocats), mais également des éducateurs, des enseignants, des policiers et des membres du corps préfectoral.
Les différentes interventions (dont le compte-rendu fera l'objet d'un rapport d'information ; Sénat 1995-1996, n° 343), ainsi que les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur, ont mis en avant un très large consensus sur la nécessité de conserver l'esprit général de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, caractérisé par ce que M. le Garde des Sceaux a appelé « le primat de l'éducatif ».
On ne saurait pour autant considérer l'ordonnance de 1945 comme un texte intangible, insusceptible de modifications. Bien au contraire, il appartient au législateur d'en préserver les principes fondamentaux en adaptant ses dispositions à l'évolution de la société.
Or, force est de constater que, depuis plusieurs années, la délinquance juvénile connaît une véritable mutation qui devait, tôt ou tard, poser la question de l'adaptation de l'ordonnance de 1945.
Les policiers, les magistrats et les éducateurs, auxquels votre rapporteur tient à rendre le plus grand hommage, n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire face à cette évolution.
Le Gouvernement a fait de la protection judiciaire de la jeunesse l'une de ses priorité.
Aujourd'hui, c'est au législateur qu'il est demandé d'intervenir afin de doter la justice des mineurs de nouveaux instruments lui permettant de s'adapter à une « nouvelle donne » sociale dans le respect des principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945.
I. LES PRINCIPES DIRECTEURS DE L'ORDONNANCE DU 2 FÉVRIER 1945
En vertu de l'article 122-8 du nouveau code pénal, « les mineurs reconnus coupables d'infractions pénales font l'objet de mesures de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation dans les conditions fixées par une loi particulière » .
Cette loi, bien antérieure à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, est l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Allant au-delà de l'édiction de mesures particulières, cette ordonnance se présente comme un « quasi-code » du droit pénal des mineurs, regroupant aussi bien des dispositions de fond que de procédure -et qui, nonobstant ces dispositions de procédure, pourrait utilement être intégrée au sein du code pénal dont on rappellera qu'il contient un livre V consacré au droit pénal spécial-. C'est donc avec quarante ans d'avance que la France a consacré dans son droit interne le principe fondamental énoncé par l'Assemblée nationale des Nations-Unies le 29 novembre 1985 dans « l'Ensemble des règles minima des Nations-Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs » (règles de Beijing) : « on s'efforcera d'établir, dans chaque pays, une série de lois, règles et dispositions expressément applicables aux délinquants juvéniles et des institutions et organismes chargés de l'administration de la justice pour mineurs » .
Comme l'a rappelé M. Christian Kulyk, juge d'instruction à Montbelliard, lors de son audition par votre Commission, l'ordonnance de 1945 est un « modèle de protection » en ce qu'elle vise avant tout à prendre en considération la personnalité du mineur (par opposition au « modèle de justice » dans lequel est prioritairement considérée l'infraction commise).
A. UNE PROCÉDURE PRENANT EN COMPTE LA SPÉCIFICITÉ DU MINEUR
Le traitement judiciaire du mineur délinquant, adulte en devenir, nécessite une approche particulière, permettant de prendre en considération la spécificité de sa personnalité. Aussi la connaissance des affaires impliquant un mineur relève-t-elle en priorité de magistrats spécialisés, et notamment du juge des enfants. La procédure fait également intervenir un service spécialisé, le service éducatif auprès du tribunal (SEAT), et garantit au mineur poursuivi des droits particuliers.
1. Une procédure confiée à des magistrats spécialisés
Créé dès 1945, le juge des enfants est un magistrat spécialisé. Véritable pivot de l'ordonnance de 1945, il est, aux termes de l'article L.532-1 du code de l'organisation judiciaire, « choisi compte tenu de l'intérêt qu'il porte aux questions de l'enfance et de ses aptitudes ». Des sessions de formation sont organisées par le Centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson.
Clé de voûte de l'ordonnance de 1945, il peut juger une affaire qu'il a instruite, par dérogation au principe de la séparation des fonctions d'instruction et des fonctions de jugement. Il exerce également les fonctions du juge de l'application des peines pour les mineurs.
a) L'instruction
En vertu de l'article 5 de l'ordonnance, « aucune poursuite ne pourra être exercée en matière de crime contre les mineurs sans information préalable.
En cas de délit, le procureur de la République en saisira, soit le juge d'instruction, soit par voie de requête le juge des enfants et, à Paris, le président du tribunal pour enfants.
(...)
En aucun cas, il ne pourra être suivi contre le mineur par les procédures prévues aux articles 393 à 396 du code de procédure pénale ou par voie de citation directe ».
L'instruction d'une affaire mettant en cause un mineur relève donc soit du juge des enfants, soit d'un juge d'instruction.
Il convient de souligner que, dans cette dernière hypothèse, c'est encore un magistrat spécialisé dans les problèmes des mineurs qui intervient. De même, le ministère public est représenté par un magistrat du parquet spécialisé. C'est ce qui résulte des termes de l'article L.522-6 du Code de l'organisation judiciaire : « au sein de chaque tribunal de grande instance dans le ressort duquel le tribunal pour enfant a son siège, un ou plusieurs juges d'instruction désignés par le premier président sur la proposition du procureur général et un ou plusieurs magistrats du parquet désignés par le procureur général sont chargés spécialement des affaires concernant les mineurs » .
La répartition des compétences entre le juge des enfants et le juge d'instruction obéit aux règles suivantes :
• en cas de crime, le juge d'instruction dispose
d'une compétence exclusive ;
• en cas de délit, le juge d'instruction
a une compétence concurrente avec le juge des enfants. Le procureur de
la République dispose d'un libre choix. En pratique, le juge des enfants
est le plus souvent saisi afin de lui permettre de connaître le mineur
-qu'il est appelé à juger- le plus tôt possible.
Le juge d'instruction intervient plutôt dans les affaires complexes pour lesquelles la recherche de la vérité nécessite de nombreuses investigations.
Le contrôle de l'instruction relève de la chambre d'accusation au sein de laquelle doit siéger le conseiller délégué à la protection de l'enfance.
b) Le jugement
Comme l'instruction, il relève d'une juridiction spécialisée :
1.- En matière de crime
En cas de crime commis par un mineur de seize ans au moins, l'affaire relève de la cour d'assises des mineurs (article 20 de l'ordonnance).
Comme pour les majeurs, cette juridiction comprend un jury de neuf jurés tirés au sort.
Des dispositions ont été prévues pour assurer une certaine spécialisation des magistrats :
- les fonctions du ministère public sont remplies par le procureur général ou un magistrat du parquet spécialement chargé des affaires de mineurs ;
- les assesseurs sont en principe des juges des enfants.
Pour ce qui est des crimes commis par les mineurs de seize ans, la juridiction compétente est le tribunal pour enfants.
2.- En matière de délit
En matière délictuelle, le jugement est prononcé soit par le juge des enfants soit par le tribunal pour enfants.
Cette dernière juridiction, présidée par le juge des enfants, comprend deux assesseurs choisis parmi les personnes « qui se sont signalées par l'intérêt qu'elles portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences » (article L.522-3 du code de l'organisation judiciaire).
Aux termes de l'article 8 de l'ordonnance, c'est au juge des enfants qu'il appartient de décider s'il juge le mineur en chambre du conseil ou s'il le renvoie devant le tribunal. Cette décision est prise en fonction de la mesure envisagée, seul le tribunal pour enfants pouvant prononcer les sanctions les plus graves, et notamment une condamnation pénale (article 2 de l'ordonnance).
Les décisions du juge des enfants et du tribunal sont susceptibles d'appel. Dans les cours d'appel où il existe plusieurs chambres, une chambre spéciale est formée, présidée par le conseiller délégué à la protection de l'enfance.