N° 444
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 juin 1996. |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification de l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République tunisienne, d'autre part,
Par M. Bertrand DELANOË,
Sénateur.
1 Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, M.M. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Allonge, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique Ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet, Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2767. 2850 et TA. 551.
Sénat : 426 (1995-1996).
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Traités et conventions.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté (et ses États membres) et la Tunisie, s'inscrit au point de rencontre d'une double évolution : l'intérêt plus marqué de l'Union européenne pour sa façade méditerranéenne, d'une part, les mutations politiques, économiques et sociales de la Tunisie, d'autre part.
Comme le signale l'intitulé même de l'accord, qualifié d'"euro-méditerranéen", le présent texte constitue la première traduction concrète de la politique méditerranéenne dont les Quinze ont posé les bases lors de la Conférence de Barcelone, les 27 et 28 novembre 1995.
Certes, la Communauté ne s'est jamais désintéressée du Bassin méditerranéen. Dès le début des années 70, une coopération active se mettait en place. Cependant, ces rapports paraissaient placés sous le signe trop exclusif de l'économie. La dimension politique restait l'apanage des relations bilatérales pour le Maghreb, tandis qu'au Proche-Orient l'Union européenne demeurait dans l'ombre des États-Unis. En outre, au cours des années 80, la chute du Mur de Berlin, l'évolution des anciennes démocraties populaires ont conduit l'Europe à concentrer son attention sur ses frontières orientales.
Toutefois, les progrès du processus de paix au Proche-Orient, la montée des tensions au Maghreb, la menace intégriste, le contrôle des flux migratoires ont conduit l'Union européenne à prendre conscience que la stabilité ses voisins du Sud, au même titre que la situation aux frontières orientales, constituait un enjeu majeur pour la sécurité du Vieux Continent.
La Conférence de Barcelone a ainsi procédé au nécessaire rééquilibrage entre ces deux pôles géographiques. Cependant -bien que votre rapporteur ne juge pas cette orientation irréversible- la perspective ouverte aux États du Sud ne s'inscrit pas, contrairement aux liens tissés avec les pays d'Europe centrale et orientale, dans une stratégie de préadhésion à l'Union. De plus, les Quinze, dans le cadre du partenariat méditerranéen, ont désormais introduit, aux côtés d'une coopération économique renforcée, un volet politique.
Premier exemple de la "nouvelle génération" d'accords, le texte signé avec la Tunisie le 17 juillet 1995 se substitue à l'accord de coopération du 25 avril 1976. Le nouvel accord consacre ainsi la place particulière de la Tunisie au sein des pays du Maghreb : un développement économique et social remarquable, une société qui a su concilier modernisation (notamment à travers la reconnaissance du rôle des femmes) et fidélité à ses racines culturelles.
Votre rapporteur voudrait revenir ici sur les principaux traits de cette singularité tunisienne, avant d'analyser les grandes lignes directrices de l'accord d'association.
I. UN ACTE DE RECONNAISSANCE DE LA SINGULARITÉ TUNISIENNE
L'accord d'association prend acte dans son préambule des « progrès importants de la Tunisie et du peuple tunisien vers la réalisation de leurs objectifs de pleine intégration de l'économie tunisienne à l'économie mondiale et de la participation à la communauté des États démocratiques ».
En quelques années la Tunisie a connu en effet d'importantes mutations dont il importe de prendre la mesure.
A.- ENTRE « LOGIQUE DE L'ÉTAT » ET « ASPIRATION À LA LIBERTÉ » : UNE VOIE POLITIQUE ORIGINALE
1. La stabilisation politique
a) Le renforcement du pouvoir présidentiel
D'après M. Abdelfattah Amor, doyen honoraire de la faculté de droit et des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, l'histoire tunisienne apparaît le théâtre d'une « lutte permanente entre, d'une part, la logique de l'État, et d'autre part, une aspiration sociale très profonde à la liberté et à la modération » 1 ( * ) . Ainsi les phases de libéralisme politique ont-elles alterné avec des périodes marquées par la tentation manifestée par l'État de régenter la société.
La politique économique centralisatrice conduite dans les années soixante par le ministre du Plan, de l'économie et des finances de l'époque, Ahmed Ben Salah, avait fini par provoquer de vives résistances auprès de la population (émeutes contre la collectivisation des terres dans la région du Sahel en janvier 1969).
Sous les auspices d'un nouveau Premier ministre, M. Nouira, la Tunisie a connu dans les années soixante-dix un premier tournant libéral. De nouveau, à partir de 1980, la lutte pour la succession du Président Bourguiba entraîna une crispation politique tandis que se profilait l'ombre d'un intégrisme musulman en plein essor.
En novembre 1987, l'arrivée au pouvoir de M. Zine El-Abidine Ben Ali, ancien Premier ministre du Président Bouguiba, devait susciter l'espoir d'un renouveau politique : libération de plusieurs centaines de prisonniers politiques, abolition de la présidence à vie, suppression de la Cour de sûreté de l'État... Dans le même temps le Chef de l'État se prononçait en faveur d'un « pacte national » intégrant les islamistes à l'opposition légale.
Destinées à conférer à M. Ben Ali la nécessaire légitimité démocratique, les élections présidentielles de 1989, les premières organisées depuis 1975, ne levèrent pas toutes les ambiguïtés puisque, seul candidat à se présenter, le Président obtenait 99,27 % des suffrages exprimés (aux présidentielles de 1994, M. Ben Ali dépassait ce score avec 99,91 % des voix).
L'année 1989 marque certainement un coup d'arrêt dans la politique de libéralisation. Pourquoi ? Le contexte régional dominé par l'exacerbation des tensions en Algérie a fait craindre un risque de contagion à la Tunisie.
Dès lors le Gouvernement tunisien va s'employer à donner la priorité à la stabilité et à la sécurité en assurant la prépondérance au parti majoritaire d'une part, et en plaçant l'islamisme sous un contrôle étroit d'autre part.
Le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) obtint la totalité des sièges au terme des élections législatives de 1989 organisées en parallèle avec le scrutin présidentiel.
L'opposition n'est pas inexistante même si sa place apparaît marginale. Plusieurs partis bénéficient d'une reconnaissance officielle : le parti du Renouveau (ancien parti communiste dont les effectifs demeurent très faibles), le Mouvement des démocrates socialistes (MDS, fondé par Ahmed Mestiri), le Parti social pour le progrès, le Parti de l'Unité populaire, le Rassemblement socialiste progressiste, l'Union démocratique unioniste (ces deux derniers partis se rattachant à la mouvance nationaliste arabe).
Ces mouvements ne peuvent disputer la primauté reconnue au RCD. En vertu du code électoral, quatre d'entre eux sont représentés à l'Assemblée nationale à la suite des élections législatives de 1994. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire tunisienne, 19 députés d'opposition siègent au côté du parti au pouvoir. Cependant la faiblesse de leur audience (ils représentent 2,27 % des suffrages) ne leur donne qu'un poids très limité dans la vie politique officielle.
Du reste, plusieurs des opposants s'étaient ralliés au parti majoritaire, du moins dans la première période de la présidence de M. Ben Ali.
Le scrutin de 1994 a permis en fait de réaliser deux objectifs : intégrer l'opposition au pouvoir institutionnel, parachever le renouvellement des cadres politiques commencé lors du Congrès du RCD en 1993.
Les élections municipales de mai 1995 ont confirmé le quasi-monopole du RCD sur la vie politique tunisienne : le parti au pouvoir a emporté en effet 4 084 des 4 090 sièges à pourvoir.
Le pouvoir en place n'a pas seulement assis son contrôle sur la vie politique, il a également renforcé son emprise sur les organisations de la société civile : l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) qui a su cependant conserver une réelle capacité de négociation, l'Union générale des étudiants tunisiens jusque-là dominée par l'extrême-gauche.
b) Priorité à l'efficacité dans la lutte contre l'intégrisme
Le renforcement du pouvoir présidentiel à travers le parti majoritaire s'est accompagné d'une mise au pas du mouvement islamiste. Elle s'est révélée efficace. Au-delà des seules mesures répressives, elle a porté en effet le fer sur le terrain même de l'intégrisme, en tentant de remédier aux situations de détresse et de frustrations sociales, ferment de toutes les violences.
En premier lieu, par la loi sur la reconnaissance des partis, adoptée en 1989, interdisant toute référence à la race, à la religion ou à une région, le Gouvernement a empêché le principal mouvement « Ennahda », crédité de 20 % des voix, de présenter des candidats. Les structures clandestines du parti islamiste ont été démantelées, les militants arrêtés. Par crainte d'infiltration, le contrôle de la frontière avec l'Algérie fait l'objet d'une surveillance renforcée.
Parallèlement à ces mesures répressives, les autorités s'emploient à promouvoir un islam officiel. Son action s'articule autour de trois volets.
La défense de l'islam est d'abord devenue une source de légitimité pour le pouvoir en place qui tend ainsi à désamorcer les critiques des milieux religieux. Il peut s'appuyer à cet égard sur la tradition modérée d'une communauté sunnite homogène de rite malékite.
Mais, en second lieu, cet islam officiel paraît étroitement contrôlé : nomination des imams, contrôle des prêches du vendredi, interdiction du port du voile à l'école et dans les universités. On le voit, à cette dernière mesure, la Tunisie, tout en valorisant l'identité arabo-musulmane n'a pas renié les principes modernistes défendus par le Président Bourguiba, au profit, notamment des femmes.
Enfin, troisième principe d'action, le Gouvernement, instruit par l'expérience algérienne et le danger de laisser le champ libre aux réseaux islamistes d'entraide, assure la prise en charge des familles les plus démunies dont les ressentiments nourrissent tous les intégrismes.
2. Le bilan contrasté des droits de l'homme
La stabilité du régime tunisien passe par un respect parfois seulement formel des libertés politiques. Toutefois la Tunisie reste l'héritière d'une tradition politique moderne, plus avancée sur certains principes ou droits que bien d'autres États comparables.
a) Les contradictions entre la lettre et les faits
Le Gouvernement tunisien affiche une attention particulière au respect des libertés politiques. La Tunisie a ratifié presque tous les textes des Nations Unies relatifs aux droits fondamentaux. Elle a créé par ailleurs plusieurs instances chargées de veiller au respect de ces principes : Comité supérieur des droits de l'homme, médiateur administratif, mise en place de cellules spécialisées au sein de nombreux ministères...
Toutefois, dans les faits, les libertés publiques connaissent des entraves dans trois domaines : la presse, la circulation, le fonctionnement de la justice.
La presse écrite ou audiovisuelle apparaît très dépendante du pouvoir par le biais, notamment, des subventions publiques qui lui sont accordées. Les journalistes -ils le reconnaissent d'ailleurs volontiers- pratiquent l'autocensure. La diffusion de la presse internationale et de certains quotidiens français en particulier, reste soumise au bon vouloir des autorités. Enfin, la mise en place de nouvelles antennes paraboliques est théoriquement interdite, même si les installations existantes restent autorisées.
Les autorités respectent généralement la liberté de circulation. Les limites qui y sont apportées, paraissent d'autant plus voyantes qu'elles concernent des personnalités connues. En outre ces mesures restrictives paraissent hors de mesure avec le « risque » que pourrait présenter la libre expression des intéressés.
Plus préoccupants, car ils affectent la liberté de circulation de tous les citoyens tunisiens, les obstacles d'ordre administratif subsistent.
En effet si la sortie du territoire par voie terrestre s'effectue librement, les déplacements à l'étranger des résidents par voie aérienne ou maritime supportent une taxe de 45 dinars, spécialement lourde au regard du salaire minimum égal à 140 dinars. La limitation du montant des devises autorisées constitue une entrave supplémentaire à la liberté de circulation.
Sur ce chapitre, il convient d'ajouter que la gestion au quotidien de la délivrance des visas par la France et les conditions d'accueil dans nos services consulaires ne sont pas au-dessus de tout reproche.
La situation de la justice apparaît également contrastée. Le droit tunisien reconnaît plusieurs principes fondamentaux ignorés des États voisins : durée de garde-à-vue maximale, caractère public des procès et droit de tous les inculpés à une défense exercée par un avocat. Cependant privée d'un statut lui garantissant son indépendance, l'autorité judiciaire n'est pas toujours en mesure de veiller au respect effectif de ces principes. C'est ainsi que la garde-à-vue, période pendant laquelle le prévenu ne peut prendre contact ni avec sa famille, ni avec son avocat, se prolonge parfois au-delà du délai normal de 10 jours.
La situation ne se prête toutefois pas à un bilan univoque. Ainsi, le Tribunal administratif de Tunis a récemment donné raison à la Ligue tunisienne des droits de l'homme dans un contentieux qui l'opposait au Gouvernement.
Si les conditions de détention ont été améliorées par le décret du 4 novembre 1988 (droit de communication avec l'avocat, bénéfice de soins gratuits à l'infirmerie pénitentiaire etc), elles varient en fait selon les cas, les prisonniers politiques étant sans doute les moins bien traités. Leur transfert d'un établissement pénitentiaire à l'autre n'est ainsi généralement pas notifié aux familles.
Il est toutefois un point essentiel où la pratique suivie paraît très avancée par rapport au texte : la peine de mort, toujours en vigueur, n'est plus appliquée dans les faits depuis 1991. Le Président Ben Ali s'est d'ailleurs prononcé pour son abolition. La Tunisie a accueilli la première conférence qui se soit réunie sur ce sujet dans un pays arabe.
Bien qu'imparfaite, la situation du droit sur ces libertés publiques se compare plutôt favorablement à celle des États voisins. Ce constat s'impose de façon plus évidente d'ailleurs pour d'autres droits ou libertés publiques.
b) Des avancées significatives
. Une tradition de tolérance religieuse
Les musulmans respectent la liberté religieuse des communautés chrétiennes et juives qui ne réunissent certes guère plus de 2 % de la population 2 ( * ) . Cette tradition s'est manifestée de façon symbolique à plusieurs reprises : contribution publique à la restauration de la cathédrale de Tunis, couverture médiatique accordée aux cérémonies annuelles de la Ghriba à Djerba (lieu de pèlerinage des juifs).
. Les droits des personnes
La situation des enfants a fait l'objet d'efforts importants. Un code de la protection de l'enfant reconnaît ainsi une série de droits à la santé, à l'éducation, au bien-être matériel et à la formation professionnelle, etc.
La Tunisie peut se targuer d'excellents résultats : le taux de scolarisation des 12-17 ans dépasse 65 % de cette classe d'âge, le taux d'alphabétisation de l'ensemble de la population s'élève à 66 %. Le budget de l'Éducation représente du reste 30 % des dépenses publiques. Le travail des enfants apparaît très limité. Enfin, la mendicité infantile, notamment dans les sites touristiques, n'existe plus en Tunisie.
La condition des femmes constitue à coup sûr l'un des acquis les plus précieux du régime tunisien. Quel autre pays arabe, et même méditerranéen, peut-il s'enorgueillir de compter plus de 47 % d'étudiantes dans son système universitaire ?
Le code du statut personnel adopté en 1956 à l'initiative de Habib Bourguiba a encore été renforcé en 1993 (évolution vers une responsabilité partagée des parents sur les enfants, possibilité pour la mère d'obtenir en cas de divorce la garde des enfants, institution d'un fonds de garantie des pensions alimentaires). Par ailleurs, le code de la nationalité, amendé, permet à la femme tunisienne, mariée à un étranger, de transmettre sa nationalité à ses enfants même si ces derniers ne sont pas nés en Tunisie.
De plus en plus, il faut l'ajouter, des femmes accèdent à des postes de responsabilité au sein des entreprises ou de l'administration.
*
La politique de stabilité semble avoir réuni un assez large consensus au sein de la population tunisienne. Il est vrai que contrairement aux États voisins, les Tunisiens bénéficient d'une amélioration de leur niveau de vie et mesurent ainsi l'efficacité d'une politique économique conduite par leur Gouvernement.
B. ENTRE MODERNISATION ET RESPECT DES GRANDS ÉQUILIBRES : UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE QUI A PORTÉ SES FRUITS
La réussite économique de la Tunisie apparaît d'autant plus exemplaire que ce petit pays (163 610 km2 et 8.730.000 habitants) n'est guère pourvu en richesses naturelles. La Tunisie peut toutefois compter sur la production de phosphates (6,2 millions de tonnes en 1994 - 5e producteur mondial) et de pétrole (4,45 millions de tonnes en 1994 - un nouveau gisement a été inauguré en décembre 1994). La part de l'agriculture a beaucoup décliné dans le PNB (18 %) mais ce secteur emploie encore près de 32 % de la population active. Les services et au premier chef le tourisme, assurent plus de la moitié de la richesse nationale. Ils concernent 36 % de la population active.
1. Le renouveau économique
a) Une conjoncture favorable
. Une croissance élevée
La Tunisie a connu une croissance régulière de 4,5 % en moyenne, à prix constants, au cours des dix dernières années. Le taux de croissance a atteint 3,5 % en 1995 et la loi de finances pour l'année 1996 prévoit une progression de 6,7 % du P.I.B. La croissance devrait principalement concerner le secteur agricole en 1996 (+ 12,5 %) après trois années de baisse consécutive due à la sécheresse. Les pluies d'automne abondantes permettent d'envisager la production céréalière sous des auspices plus favorables (13 millions de quintaux pour 1996 contre 6,7 millions seulement en 1995 alors que la production céréalière moyenne s'élève à 16 millions de quintaux). Rien ne permet cependant de préjuger de la pluviométrie de l'année 1996 dont le niveau sera décisif pour la réalisation des objectifs gouvernementaux.
Quoique dans une moindre mesure, les autres secteurs de l'économie devraient également connaître une progression : les industries manufacturières (+ 5,9 %), les mines et l'énergie (+ 7,7 % en raison de l'augmentation de la production de phosphate, de pétrole et de gaz), les services. Sur ce dernier point la progression attendue (+ 6,3 %) repose essentiellement sur la reprise du tourisme, secteur dont l'importance pour l'économie tunisienne reste considérable.
Depuis plusieurs années déjà, le principal ressort de la croissance demeure les exportations qui auront crû de 10,1 % en 1995. Les courants d'échange se sont profondément modifiés : en 1956, les matières premières (phosphate, plomb et fer) et les produits agricoles (huile, vin, agrumes, dattes) représentaient 95 % des exportations contre 15 % aujourd'hui. Cette évolution apparaît irréversible comme en témoigne d'ailleurs la progression des exportations en 1995 dans les secteurs du textile et de l'habillement (+ 15,3 %), des machines mécaniques et électriques (+ 14%), des produits chimiques (+ 13,8 %) tandis que l'agro-alimentaire, l'agriculture et la pêche continuaient de régresser.
Ces bons résultats ont pu être obtenus sans remettre en cause le respect des grands équilibres macro-économiques.
. Le respect des grands équilibres
Le plan d'ajustement structurel conduit sous l'égide du Fonds monétaire international (FMI) dès 1986 a été couronné de succès.
L'inflation reste mesurée. En effet une politique monétaire prudente a permis de contenir la hausse des prix à 6,3 % en 1995. Les prévisions tablent sur une augmentation de 5 % en 1996.
La politique budgétaire, conforme aux canons de l'orthodoxie libérale, bénéficie d'une conjoncture économique favorable. Ainsi, les recettes propres de l'État ont augmenté de 10,6 % en 1995. La loi de finances pour 1996 prévoit une hausse de 5,7 % par rapport à 1995. Dans la mesure où les dépenses, comme en 1995, ne dépassent pas, en 1996, 29,2 % du PIB, le déficit public devrait s'élever à 2 % du PIB en 1996.
La dette extérieure reste, quant à elle, « gérable » de l'avis même du directeur général du Fonds monétaire international, M. Michel Candessus. Elle s'élève en effet à 9,25 milliards de dollars soit 52,1 % du PIB (contre 70 % en 1994).
b) Une politique de réforme économique
. La libéralisation
La libéralisation économique s'est traduite par quatre types de mesures.
En premier lieu, depuis 1987 le régime de prix fixes et homologués par les pouvoirs publics a cédé progressivement la place à la liberté des prix, qui touche aujourd'hui officiellement 87 % des prix à la production et 80 % des prix au stade de la distribution.
En outre, la liberté des changes est devenue effective en 1993. Du reste, un marché des changes interbancaire a été mis en place afin de permettre aux banques de coter des devises dans des fourchettes limitées.
En troisième lieu, dans le cadre des échanges avec l'extérieur, il convient de mentionner, le régime des importations désormais libre, à l'exception d'une liste limitée de produits liés notamment à la sécurité, la santé et la moralité publiques. Par ailleurs, un nouveau code d'investissement, p romulgué en 1993, permet d'investir librement dans l'agriculture, l'industrie et les services financiers.
Enfin, les taux d'intérêt et l'accès au marché des capitaux ne relèvent plus désormais d'une autorisation administrative.
Ce mouvement de libéralisation n'a toutefois porté pleinement ses fruits que parce qu'il s'est appuyé sur la réorganisation des structures économiques.
. Les réformes de structures
Les réformes ont concerné l'organisation d'un marché financier, et la restructuration du secteur productif.
À la suite de la loi du 14 novembre 1994, l'organisation du marché financier a été améliorée. Une bourse des valeurs tunisiennes a vu le jour. Il faut citer à cet égard la coopération fructueuse nouée avec la société des bourses françaises (SBF).
Le secteur bancaire a connu d'importantes mutations : l'activité des banques s'est affranchie des carcans administratifs, tandis qu'en contrepartie la Banque centrale assumait la surveillance de l'ensemble du système bancaire.
Le secteur productif, largement dominé par l'État, a fait l'objet d'une double réforme : privatisation -en cours- des entreprises qui interviennent dans le secteur concurrentiel et restructuration des entreprises destinées à demeurer sous tutelle de l'État dans le cadre de contrats-programmes (déjà signés avec 10 d'entre-elles).
2. Les faiblesses à surmonter
a) Une forte dépendance à l'égard de l'extérieur
Le principal ressort de la croissance reste les exportations. Celles-ci, cependant, reposent sur des produits comme le textile ou le cuir qui supportent sur le marché européen la concurrence accrue des marchandises asiatiques.
Dans ces conditions, la croissance tunisienne peut-elle reposer sur des facteurs moins exogènes ? La demande intérieure apparaît encore insuffisante, même si les évolutions les plus récentes s'avèrent plutôt encourageantes. Ainsi, le revenu par habitant (exprimé en dollars) a progressé de 30 % de 1991 à 1994. Il s'élève aujourd'hui à 1 800 dollars et classe ainsi le Tunisie au premier rang des pays du Maghreb.
Cette augmentation n'eût sans doute pas été possible sans une politique démographique exemplaire, menée de longue date : le taux d'accroissement naturel moyen a progressé à un rythme inférieur de moitié au taux de croissance du PIB. Il est passé de 2,6 % en 1984 à moins de 1,9 % en 1994.
En outre, l'amélioration du niveau de vie a profité à l'ensemble de la classe moyenne qui représenterait près de 70 % de la population tunisienne. Les inégalités apparaissent moins criantes que dans bien d'autre pays en développement. Sans doute le taux de chômage, estimé à 16 % de la population active, apparaît-il élevé, mais le développement de "l'économie parallèle", et au-delà, la structure familiale et ses traditions d'entraide permettent d'en limiter l'impact négatif sur la société tunisienne.
Si l'étroitesse du marché intérieur ne permettra certes pas à la consommation des ménages de prendre la relève de la demande étrangère, du moins la progression des revenus et leur répartition, dans l'ensemble équilibrée, devrait, dans les années à venir, rendre la Tunisie moins dépendante des débouchés extérieurs.
L'investissement donne, quant à lui, aujourd'hui, quelques signes de faiblesse. L'effort d'investissement (25 % du PIB en 1995) demeure insuffisant et trop exclusivement orienté sur les services. Les tendances enregistrées dans l'industrie en 1995 traduisent un ralentissement certain, puisque le nombre de nouveaux projets a baissé de 4 % par rapport à l'année précédente. D'après certains économistes, cette faiblesse est imputable à l'attentisme des investisseurs étrangers.
En conséquence, l'investissement public constitue encore un relais indispensable, même s'il contraint la Tunisie à recourir à l'endettement. Les autorités doivent mobiliser de 2 à 3 milliards de dollars pour honorer les engagements de la dette et couvrir le déficit de la balance des paiements (sans doute 770 millions de dollars en 1996).
Cependant l'État tunisien apparaît seul en mesure, pour le moment, d'emprunter sur les marchés internationaux de capitaux 3 ( * ) auxquels les banques locales et les grandes entreprises ne pourront sans doute pas accéder avant 1997, d'après le ministre des finances, M. Nouri Zorgati.
b) La nécessaire poursuite des réformes
Bien qu'engagé depuis 1987, le mouvement de privatisation n'a guère concerné jusqu'à présent qu'une quarantaine d'entreprises de taille modeste (principalement dans le secteur du tourisme) et souvent déficitaires. Or à la fin de 1994, l'État, seul ou avec les institutions du secteur public, demeurait majoritaire dans près de 590 entreprises.
Les autorités paraissent toutefois décidées à imprimer un nouvel élan aux réformes. Le président Ben Ali a ainsi mis en place, au début de cette année, un secrétariat d'État chargé d'accélérer le processus des privatisations. Le Parlement a par ailleurs adopté une loi habilitant le secteur privé à produire de l'électricité, la distribution restant du ressort exclusif de l'État. Cette réforme permettra à la société tunisienne de l'Électricité et du Gaz (SIEG) de concrétiser le premier projet de centrale électrique en concession, sans doute dans le nord du pays.
La concession de service public devrait ainsi se généraliser. Le Gouvernement en avait d'ailleurs accepté le principe pour la construction d'infrastructures (autoroutes, centrales, stations d'assainissement ou de dessalement de l'eau de mer, etc).
II. L'ACCORD EURO-MEDITERRANEEN : UN DEFI ET UNE CHANCE POUR LA TUNISIE
A. LA TUNISIE ET L'UNION EUROPÉENNE : UNE COOPERATION FRUCTUEUSE
1. La nouvelle dynamique du dialogue euro-méditerranéen
a) Une coopération économique approfondie au fil des ans
Les relations entre l'Union européenne et la Tunisie ne peuvent être isolées du dialogue noué entre les deux rives de la Méditerranée.
Sans doute plusieurs années avaient-elles été nécessaires pour que se dissipent les tensions ou les soupçons hérités de la colonisation. La Communauté elle-même avait d'abord éprouvé le besoin de conforter son assise propre avant de s'ouvrir sur son environnement immédiat.
Dès le début des années soixante-dix, les initiatives, à l'inverse, se sont multipliées comme si les esprits étaient mûrs désormais pour renouer les fils du dialogue. Elles ont connu des fortunes diverses.
Incontestablement, le dialogue euro-arabe lancé en 1975 n'a pas donné les fruits escomptés. Il comportait un volet politique mais aussi économique, social et culturel. La participation de l'Organisation de Libération de la Palestine a été une pomme de discorde entre les parties, les États Arabes en ayant fait la condition préalable à la réunion des instances initialement prévues (commission générale et commissions spécialisées). Par la suite, la signature des accords de paix entre Israël et Egypte a suspendu le processus ; en 1986, la « mise à l'index » de la Syrie et de la Libye a condamné la possibilité de poursuivre un échange politique institutionnel.
À vrai dire, dans l'ordre politique, les relations entre l'Europe et les pays arabes se sont cristallisées sur le conflit au Proche-Orient alors même que l'Europe, dans cette région, devait généralement s'effacer derrière les États-Unis considérés comme le principal médiateur par les parties en présence, et en particulier Israël. Les différentes étapes du processus de paix l'ont montré : l'Europe sollicitée pour prêter son concours financier dans le cadre du développement économique régional connaît quelques difficultés pour faire entendre sa voix dans le domaine de la sécurité.
Les coopérations conduites dans des secteurs plus spécialisés ont mieux répondu aux espérances.
Ainsi la coopération méditerranéenne sur l'environnement s'est traduite par l'adoption en 1975 d'un Plan d'action destiné à mettre en oeuvre des principes de prévention adapté au cadre régional. À la suite du Plan d'action, une convention pour la protection de la Méditerranée, assortie de quatre protocoles (immersion des déchets, situations de crises, risques telluriques, aires spécialement protégées), a été signée à Barcelone en 1976. Le processus manifeste une réelle vitalité : un nouveau protocole a été signé en 1994 tandis qu'un autre texte portant sur le transfert des déchets dangereux fait l'objet de négociations.
C'est toutefois dans le domaine économique que la coopération euro-méditerranéenne a connu les développements les plus décisifs. Trois étapes méritent d'être distinguées.
En premier lieu, dès 1972, le Sommet de Paris jette les bases d'une coopération articulée autour de deux volets :
- un système de préférences commerciales facilitant, pour certains produits agricoles, les conditions d'accès au marché européen et affranchissant des droits de douane les produits industriels (à l'exception de quelques produits « sensibles » tels que le textile) ;
- un soutien financier réparti entre des fonds budgétaires non remboursables et des prêts de la Banque européenne d'investissement, soit respectivement, sur la période 1978-1991, près de 3 milliards d'écus et 2,4 milliards d'écus.
Les accords de coopération signés entre l'Union et plusieurs des pays méditerranéens s'inspirent de ces principes.
À partir de 1991, la politique méditerranéenne entre dans une nouvelle phase. La priorité porte désormais sur la coopération régionale et les projets horizontaux réunissant plusieurs pays dans le domaine de l'audiovisuel, des télécommunications, de l'énergie ou encore de l'environnement.
Une attention particulière est accordée en outre aux mesures destinées à compenser les conséquences sociales des programmes d'ajustement structurels entrepris dans nombre de pays méditerranéens sous d'égide du FMI ou de la Banque mondiale.
b) La Conférence euro-méditerranéenne de 1995 : Conjuguer l'intégration économique progressive et le dialogue politique
Avec la Conférence de Barcelone (27-28 novembre 1995), la relation euro-méditerranéenne franchit incontestablement une nouvelle étape. La Conférence euro-méditerranéenne a réuni les ministres des Affaires Étrangères des quinze États de l'Union européenne et des douze pays du sud et de l'est du Bassin méditerranéen. Elle s'inscrit dans une démarche qui tente de conjuguer l'approche économique et la coopération politique dont on a vu qu'elle marquait le pas. Pourquoi ce nouveau tournant ? Il répond à une double préoccupation.
D'une part rééquilibrer vers la Méditerranée une politique extérieure européenne principalement préoccupée, ces dernières années, par les relations avec les pays d'Europe centrale et orientale et la Russie.
D'autre part réintégrer le Maghreb au coeur d'une politique méditerranéenne qui ne l'avait peut-être pas suffisamment prise en compte jusqu'à présent. La montée des intégrismes, l'exacerbation des tensions en Algérie ne sont naturellement pas étrangères à cette prise de conscience.
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La reconnaissance de valeurs communes
La Conférence euro-méditerranéenne a, à travers une déclaration de principe, posé les bases d'un partenariat entre les deux rives de la Méditerranée. Cette coopération revêt trois dimensions politique, économique et sociale.
Les parties se sont d'abord accordées sur une série de principes relatifs à l'État de droit, au respect des libertés, au bon voisinage, au règlement pacifique des différends qui devraient s'inscrire à terme dans un véritable pacte euro-méditerranéen.
Le volet économique et financier implique la mise en place d'un libre-échange industriel, le développement des coopérations dans de nombreux domaines et enfin une assistance financière.
La formation, les échanges culturels, la coopération dans le domaine de la communication, mais aussi en matière de lutte contre la drogue, la criminalité internationale et le terrorisme constituent, enfin, les principaux éléments du volet social et humain, proposé par la Conférence de Barcelone.
La Conférence a donc posé des principes communs reconnus par l'ensemble des parties mais sans, pour l'instant, impliquer aucun engagement.
Aussi a-t-elle organisé un programme de travail qui devrait permettre de préciser et de concrétiser les objectifs fixés à Barcelone. Plusieurs rencontres ministérielles ont été organisées au cours du premier semestre de l'année 1996 1 . Parallèlement, plusieurs groupes de travail réunissant des hauts fonctionnaires se sont progressivement mis en place 4 ( * ) .
Si une partie de ces principes se concrétisera à travers la signature de conventions multilatérales, le partenariat euro-méditerranéen devrait sans doute trouver sa traduction dans le cadre d'accords dont le principe avait été arrêté dès 1992, signés entre l'Union européenne et chacun des États-tiers. Ces accords définiront les modalités d'un dialogue politique, la mise en place d'un libre-échange industriel et enfin des coopérations sectorielles renforcées.
Pour l'instant, trois accords ont été signés tandis que trois autres sont en cours de négociation.
Premier texte signé, l'accord euro-méditerranéen entre l'Union européenne et la Tunisie, a précédé l'accord avec Israël (20 novembre 1995) et avec le Maroc (26 février 1996). La Convention signée avec Israël se distingue dans la mesure où le libre-échange avait déjà été prévu par le précédent accord. En outre, le texte ne prévoit aucun financement supplémentaire. Les principales innovations portent sur l'accès élargi aux programmes communautaires de recherche et sur la libéralisation en matière de services et de marchés publics.
Par ailleurs, trois pays sont en passe de signer de nouveaux textes : Egypte avec laquelle les négociations semblent toutefois marquer le pas (notamment pour le volet agricole), la Jordanie et le Liban, pays avec lesquels les discussions progressent à un rythme soutenu et pourraient aboutir à la signature d'un accord avant la fin de l'année.
L'Algérie a exprimé son désir de conclure un accord d'association avec l'Union européenne. La commission a présenté à cette fin un mandat de négociation au Conseil des ministres en mai dernier et des négociations pourraient commencer en septembre. La Syrie, longtemps rétive à une ouverture de son économie, semble avoir évolué. Enfin, l'Union européenne a réaffirmé son souci de signer un accord euro-méditerranéen d'association avec la Cisjordanie et la bande de Gaza mais les difficultés juridiques liées à la reconnaissance du statut international de l'Autorité palestinienne contraignent les négociateurs à une certaine prudence.
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Le problème du financement
La Conférence de Barcelone appelait au développement d'une coopération tous azimuts mais elle ne définissait pas les conditions de financement nécessaire. À vrai dire cette tâche avait déjà été accomplie par le Conseil européen de Cannes qui a arrêté l'enveloppe financière allouée à la Méditerranée pour la période 1995-1999.
Les concours financiers s'élèveront à 4,685 milliards d'Ecus soit une forte augmentation par rapport aux années antérieures avec, en particulier, le triplement du montant des dons. Au total, l'enveloppe consacrée à la Méditerranée représentera 70 % des fonds destinés aux pays d'Europe centrale et orientale. Le Sommet de Cannes a permis ainsi un très net rééquilibrage en faveur des voisins du Sud de l'Europe.
Les modalités précises de financement sont l'objet d'un règlement financier « MEDA » dont l'adoption est toutefois retardée par l'obstruction de la Grèce, pour des raisons liées à son contentieux avec la Turquie.
Ainsi, les financements bénéficieront principalement à des projets de caractère national -qui pourront d'ailleurs concerner non seulement les États mais aussi des collectivités locales, des associations ou des opérateurs privés. Mais, et c'est là une innovation qui répond aux objectifs assignés par la Conférence de Barcelone, ces concours, à hauteur de 10 % de l'enveloppe globale, pourront aussi servir à des projets régionaux.
Les fonds ont vocation à s'employer dans le cadre des trois volets majeurs du partenariat méditerranéen : mise en place d'une zone de libre-échange, renforcement de la stabilité politique, soutien à un meilleur équilibre socio-économique (amélioration des services sociaux et lutte contre la pauvreté, développement intégré du monde rural et amélioration des conditions de vie dans les villes, coopération régionale et transfrontalière ...).
2. La Tunisie : partenaire de premier plan pour l'Union européenne
a) Le bilan positif de l'application de l'accord de Coopération de 1976
Dans la ligne des principes arrêtés par le Sommet de Paris de 1972, l'accord de coopération signé en 1976 entre la Tunisie et la Communauté européenne comprenait quatre volets essentiels (libre accès des produits industriels tunisiens au marché européen, concessions tarifaires pour les produits agricoles assorties cependant de mécanismes de contingentement, coopération financière dans le cadre du protocole financier méditerranéen, coopération sectorielle - industrielle, scientifique, énergétique).
L'accord, incontestablement, a eu des effets positifs sur l'économie tunisienne.
D'une part, la Tunisie a reçu une assistance financière pour un montant de 800 millions d'écus dont 460 millions d'écus sous forme de prêts de la Banque européenne d'investissement (essentiellement destinés aux infrastructures) et 324 millions d'écus sous forme de dons.
Ces dons ont principalement bénéficié à l'agriculture (32 %), l'environnement (20 %), l'industrie (13 %).
D'autre part, l'accord a imprimé un nouvel élan aux exportations dont votre rapporteur a déjà souligné quel rôle décisif elles ont joué dans la croissance au cours des dernières années.
Au-delà, l'accord a orienté les échanges extérieurs de la Tunisie vers l'Europe, destinataire désormais de 80 % des exportations tunisiennes (80 % des exportations agricoles et alimentaires, 90 % des produits textiles, 60 % des produits manufacturés hors textiles).
Le tropisme européen de la Tunisie en matière de commerce contraste avec la médiocrité des liens économiques tissés dans le cadre de la coopération régionale maghrébine. En effet, le commerce au sein de cette zone ne représente guère plus de 5 % des échanges extérieurs des différents pays qui la composent.
b) Une intégration régionale en panne
Il faut bien en convenir, l'Union du Maghreb Arabe (L'UMA) constituée le 17 février 1989 entre le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Lybie et la Mauritanie, n'a pas porté pour le moment ses fruits.
Dotée d'un secrétariat général et d'institutions spécialisées, l'UMA se heurte en fait aux divergences qui ne cessent d'opposer les États membres (Ainsi Tripoli a refusé de prendre la suite d'Alger pour assurer la présidence tournante de l'Union). L'isolement international de la Lybie, la crise algérienne constituent autant d'obstacles à une coopération régionale plus avancée.
Dès lors, le résultat de cette coopération reste très mince : sur 35 conventions signées, 5 seulement ont été ratifiées mais aucune n'est en fait appliquée.
B. L'ACCORD EURO-MÉDITERRANÉEN : UNE RESPONSABILITÉ FINANCIÈRE POUR L'EUROPE, UN EFFORT D'ADAPTATION CONSIDERABLE POUR LA TUNISIE
1. Deux innovations aux portées différentes
L'accord présente principalement deux types d'innovations : la mise en place d'un dialogue politique d'une part, l'organisation d'une zone de libre échange, d'autre part.
À vrai dire, ces deux innovations n'ont pas la même portée. La libéralisation des échanges, bien qu'organisée de façon progressive, aura un impact considérable sur l'économie tunisienne. Les effets du dialogue politique ne se jugeront que sur le moyen terme. Il en sera de même d'ailleurs pour l'ensemble des coopérations prévues par l'accord dont la mise en oeuvre reste suspendue, notamment, au respect des engagements financiers européens
a) L'organisation d'une zone de libre-échange
La "libre circulation des marchandises " fait l'objet du titre II de l'accord euro-méditerranéen. Elle se substitue au régime préférentiel non réciproque au profit de la Tunisie, institué par le précédent accord.
Or les préférences commerciales accordées unilatéralement dans le cadre des premiers accords d'association ne sont plus conformes aux règles prises par l'Organisation mondiale du commerce mise en place le 1er janvier 1995. L'OMC admet en revanche l'institution d'une zone de libre échange au titre de dérogations à la clause de la nation la plus favorisée. Les nouveaux accords d'association devaient dès lors se conformer à ces principes auxquels les pays méditerranéens comme les Quinze avaient d'ailleurs souscrit.
La libéralisation des échanges se mettra en place progressivement dans un délai de 12 ans au maximum, à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord (art. 6). Il convient toutefois de distinguer les produits agricoles des produits industriels qui relèvent de deux régimes séparés.
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La libération des échanges pour
les produits industriels : une mesure qui ne concerne que la
Tunisie
Depuis l'accord de 1976, la Communauté accepte en franchise de droits de douane les produits industriels tunisiens, le principe du libre échange concernera donc les importations tunisiennes originaires d'Europe.
Le processus de libéralisation s'échelonnera sur 12 ans. Les réductions obéissent à trois régimes distincts selon le degré de sensibilité des produits :
- une baisse graduelle mais rapide des droits de douane en 5 ans pour des produits figurant à l'Annexe III ;
- une baisse graduelle des droits de douane sur 12 ans pour des produits figurant à l'Annexe IV ;
- une baisse graduelle à compter de la quatrième année depuis l'entrée en vigueur de l'accord pour des produits figurant à l'Annexe V.
Plusieurs clauses de sauvegarde ont été prévues en cas de difficultés. D'une part, la Tunisie peut demander que le calendrier de réduction des droits soit révisé sans toutefois que la période maximale de 12 ans puisse être dépassée (art. 11.4). D'autre part, la Tunisie peut relever ou même rétabli les droits de douane pour des importations qui menaceraient des "industries naissantes" ou des "secteurs en restructuration ou confrontés à de sérieuses difficultés, surtout lorsque ces difficultés entraînent de graves problèmes sociaux", (art. 14).
Cette dernière mesure est triplement encadrée :
- Les droits de douane ne peuvent excéder 25 % de la valeur du produit concerné (et doivent maintenir de toute façon un élément de préférence pour les produits de la Communauté) ;
- la valeur totale des importations de produits soumis à ces mesures peut dépasser 15 % des importations totales de produits industriels originaires de la Communauté ;
- enfin, ces mesures applicables en principe pour une durée n'excédant pas 5 ans (éventuellement prolongée par une autorisation du Conseil d'Association) ne peuvent dépasser la durée de transition de 12 ans.
En outre, la procédure prévue à l'article 14 implique des consultations préalables au sein du comité d'Association.
Après l'adoption des nouveaux droits, les autorités tunisiennes présentent un calendrier de suppression par tranche annuelle, au plus tard à la fin de la deuxième année, après leur introduction. Aux termes de l'article 14, le Comité et non le Gouvernement tunisien peut décider d'un calendrier différent. Il a également la faculté "à titre exceptionnel" d'autoriser la Tunisie à maintenir les mesures adoptées dans le cadre de cette clause de sauvegarde, trois ans au-delà de la période maximale de 12 ans et, ce, pour tenir compte des "difficultés liées à la création d'une nouvelle industrie".
Ainsi, la marge de manoeuvre du Gouvernement tunisien reste étroite et les dérogations les plus significatives (modification du calendrier de suppression des mesures de protection, dépassement du délai maximal de 12 ans) relèvent d'une instance paritaire, le Comité d'Association.
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les produits agricoles
L'objectif fixé pour les produits agricoles ne s'identifie pas à un libre échange total mais plutôt à une "plus grande libéralisation des échanges" (art. 16).
Les conditions de cette plus grande libéralisation sont déterminées pour les produits originaires de Tunisie par les deux premiers protocoles annexés à l'accord et pour les produits provenant de la Communauté par le troisième protocole.
S'agissant des produits tunisiens, trois régimes principaux peuvent être distingués.
Certains produits sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane. Il s'agit de la plupart des produits de la pêche - Protocole 2 - mais aussi des produits agricoles tels que les légumes, asperges, fenouils, concombres, persils, céleris... - qui n'étaient pas visés par le précèdent accord et pour lesquels les flux apparaissent d'ailleurs très faibles, voire nuls.
Pour certains produits, les droits de douane sont éliminés sous réserve de contingents tarifaires (fleurs coupées, pommes de terre - pour laquelle le contingent a été fixé à hauteur du flux d'importation existant, soit 15.000 tonnes).
Enfin, les protocoles prévoient une liste limitative de produits soumis à une taxation minimale et contingentés (raisins, pamplemousse, etc.).
En outre, le régime actuel réservé à l'huile d'olive est prorogé pendant 4 ans (droits de douane de 7,81 écus/100 kilogrammes dans la limite d'une quantité de 46.000 tonnes par campagne sous réserve des mesures appropriées que la communauté peut prendre pour préserver l'équilibre du marché).
La Communauté peut toutefois décider, dans l'hypothèse où les quantités importées pourraient susciter des difficultés sur le marché européen de fixer des quantités de référence au-delà desquelles le régime commun douanier trouve à s'appliquer.
Le troisième protocole détermine, pour les produits agricoles originaires de l'union Européenne, des droits de douane maxima et des contingents tarifaires préférentiels.
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L'accord fixe enfin, dans le cadre des dispositions communes du titre II plusieurs stipulations classiques. Parmi les plus significatives, il convient de mentionner :
- la prohibition de nouvelles réductions quantitatives aux importations (art. 21)
- l'interdiction des mesures discriminatoires de nature fiscale (art. 22)
- la faculté de prendre des mesures de sauvegarde en cas de dumping (art. 24) ou d'augmentation des importations susceptibles de remettre en cause l'équilibre des marchés (art. 25). Dans ces cas de figure, le problème doit être soumis au Comité d'Association qui s'efforce de rechercher une solution acceptable pour les parties. Dans le cas où un accord n'a pu être trouvé, la partie concernée prend les mesures appropriées - celles "qui apportent le moins de perturbations au fonctionnement de l'accord devant être privilégiées" (art. 27-2). Si des "circonstances exceptionnelles" le justifient, la partie intéressée peut prendre sans consultation préalable du Comité d'Association les "mesures de sauvegarde strictement nécessaires".
Enfin, l'accord fait droit à la clause de sauvegarde classique prévue notamment pour préserver l'ordre, la santé, la morale publique à condition, bien sûr que ces restrictions ne constituent pas des moyens de discrimination arbitraire.
L'accord d'association pose, de façon inédite, le principe de la libéralisation des échanges portant sur les services d'une part et le droit d'établissement d'autre part (titre III). Il s'agit toutefois d'un objectif, les parties réitérant dans un premier temps l'engagement, consacré par l'Accord général sur le commerce des services annexé à l'accord instituant l'OMC, à s'accorder, dans ce domaine, l'octroi mutuel du traitement de la nation la plus favorisée.
b) Les principes d'une coopération qui restera à concrétiser
• des objectifs très variés
- la coopération politique
La coopération politique constitue l'une des principales innovations de l'accord d'association. Elle se décline sous deux formes : l'introduction d'une clause sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques (art. 2), la mise en place d'un dialogue politique entre les parties (titre premier de l'accord).
Selon l'article 2, "le respect des principes démocratiques et des droits de l'homme" constitue "un élément essentiel de l'accord".
Dès lors, l'observation de ces principes revêt la valeur d'un engagement. Et, comme pour tout manquement aux obligations contenues dans le texte, la violation des droits de l'homme peut entraîner une série de mesures - allant jusqu'à la suspension de l'accord - aux termes d'une procédure prévue à l'article 90 de l'accord.
Sans en déterminer la périodicité, l'accord prévoit des rencontres à "échéance régulière" principalement à trois niveaux de concertation - entre ministres au sein du Conseil d'Association, entre hauts fonctionnaires, entre diplomates dans les instances internationales ou dans les pays tiers (art. 5).
Le dialogue doit porter sur des sujets d'intérêt commun, relatifs en particulier à la sécurité et à la stabilité dans le bassin méditerranéen. Il peut déboucher sur des initiatives communes (art. 3).
Enfin il doit appuyer l'intégration régionale maghrébine dont on a vu, en effet, qu'elle demeurait inaccomplie.
L'accord prévoit, en outre, une très large coopération dans les domaines économiques (titre V), social et culturel (titre VI).
Votre rapporteur relèvera ici parmi les secteurs de la coopération, ceux qui lui paraissent les plus significatifs.
- la coopération économique
La coopération s'emploiera principalement à accompagner le processus de libéralisation des échanges (art. 43) et à en limiter les effets "perturbateurs" sur l'économie tunisienne. Elle vise ainsi à encourager les "efforts de modernisation et de restructuration de l'industrie" dans les secteurs publics et privés. Mais, conformément à l'orientation générale des accords d'association depuis les années 80, elle cherche à soutenir plus particulièrement l'initiative privée (art. 49). Afin de permettre à la Tunisie de relever le défi de l'intégration économique, l'accord entend promouvoir une mise à niveau de la Tunisie en matière de normalisation et d'évaluation de la conformité des produits fabriqués dans ce pays.
De façon plus générale, le rapprochement des législations constitue l'un des objectifs poursuivi par l'accord. Dans cette perspective, l'accord plaide pour un "cadre juridique favorable" au développement des investissements européens en Tunisie.
Au-delà de ces aspects économiques, il convient de mentionner trois autres domaines essentiels pour la coopération entre les Quinze et la Tunisie.
En premier lieu, l'accord s'assigne pour mission le renforcement de l'éducation et de la formation et, en particulier, "l'accès de la population féminine à l'éducation" (art. 46).
La sauvegarde de l'environnement constitue également une priorité : la coopération portera notamment sur la "qualité des sols et des eaux", les conséquences du développement industriel et le contrôle et la prévention de la pollution marine (art. 48).
Enfin, des "actions conjointes" ou, à tout le moins coordonnées, sont prévues en matière de lutte contre le trafic des stupéfiants (art. 62).
- Coopération sociale et culturelle
Les conditions de travail et la rémunération des travailleurs tunisiens dans l'union européenne ou des ressortissants des Quinze en Tunisie sont régies par le principe de la non-discrimination fondée sur la nationalité. Il en est de même pour les prestations de sécurité sociale.
Ces dernières bénéficient aux travailleurs et aux "membres de leur famille" - dont la définition relève des législations de chacun des États d'accueil aux termes de la déclaration commune relative à l'article 65 - . Elles sont librement transférables dans le pays d'origine à l'exception des prestations non contributives (art. 65.4).
Bien qu'ils n'aient pas droit aux règles de coordination communautaire (prévue par le règlement 1408/7), les Tunisiens installés sur les territoires des pays de l'union bénéficient de la "totalisation des périodes d'assurances d'emploi ou de résidence accomplies dans les différents États-membres" pour le calcul des prestations.
Les Tunisiens présents en Europe se concentrent en fait principalement sur le territoire français (200.000 à 250.000 ressortissants tunisiens).
L'ensemble des dispositions relatives aux travailleurs, il faut le souligner, ne s'applique pas aux ressortissants de l'une des parties qui résident ou travaillent illégalement sur le territoire du pays d'accueil (art. 66).
Outre ces dispositions relatives, l'accord prévoit, dans le domaine social, l'ouverture d'un dialogue ainsi que des actions de coopération visant "la réduction de la pression migratoire, notamment à travers la création d'emplois et le développement de la formation dans la zone d'émigration" mais aussi, dans le "cadre de la législation tunisienne en la matière", "la promotion du rôle de la femme dans le processus de développement économique et social, notamment à travers l'éducation et les médias" (art. 71).
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Les moyens de la coopération
L'accord envisage successivement les méthodes de coopération, la coopération financière et enfin le cadre de la coopération.
- Les méthodes
L'accord prévoit plusieurs types d'instruments pour réaliser les objectifs qu'il énonce :
- l'instauration d'un dialogue économique et social ;
- dans le domaine économique, des échanges d'information, des actions de conseil ou de formation, l'exécution d'actions conjointes, une assistance technique, administrative et réglementaire (art. 44) ;
- dans le domaine social, la mise en place d'un groupe de travail doit veiller à l'évaluation et la mise en oeuvre des dispositions d'ordre social contenues dans l'accord (art. 73).
- La coopération financière
En fait, le texte énonce principalement des objectifs. S'il pose le principe d'une coopération financière (titre VIII), il n'en précise pas les moyens. Dans ce domaine, la mise en oeuvre relève de règlements financiers, notamment le programme MEDA, adoptés à l'issue du sommet de Cannes.
- Les bases d'une institutionnalisation
L'accord jette les fondements d'une institutionnalisation de la coopération sous la forme d'un Conseil d'Association. Ce dernier réunit les membres du Conseil de l'Union européenne et de la Commission, d'une part et les membres du Gouvernement tunisien, d'autre part. Il se réunit au moins une fois par an et "chaque fois que nécessaire" (art. 78).
Il constitue le cadre normal du dialogue institué entre les parties contractantes sur les questions bilatérales ou internationales d'intérêt commun. Il dispose en outre d'un pouvoir de décision applicable en matière de litige entre les parties. Dans l'hypothèse où cette procédure ne permet pas d'aboutir à un règlement, les parties en présence (la Communauté et les États-membres étant considérés comme une seule partie au différend) ainsi que le Conseil d'Association désignent chacun un arbitre. La décision des arbitres, prise à la majorité, a valeur obligatoire (art. 86).
L'accord institue par ailleurs au niveau des hauts fonctionnaires un Comité d'Association, compétent pour la gestion de l'accord et auquel le Conseil peut déléguer tout ou partie de ses compétences.
Il faudra prendre garde que les structures mises en place ne conduisent pas à organiser de façon trop lourde un dialogue, qui pour s'épanouir, a besoin d'une certaine souplesse.
*
L'accord est conclu pour une durée illimitée.
Si l'essentiel des stipulations relèvent de la compétence communautaire, le dispositif relatif au dialogue politique reste du ressort des États-membres. C'est la raison pour laquelle l'accord d'association conclu par « la Communauté et ses États-membres » d'une part et la Tunisie d'autre part, requiert une procédure de conclusion par les institutions communautaires (articles 228 et 238 du traité) et notamment l'avis conforme du Parlement européen -rendu en décembre 1995- mais aussi une procédure de ratification au sein de chacun des États-membres. La Suède, le Portugal, l'Autriche et la Grèce ont aujourd'hui satisfait aux conditions nécessaires à la ratification du texte. En Tunisie, le projet de loi autorisant ratification a été adopté le 11 juin dernier par l'Assemblée nationale.
2. L'impact globalement positif de l'accord sur l'économie tunisienne
Quelles seront les conséquences de l'accord d'association sur l'économie tunisienne ? S'il est difficile d'établir des pronostics trop assurés, du moins peut-on tenter de distinguer les effets à court terme, sans doute déstabilisateurs, d'effets à moyen terme, dans l'ensemble positifs.
a) Les risques du court terme
À court terme il est possible de relever quatre types d'effets perturbateurs sur le secteur industriel, l'équilibre budgétaire, l'épargne des ménages, la balance commerciale.
• Un effort de restructuration
D'après certaines estimations sans doute exagérées, la libéralisation des échanges industriels pourrait entraîner la disparition d'un tiers des entreprises présentes dans le secteur manufacturier par voie de liquidation ou de fusion. Elle provoquerait par ailleurs d'importantes difficultés pour un autre tiers dans l'hypothèse où les plans de restructuration ne seraient pas couronnés de succès.
• Une baisse de ressources budgétaires
La réduction des droits de douane devrait représenter 3,5 % du P.I.B. de 1995 à la fin de la période transitoire de 12 ans. Comme le note le FMI, cette perte pourrait s'avérer encore plus importante si la Tunisie abaissait les droits de douane pesant sur les importations provenant des pays extérieurs à l'Union européenne. Or, droits et taxes à l'importation constituent près de 18 % des recettes fiscales tunisiennes et contraindront le Gouvernement à réduire les dépenses ou augmenter les impôts pour limiter les risques de gonflement du déficit budgétaire.
• Les incertitudes sur l'évolution de
l'épargne intérieure
L'épargne publique pourrait être affectée si les mesures destinées à compenser le déficit budgétaire n'étaient pas adoptées. En outre, l'élimination des droits de douane sur les produits importés encouragera la consommation privée et contribuera à dégrader le ratio épargne-investissement. De même, ce phénomène risque de peser sur l'équilibre de la balance commerciale.
• Le risque d'une dégradation de la balance
commerciale
L'accord ne permettra pas, dans l'immédiat, d'accroître les débouchés de l'économie tunisienne. En conséquence, à court terme, l'augmentation des importations ne sera pas atténuée par la progression des exportations et le déficit commercial risque de s'accroître.
b) Des perspectives à moyen terme très positives
Aucun des risques qui viennent d'être précisés ne présentent de caractère irréversible : le secteur manufacturier peut retrouver un nouvel élan, la croissance attendue de la libéralisation entraîner une augmentation des recettes fiscales, la compétitivité retrouvée des entreprises nationales favoriser à la fois la consommation intérieure et le flux des exportations.
Il est possible de discerner plus spécifiquement trois effets positifs à moyen terme même s'il est difficile de chiffrer précisément les gains possibles. L'ouverture de l'économie permettra d'abord de mettre fin à certaines rentes de situation pour les entreprises qui, dans le secteur concurrentiel, disposent de monopoles. Elle permettra également l'ouverture de la Tunisie à de nouvelles technologies qui constitueront un atout décisif pour le développement économique.
En outre, l'accord d'association encouragera sans doute les investissements étrangers.
La libéralisation des échanges, l'accès facilité au marché européen, l'adoption de normes et de règlements de l'Union européenne constituent en effet autant de facteurs favorables aux investisseurs.
Surtout, et votre rapporteur s'en félicite, le troisième effet positif attendu de l'accord d'association se traduira probablement par une augmentation du nombre d'emplois créés. En effet, comme l'observe le FMI, l'avantage comparatif de la Tunisie réside dans les "secteurs à forte intensité de main-d'oeuvre".
Pour tirer le meilleur parti de l'accord, l'économie tunisienne doit accomplir un effort significatif de modernisation et d'adaptation. Il importe aussi que le coût économique et social de la transition ne soit pas trop lourd. Le dispositif même de l'accord ménage une période de transition et étale sur 12 ans l'impact lié à l'institution d'une zone de libre-échange. De plus les mesures d'accompagnement prévues par la Tunisie et par la Communauté joueront un rôle décisif.
Les autorités tunisiennes ont élaboré en 1995 un programme décennal de mise à niveau de l'appareil productif : élévation du niveau technologique, amélioration de la gestion des entreprises, introduction de normes de qualité conformes aux règles européennes.
En outre, pendant les cinq premières années d'application de l'accord, la Tunisie peut maintenir, sous certaines conditions un volant d'aide publique, notamment pour assurer la restructuration du secteur de l'acier. Il appartient au Conseil d'association de décider si ce soutien peut être prorogé (article 36-4).
En second lieu, la Tunisie bénéficiera, dans le cadre du programme MEDA, d'une substantielle augmentation de l'enveloppe financière qui lui est destinée : les dons s'élèveront ainsi à 250 millions d'écus environ pour les 3 prochaines années (contre 116 millions d'écus accordés sur la période précédente - quatre ans - au titre du quatrième protocole financier).
L'aide portera d'abord sur l'accompagnement de la période de transition à travers quelques actions prioritaires :
- l'intégration dans l'espace économique euro-méditerranéen (dialogue institutionnel, appui budgétaire direct...) ;
- le soutien au secteur privé (développement du secteur financier, de la formation professionnelle, privatisation des entreprises et des services publics) ;
- l'encouragement des investissements extérieurs ;
- le renforcement des infrastructures économiques ;
Le soutien financier visera également le renforcement de l'équilibre social par le biais du développement intégré des zones rurales et la création d'emploi.
Dans la mesure où le capital humain représente un atout décisif pour le développement de l'économie tunisienne, les actions destinées à former la main d'oeuvre constitueront un secteur prioritaire de coopération.
* 1 Cité dans Jeune Afrique , 20-26 mars 1996.
* 2 La communauté juive de Tunisie ne compte que 2 000 personnes.
* 3 La Tunisie est le seul pays arabe à faire l'objet d'une notation de la part des agences internationales spécialisées dans l'évaluation de la crédibilité des emprunteurs sur le marché international. Les analyses, bien que prudentes, reconnaissent à la Tunisie la capacité à honorer ses engagements extérieurs.
* 4 Réunion des ministres de la culture à Bologne, du tourisme à Naples, de l'industrie à Bruxelles, du travail à Catane, de la communication à Rome, de l'énergie à Trieste. 2 Réunion du groupe des hauts fonctionnaires chargés du suivi du volet politique ; réunion du Comité euro-méditerranéen chargé du suivi d'ensemble du processus de Barcelone.