EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

En quelques années l'architecture de la juridiction administrative a considérablement évolué tandis que la progression continue du contentieux obligeait à de constantes adaptations des effectifs, des procédures et des méthodes de travail.

Cinq cours administratives d'appel ont été créées depuis l'adoption de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de très nombreux recrutements ont été effectués, principalement par la voie dite complémentaire, en parallèle des nominations à la sortie de l'Ecole nationale d'administration, des procédures simplifiées et des formations à juge unique ont été mises en place, notamment en application de la loi n° 95-1270 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, mais le statut du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne permet plus d'accompagner ces évolutions de manière satisfaisante.

En effet, les conditions d'avancement des membres du corps empêchent aujourd'hui de pourvoir des emplois de conseillers dans les cours administratives d'appel alors même qu'une sixième cours doit être installée à Marseille en 1997 et une septième à Douai en 1999. De même, les modalités de calcul des exigences d'ancienneté limitent le nombre des magistrats susceptibles d'exercer les fonctions à juge unique.

C'est à cette situation, qui est également source de frustrations pour les intéressés dont le déroulement de carrière prend des retards très sensibles par rapport à celui des administrateurs civils, que le Gouvernement propose de remédier.

Elaboré en étroite concertation avec les magistrats administratifs, sur le fondement du rapport remis, à la fin de l'année 1993, au Vice-président du Conseil d'Etat, par un groupe de travail présidé par M. Henri Roson, le projet de loi a pour objet essentiel de modifier la structure du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en réduisant le nombre des grades pour permettre un déroulement de carrière comparable à celui des corps d'inspection générale de l'Etat, la nomination dans les fonctions d'encadrement restant soumise à l'inscription sur une liste d'aptitude.

Il constitue donc le dernier volet d'une réforme engagée et progressivement mise en oeuvre depuis dix ans pour permettre aux juridictions administratives d'être en mesure de traiter les contentieux dans des délais raisonnables.

I. LE STATUT ACTUEL N'EST PLUS ADAPTÉ AUX BESOINS DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE

A. UNE JURIDICTION QUI A EVOLUÉ

Soucieux de répondre à la croissance continue du contentieux, le législateur a créé des cours administratives d'appel pour décharger progressivement le Conseil d'Etat du contentieux en appel des tribunaux administratif. Il a également mis en place des procédures de traitement simplifié des affaires et confié à un juge unique le traitement de certains contentieux.

Dans le même temps, des recrutements nombreux ont permis de renforcer sensiblement les effectifs.

Enfin un effort considérable de " productivité " a été réalisé par les magistrats, appuyé sur une meilleure organisation interne des juridictions et le développement de certains moyens matériels, notamment informatiques.

1. Une architecture renforcée par la création d'un nouveau degré de juridiction

La juridiction administrative compte actuellement trente-quatre tribunaux administratifs [1] , dont huit sont situés outre-mer [2] , cinq cours administratives d'appel et une juridiction suprême,-le Conseil d'Etat-, qui reste également juge en premier et dernier ressort d'un certain nombre de décisions administratives [3] . Un trente-cinquième tribunal administratif devrait être ouvert d'ici à l'an 2000 en application de la loi de programme n° 95-9 du 6 janvier 1995 relative à la Justice.

Contrairement aux réformes antérieures, qui étaient seulement intervenues sur la structure des tribunaux administratifs (par la création de chambres jointes) ou le recrutement des juges administratifs (par la création des conseillers référendaires), la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif a modifié l'organisation de la juridiction en créant les cours administratives d'appel auxquelles ont été successivement transférées, entre 1988 et 1993, les différentes matières du contentieux en appel des tribunaux administratifs [4] .

La loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, a complété la compétence des cours en y ajoutant, à compter du 1er octobre 1995, les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs portant sur les recours pour excès de pouvoir formés contre des actes réglementaires relevant de leur compétence.

Ces transferts sont aujourd'hui achevés mais l'élargissement de la compétence des cours en 1995 et la progression du contentieux en appel justifient la création, prévue par la loi de programme pour la Justice, de deux cours supplémentaires, l'une à Marseille, en 1997, l'autre à Douai, en 2000.

2. Des procédures adaptées aux différents contentieux

La loi précité du 8 février 1995 a accru très sensiblement le nombre des cas dans lesquels le juge administratif statue seul.

Avant l'entrée en vigueur de cette loi, le juge unique n'intervenait qu'exceptionnellement : en urgence, pour les reconduites à la frontière (en application de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945), en matière de référé, de référé-provision et de rejet d'une demande de sursis à exécution, enfin en matière d'urbanisme pour accorder ou refuser une ordonnance de sursis à exécution (en application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme).

L'article 63 de la loi du 8 février 1995 précitée prévoit que le président du tribunal administratif, ou le magistrat ayant atteint au moins le grade de conseiller de première classe désigné à cette fin par lui, statue seul, en audience publique, après audition du commissaire du Gouvernement, pour un certain nombre de litiges [5] .

Selon les estimations indiquées par notre collègue, M. Germain Authié, dans l'avis qu'il a présenté au nom de la commission des Lois sur les crédits consacrés aux service généraux de la Justice par le projet de loi de finances pour 1997, 20 % des litiges pourraient être traités chaque année par application de ce dispositif.

Par ailleurs, l'article 64 de la loi du 8 février 1995 a étendu la possibilité de traiter des requêtes par ordonnance du président aux irrecevabilités manifestes, à la charge des dépens ou des frais ainsi qu'aux requêtes " en séries ".

Ces nouvelles procédures devraient permettre de reporter certains magistrats sur d'autres dossiers mais leur mise en oeuvre étant subordonnée à des conditions d'expérience et d'ancienneté particulièrement exigeantes, elles occupent en définitive de nombreux magistrats gradés alors qu'elles sont réputées s'appliquer aux contentieux les plus simples.

3. Des recrutements importants

Pour faire face à l'accroissement du contentieux en première instance et remplacer les magistrats des tribunaux administratifs affectés dans les cours administratives d'appel, le recrutement habituel par la voie de l'Ecole nationale d'administration était manifestement insuffisant.

Plusieurs voies ont été utilisées parallèlement pour accroître les effectifs. A titre principal, le recours à des recrutements complémentaires, en application d'une faculté initialement ouverte jusqu'au 31 décembre 1985 par loi n° 80-511 du 7 juillet 1980 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs, prorogée jusqu'au 31 décembre 1990 par l'article 9 de la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986, puis jusqu'au 31 décembre 1995 par l'article 7 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, enfin jusqu'au 31 décembre 1999 par l'article 80 de la loi précitée du 8 février 1995, a permis de recruter 184 conseillers de 1985 à 1996, dont 97 entre 1988 et 1990, années non soumises au plafonnement de ces recrutements.

Le recrutement spécifique pour les cours administratives d'appel a permis d'intégrer 34 conseillers entre 1988 et 1991.

Le recrutement au tour extérieur (un huitième des conseillers de première classe) constitue pour sa part un moyen permanent de recrutement latéral. Il a permis 75 recrutements de 1985 à 1996.

Le détachement a également été utilisé mais, outre son caractère temporaire, il est toujours incertain en volume. En 1996, 17 fonctionnaires ont été détachés auprès des juridictions admistratives.

En 1968, le corps des tribunaux administratifs comptait 168 membres. En 1987, son effectif a atteint 605 membres en 1995. Aujourd'hui, il est de 641 membres, dont 502 recrutés entre 1985 et 1996.

En raison de cette politique active de recrutements et des effets des départs à la retraite, le corps s'est donc profondément renouvelé et rajeuni [6] .

On rappellera enfin qu'existent des emplois en surnombre, soit dans le cadre de la prolongation d'activité des magistrats atteints par l'âge de la retraite, soit en raison de dispositions particulières comme le programme pluriannuel pour la Justice qui a prévu 75 recrutements en surnombre, étalés sur cinq ans et appelés à se résorber à compter de 2000.

B. UN STATUT MAL ADAPTE AUX FONCTIONS EXERCÉES

1. Un statut particulier

Les principes essentiels du statut actuel des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ont été posés par la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 fixant les règles garantissant l'indépendance des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Bien que les intéressés relèvent formellement du statut général de la fonction publique, le législateur, le Conseil constitutionnel et le pouvoir réglementaire ont clairement consacré leur statut de magistrat, ainsi qu'il résulte de la qualification de leur mission par les articles 1er de la loi du 6 janvier 1986 et du décret n° 88-938 du 28 septembre 1988 portant statut particulier, de la participation d'une autorité indépendante à leur gestion, -le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel-, de leur inamovibilité et de règles statutaires particulières, notamment en matière d'incompatibilités et de protection contre le dessaisissement du dossier.

2. Un statut mal adapté et complexe

a) Un statut mal adapté

Pour ce qui est de la structure en grades du corps, le statut est largement inspiré de celui des administrateurs civils dont il reprend la progression pour les trois premiers grades (jusqu'à la hors classe).

Or l'organisation du corps des administrateurs civils comprend une rupture correspondant à la possibilité d'accéder à une emploi de directeur, chef de service ou sous-directeur d'administration centrale. Comme le précise le rapport Roson, le corps des administrateurs civils est " le vivier à partir duquel sont pourvus les postes de direction d'administration centrale. Il donne de plus vocation à des fonctions qui, fort distinctes de celles des magistrats, s'inscrivent dans des structures nettement hiérarchisées ".

Dès lors, il apparaît que la structure actuelle du corps des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne répond pas véritablement à des exigences fonctionnelles correspondant aux missions de ses membres.

b) Un statut complexe

Le statut des membres des juridictions administratives est de plus complexe. Il comporte quatre grades de plus que celui des administrateurs civils, selon la succession suivante : conseiller de 2ème classe, conseiller de 1ère classe, conseiller hors classe, président, président hors classe, vice-président du tribunal administratif de Paris, président du tribunal administratif de Paris.

Les deux grades les plus élevés correspondant à une fonction déterminée unique, la fin de carrière normale est constituée par le grade de président hors classe à échelon terminal B bis auquel sont associés les fonctions de président d'un tribunal administratif à deux ou plusieurs chambres ou celles de président de section au tribunal administratif de Paris ou de président de chambre de cour administrative d'appel.

Selon l'étude d'impact transmise par le Premier ministre [7] , ce découpage " multiplie artificiellement les seuils d'avancement au choix et ne permet plus aujourd'hui de répondre de façon satisfaisante à des besoins fonctionnels nouveaux.... Il est outre à l'origine de ralentissements inquiétants dans les déroulements de carrière ; la complexité de la structure en grades a en effet constitué un obstacle au pyramidage régulier des emplois successivement créés . "

C. UN CONTENTIEUX TOUJOURS CROISSANT

Le flux des requêtes adressées aux tribunaux administratifs a connu, et continue de connaître, une croissance importante. Dans le même temps, les magistrats administratifs, dont les effectifs on été loin de croître en proportion, ont rendu un nombre de décisions proportionnellement croissant grâce à une " productivité " accrue qui ne semble pas avoir porté atteinte à la qualité des décisions.

1. La progression continue du contentieux

Cette progression fait l'objet d'analyses détaillées, chaque année, dans le rapport pour avis établi par notre collègue, M. Germain Authié, sur les crédits des services généraux de la Justice, auxquelles on se permettra de renvoyer.

On rappellera seulement quelques chiffres marquants : en vingt-cinq ans, le nombre des requêtes a progressé en moyenne de 8% par an avec certaines irrégularité. C'est ainsi que depuis 1990 le nombre des affaires nouvelles enregistrées est passé de près de 70.000 à plus de 97.000 mais avec une pause en 1993 (+ 4%) et surtout en 1994 (+ 1,5 %), malheureusement démentie en 1995 (+ 12 %).

Dans les cours administratives d'appel, les entrées ont connu une progression sans précédent depuis 1992 en raison du transfert échelonné des compétences en appel du Conseil d'Etat. Elles ont augmenté de 29 % en 1992, 15 % en 1993, 25 % en 1994 et 28 % en 1995, soit un doublement en quatre ans.

2. Un effort de productivité considérable

En dépit de l'afflux des recours, le délai moyen de jugement devant les tribunaux administratifs, qui était de deux ans et demi en 1990, s'est progressivement réduit. A la fin de l'année 1995, il se situait à un an, onze mois et 17 jours.

Il n'en demeure pas moins que le nombre des affaires traitées a augmenté en moyenne de 11% par an, une grande partie de ce résultat étant imputable aux efforts des magistrats. C'est ainsi que 1987 à 1993 le nombre moyen d'affaires jugées par chaque magistrat a progressé de 43 %. Il semble toutefois que les marges de productivité encore disponibles soient très faibles si l'on en juge par les résultats constatés sur les dernières années qui font apparaître que l'augmentation des " sorties " résulte avant tout de l'accroissement des effectifs de magistrats et d'agents de greffes.

Devant les cours administratives d'appel, les délais moyens de jugement se sont quelque peu dégradés en 1995 (un an et sept mois) en dépit de l'augmentation du nombre des affaires traitées. Cette situation tient à la poursuite et à la fin des transferts de contentieux. Elle justifie la création programmée de deux nouvelles cours, la première, dès 1997, à Marseille, essentiellement pour désengorger la cour administrative de Lyon, la seconde à Douai, en 1999, pour décharger les cours de Paris et de Nancy.

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