IV. LES CONCLUSIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ROMPRE L'ISOLEMENT DES COMMUNES EN PARVENANT À UN JUSTE ÉQUILIBRE ENTRE DES CONDITIONS D'ACCUEIL SATISFAISANTES DES GENS DU VOYAGE ET UNE SANCTION EFFECTIVE DU STATIONNEMENT ILLICITE

Votre commission des Lois a cherché à définir de manière pragmatique les moyens de remédier aux difficultés posées à de trop nombreuses communes par le stationnement des gens du voyage, ce qui implique à la fois une amélioration des conditions d'accueil des gens du voyage et des moyens accrus pour sanctionner effectivement le stationnement illicite.

Il s'agit bien, en effet, de concilier, d'une part, le droit légitime des gens du voyage à circuler et à pouvoir stationner dans des conditions régulières sur le territoire et, d'autre part, le respect d'un certain nombre d'obligations nécessaires au bon voisinage. Il faut ainsi veiller à ne pas rompre l'équilibre entre les " droits et les devoirs ", tant dans l'offre de stationnement par les collectivités locales que dans l'observation des règles de vie commune par les gens du voyage. Dans ce but, les positions de " refus systématique " lesquelles peuvent s'exprimer de part et d'autres doivent clairement être écartées.

La démarche à suivre doit être de rompre l'isolement dans lequel se trouvent les communes concernées. Une telle situation -qui est profondément injuste pour les communes qui ont consenti de réels efforts pour aménager des aires d'accueil- rend en outre illusoire tout règlement des difficultés rencontrées dès lors que, par leur nature même, elles dépassent les limites d'une seule commune.

Pour y remédier, il convient donc d'impliquer dans l'accueil des gens du voyage les différents acteurs concernés au niveau départemental, qui semble le niveau adéquat pour régler les difficultés, en-dehors des grandes migrations traditionnelles lesquelles appellent à l'évidence des solutions nationales voire européennes.

Les conclusions que votre commission des Lois vous soumet s'inscrivent dans la démarche ainsi définie en cherchant à répondre aux préoccupations légitimement exprimées par les auteurs des propositions de loi. Elles prennent en compte à la fois le problème de l'accueil et celui de la sanction du stationnement illicite, qu'il soit ou non le fait des gens du voyage.

Par delà ces propositions, votre commission des Lois a jugé nécessaire de souligner que la situation des gens du voyage appelle une réflexion complémentaire afin notamment de simplifier le régime des titres de circulation et de mieux appréhender le statut fiscal.

En outre, le problème de la scolarisation des enfants dans le contexte très spécifique du voyage ne doit pas être sous-estimé. Il justifie vraisemblablement une approche originale destinée à tenir compte de la mobilité périodique de ces enfants.

Enfin, la sédentarisation appelle des réponses d'une nature particulière qui concernent à la fois les problèmes de logement et d'insertion professionnelle et sociale. Une coordination devrait, en particulier, être recherchée entre le plan départemental pour le logement et les schémas départementaux d'accueil des gens du voyage.

A. UN TRAITEMENT DIFFÉRENCIÉ POUR L'ACCUEIL DES PETITS GROUPES DE GENS DU VOYAGE ET LES GRANDES MIGRATIONS TRADITIONNELLES

1. L'élaboration d'un schéma national d'accueil des gens du voyage

Comme le souligne à juste titre l'exposé des motifs de la proposition de loi n° 240 de M. Louis Souvet, il est nécessaire " d'établir une distinction entre les mouvements et les transhumances de grande envergure de ces populations ", d'une part, et " des déplacements ne concernant que quelques familles (moins d'une dizaine de caravanes par exemple) ", d'autre part. Les premiers de ces déplacements, en raison de leur ampleur, doivent être planifiées afin de permettre un recensement des terrains d'accueil et d'éviter des concentrations excessives sur un même lieu, qui ne peuvent avoir que des effets néfastes en termes d'hygiène et de protection des sites.

Votre commission des Lois approuve en conséquence la suggestion de la proposition de loi n° 240 de confier aux pouvoirs publics la mission de planifier ces grands déplacements.

Néanmoins, elle estime que la démarche doit être plus ambitieuse qu'un simple répertoire national des terrains aménagés pour l'accueil des gens du voyage, tel qu'il résulte de l'article 3 de la proposition de loi n° 247.

Cette planification devrait plus profondément s'inscrire dans le cadre d'un schéma national qui permettrait de lier véritablement l'accueil des grandes migrations traditionnelles des gens du voyage aux préoccupations d'aménagement du territoire. A cette fin, le schéma national devrait prendre en compte les orientations de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire. La concertation préalable serait organisée au sein du conseil national de l'aménagement et du développement du territoire et de la commission nationale consultative des gens du voyage. Tel est l'objet de l'article premier du texte proposé par votre commission.

Par ce schéma national, l'Etat devrait ainsi réellement s'impliquer dans la prise en charge de ces grandes migrations traditionnelles qui, par leur nature même, ne concernent pas une seule collectivité.

2. La prise en compte des grandes migrations traditionnelles dans les directives territoriales d'aménagement

En outre, l'Etat devrait, le cas échéant, pouvoir traduire les orientations définies dans le schéma national dans des documents d'urbanisme. Votre commission des Lois a considéré que les directives territoriales d'aménagement, créées par la loi d'orientation du 4 février 1995, pouvaient permettre à l'Etat de préciser ses objectifs en matière de localisation de terrains d'accueil dans le cadre des grandes migrations traditionnelles. Ces directives devraient alors prendre en compte les orientations du schéma national prévu par l'article premier. Tel est l'objet de l'article 2 du texte qui vous est proposé.

3. L'affirmation du rôle de coordination du représentant de l'Etat dans le département pour les grandes migrations traditionnelles

Enfin, comme le suggère la proposition de loi n° 240 de M. Louis Souvet, le représentant de l'Etat dans le département doit jouer un rôle particulier afin d'assurer une répartition équilibrée sur le territoire des personnes participant à des grandes migrations. Cette proposition est formalisée à l'article 3 du texte de la commission, qui rattache cette mission aux pouvoirs du représentant de l'Etat en matière de police.

Par cet ensemble de dispositions, l' isolement des communes pour les grandes migrations de gens du voyage serait ainsi rompu, l'Etat assumant clairement les responsabilités qui doivent être les siennes.

B. UNE APPROCHE PLUS RÉALISTE DES OBLIGATIONS FAITES AUX COMMUNES

1. Le maintien des schémas départementaux

Quelle que soit la valeur des précisions ou compléments qui pourraient être apportés aux schémas départementaux prévus par la loi du 31 mai 1990, votre commission des Lois considère néanmoins qu'il serait de mauvaise méthode de remettre en cause ces schémas d'ores et déjà adoptés dans un certain nombre de départements ou en cours d'élaboration dans d'autres. Tel n'est d'ailleurs l'objet d'aucune des deux propositions de loi.

Néanmoins, la situation spécifique de l'Ile-de-France au regard du staionnement des gens du voyage devrait probablement justifier la recherche plus affirmée de formules de coordination interdépartementale.

2. Une plus juste appréciation des obligations communales

Par ailleurs, la mise en oeuvre des schémas départementaux justifie une approche plus réaliste que celle prévue par la loi du 31 mai 1990.

Les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur ont mis en évidence que le seuil de 5 000 habitants retenu pour faire obligation aux communes de se doter d'un terrain d'accueil ne correspondait pas aux réalités locales. D'une part, suivant les orientations fixées par le schéma départemental, un tel terrain pourra être plus utilement créé dans une commune de taille inférieure. D'autre part, certains départements étant plus concernés que d'autres par les déplacements des gens du voyage, c'est dans ces départements qu'une éventuelle obligation peut avoir tout son sens. Enfin, il apparaît que la coopération intercommunale peut constituer le cadre le plus adapté en favorisant les nécessaires solidarités entre communes voisines sur un problème qui les concerne toutes.

Dans ces conditions, votre commission a jugé préférable de supprimer le seuil de 5 000 habitants institué par la loi du 31 mai 1990 et n'a pas retenu la suggestion de la proposition de loi n° 240 ( article premier ) tendant à moduler l'obligation faite aux communes à partir de strates de population.

En revanche, elle vous propose -à l'article 4 du texte qu'elle vous soumet- d'établir clairement l'obligation faite aux communes et à leurs groupements de concourir à la mise en oeuvre du schéma départemental par la réservation de terrains aménagés, en fonction des orientations fixées par le schéma départemental.

Enfin, l'isolement des communes dans la mise en oeuvre des schémas serait supprimé par la généralisation d'un cadre conventionnel impliquant tous les partenaires concernés -à savoir prioritairement l'Etat, la région, le département, les communes mais aussi les groupements de communes et les autres organismes publics- et précisant les modalités concrètes de la réalisation de l'aire, notamment sur le plan financier.

C. LA CRÉATION D'UN CADRE DE CONCERTATION ET DE MÉDIATION AU PLAN LOCAL

Lorsque des difficultés surviennent au plan local, les élus locaux déplorent, souvent à juste titre, l'absence d'interlocuteurs avec lesquels rechercher des solutions de manière pragmatique.

Votre commission a donc considéré qu'il était nécessaire d'encourager des formules de concertation et de médiation au plan local.

Telle serait la finalité de la commission consultative départementale ( article 5 du texte proposé) qui associerait les différentes parties concernées, examinerait les problèmes rencontrés et pourrait désigner en son sein un médiateur.

D. UN ACCROISSEMENT NÉCESSAIRE DES POUVOIRS DU MAIRE POUR FAIRE CESSER LE STATIONNEMENT ILLICITE

1. Un renforcement nécessaire par la voie réglementaire des contraventions de police

Si elle relève du pouvoir réglementaire, cette mesure n'en mérite pas moins d'être soulignée.

Ayant le sentiment, souvent justifié, d'être isolés dans la mise en oeuvre des schémas départementaux, les maires des communes concernées éprouvent le même isolement pour faire cesser le stationnement illicite des gens du voyage sur le territoire de leurs communes.

Pourtant, comme l'a rappelé votre rapporteur, des moyens existent, en théorie du moins, pour parvenir à ce dernier objectif.

D'une part, dès qu'une aire d'accueil a été réalisée, le maire peut interdire le stationnement sur le reste du territoire communal. D'autre part, le maire peut agir dans le cadre de ses pouvoirs de police municipale. Enfin, des sanctions sont prévues et des procédures juridictionnelles peuvent être mises en oeuvre. Il reste que ces sanctions ne semblent avoir qu'une portée limitée .

Pour les rendre effectives, votre commission des Lois estime que le niveau des contraventions, fixé par la voie réglementaire et manifestement peu dissuasif, devrait être relevé .

2. Renforcer les moyens d'action du maire

Votre commission des Lois vous suggère, par ailleurs, de mieux établir le pouvoir du maire pour faire cesser le stationnement illicite.

A cette fin, elle vous propose d'insérer dans le chapitre du code général des collectivités territoriales qui traite du pouvoir de police municipale la faculté reconnue au maire par la loi du 31 mai 1990 d'interdire le stationnement sur le reste du territoire communal dès lors qu'une aire d'accueil a été réalisée ( article 6 du texte proposé). Cette faculté est -conformément au souhait exprimé par les auteurs de la proposition de loi n° 240- clairement étendue aux maires des communes qui se sont groupées au sein d'un établissement public de coopération intercommunale pour réaliser cette aire d'accueil.

Dès lors, l'objet de la suggestion de la proposition de loi n° 259, de M. Philippe Marini, consistant à permettre aux maires d'interdire le stationnement hors de ces aires pour une durée excédant vingt-quatre heures paraîtrait satisfait.

En outre, une difficulté spécifique est posée aux communes lorsque le stationnement illégal se produit sur des terrains privés.

Afin de lever cette difficulté, votre commission vous propose d'élargir l'objet initial des deux propositions de loi afin de renforcer le dispositif destiné à faire cesser le stationnement irrégulier de caravanes, que celles-ci appartiennent ou non à des gens du voyage.

Elle vous suggère de permettre désormais au maire d'engager une action auprès du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour obtenir l'évacuation de caravanes qui stationneraient irrégulièrement sur un terrain privé et dont la présence serait de nature à porter atteinte à la salubrité , à la sécurité ou à la tranquillité publique ( article 6 du texte proposé).

Rappelons que notre législation reconnaît déjà, soit au maire soit au préfet, des prérogatives spécifiques pour faire cesser certaines situations périlleuses, notamment en matière sanitaire et social.

Votre commission considère qu'une mise en oeuvre effective des moyens destinés à mettre un terme au stationnement illicite doit être impérativement recherchée.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter les conclusions qu'elle vous soumet pour ces deux propositions de loi et qui sont reproduites à la fin du présent rapport .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page