N° 182
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1997
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification d'un traité d' entente , d' amitié et de coopération entre la République française et la République d'Albanie ,
Par M. André ROUVIÈRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry,
MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait,
Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
10
ème législ.) :
2978
,
3247
et T.A.
646.
Sénat
:
202
(1996-1997).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser la ratification du
traité d'entente, d'amitié et de coopération signé
à Paris le 12 décembre 1994 entre la France et l'Albanie.
Déposé le 7 août 1996, ce projet de loi a été
adopté le 29 janvier 1997 par l'Assemblée nationale, à la
veille des graves événements survenus en Albanie en
février et en mars dernier.
Cette crise a justifié l'envoi d'une force multinationale de protection,
à laquelle la France a contribué et qui est intervenue sous le
double mandat des Nations unies et de l'OSCE, en vue de faciliter
l'acheminement de l'aide humanitaire et de rétablir un climat de
sécurité nécessaire aux missions des organisations
internationales.
Parallèlement, des élections générales, qui se sont
déroulées au mois de juin sous le contrôle de l'OSCE, ont
provoqué un changement de majorité parlementaire et la nomination
d'une nouvelle équipe gouvernementale, alors que la démission du
président de la République, M. Sali Berisha, entraînait
l'élection par le Parlement d'un nouveau chef de l'Etat au mois de
juillet.
C'est donc au vu de ce contexte nouveau, qu'elle a également
souhaité mieux apprécier au travers d'une brève mission
d'information, que votre commission des affaires étrangères a
examiné ce traité d'entente, d'amitié et de
coopération signé il y a trois ans.
Il faut rappeler que la France a conclu ce type de texte avec de nombreux pays
d'Europe centrale et orientale pour marquer l'état d'esprit dans lequel
elle entend désormais développer ses liens avec ces pays,
après les changements politiques intervenus dans cette région
depuis 1989.
Le dispositif de ce traité présente de fortes analogies avec ces
différents instruments et il constitue surtout un cadre destiné
à définir l'orientation générale des relations
politiques entre les deux pays et les domaines dans lesquels ils entendent
coopérer.
Longtemps isolée du reste du monde, l'Albanie est également
aujourd'hui le pays dont le niveau de vie est le plus bas d'Europe. Elle
dispose pourtant de richesses naturelles et d'un potentiel humain qui
pourraient favoriser sa prospérité mais, alors qu'elle se
relève à peine de près de cinquante ans de régime
collectiviste et autarcique, elle vient de subir une violente crise sociale,
politique et financière qui la laisse aujourd'hui très affaiblie.
Peu connue dans notre pays, l'Albanie est en outre une terre où la
langue française a depuis longtemps droit de cité. Aussi
l'influence de la culture française demeure-t-elle forte tout comme sont
fortes les attentes à l'égard de la France, dans tous les
domaines.
C'est en gardant cette réalité à l'esprit, mais aussi en
souhaitant que l'Albanie réussisse désormais sa reconstruction
politique et économique après les secousses qu'elle vient de
traverser, que votre commission des affaires étrangères a
souhaité examiner ce traité d'entente, d'amitié et de
coopération.
Avant de présenter le dispositif du traité et les divers aspects
des relations bilatérales franco-albanaises, votre rapporteur effectuera
une brève présentation des événements les plus
récents qui ont affecté l'Albanie et du nouveau contexte interne
et régional dans lequel elle évolue désormais.
I. L'ALBANIE AUJOURD'HUI : UN PAYS AUX PRISES AVEC UNE DIFFICILE TRANSITION DÉMOCRATIQUE
Après cinq années d'existence seulement, la
jeune démocratie albanaise vient de connaître de rudes secousses.
L'ouverture à l'économie de marché et les réformes
libérales avaient entraîné un début de
décollage économique auquel l'effondrement des
sociétés financières pyramidales, qui drainaient
l'essentiel de l'épargne, vient de mettre un coup d'arrêt. Sur le
plan politique, l'apprentissage du pluralisme et des règles du jeu
démocratique a été difficile et les pouvoirs publics ont
été débordés par la situation insurrectionnelle qui
s'est développée en février et mars 1997.
L'Albanie tente aujourd'hui de reconstruire ses structures administratives et
économiques tout en cherchant à établir une vie politique
plus équilibrée. Elle évolue par ailleurs dans un contexte
régional tendu, compte tenu notamment de la question du Kosovo et des
Albanais de Macédoine.
A. LA CRISE SOCIALE, FINANCIÈRE ET POLITIQUE DE 1997
Des événements qui ont marqué la première moitié de l'année 1997 en Albanie, on peut retenir quatre points principaux : la faillite des sociétés financières pyramidales, le développement d'une situation insurrectionnelle, l'intervention d'une force multinationale et le changement de gouvernement après les élections générales.
1. La faillite des sociétés financières pyramidales
Le relatif essor économique de l'Albanie à
partir de 1992 s'est accompagné du développement, en dehors de
tout contrôle et de toute législation bancaire, de
sociétés financières
drainant une très large
part de l'épargne nationale et offrant des taux d'intérêt
très élevés.
Ces sociétés, qualifiées de " pyramidales " par
les institutions financières internationales, étaient en
réalité fondées sur un pur mécanisme de
" cavalerie ", seuls de nouveaux dépôts permettant de
servir les intérêts promis. Cette fuite en avant a conduit
à proposer des taux d'intérêt de plus en plus
élevés, qui sont allés de 8 % à près de 100
% mensuels.
En dépit des mises en garde des institutions financières
internationales, les pouvoirs publics ont tardé à mettre en
oeuvre les moyens de limiter les activités de ces sociétés.
La grande majorité des foyers albanais (sans doute 70 % à 80 %)
avaient placé tout ou partie de leur épargne dans ces
sociétés.
L'épargne drainée atteindrait le chiffre considérable de 1
milliard de dollars, soit le tiers du PIB, et provenait tant des
liquidités, bien souvent tirées de la vente de biens personnels
ou professionnels (appartements, bétail, terres, commerces), que des
sommes envoyées par les nombreux émigrés en Italie,
Grèce ou aux Etats-Unis.
Comme cela était à craindre,
l'effondrement de la plupart de
ces sociétés
, incapables de régler leurs dettes, au
début de l'année 1997, a entraîné la ruine de
dizaines de milliers d'Albanais, et des pertes financières
considérables pour beaucoup d'autres. Ce sont ainsi plusieurs centaines
de milliers de personnes qui ont été directement touchées
par la chute des sociétés pyramidales.
Bien que le gouvernement n'ait jamais accordé de garantie à ces
dépôts, les pouvoirs publics ont immédiatement
été mis en cause par l'opinion publique, à un double titre
:
- pour avoir, aux yeux des Albanais, encouragé, ou du moins
laissé faire, le développement de ces sociétés,
- pour avoir tenté, à partir de la fin de l'année 1996, de
limiter l'activité des pyramides, ce qui est apparu comme une tentative
de priver les épargnants des bénéfices de leurs placements.
2. Le développement d'une situation insurrectionnelle
La faillite le 15 janvier 1997 de la pyramide
"Sude " et
les signes de plus en plus évidents d'effondrement de l'ensemble du
système ont été les éléments
déclencheurs des émeutes, provoquées tout d'abord par des
épargnants ruinés. Les manifestations deviennent alors de plus en
plus violentes et la contestation, qui s'étend à l'ensemble du
pays, prend une tournure politique, avec la constitution le 30 janvier par huit
partis politiques et deux syndicats d'un " forum pour la
démocratie " qui réclame la démission du gouvernement
et la tenue d'élections générales anticipées.
Au cours du mois de février des
troubles extrêmement graves se
multiplient dans le sud du pays
, région réputée peu
favorable au président Berisha.
L'aggravation de la situation, qui prend un tour insurrectionnel,
entraîne le 1er mars 1997 la démission du gouvernement. Un nouveau
gouvernement de réconciliation nationale, composé des dix
principaux partis, est formé sous la direction de M. Fino, membre de
l'opposition. Le Parlement est dissous et les élections
générales fixées au 29 juin. Enfin,
l'état
d'urgence
est décrété le 2 mars 1997.
Durant tout le mois de mars, la rébellion se propage, gagnant le nord du
pays ; les dépôts d'armes sont pillés, les saccages de
casernes, de bâtiments publics et d'entrepôts se multiplient, une
masse de réfugiés afflue en Italie et en Grèce. Devant
l'effondrement de l'armée et de la police, les autorités
albanaises font appel à l'intervention internationale.
3. L'opération Alba
Le 27 mars 1997, l'Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) décide de l'envoi d'une
mission civile d'assistance en matière de démocratisation et de
préparation des élections et approuve l'envoi d'une force
multinationale en Albanie, sous réserve qu'elle soit en
conformité avec une action appropriée du
Conseil de
sécurité des Nations unies
. Ce dernier autorise l'envoi de la
force multinationale afin de "
faciliter l'acheminement rapide et
sûr de l'assistance humanitaire et d'aider à créer un
climat de sécurité nécessaire aux missions des
organisations internationales en Albanie, y compris celles qui apportent une
assistance humanitaire
". Le mandat initial de trois mois sera
prolongé, l'opération se déroulant jusqu'au 12 août.
Commandé par un général italien, l'opération Alba a
été déclenchée le 8 avril 1997. Onze pays
(Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal,
Roumanie, Slovénie et Turquie) ont participé à cette force
qui a compté jusqu'à 7 200 hommes (dont plus de 3 000 Italiens,
950 Français, 800 Grecs et 770 Turcs).
Cette opération a permis de faciliter la fourniture rapide et dans des
conditions de sécurité de l'aide alimentaire dont l'Albanie avait
absolument besoin. Elle a contribué à créer un
environnement sûr pour les missions des organisations internationales et,
en particulier, celles de l'OSCE et de l'Union européenne. Elle a
favorisé le retour progressif au calme et a permis que se
déroulent dans une atmosphère plus pacifique les élections
générales des 29 juin et 6 juillet.
4. Les élections anticipées et le changement de majorité et de gouvernement
Les élections législatives du printemps 1996
avaient donné une écrasante majorité au parti
démocratique du président Berisha qui disposait de 122
sièges sur les 140 que comptait l'Assemblée nationale populaire.
Les 18 sièges restants se répartissaient entre le parti
socialiste, c'est-à-dire l'ex-parti communiste (10 sièges), le
parti républicain, situé au centre droit (3 sièges), le
parti de la minorité nationale grecque (3 sièges) et le Front
national, parti de droite nationaliste (2 sièges).
Les élections des 29 juin et 6 juillet 1997 se sont effectuées
sous l'empire d'une nouvelle loi électorale. Aux 125 sièges
pourvus comme auparavant au scrutin majoritaire, s'ajoutent 40 sièges,
et non plus 25, pourvus au scrutin proportionnel, ce qui porte le nombre de
députés de 140 à 155.
La campagne électorale s'est déroulée dans des conditions
difficiles, en raison notamment de menaces ou d'attentats qui ont
entravé la campagne du parti démocratique dans le sud du pays.
Toutefois, l'OSCE a estimé que les conditions de préparation et
de déroulement du scrutin étaient " satisfaisantes et
acceptables ".
La
coalition de gauche
a emporté
120 des 155 sièges.
Le parti socialiste dispose à lui seul de 105 sièges, ce qui
lui assure une large majorité absolue. Quatre autres partis participent
à la coalition : le parti social-démocrate (9 sièges),
affilié à l'Internationale socialiste, l'Alliance
démocratique (2 sièges), formation de centre gauche, le parti
agraire (1 siège) et le parti de l'Union pour les droits de l'homme (3
sièges), qui émane de la communauté hellénophone du
sud de l'Albanie.
L'
opposition
ne réunit que
32 députés
, dont
27 pour le parti démocratique, 2 pour le parti du mouvement pour la
légalité, d'inspiration royaliste, 1 pour le parti de
l'unité nationale, 1 pour le parti républicain et 1 pour le parti
du Front national. Trois députés étaient en outre non
inscrits.
Un gouvernement dirigé par
M. Fatos Nano
, membre du parti
socialiste, et associant le parti social démocrate et l'Alliance
démocratique succède alors au gouvernement de M. Fino.
A la suite de la démission de M. Berisha, le Parlement élit
M. Meidani
, membre du parti socialiste, Président de la
République le 29 juillet 1997.