TITRE III
AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE
DES ALIMENTS
Le titre III de la proposition de loi, qui rassemble les
articles 4, 5 et 6 relatifs au renforcement de la sécurité
sanitaire des aliments est le seul qui fasse l'objet d'une divergence
importante entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Cette divergence peut être résumée par un double paradoxe.
D'un côté, le Sénat, qui a été
critiqué comme étant trop timoré dans ses propositions de
renforcement de la sécurité sanitaire des aliments, veut mettre
en place une agence de sécurité sanitaire indépendante,
dotée de moyens importants et de prérogatives juridiques bien
établies afin de faire prévaloir en toutes circonstances les
intérêts de la santé publique.
De l'autre, l'Assemblée nationale, au sein de laquelle de nombreuses
voix s'étaient élevées pour défendre la
thèse d'une agence unique (ce qui sous-entend une situation dans
laquelle les pouvoirs de police sanitaire du directeur de l'agence des aliments
seraient aussi importants que celui de l'agence des produits de santé)
s'est pourtant rangée aux arguments du Gouvernement (et de ses
administrations) selon lesquels le rôle de l'agence de
sécurité sanitaire des aliments doit être cantonné
à l'évaluation des risques, à charge pour le ministre de
gérer les risques.
Déroulant un raisonnement captieux, le Gouvernement utilise un beau
principe, la nécessaire séparation de l'évaluation et de
la gestion des risques, pour défendre l'existant, se pliant ainsi aux
exigences de corporatismes administratifs.
En effet, la séparation de l'évaluation et de la gestion des
risques peut-être considérée comme un bon principe,
même s'il peut être discuté. Il suppose que la personne ou
l'organisme qui évalue un risque sanitaire ne doit pas être celle
qui prend les décisions de police sanitaire. Ce principe d'organisation
administrative traduit seulement un souci de clarté de l'action.
Mais il ne saurait, selon votre commission, suffire pour garantir la
sécurité sanitaire, et peut même être contreproductif
pour satisfaire cet objectif.
En effet, mieux vaut que l'évaluation et la gestion des risques soient
confiées à une même personne ou à un même
organisme, mais qui a pour seule ambition de faire prévaloir la
sécurité sanitaire, qu'à deux organismes différents
dont l'un au moins pourrait faire prévaloir d'autres
intérêts que ceux de la santé publique.
En effet, qu'a affirmé M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et
de la pêche, lors des débats à l'Assemblée
nationale, pour réserver la possibilité au ministre de
" gérer les risques " dans le domaine de la fabrication de
médicaments vétérinaires, l'agence se contentant de les
évaluer ?
(AN, 3ème séance du 13 janvier,
J.O. 14 janvier 1998 p. 227).
Le ministre a déclaré que "
pour un nombre, même
très limité de produits, une approche uniquement fondée
sur des critères de santé publique n'est pas suffisante. D'autres
critères sont à prendre en compte : acceptation des consommateurs
ou types de productions à développer
".
Telles sont, malheureusement, les véritables motivations du principe de
" séparation de l'évaluation et de la gestion des
risques " utilisé, depuis le début de la discussion de la
proposition de loi par les administrations pour défendre leur
" pré carré " : à une agence le soin
d'évaluer les risques sanitaires, au ministre de gérer les
risques, selon des critères qui ne sont pas toujours des critères
de santé publique...
Votre commission ne peut reprocher aux administrations de défendre leur
territoire : une telle réaction est bien naturelle, et traduit le souci
des personnels de continuer à bien faire leur travail.
Mais, outre qu'il appartient au politique de déterminer quelle doit
être l'organisation de l'Etat, il convient de réaffirmer que les
administrations centrales des ministères des finances ou de
l'agriculture n'ont rien à craindre de la création de l'agence
française de sécurité sanitaire des aliments.
Ces administrations, dont il faut souligner une nouvelle fois la
qualité, le sérieux et le sens du service de l'Etat, devraient au
contraire considérer que l'agence de sécurité sanitaire
les aidera dans leur volonté de promouvoir les intérêts de
la santé publique.
Votre commission ne doute pas que les députés, en seconde
lecture, seront sensibles à ces arguments de bon sens.
Art. 4
Missions et organisation de l'Agence
française de
sécurité sanitaire des
aliments
(Chapitre VII nouveau du Livre VIII et art. L. 794-1 à L.
794-8
du code de la santé publique)
Section 1 : Missions et prérogatives
A l'article L. 793-1, qui décrit les missions et le champ de
compétence de l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments, l'Assemblée nationale a utilement
confirmé ou complété le texte adopté par le
Sénat en trois domaines.
D'abord, elle a fait référence, dans la définition des
compétences de l'agence, à l'évaluation des risques
sanitaires et nutritionnels provenant des "
maladies ou infections
animales
".
Ensuite, elle a confirmé le choix fait par le Sénat en
première lecture d'intégrer le Centre National d'Etudes
Vétérinaires et Alimentaires à l'Agence française
de sécurité sanitaire des aliments.
Votre commission se félicite de ce choix, qui préserve l'avenir
du CNEVA au sein de la nouvelle organisation administrative et qui permettra
à la nouvelle agence de bénéficier des compétences
et de la qualité de personnels du CNEVA pour mieux assumer ses missions.
A cet égard, il convient de souligner que l'Assemblée nationale a
amélioré la rédaction proposée par le Sénat
et précisé le rôle du CNEVA au sein de la nouvelle agence.
Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté un paragraphe II nouveau
qui prévoit qu'un décret déterminera, non seulement les
conditions dans lesquelles l'agence se substituera dans son domaine de
compétence aux instances existantes, comme l'avait prévu le
Sénat à l'article L. 794-3, supprimé par
l'Assemblée nationale, mais aussi celles selon lesquelles :
- les compétences, moyens, droits et obligations du CNEVA lui
seront transférés ;
- et surtout les compétences, moyens et obligations d'autres
laboratoires de référence dans les domaines qu'elle traite lui
seront transférés.
Ce dernier volet est très important : il précise en effet la
nature des organismes auxquels, dans un souci d'efficacité
administrative, l'agence pourra se substituer ou qui lui seront
transférés : il pourra s'agir d'" instances ",
c'est-à-dire, par exemple, de commissions consultatives, mais aussi de
" laboratoires ", offrant ainsi à l'agence d'indispensables
moyens d'expertise.
Bien entendu, votre commission souhaite conserver ces trois apports de
l'Assemblée.
En revanche, elle vous proposera, à peu de choses près, de
rétablir son texte, supprimé par l'Assemblée nationale,
selon lequel l'agence "
participe à l'application de la
législation
" concernant les produits de sa compétence
"
dès lors qu'il s'agit de protéger la santé
humaine
".
Cette suppression est intervenue pour satisfaire le principe de
"
séparation de l'évaluation et de la gestion des
risques
" qui a été commenté sous le titre III,
et cantonner ainsi l'agence dans un strict rôle d'évaluation des
risques.
Outre les commentaires de principe qu'appelle cette suppression, il convient
d'observer que, ne serait-ce que dans le domaine du médicament
vétérinaire, l'agence "
participe à l'application
de la législation
" en prenant, par exemple, les
décisions d'autorisation de mise sur le marché.
Ainsi, même dans une vision très restrictive du rôle de
l'agence, son directeur aurait à prendre des décisions : le texte
du Sénat est fondé, et votre commission espère que
l'Assemblée nationale sera sensible à cet argument.
A l'article 794-2, qui décrit les prérogatives de l'agence,
l'Assemblée nationale a introduit, là aussi, d'utiles
compléments, mais a également supprimé des
prérogatives importantes qu'il convient de rétablir.
Outre des modifications d'ordre rédactionnel, l'Assemblée
nationale a ainsi prévu :
- que l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments, comme l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé, pourrait être saisie par des associations
de consommateurs agréées : cette disposition permettra à
l'agence de bénéficier de remontées d'information venant
" du terrain ", en complément de celles qui lui sont
transmises par les services déconcentrés ;
- que l'agence mènerait des programmes de recherche scientifique et
technique : cette disposition ne traduit pas seulement l'intégration du
CNEVA au sein de l'agence, mais constitue une prérogative
générale de l'institution.
Dans la logique de ces deux premières modifications, l'Assemblée
nationale a également introduit la possibilité pour l'agence de
mener des actions de formation ou de diffusion de documentation, le cas
échéant en collaboration avec des établissements
universitaires ou de recherche. Cette disposition, qui donne un fondement
juridique et constitue une forte incitation à la coordination des
recherches concernant les risques sanitaires, doit être conservée ;
- que l'agence procéderait à l'évaluation des risques
sanitaires relatifs à la consommation de produits alimentaires
composés ou issus d'organismes génétiquement
modifiés. Cette disposition, qui résulte d'un amendement de la
commission de la production et des échanges de l'Assemblée
nationale, constitue un rappel plus qu'une nouvelle prérogative
confiée à l'agence : en effet, l'agence est compétente
pour évaluer les risques sanitaires de tous les aliments,
conformément aux dispositions de l'article L. 794-1.
L'Assemblée nationale a également modifié le 6° de
l'article L. 794-2 aux termes duquel l'agence "
participe à
l'élaboration et à la mise en oeuvre de la législation et
de la réglementation
" pour les allégations
santé, les produits diététiques destinés à
une alimentation particulière et les compléments alimentaires.
La rédaction retenue fait état d'un partage des
compétences entre l'agence des aliments, l'agence des produits de
santé et les ministères.
Cette solution, que votre commission n'a pas pour autant souhaité
modifier, est assez complexe : elle n'est donc pas totalement satisfaisante, la
proposition de loi ayant pour ambition de simplifier et de clarifier les
circuits administratifs.
Une dernière modification introduite par l'Assemblée nationale,
en revanche, ne peut être acceptée : toujours en vue de
séparer "
l'évaluation des risques
" de la
"
gestion des risques
", l'Assemblée nationale a
supprimé la possibilité, pour l'agence, de veiller à la
qualité et à la bonne organisation des contrôles
effectués par les services de l'Etat. La rédaction retenue par
les députés est en effet beaucoup plus limitative que celle qui
avait été adoptée par le Sénat, l'agence se bornant
à évaluer les " méthodes de contrôle "
utilisées par les services de l'Etat. Parallèlement, à
l'article L. 794-7, l'Assemblée nationale a supprimé la
possibilité de saisine par l'agence des corps d'inspection de l'Etat
introduite par le Sénat.
L'ensemble de l'architecture adoptée en première lecture au
Sénat, qui reposait sur un " contrôle des
contrôles " par l'agence, assortie d'une saisine des inspections en
cas de dysfonctionnement, est donc mise à mal, l'agence
n'évaluant que les " méthodes de contrôle " et ne
disposant d'aucune prérogative si elle constate un dysfonctionnement.
C'est pourquoi votre commission vous proposera, sur ce point, de
rétablir son texte, étant précisé que la
surveillance effectuée par l'agence est étendue aux
contrôles demandés par les services de l'Etat, et non pas
seulement aux contrôles réalisés par eux.
Il en est de même pour la faculté offerte à l'agence de
diligenter directement des contrôles, en informant les ministres
intéressés, que l'Assemblée nationale a supprimée.
En vertu du texte adopté par les députés, l'agence doit
demander au ministre de bien vouloir diligenter des contrôles : bien
entendu, le ministre pourrait refuser, pour des raisons qui ne regardent que
lui.
Votre commission, ici aussi, proposera de rétablir cette
prérogative de l'agence, à charge pour le Gouvernement de mettre
fin aux fonctions du directeur général de l'agence s'il estimait
que ce dernier n'exerce pas ses fonctions de manière satisfaisante.
Section 2 : Organisation et fonctionnement
L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications aux
articles L. 794-4 à L. 794-8 qui décrivent l'organisation et
le fonctionnement de l'agence.
A l'article L. 794-4, elle a précisé dans la loi la composition
du conseil d'administration, qui comprendra notamment des représentants
des consommateurs et, pour des raisons que votre commission a peine à
comprendre.... deux parlementaires.
Parallèlement à l'amendement adopté aux articles
correspondants pour l'agence des produits de santé, elle a prévu
que le président du conseil scientifique de l'agence des aliments ne
pourrait être désigné par les ministres qu'après
avis du conseil, ce qui apparaît tout à fait légitime.
Elle a aussi introduit un amendement à l'article L. 794-5 qui permet aux
chercheurs et aux ingénieurs du CNEVA de conserver leurs garanties
statutaires résultant de l'article 17 de la loi n° 82-610 : cet
amendement constitue un utile complément aux dispositions
adoptées par le Sénat en première lecture concernant le
CNEVA.
A l'article L. 794-6 qui décrit les obligations des agents contractuels
au regard de l'objectif de transparence des travaux de l'agence, elle a
préféré à la notion d'entreprises ou
établissements " contrôlés " par l'agence celle
d'établissements " en relation " avec l'agence. Votre
commission ne s'oppose pas à cette modification d'ordre
rédactionnel, mais rappelle que les établissements
pharmaceutiques fabriquant des médicaments vétérinaires,
par exemple, seront bien " contrôlés " par l'agence.
En cohérence avec les amendements qu'elle avait introduits dans les
articles concernant l'agence de sécurité sanitaire,
l'Assemblée nationale a également clarifié et
complété les règles de transparence applicables aux agents
contractuels de l'agence.
En revanche, elle a supprimé les dispositions de l'article L. 794-7, aux
termes desquelles l'agence peut saisir les corps d'inspection de l'Etat
(
voir ci-dessus l'article L. 794-2
) et s'entoure de
vétérinaires pour effectuer les contrôles
nécessitant une compétence vétérinaire.
Votre commission, qui vous propose de rétablir cet article L. 794-7,
souligne l'utilité des dispositions relatives aux contrôles
nécessitant une compétence vétérinaire, même
dans le cadre d'une conception étroite du rôle de l'agence,
à partir du moment où celle-ci est chargée du
contrôle des médicaments vétérinaires.
Votre commission vous propose d'adopter cet article tel qu'amendé.