B. L'OBLIGATION FINANCIÈRE INCOMBANT AUX DÉPARTEMENTS

L'article 38 de la loi du 1er décembre 1988 susvisée, prévoit, aux côtés des moyens que l'Etat met en oeuvre, l'obligation d'une participation financière minimale du département au titre du RMI.

Le département est tenu d'inscrire annuellement, dans un chapitre individualisé de son budget -le chapitre 959 - un crédit au moins égal à 20 % des sommes versées par l'Etat dans le département, au cours de l'exercice précédent, au titre du RMI.

Même si le principe de libre administration des collectivités locales doit être garanti, la procédure d'affectation automatique des crédits d'insertion est rigoureuse et leurs conditions d'utilisation sont encadrées.

1. Une procédure impérative

La mise en oeuvre du RMI représente un enjeu important pour l'Etat et pour les départements. Les crédits inscrits sur le budget de l'Etat pour le financement de l'allocation s'élèvent à 25,33 milliards de francs dans le budget pour 1998.

Les crédits d'insertion des départements résultant de l'obligation légale prévue par l'article 38 de la loi du 1er décembre 1988 a représenté 3,72 milliards de francs en 1996 en métropole. En 1992, ce montant s'élevait à 2 milliards de francs environ pour la métropole.

Montant de la contribution obligatoire annuelle des départements
(en métropole)

en milliards de francs

1992

1993

1994

1995

1996

1,988

2,328

2,824

3,400

3,719

(Source DIRMI)

Il n'est pas inutile de rappeler que lors des débats sur la loi du 1er décembre 1988, la référence au taux de 20 % des dépenses engagées par l'Etat, avait été choisie en supposant que le RMI permettrait aux départements de réaliser de substantielles économies au titre des allocations mensuelles de l'aide à l'enfance (ASE) ainsi que sur les compléments locaux de ressources résultant d'initiatives prises sur le terrain.

Les départements doivent respecter l'obligation légale d'inscrire les crédits d'insertion à leur budget mais il peut arriver qu'ils ne consomment pas en totalité ces crédits.

Dans ce cas, l'article 41 de la loi du 1er décembre 1988 dispose que " le montant des crédits n'ayant pas fait l'objet d'un engagement de dépenses, constaté au compte administratif, est reporté intégralement sur les crédits de l'année suivante ".

En tout état de cause, l'article 41 précité prévoit qu'en l'absence d'affectation ou de report de crédits, le préfet est autorisé à mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article 52 de la loi du 2 mars 1982, c'est-à-dire la procédure d'inscription d'office d'une dépense obligatoire après consultation de la Chambre régionale des comptes.

S'agissant de la non-consommation de crédits , il était également prévu une procédure à caractère coercitif qui n'est jamais entrée en vigueur : dans l'hypothèse où le département aurait consommé une part inférieure à 35 % du montant résultant de l'obligation légale, le préfet, après avis du conseil départemental d'insertion, devait être autorisé, pour le montant correspondant à la différence entre ce qui avait été effectivement dépensé et le seuil de 35 % précité, à affecter les crédits sur des actions d'insertion présentées par les communes en faveur des bénéficiaires du RMI.

La mise en oeuvre de cette disposition particulièrement dérogatoire à l'esprit de la décentralisation était subordonnée à la parution d'un décret qui n'a jamais été pris en raison, d'une part, de la difficile compatibilité de telles dispositions réglementaires avec le principe de libre administration des collectivités locales et, d'autre part, de certaines particularités institutionnelles non prises en compte par le texte de la loi.

Il reste que le report des crédits non consommés est cumulatif d'une année sur l'autre sans limitation de durée.

Il est important de noter que le taux de consommation des crédits départementaux d'insertion s'est sensiblement amélioré au cours de ces dernières années à mesure que le dispositif d'insertion est monté en régime.

Taux de consommation des crédits départementaux d'insertion
(en flux annuels)

Année

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Consommation

71,9 %

77,03 %

93,87 %

97,11 %

100,82 %

97 %

Ce taux s'est élevé en 1995 à 97 % selon les dernières données disponibles de la Délégation interministérielle au RMI (DIRMI). Ce taux a parfois été supérieur à 100 % comme en 1994 (100,82 %) du fait de la consommation de crédits reportés sur les exercices antérieurs.

Il reste que dans la mesure où les crédits non consommés s'ajoutent d'une année sur l'autre, certains départements conservent un stock de crédits relativement important même si la consommation sur les flux annuels est satisfaisante.

Ainsi, à la fin de l'exercice 1995, le montant des crédits à reporter s'élevait-il à 1,75 milliard de francs en métropole et à 2,19 milliards de francs, au total, en tenant compte des départements d'outre-mer. Le taux des crédits consommés en 1995 par rapport à l'ensemble des crédits inscrits au chapitre 959, y compris les crédits reportés, était donc de 65 % (en métropole).

Les moyennes recouvrent des disparités parfois significatives selon les départements en matière de consommation des crédits d'insertion. Le tableau transmis par la DIRMI repris en annexe fait apparaître que 35 départements se situent en dessous du taux moyen de 65 % et qu'un quart des départements environ se situent à un taux de consommation de 90 % signifiant qu'ils n'ont presque pas de crédits reportés sur les exercices antérieurs.

Il serait erroné d'attribuer la présence de crédits non consommés à une insuffisance de volonté politique locale.

Comme le fait justement remarquer notre collègue Jean Delaneau dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, les reports de crédits " ne sont pas imputables à la mauvaise volonté des conseils généraux, mais à un déficit de l'offre d'insertion générée par le dispositif du RMI et la difficulté de mettre en place des parcours d'insertion durables pour les personnes les plus en difficulté ".

C'est surtout en matière d'insertion professionnelle que les départements voient leur marge de manoeuvre conditionnée par le potentiel des emplois offerts au titre des contrats aidés -tels que les contrats emplois solidarité dont le coût incombe aux collectivités publiques-, et des postes créés dans les structures d'insertion par l'activité économique (entreprises d'insertion, associations intermédiaires, régies de quartiers).

De plus, près de dix ans après la mise en place du dispositif, l'action d'insertion est plus difficile dès lors qu'elle s'adresse à des catégories de bénéficiaires du RMI pour lesquelles les accompagnements mis en place les années précédentes ont souvent échoué.

Il est à noter sur ce point que, par lettre-circulaire de la DIRMI du 9 juillet 1997, les conseils généraux ont été autorisés à financer le recrutement de travailleurs sociaux, afin d'assurer un accompagnement social spécialisé des allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) " très déstructurés " sur les crédits d'insertion pour les bénéficiaires du RMI, à condition que soient définis :

- les missions et les fiches de postes de ces travailleurs sociaux (définition, évaluation chiffrée du public concerné, etc.) ;

- les objectifs d'insertion visés pour ces publics et les accompagnements nécessaires pour les réaliser ;

- l'articulation du dispositif avec les autres acteurs de l'insertion pour permettre un fonctionnement en réseau ;

- les modalités de suivi et d'évaluation du mécanisme.

Il s'agit de distinguer cet accompagnement spécialisé des prestations fournies par le service social polyvalent de secteur auxquelles tous les bénéficiaires du RMI ont accès.

2. Des conditions d'utilisation rigoureusement encadrées

La législation et la jurisprudence des chambres régionales des comptes permettent d'encadrer sévèrement l'action du département en matière d'utilisation des crédits du RMI ; ce manque de souplesse est d'ailleurs largement à l'origine de la proposition de loi examinée par votre commission.

a) Des règles d'affectation rigoureuses

·  Le principe essentiel est celui de l'affectation des crédits d'insertion obligatoire aux seuls bénéficiaires du RMI .

Ce principe est rappelé au moins à trois reprises dans la loi du 1 er décembre 1988 :

- L'article 36 de ladite loi dispose que les prévisions et orientations du PDI ne portent que sur les " bénéficiaires du revenu minimum d'insertion " et que le recensement des dépenses départementales porte sur les crédits que le département " doit consacrer aux dépenses d'insertion des bénéficiaires du RMI en application de l'article 38 " ;

- Toujours à l'article 36 précité, il est expressément indiqué qu'un élargissement du champ du PDI à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ne peut se faire que " sous réserve que les crédits obligatoires prévus à l'article 38 restent affectés aux bénéficiaires du RMI " ;

- L'article 38 mentionne également que les crédits dont l'inscription est obligatoire " assurent le financement des actions inscrites au programme départemental d'insertion et des dépenses de structure correspondante ".

La circulaire du 27 mars 1993 6( * ) tire sans ambiguïté les conséquences de ce " faisceau " de dispositions :

- d'une part, lorsqu'une action d'insertion financée par le conseil général concerne plusieurs types de publics et non exclusivement des bénéficiaires du RMI, la quote-part imputable sur les " 20 % " doit être calculée au strict prorata de la part des bénéficiaires du RMI dans l'action concernée ;

- d'autre part, ne sont pas imputables sur les " 20 % " les dépenses correspondant à des actions dont le lien avec l'insertion des bénéficiaires du RMI n'est pas clairement et directement établi, soit en raison de la destination de l'action, soit en raison des délais de mise en oeuvre. Ce pourrait être le cas, par exemple, d'acquisitions foncières.

Comme on le verra ultérieurement, c'est le principe de l'affectation exclusive des crédits départementaux d'insertion aux seuls bénéficiaires du RMI qui soulève des interrogations alors que l'exclusion a pris des formes de plus en plus graves depuis 1988 et que la population des personnes en situation de détresse sociale est maintenant plus large que celle des titulaires du RMI.

·  Par ailleurs, les dépenses d'assurance personnelle pour les bénéficiaires du RMI non couverts par un régime obligatoire pour les risques maladie et maternité, ne sont pas imputables sur les crédits d'insertion départementaux.

Il est considéré en effet que la prise en charge de ces cotisations par le département où réside l'intéressé, au titre de l'aide sociale, relève d'une obligation légale distincte de celle des " 20 % ".

Il convient de rappeler que les frais de prise en charge de l'assurance personnelle des bénéficiaires du RMI ont représenté 3,052 milliards de francs de dépenses d'aide sociale en 1997 pour les départements 7( * ) , dépenses qui viennent donc en plus des dépenses d'insertion stricto sensu parmi les frais liés au RMI.

·  En troisième lieu, les dépenses résultant de la mise en oeuvre de l'aide médicale pour les bénéficiaires du RMI ne peuvent être imputées sur les crédits d'insertion qu'à hauteur de 3 % de leur montant .

Les allocataires du RMI bénéficient en effet de plein droit de l'aide médicale pour la prise en charge du ticket modérateur et du forfait journalier.

Le principe retenu par le législateur ( article 38 de la loi du 1 er décembre 1988 ) est que, compte tenu des obligations antérieures des départements, seul le surcoût lié à la généralisation est imputable sur les crédits d'insertion.

·  De plus, la contribution obligatoire des départements au Fonds de solidarité logement (FSL) n'est pas imputable sur les crédits réservés au titre des 20 %.

Créé par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement , le FSL a notamment pour objet d'attribuer des aides financières à des personnes défavorisées pour faciliter leur accès à un logement ou leur maintien dans le logement en cas d'impayés de loyer ainsi que de prendre en charge financièrement les mesures d'accompagnement social lié au logement (ASLL) prévues par le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.

Résultant d'une obligation légale différente de celle prévue au titre de l'article 38 de la loi du 1er décembre 1988, les crédits réservés au titre des " 20 % " ne peuvent donc financer le FSL même si les bénéficiaires du RMI sont éligibles à ce fonds ; en revanche, au-delà de l'obligation légale, les crédits d'insertion peuvent être sollicités pour abonder le fonds " dès lors qu'ils sont affectés aux bénéficiaires du RMI ". Ce point n'est d'ailleurs pas aisé à contrôler.

Il convient de rappeler que la dotation du département doit au moins être égale à celle versée par l'Etat résultant des dépenses inscrites en loi de finances. La dotation de l'Etat aux FSL s'est élevée à 250 millions de francs en 1996 et à 275 millions de francs en 1997, les conseils généraux ayant abondé les fonds d'un même montant.

·  Enfin, les dépenses au titre du fonds d'aides aux jeunes (FAJ) ne sont également pas imputables sur les crédits d'insertion départementaux .

Créés par la loi du 29 juillet 1992 susvisée, les fonds départementaux d'aide aux jeunes versent des aides financières directes pour une durée limitée et à titre subsidiaire et financent des mesures d'accompagnement social afin de " favoriser l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté âgés de 18 à 25 ans ".

Ils sont financés par l'Etat et le département, la participation du département étant au moins égale à celle de l'Etat. Au total, les FAJ ont représenté un montant de dépenses d'environ 70 millions de francs en 1997.

La circulaire du 27 mars 1993 précitée estime que rien n'interdit en principe aux départements d'imputer sur les crédits d'insertion les sommes attribuées au-delà de la contribution légale à condition qu'elles soient orientées " en faveur des jeunes issus de foyers de bénéficiaires du RMI ".

Concrètement, cette condition apparaît néanmoins assez difficile à faire respecter dans le cadre du fonctionnement quotidien du FSL.

b) Les attributions envisageables sous conditions

La circulaire du 27 mars 1993 précitée admet que les crédits d'insertion peuvent sous certaines conditions assurer la prise en charge de trois types de dépenses :

- Tout d'abord, les frais de structure , expressément visés à l'article 38 de la loi du 1 er décembre 1988, peuvent être imputés dans la mesure où il s'agit bien des dépenses concernant les secrétariats des CDI, des commissions locales d'insertion (CLI) et des cellules d'appui et non pas des frais d'instruction administrative et sociale du RMI.

- Ensuite, les aides individuelles sont imputables à la condition qu'il s'agisse d'aides diverses liées à la mise en oeuvre des actions d'insertion (aide au transport, à la garde d'enfants, à l'amélioration du logement) et qu'il ne s'agisse pas d'aides générales et purement monétaires.

- Enfin, les subventions à l'investissement du type " aide à la pierre " pour la construction de foyers ou d'hôtels sociaux sont envisageables à la condition qu'il s'agisse d'une aide mensuelle longue et de coût unitaire modéré par rapport à l'investissement initial afin d'éviter de déséquilibrer les crédits du chapitre 959.

Il convient enfin de souligner que la loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes a introduit une disposition nouvelle ( article 8 ) autorisant le département à imputer sur les crédits d'insertion une partie de la contribution qu'il apporte au financement des embauches de titulaires du RMI sur des emplois-jeunes .

Cette contribution, d'une durée limitée à un an, ne peut excéder le cinquième de l'aide forfaitaire de l'Etat. La limitation sur un an de cette mesure apparaît de nature à affaiblir le travail d'insertion des départements et il pourrait être utile d'envisager une reconduction.

c) Les catégories de dépenses engagées par les départements au titre du compte 959

Selon les informations transmises par la DIRMI, les crédits d'insertion RMI engagés en 1995 se répartissent dans les grandes rubriques suivantes :

- frais de structure ;

- insertion sociale (illettrisme, remise à niveau, actions éducatives, actions pour l'accès à des services, accompagnement social, aides individuelles...) ;

- aide médicale (dans la limite de trois points sur les 20 % des sommes versées par l'Etat l'année précédente) ;

- actions de santé (prévention et promotion de la santé, participation aux dépenses de soins dépassant le tarif de responsabilité de la sécurité sociale...) ;

- logement (par l'abondement du FSL au-delà de l'obligation légale) ;

- insertion professionnelle ;

- et aide méthodologique (actions de formation et d'évaluation).

Utilisation des crédits départementaux d'insertion

La DIRMI souligne que ces données analytiques doivent être prises en compte avec circonspection. En effet, les dépenses sont globalement imputées au compte 959 et le rattachement à des rubriques analytiques est difficile pour les actions d'insertion mixtes (sociales et professionnelles) ou multidimensionnelles (santé, accompagnement social, bilan professionnel...).

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