B. LA POSITION DE LA COMMISSION

Votre commission souscrit aux observations et à la conclusion de la proposition de résolution. Il n'est, en effet, pas contestable que les dispositions de la proposition E 994 ne paraissent pas compatibles avec les positions et les préoccupations qui ont été exprimées, lors de la discussion de la loi relative à la sécurité et à la promotion d'activités sportives, aussi bien par le gouvernement que par les députés et les sénateurs qui ont pris part aux débats.

Elle note, par ailleurs, que la conclusion de la proposition de résolution invite le gouvernement à s'opposer à l'adoption de ces dispositions « en l'état », ce qui lui laisse toute latitude pour en approuver une rédaction modifiée et qui ne présenterait pas les mêmes inconvénients.

Votre commission considère, en outre, que les dispositions en cause de la proposition E 994 soulèvent trois interrogations :

• Il convient, en premier lieu, de s'interroger sur le bien fondé de l'argumentation avancée par la Commission européenne pour proposer de modifier les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE.

Selon la Commission européenne, en effet, la proposition de modification n'ajouterait rien au droit applicable, les Etats membres étant déjà tenus, en vertu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes, et notamment d'un arrêt du 7 mai 1991 (affaire C 340/89, Vlassopoulou) « de juger si une expérience professionnelle peut valoir aux fins d'établir la possession des connaissances manquantes » (cf. troisième considérant de la proposition de directive communautaire (97) 638 final).

Cette interprétation de l'arrêt « Vlassopoulou » -qui répondait à une question préjudicielle posée à l'occasion d'un litige portant sur l'accès à la profession d'avocat en Allemagne- paraît discutable :

* Dans cet arrêt, la Cour de Justice a dit pour droit que lorsque la correspondance entre les diplômes acquis et requis n'est que partielle, l'Etat membre d'accueil est en droit d'exiger que l'intéressé établisse qu'il a acquis les connaissances et qualifications manquantes . Mais elle n'impose pas le choix des moyens auxquels il doit recourir dans ce but, que permettent d'atteindre les mesures compensatoires prévues par les directives 89/48/CEE et 92/51/CEE.

Certes, l'arrêt précise aussi qu'il incombe à l'Etat membre d'apprécier « si les connaissances acquises dans l'Etat membre d'accueil, soit dans le cadre d'un cycle d'études, soit d'une expérience pratique » peuvent valoir pour établir la possession des connaissances manquantes (point 20 de l'arrêt), mais ce point, qui laisse d'ailleurs à l'Etat membre toute liberté dans cette appréciation, semble surtout applicable aux circonstances de l'espèce : la demanderesse était en effet titulaire d'un doctorat en droit allemand, elle travaillait depuis 5 ans dans un cabinet d'avocats allemand, et était autorisée depuis quatre ans à exercer en Allemagne la profession de conseil juridique. Il en va de même du point 22 de l'arrêt, qui impose à l'Etat membre d'accueil de juger si l'expérience professionnelle acquise dans l'Etat membre de provenance ou dans l'Etat membre d'accueil peut permettre de satisfaire au moins partiellement aux conditions de stage ou de pratique professionnelle requises pour l'accès à une profession : les conditions d'accès à la profession d'avocat en Allemagne comportent en effet l'obligation d'accomplir un stage sanctionné par un examen d'Etat.

On peut d'ailleurs observer que dans d'autres affaires relatives à l'exercice du droit d'établissement en cas de différence entre les titres acquis par le demandeur et ceux requis par l'Etat membre d'accueil, la CJCE a jugé que l'Etat membre d'accueil pouvait imposer un examen aux migrants (CJCE 7 mai 1992, affaire. C-104/91, Aguirre Borrel et autres).

* Il faut aussi rappeler que, dans l'affaire Vlassopoulou, la Cour de Justice était saisie d'une demande d'interprétation de l'article 52 du Traité et non de la directive 89/48/CEE, entrée en vigueur en 1991 et qui ne s'appliquait pas aux faits en cause.

Il n'y a donc pas lieu d'interpréter cet arrêt comme imposant une modification du dispositif de cette directive ou de la directive 92/51/CEE mais seulement comme définissant les conditions d'exercice de la liberté d'établissement en l'absence de directive visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes ou à la coordination des conditions d'accès à certaines professions.

En deuxième lieu , il convient aussi de s'interroger sur les difficultés d'application des dispositions prévues par les articles 1-3 et 2-1 de la proposition E 994.

En l'état actuel, les directives 89/48/CEE et 91/52/CEE n'imposent aux Etats membres de tenir compte de l'expérience professionnelle acquise par les candidats au libre établissement ou à la libre prestation de services que de façon « quantitative » : dans les conditions qu'elles prévoient, deux années d'expérience professionnelle peuvent, par exemple, compenser un déficit d'un an dans la durée de formation, si la période de formation manquante porte sur le cycle d'études post-secondaires ou sur un stage professionnel sanctionné par un examen.

L'application de cette règle est donc relativement simple, et peu susceptible de prêter à contestation.

Il en irait tout autrement si l'expérience professionnelle devait être prise en compte de manière « qualitative » , et si l'Etat membre d'accueil devait apprécier si, et dans quelle mesure, cette expérience a permis au demandeur de maîtriser les connaissances dont l'acquisition n'était pas garantie par la formation initiale qu'il a suivie.

Car, dans ce cas, il ne suffit pas de prendre en considération la durée de l'expérience professionnelle. Il faut pouvoir apprécier la nature de cette expérience, les conditions concrètes dans lesquelles elles s'est déroulée, les connaissances qu'elle a permis d'acquérir.

Cette appréciation « au fond » de l'expérience professionnelle, qui supposerait que des informations détaillées soient fournies, dans chaque cas, à l'Etat membre d'accueil et soient examinées de manière approfondie par ce dernier, ne serait évidemment ni facile, ni rapide, et de longs délais de constitution des dossiers risquent de s'ajouter aux délais fixés par les directives pour l'examen des demandes de reconnaissance des diplômes.

En outre, l'on imagine sans peine les divergences d'interprétation et les contentieux auxquels elle pourrait donner lieu.

On comprend dès lors assez mal que la Commission européenne présente la modification en ce sens des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE comme faisant partie d'un programme de simplification de la législation concernant le marché intérieur (programme SLIM) et encore moins qu'elle lui paraisse justifiée par « des raisons de clarté et de sécurité juridique à l'égard des citoyens désireux d'exercer leur activité dans un autre Etat-membre ».

• En troisième lieu, et sur un plan plus général, il convient de se demander quelles pourraient être les conséquences à terme de la proposition de la Commission européenne sur le niveau de formation exigée pour l'accès à certaines professions.

Le dispositif actuel des directives 89/48/CEE et 92/51/CEE a pour objet de compenser d'éventuelles « différences substantielles » entre les formations initiales requises par les Etats membres par l'exigence d'un test de capacité ou d'un stage.

Ces « mesures de compensation » ne sont pas contradictoires avec une reconnaissance de la valeur formative de l'expérience professionnelle. Bien au contraire, elles ont pour objet d'évaluer et de contrôler les connaissances acquises au-delà d'une formation initiale qui, à elle seule, est considérée comme insuffisante.

Mais elles permettent, surtout, de garantir que toutes les personnes admises à exercer une même profession dans un même Etat membre auront acquis un niveau de compétence homogène, et compatible avec les exigences de cette profession.

La prise en compte d'une expérience professionnelle dont les acquis n'auraient pas été contrôlés n'offrira pas, à cet égard, les mêmes garanties, et elle risquerait, en obligeant à admettre des professionnels moins qualifiés, de « dévaloriser » certaines professions et d'aligner sur « le plus petit commun dénominateur » les formations correspondantes.

Les professions d'éducateur sportif offrent, là aussi, un bon exemple de ce risque : pourquoi des jeunes accepteraient-ils de s'engager, en France, dans des études longues, difficiles, qui exigent à la fois une formation générale approfondie et des connaissances techniques très « pointues », si les professions auxquelles elles préparent sont également accessibles à des professionnels à qui on ne demandera pas d'établir qu'ils ont acquis des compétences équivalentes ? Et qui peut mesurer les conséquences d'une telle évolution sur la qualité et surtout sur la sécurité de la formation et de la pratique sportives, qui font l'objet d'une demande croissante dans toutes les couches de la population ?

La qualité des systèmes de formation des Etats européens, le niveau de compétence et de qualification de la population active européenne font partie des atouts dont dispose l'Union européenne dans la compétition mondiale. Il est donc souhaitable que la mise en oeuvre du principe de la libre circulation des travailleurs contribue à renforcer ces atouts plutôt qu'à les affaiblir.

Ces observations motivent les modifications que votre commission a apportées à la proposition de résolution qui nous est soumise.

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