V. AUDITION DE M. PHILIPPE SIGOGNE, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE FRANÇAIS DE CONJONCTURE ÉCONOMIQUE (OFCE)
Au cours d'une séance tenue le mercredi
1er avril, la commission a procédé à l'audition de M.
Philippe Sigogne, directeur de l'Observatoire français de conjoncture
économique (OFCE).
S'interrogeant sur la destruction éventuelle de un à un million
et demi d'emplois par la politique monétaire menée depuis la fin
des années 80, le directeur de l'OFCE a expliqué que la politique
monétaire de la France avait été dictée par un
objectif politique, consistant à préparer l'euro et à
ancrer l'Allemagne à l'Ouest. Dans ce contexte, il a indiqué que
le rôle de la politique économique était de limiter les
contraintes occasionnées par ce choix. Détachée de la
réalisation de cet objectif, la politique économique aurait
probablement été caractérisée par des taux
d'intérêt plus bas et une gestion différente de la phase
spéculative. A titre de comparaison, il a signalé que les
Etats-Unis avaient opté pour des taux d'intérêts
réels presque nuls et des recapitalisations sur fonds publics des
organismes financiers en difficulté, tandis que la France avait subi une
dégradation de ses finances publiques et un désendettement trop
rapide du secteur privé.
Les conséquences de cette politique sur les entreprises varient selon
leur taille. M. Philippe Sigogne a considéré que les grandes
entreprises sortaient indéniablement raffermies de la phase de
désendettement, acquérant ainsi un avantage sur leurs
concurrentes allemandes sur les marchés internationaux. En revanche, il
a constaté que les contraintes imposées aux petites et moyennes
entreprises avaient conduit à une destruction importante de tissu
productif. En conséquence, il a jugé que des mesures en faveur
des PME constituaient aujourd'hui une priorité.
S'agissant des finances publiques, le directeur de l'OFCE a estimé que
leur évolution, au cours de la période, était liée
aux orientations de la politique monétaire. En effet, la
dégradation de la situation des finances publiques doit être
considérée comme l'inévitable contrepartie de la
nécessité de défendre la parité de change entre le
franc et le mark, conjuguée à une demande intérieure
française inférieure à la demande intérieure
allemande. Ce mécanisme a provoqué la nécessité
d'une phase de désendettement de l'Etat et des entreprises. Il a
signalé que l'action de la Banque de France avait été
conforme aux orientations fixées par le Gouvernement.
M. Philippe Sigogne a déclaré percevoir aujourd'hui les
prémisses d'une modification des comportements. S'agissant des
ménages, il a constaté un retour, peu à peu, vers le
crédit. S'agissant des entreprises, il a pronostiqué qu'elles
reprendraient également le chemin de l'endettement bancaire mais aussi
hypothécaire et sur le marché des actions.
Il a indiqué que ce réendettement des agents devrait faciliter
l'amélioration des finances publiques une fois effectués les
mouvements actuels de restructuration, de fusion-acquisition notamment. Il
s'est déclaré optimiste quant à la possibilité de
réduire le déficit public dans un contexte d'augmentation des
dépenses publiques limitée à 1% par an. Il a
considéré que les aides à l'emploi constituaient un
gisement d'économies budgétaires important.
M. Philippe Sigogne a ensuite évoqué les orientations
susceptibles d'être retenues par la future banque centrale
européenne dans la conduite de la politique monétaire commune.
Envisageant qu'elles soient inspirées par celles de la Bundesbank, il a
signalé que cette dernière était de moins en moins
influencée par les fluctuations du dollar, et déterminait le
niveau des taux d'intérêt à court terme en fonction de deux
facteurs : l'écart avec le taux de croissance potentiel de
l'économie et l'écart avec un taux d'inflation jugé
raisonnable.
Si la banque centrale européenne décidait de retenir ces deux
facteurs, le directeur de l'OFCE a mis en évidence le fait que la
politique monétaire européenne ne serait, pour autant, pas
forcément identique à celle de la Bundesbank. En effet, la France
et l'Allemagne ont des acceptions différentes tant du taux de croissance
potentiel de l'économie que du niveau d'inflation raisonnable.
S'agissant du taux de croissance potentiel de l'économie, il correspond
en France au taux de croissance à long terme, soit 2,5 %, tandis
que les Allemands le déterminent en faisant une moyenne de taux de
croissance passés, soit environ 3 %. S'agissant de l'inflation, la
Banque de France considère qu'une augmentation des prix de 2 % par
an est raisonnable tandis que la Bundesbank vise une évolution des prix
comprise entre 0 et 2 % par an. En conséquence, en appliquant les
critères de la Bundesbank dans leur interprétation
française, la banque centrale européenne fixerait les taux
d'intérêt à court terme à 4%, et les porterait
à 5 % si elle retenait l'interprétation allemande.
En outre, M. Philippe Sigogne a relevé que la politique
monétaire européenne serait en théorie
déterminée par onze banquiers centraux raisonnant à partir
d'agrégats correspondant à l'ensemble de l'Europe, mais que
ceux-ci ne manqueraient pas d'être influencés par la conjoncture
interne de leur pays d'origine. Il a décelé dans ce cas de figure
un risque de politique restrictive à court terme, les économies
de la plupart des petits pays d'Europe étant aujourd'hui proches de la
surchauffe.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a alors sollicité
le point de vue du directeur de l'OFCE s'agissant de deux risques
identifiés par le Gouverneur de la Banque de France au cours de son
audition : l'absence de réformes structurelles destinées à
réduire durablement le chômage et l'incidence de la situation des
finances publiques sur le niveau des taux d'intérêt.
S'agissant du chômage, M. Philippe Sigogne a évoqué la
tentation d'imiter les pays dans lesquels le nombre de demandeurs d'emploi a le
plus fortement baissé dans les années récentes, tels que
les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou les Pays-Bas. Il a cependant
indiqué, s'appuyant sur une étude de l'INSEE, que la baisse du
chômage s'était accompagnée dans ces pays d'une
élévation du nombre de personnes vivant sous le seuil de
pauvreté, et que l'Europe devait se départir d'un modèle
portant en germe des facteurs de destabilisation aussi graves que l'opposition
entre travailleurs et chômeurs.
Evoquant les pistes à étudier afin de réduire le
chômage, il a cité les travaux de la Commission européenne
incitant à une réduction du coût du travail pour les
emplois les moins qualifiés. Il a jugé que la loi portant
réduction de la durée légale du travail s'écartait
de cette direction. M. Philippe Sigogne a ajouté qu'il fallait
développer les incitations à travailler, afin que personne ne se
contente de revenus de substitution. Enfin, il a prôné le
développement de remises dans les conditions mentales de retour à
l'emploi, en s'inspirant des expériences américaines. Il a
déploré l'absence totale d'actions dans ce sens en France.
Au plan macroéconomique, le directeur de l'OFCE a
considéré qu'il existait de solides raisons de croire à un
accroissement de la quantité de travail offerte par les entreprises. Il
a avancé l'idée selon laquelle une légère
augmentation des salaires, liée à la reprise de la croissance, ne
conduirait pas à l'apparition d'un risque inflationniste, et que la part
des profits dans la valeur ajoutée diminuerait compte tenu de l'effort
de productivité important réalisé au cours des
dernières années. Il a ajouté que ce
phénomène s'était produit aux Etats-Unis, sans mettre en
péril la rentabilité des entreprises. Il a également
estimé que l'enjeu des années à venir consisterait
à répartir la diffusion du progrès technique, due aux
investissements passés, entre salaire et emploi.
Dans cette perspective, M. Philippe Sigogne a appelé à une
réflexion sur le type de politique des revenus et de négociation
salariale à mettre en oeuvre, s'interrogeant sur la faisabilité
d'une transposition de l'expérience néerlandaise à
l'ensemble de l'Europe.
M. Jean-Philippe Lachenaud, constatant que la durabilité de la
croissance actuelle n'était pas acquise, a souhaité la mise en
place d'une politique d'incitation à l'investissement productif. Il a
par ailleurs souhaité savoir si, au vu du texte sur la réduction
de la durée du travail adopté par l'Assemblée nationale,
l'OFCE avait modifié ses prévisions de créations d'emplois
occasionnées par ce dispositif.
M. Philippe Sigogne s'est déclaré sceptique quant à
l'efficacité des dispositifs d'aide à l'investissement. Il a
considéré qu'ils étaient souvent mal ciblés, donc
peu efficaces, et très chers lorsqu'ils étaient incitatifs. Il a
par ailleurs constaté qu'ils étaient souvent mis en place au
moment où la croissance était forte et que l'investissement
repartait de lui-même, provoquant par là des effets d'aubaine. Il
s'est prononcé en faveur de mesures facilitant la création
d'entreprise.
S'agissant de la loi relative à la réduction du temps de
travail, le directeur de l'OFCE a précisé que son institut ne
s'était pas livré à des prévisions de
créations d'emploi, mais à des estimations reposant sur
différents scénarios. Il s'est déclaré incapable de
se livrer à des prévisions compte tenu du trop grand nombre
d'éléments restant flous s'agissant de la manière dont le
texte allait être appliqué. Il a maintenu la fourchette
élaborée par son institut, envisageant des résultats
allant d'une destruction de 100.000 emplois à la création de
450.000 emplois.
M. Jacques Oudin a déclaré que la politique actuelle
négligeait l'investissement productif et collectif. Il a
considéré que certains mécanismes d'amortissement ou
d'orientation de l'épargne avaient fait leur preuve. S'agissant de la
réduction de la durée du travail, il a considéré
que la France ne pouvait pas avoir raison contre l'ensemble de ses partenaires.
Il a, enfin, rejeté l'idée d'une politique des revenus, lui
préférant une politique de charges ou de fiscalité.
Le directeur de l'OFCE a indiqué que, s'agissant d'incitation à
l'investissement dans des secteurs tels que la flotte maritime ou les
autoroutes, pour lesquels la rentabilité n'est pas immédiate, une
réflexion spécifique devait être menée. Il a
constaté que ces investissements étaient souvent
délaissés par l'Etat en période de basse conjoncture et
repris au moment où le marché serait à même de les
prendre en charge.
Il a précisé que la loi sur la réduction de la
durée du travail n'avait pas pour objectif de créer des richesses
ou des heures de travail, mais de les répartir différemment,
moyennant un coût budgétaire minime. Il a fait valoir que ce
coût ne serait, pour les finances publiques, probablement pas
supérieur à celui d'une mesure de réduction des charges.
Répondant aux questions de M. Christian Poncelet, président,
M. Philippe Sigogne a observé que l'endettement de la France se
réduisait année après année, même si
l'endettement public continuait à croître.
Il a appelé à ne pas séparer la question du
déficit de celle de la dette, soulignant que l'institut monétaire
européen, dans son récent rapport, s'était surtout
intéressé au niveau de dette des Etats de l'Union. Il a
affirmé qu'un niveau de dette équivalent 40 % du produit
intérieur brut lui paraissait raisonnable. Afin d'atteindre cet
objectif, il a estimé qu'un déficit public ramené entre 1
et 2 % du produit intérieur brut était suffisant. Le
directeur de l'OFCE a rappelé que le Royaume-Uni, l'Espagne ou
l'Allemagne s'étaient fixés des objectifs ambitieux
d'équilibre budgétaire, et a mis l'accent sur les risques
d'assèchement du marché des actifs liquides induits par de telles
orientations.
Il a pronostiqué que la banque centrale européenne serait
très crédible, sa crédibilité résultant
d'une comparaison avec les autres banques centrales. La Banque du Japon
traversant une période difficile, la concurrente de la banque centrale
européenne sera la réserve fédérale
américaine, réputée pour agir selon des règles
moins strictes que celles de la Bundesbank.
En conclusion, M. Philippe Sigogne a considéré que, l'Europe
ayant, contrairement aux Etats-Unis, procédé au
désendettement de ses entreprises, elle serait une zone très
attractive pour les capitaux internationaux dans les années à
venir.