Rapport n° 396 - Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil de famille
M. Luc DEJOIE, Sénateur
Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - Rapport n° 396 - 1997-1998
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Table des matières
N° 396
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 avril 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil de famille ,
Par M. Luc DEJOIE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily,
vice-présidents
;
Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel
Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel
Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale (11
ème législ.) :
412
,
431
et T.A.
31
.
Sénat
:
99
(1997-1998).
Famille
.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
Réunie le mercredi 22 avril 1998 sous la
présidence de M. René-Georges Laurin, vice-président,
la commission a examiné, sur le rapport de M. Luc Dejoie, la
proposition de loi n° 99 (1997-1998), adoptée par
l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant orphelin de
participer au conseil de famille.
La commission a approuvé l'objet de cette proposition de loi tendant
à renforcer les droits de l'enfant orphelin, conformément aux
souhaits exprimés par le " Parlement des enfants ", et en a
adopté le texte sans modification.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi permettant à l'enfant orphelin de participer au
conseil de famille, aujourd'hui soumise au Sénat, trouve son origine
dans les travaux du " Parlement des enfants ", qui
représente
en quelque sorte l'équivalent, à l'Assemblée nationale, de
la journée " Sénateurs Juniors ".
En effet, l'une des dix propositions adoptées par le Parlement des
enfants réuni en 1997, qui avait pour objet de renforcer les droits des
enfants orphelins, a ensuite été déposée sur le
bureau de l'Assemblée nationale par M. Renaud Donnedieu de Vabres,
puis examinée et adoptée à l'unanimité par celle-ci
au cours de sa séance du 20 novembre 1997.
C'est ainsi le deuxième texte issu des travaux du Parlement des enfants
sur lequel le Sénat est appelé à délibérer,
faisant suite à la proposition tendant à préserver les
liens entre frères et soeurs en cas d'éclatement de la cellule
familiale, devenue la loi n° 96-1238 du 30 décembre 1996
relative au maintien des liens entre frères et soeurs.
Cette fois-ci, la proposition de loi retenue par l'Assemblée nationale a
été suscitée par l'interrogation touchante d'une jeune
élève de CM2 qui, après le décès de son
père et l'accident ayant rendu sa mère invalide, s'était
demandé si elle aurait eu la possibilité de choisir sa famille
d'adoption si sa maman avait perdu la vie dans cet accident.
Après avoir constaté que le droit actuel n'autorise l'enfant
orphelin à participer au conseil de famille, appelé à
prendre les décisions les plus importantes pour son avenir, qu'à
partir de l'âge de seize ans, le Parlement des enfants a entendu
remédier à cette situation en adoptant une proposition de loi
permettant, selon son exposé des motifs, à l'enfant ayant atteint
" l'âge de raison " d'exprimer ses souhaits au juge et
d'assister au conseil de famille.
*
* *
L'organisation de la tutelle qui s'ouvre au
décès des parents, en application de l'article 390 du code
civil, confère -rappelons-le- un rôle fondamental au conseil de
famille, sous la surveillance du juge des tutelles assurant sa
présidence.
En effet, si le tuteur est chargé, au quotidien, de prendre soin de la
personne du mineur, de le représenter et d'administrer ses biens, tous
les actes importants intéressant le mineur sous tutelle ne peuvent
être accomplis qu'avec l'autorisation du conseil de famille, qui a pour
mission d'assurer la protection des intérêts de l'enfant.
Ainsi, le conseil de famille règle les conditions
générales de l'entretien et de l'éducation de l'enfant
(art. 449 du code civil), établit le budget de la tutelle
(art. 454) et doit autoriser les actes de gestion du patrimoine les plus
importants, notamment les actes de disposition comme, par exemple, la vente
d'un immeuble (art. 457).
C'est au conseil de famille qu'il revient de désigner le tuteur en
l'absence de tuteur testamentaire -choisi par le survivant des père et
mère- et d'ascendant susceptible de devenir tuteur, ou encore en cas de
concours entre ascendants du même degré (art. 403 et 404). Le
conseil de famille désigne également le subrogé tuteur,
chargé de contrôler et éventuellement de remplacer le
tuteur (art. 420). Il lui échoit en outre de prononcer, le cas
échéant, l'exclusion, la destitution ou la récusation du
tuteur ou du subrogé tuteur (art. 447).
Composé de quatre à six membres, le conseil de famille est
constitué par le juge des tutelles qui dispose à cet égard
d'un large pouvoir d'appréciation (art. 407 à 409). En
principe, il doit choisir les membres parmi les parents et alliés des
père et mère, en assurant autant que possible la
représentation des deux lignes et en tenant compte des relations qu'ils
avaient avec les père et mère, ainsi que de leur
intérêt pour l'enfant. Cependant, il peut également
désigner des amis, des voisins ou toutes autres personnes qui lui
semblent pouvoir s'intéresser à l'enfant.
Or, alors que le conseil de famille est chargé, comme on vient de le
souligner, de prendre les décisions les plus importantes pour l'enfant
orphelin placé sous tutelle, celui-ci n'est pas appelé à
exprimer son avis sur ces décisions. Ce n'est en effet qu'à
partir de l'âge de 16 ans qu'il peut demander la réunion du
conseil de famille et assister, à titre consultatif, à cette
réunion.
Certes, le juge peut toujours l'entendre s'il l'estime opportun, en application
des dispositions de l'article 388-1 du code civil
1(
*
)
, mais la consultation du mineur orphelin
préalablement aux décisions importantes le concernant n'est
expressément prévue que dans le cas particulier des pupilles de
l'Etat, pris en charge par les services de l'aide sociale à
l'enfance
2(
*
)
.
Afin de prendre en compte les souhaits exprimés au sein du Parlement des
enfants, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale
tend à rendre cette audition systématique préalablement
à la réunion du conseil de famille, dès lors que l'enfant
apparaît capable de discernement. Elle tend également à lui
ouvrir l'initiative d'une réunion du conseil de famille et à lui
permettre d'y participer pour exprimer son avis.
*
* *
Tout en conservant les deux principaux objectifs de la
proposition de loi issue des travaux du Parlement des enfants -permettre aux
enfants orphelins d'être entendus par le juge avant la réunion du
conseil de famille, puis de participer à cette réunion-,
l'Assemblée nationale en a adapté la rédaction afin de
l'insérer dans le code civil. Elle a ce faisant cherché à
harmoniser les termes employés avec ceux déjà retenus dans
le droit actuel, par exemple en mentionnant l'enfant "
capable de
discernement
" plutôt que l'enfant ayant atteint
"
l'âge de raison
". Elle a en outre jugé
préférable de simplifier la procédure proposée pour
faciliter sa mise en oeuvre par le juge des tutelles, en s'en tenant à
une unique réunion du conseil de famille ouverte, le cas
échéant, à l'enfant orphelin, plutôt que de retenir
la double réunion prévue par le texte initial, d'abord hors de la
présence de l'enfant, puis avec la participation de celui-ci.
Le dispositif finalement retenu par l'Assemblée nationale comprend ainsi
trois articles.
-
L'article premier
ouvre au mineur âgé de moins de
seize ans, dès lors qu'il est capable de discernement, la
faculté de provoquer la réunion du conseil de famille, sauf
décision contraire spécialement motivée du juge.
-
L'article 2
pose le principe d'une audition du mineur capable de
discernement par le juge des tutelles, préalablement à la
réunion du conseil de famille.
- Enfin,
l'article 3
étend au mineur âgé de
moins de seize ans et capable de discernement la possibilité de
participer, à titre consultatif, à la réunion du conseil
de famille, si le juge ne l'estime pas contraire à son
intérêt.
Votre commission des Lois approuve l'objet de cette proposition de loi
tendant à renforcer les droits de l'enfant orphelin, conformément
aux souhaits exprimés au sein du Parlement des enfants, et vous propose
de l'adopter dans le texte de l'Assemblée nationale.
*
* *
EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
(art. 410 du code
civil)
Demande par le mineur de la réunion
du conseil de
famille
Cet article tend à permettre au mineur âgé
de moins de 16 ans et capable de discernement, de provoquer la
réunion du conseil de famille, sauf décision contraire
spécialement motivée du juge.
Selon les dispositions de l'article 410 du code civil, il appartient au
juge des tutelles de convoquer le conseil de famille. Le juge est cependant
tenu de procéder à cette convocation sur la demande de deux des
membres du conseil de famille, du tuteur ou encore du subrogé tuteur. En
revanche, le mineur lui-même ne peut actuellement formuler une telle
demande que s'il est âgé de plus de seize ans.
L'article premier de la proposition de loi a pour objet d'étendre
cette faculté aux mineurs âgés de moins de seize ans,
en la réservant toutefois à ceux qui sont capables de
discernement et en prévoyant la possibilité pour le juge de
s'opposer à la demande de convocation du conseil de famille par une
décision spécialement motivée (alors que la convocation
est de droit lorsqu'elle est demandée par le mineur âgé de
seize ans révolus).
Plutôt que de fixer un âge minimum -nécessairement
arbitraire- pour la demande de convocation du conseil de famille par le mineur,
l'Assemblée nationale a opportunément
préféré retenir une solution plus souple permettant au
juge de tenir compte de la personnalité de chaque enfant en reprenant la
notion de capacité de discernement déjà utilisée
par le code civil en ce qui concerne les auditions de mineurs
(cf. article 388-1), de même que par la Convention
internationale des droits de l'enfant ou la Convention européenne des
droits de l'enfant.
Votre commission vous propose d'adopter cet article
sans modification.
Article 2
(art. 411 du code civil)
Audition du
mineur
Cet article prévoit l'audition du mineur capable de
discernement par le juge, préalablement à la réunion du
conseil de famille.
A cette fin, il tend à compléter par un nouvel alinéa
l'article 411 du code civil qui, dans sa rédaction actuelle,
prévoit simplement, d'une manière générale, que la
convocation du conseil de famille doit être faite huit jours au
moins avant sa réunion.
Le principe d'une audition du mineur par le juge des tutelles, permettant
à l'enfant orphelin d'exprimer ses souhaits avant la réunion du
conseil de famille appelé à prendre les décisions les plus
importantes sur son sort, répond au souhait exprimé par la
proposition de loi issue des travaux du Parlement des enfants, dont
l'article premier prévoyait qu' "
Après le
décès des parents, le juge doit convoquer l'enfant seul, s'il a
l'âge de raison (plus de sept ans), pour que
l'intéressé puisse exprimer ses souhaits sans crainte
".
Certes, l'audition du mineur par le juge est déjà possible dans
le droit actuel, en application des dispositions de l'article 388-1 du
code civil, qui permettent au mineur capable de discernement d'être
entendu par le juge dans toute procédure le concernant.
Cependant, la proposition de loi tend à conférer un
caractère obligatoire à cette audition. Elle permet ainsi
d'étendre à tous les enfants orphelins, et plus
généralement à tous les mineurs sous tutelle, un droit
déjà reconnu aux pupilles de l'Etat, pris en charge par les
services d'aide sociale à l'enfance. En effet, l'article 60 du code
de la famille et de l'aide sociale prévoit que l'avis du mineur
intéressé doit être recueilli avant toute décision
relative au lieu et au mode de placement des pupilles de l'Etat.
Comme à l'article premier de la proposition de loi,
l'Assemblée nationale, plutôt que de fixer un âge minimum
pour l'audition de l'enfant par le juge des tutelles, a
préféré reprendre la notion de capacité de
discernement déjà retenue par l'article 388-1 du code civil
s'agissant des auditions de mineurs en général.
Elle a par ailleurs précisé que dans ce cas particulier
l'audition aurait lieu dans les conditions prévues par cet
article 388-1 : c'est à dire que le mineur pourrait être
entendu seul, avec un avocat ou avec une personne de son choix, le juge ayant
toutefois la possibilité de procéder à la
désignation d'une autre personne si ce choix n'apparaissait pas conforme
à l'intérêt du mineur.
Votre commission vous propose d'adopter cet article
sans modification.
Article 3
(art. 415 du code civil)
Participation
du mineur au conseil de famille
Cet article tend à permettre au mineur capable de
discernement d'assister à titre consultatif à la réunion
du conseil de famille, à condition toutefois que le juge ne l'estime pas
contraire à son intérêt.
Dans le droit actuel, selon les dispositions de l'article 415 du code
civil, seul le mineur âgé de seize ans révolus peut
participer à la réunion du conseil de famille qui est
présidé par le juge des tutelles avec voix
délibérative et prépondérante en cas de partage, le
tuteur assistant pour sa part à la séance sans avoir le droit de
vote. "
Si le juge l'estime utile
", le mineur
âgé de plus de seize ans peut ainsi assister à la
séance à titre consultatif, sa convocation étant cependant
obligatoire si le conseil de famille est réuni sur sa demande.
Conformément au souhait exprimé par le Parlement des enfants,
l'article 3 de la proposition de loi a pour objet d'étendre aux
mineurs âgés de moins de seize ans la possibilité de
participation aux réunions du conseil de famille déjà
prévue en faveur des mineurs âgés de seize ans
révolus.
Cependant, le texte issu des travaux du Parlement des enfants prévoyait
une double réunion du conseil de famille :
- la première hors de la présence de l'enfant, car
"
certaines révélations, certains mots choquants
pourraient le perturber un peu plus
" ;
- et la seconde en présence de l'enfant âgé de plus de
treize ans ou dont le juge estimerait "
les capacités
suffisantes pour participer à cette réunion
".
Jugeant cette procédure trop lourde et peu opérationnelle pour le
juge des tutelles, l'Assemblée nationale a préféré
s'en tenir à une réunion unique, à laquelle le mineur
capable de discernement pourra assister à titre consultatif "
si
le juge ne l'estime pas contraire à son intérêt
".
L'article premier de la proposition de loi permettra en outre au mineur
d'être à l'initiative de cette réunion en provoquant la
convocation du conseil de famille, comme on l'a souligné
précédemment.
Votre commission vous propose d'adopter cet article
sans modification.
*
* *
Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter la présente proposition de loi sans modification.
1
Celui-ci prévoit que le mineur
capable de discernement peut être entendu par le juge dans toute
procédure le concernant ; s'il en fait la demande, son audition ne
peut être refusée que par une décision spécialement
motivée.
2
Cf. art. 58 et 60 du code de la famille et de l'aide
sociale.