B. LE DÉFI EUROPÉEN
La
définition de la politique énergétique s'inscrit de plus
en plus dans un cadre dont les contours sont tracés à Bruxelles.
C'est pourquoi le deuxième paramètre exogène qui
influencera sensiblement le paysage énergétique français
de demain réside dans la
politique européenne de
libéralisation progressive des secteurs de l'électricité
et du gaz.
Réussir cette adaptation tout en veillant à ce que l'Union
européenne ne sombre pas dans une dépendance
énergétique extérieure excessive : tel
peut-être schématiquement présenté le défi
européen que la France devra contribué à
relever.
1. L'intégration à une Europe en dépendance énergétique croissante
A
l'heure actuelle, l'Union européenne se procure près de la
moitié de son énergie auprès de pays tiers (48 %).
Faute de mesures appropriées, cette dépendance pourrait
atteindre, d'ici 2020, près de 70 % de la consommation totale
d'énergie, soit 70 % pour le gaz naturel, 80 % pour le charbon
et 90 % pour le pétrole, selon les estimations de la Commission
européenne
53(
*
)
.
Ces dernières reposent sur une
étude
que la direction
générale de l'énergie (DG XVII) a
réalisée, au printemps 1996, intitulée :
"
Europe de l'énergie en 2020
", dans laquelle elle a
adopté une approche basée sur des scénarios qui
reflètent l'incertitude régnant sur le secteur de
l'énergie à l'heure actuelle.
Au nombre de quatre, ces scénarios concluent tous à une
augmentation de la dépendance à l'égard des importations
de l'ordre de 70 % de la consommation brute d'ici à 2020.
Les perspectives tracées par cette étude s'avèrent
très instructives et méritent d'être brièvement
présentées.
Trois scénarios supposent que le réchauffement de la
planète sera prouvé d'ici à 2005. Un quatrième
scénario, celui dit de la " sagesse traditionnelle "
évalue les conséquences de la poursuite des politiques actuelles.
Dans le scénario dit " champ de bataille ", le monde revient
à l'isolationnisme, aux grands blocs et au protectionnisme. Dans le
scénario dit " hypermarché ", les thèmes
prédominants sont les tendances du marché, le libéralisme
et la liberté du commerce, les gouvernements et les gestionnaires
publics intervenant au minimum. Dans le scénario " forum ", le
processus d'intégration globale se déroule dans le cadre de
structures internationales animées par le consensus et la
coopération et dans lesquelles la gestion ainsi que l'intervention
publiques jouent un rôle marquant.
L'étude révèle une dépendance croissante du
consommateur européen par rapport aux importations, ceci quelque soit le
scénario, et par rapport à l'énergie fournie en
réseau. En effet, la
consommation
d'énergie primaire
augmenterait de l'ordre de 0,7 à 0,9 % par an, cette
évolution modérée étant due à une
amélioration de l'intensité énergétique de l'ordre
de 1,1 à 1,8 % par an.
Parallèlement,
la production européenne
d'énergie
54(
*
)
semble devoir diminuer de l'ordre d'un cinquième d'ici l'an 2020
.
En effet, si la production d'énergies renouvelables devrait augmenter,
celle de combustibles solides devrait en revanche diminuer fortement, pour se
situer à 40 % des niveaux actuels dans l'hypothèse la plus
optimiste et à 10 % à peine de ceux-ci dans une
hypothèse pessimiste. La production de pétrole ne devrait pas
connaître de diminution notable d'ici l'an 2000, mais elle baisserait par
la suite. La production de gaz, quant à elle, devrait atteindre un
sommet à la même époque ou un peu plus tard, avec un taux
de diminution en 2020 cependant plus lent.
La combinaison de ces deux facteurs -augmentation de la demande, diminution
de la production- expliquerait cette dépendance croissante par rapport
aux pays tiers.
La dépendance maximum, de 71 % en l'an 2000, est atteinte avec le
scénario " hypermarché ". Alors, la demande de gaz
naturel augmenterait fortement (+ 3 % par an en moyenne) et la part
du nucléaire serait bien moindre qu'aujourd'hui.
Dans le scénario " sagesse traditionnelle ", la
dépendance serait de l'ordre de 68 %. C'est dans ce scénario
que l'énergie nucléaire connaîtrait la croissance la moins
élevée (+ 0,5 % par an), au fur et à mesure de
l'arrivée à maturité puis du déclin du secteur
nucléaire, les énergies renouvelables étant, quant
à elles, multipliées par trois.
La dépendance s'élèverait à 61 % environ dans
le scénario " champ de bataille " et d'environ 55 % dans
le scénario " forum ". Dans cette dernière
hypothèse, la société européenne investirait dans
de nouvelles technologies nucléaires, dans le but de résoudre le
problème des émissions européennes de CO
2
.
Parallèlement, les énergies renouvelables enregistreraient une
croissance de 5 % par an, pour quadrupler d'ici 2020.
Il faut souligner que seul ce dernier scénario permet de réduire
les émissions de CO
2
: de - 10 % en 2020,
contre + 40 % dans " champ de bataille ", + 15 %
dans " sagesse traditionnelle " et + 18 % dans
" hypermarché ".
On voit donc émerger au travers de cette étude toute la
difficulté qu'aura l'Union européenne -et elle ne sera pas la
seule...- à concilier défi environnemental et
préoccupations en termes de compétitivité
économique, de sécurité des approvisionnements et de la
fourniture de l'énergie.
Notons que le scénario " forum " semble permettre à la
fois d'atteindre une moindre dépendance à l'égard des
tiers et de satisfaire aux engagements souscrits à Kyoto. Mais
consensus, coopération et action publique collective
prévaudront-ils à l'heure où l'impératif mondial de
compétitivité favorise l'émergence d'une tendance à
la libéralisation des secteurs énergétiques ?
Celle-ci se traduit par le projet d'intégration progressive des
marchés énergétiques des Etats-membres de l'Union
européenne.