CHAPITRE VI -
ADAPTER NOTRE POLITIQUE
PÉTROLIÈRE
Le
secteur du raffinage en Europe se caractérise par d'importantes
surcapacités de production évaluées à
10 %
108(
*
)
, les
restructurations latentes depuis plusieurs années ayant
été différées compte tenu des coûts
élevés de fermeture de raffineries (de l'ordre de 550 millions de
francs pour une usine de 6,5 Mt/an).
Dans le contexte de marges chroniquement faibles que ces surcapacités
induisent, des investissements considérables à rentabilité
incertaine vont être requis pour suivre l'évolution du
marché pétrolier, tant en quantité qu'en qualité,
avec le souci constant d'une poursuite de l'amélioration de
l'environnement.
L'industrie du raffinage française est, en outre, confrontée
à la concurrence agressive des grandes et moyennes surfaces pour la
distribution et à la forte demande de gazole résultant d'une
fiscalité indûment attractive, demande que son outil de production
ne peut satisfaire.
Or, le raffinage français représente 20 000 emplois (directs
et induits) et assure une valeur ajoutée de 12 milliards de francs par
an. Au-delà de la sécurité de l'approvisionnement en
produits pétroliers qu'il contribue à assurer, ce secteur
représente un savoir-faire qui permet à la France d'être
bien placée dans l'exportation de technologies.
Dans ces conditions, votre commission d'enquête considère qu'il
appartient à la puissance publique de prendre les mesures fiscales
nécessaires au maintien d'une industrie du raffinage
compétitive
.
Or, non seulement la loi de finances n'a
réduit qu'à la marge le différentiel de taxation entre
l'essence et le gazole, mais elle a de surcroît supprimé un
dispositif essentiel pour atténuer l'incidence des variations des cours
du pétrole dans les résultats imposables des raffineurs, la
" provision pour fluctuation des cours ".
I. SAUVEGARDER NOTRE INDUSTRIE DU RAFFINAGE
A. LA VULNÉRABILITÉ DU RAFFINAGE FRANÇAIS
Dans la
compétition qui va s'engager entre les sites de raffinage, la
plate-forme française est particulièrement vulnérable en
raison des handicaps qui altèrent sa
compétitivité
109(
*
)
:
- frais de fabrication les plus élevés d'Europe dus
notamment à des surcoûts spécifiques français de
l'ordre de 13 F/tonne (obligation de pavillon, frais portuaires, taxe
professionnelle, coûts salariaux) ;
- demande excessive de gazole favorisée par la fiscalité, et
excédents d'essence : en 1997, la France a produit 3 Mt d'essence
en excédent (20 % de la production française) et a dû
importer 8 Mt de gazole au prix fort (18 % des besoins), le
surcoût étant estimé à 200 millions de francs ;
- faible demande de fioul lourd du fait du développement de
l'énergie nucléaire ;
- faibles marges de raffinage : sur la base d'un coût de
raffinage de 100 en moyenne en Europe, l'indice atteint 111 dans
l'Hexagone ;
- concurrence du réseau de distribution des grandes et moyennes
surfaces (GMS) qui pèse fortement sur la marge de distribution des
pétroliers (coût estimé à 700 millions de francs par
an).
Le tableau ci-après retrace les marges de transport-distribution des
raffineurs français comparées à celles des raffineurs de
plusieurs pays de l'Union européenne.
- suppression de la provision pour fluctuation des cours : comme
indiqué dans l'encadré ci-après, la provision pour
fluctuation des cours permettait d'atténuer les conséquences
fiscales des plus ou moins-values latentes enregistrées sur les stocks
de pétrole des compagnies de raffinage ; sa suppression risque donc
de fragiliser ces dernières face à la concurrence de compagnies
européennes qui ne pâtissent pas de la variation des cours compte
tenu de l'utilisation de méthodes de comptabilisation des stocks
différentes (méthode dite du " dernier entré, premier
sorti ", ou LIFO).
A défaut donc de réformer la législation comptable,
votre commission d'enquête souhaite que soit introduit rapidement en
France un nouveau système de lissage des plus ou moins-values sur stocks.
LE PROBLÈME DE LA VARIATION DES COURS DU PÉTROLE
Les
industries qui transforment des matières premières acquises sur
les marchés internationaux ou le territoire national sont
exposées aux fluctuations permanentes des cours de ces matières
qui affectent le coût de renouvellement des stocks nécessaires
à leur exploitation.
Or, bien que les stocks de ces entreprises doivent être renouvelés
à un volume constant ou croissant, la différence entre la valeur
comptabilisée du stock à la clôture d'un exercice et la
valeur du même stock à l'ouverture de l'exercice fait partie
intégrante du résultat imposable. Le profit sur stock ainsi
constaté est soumis à imposition alors même qu'il est
affecté d'une obligation de réemploi et ne constitue donc pas un
profit disponible susceptible d'être distribué aux actionnaires.
Dans de nombreux pays, cette difficulté est résolue par la
valorisation des stocks selon la méthode " dernier entré,
premier sorti " (DEPS ou LIFO) : les stocks étant
consommés à une valeur proche de leur coût de remplacement,
l'augmentation de la valeur des stocks ne touche pas le stock comptable tant
que le stock outil reste stable. Cette méthode permet donc de
neutraliser la quasi-totalité des variations de prix affectant les
stocks de base indispensables à la poursuite de l'exploitation.
Cette méthode, bien que prévue par la 4
ème
directive comptable européenne, n'est jusqu'à présent pas
admise par la législation fiscale française, qui,
conformément à la législation comptable, prévoit
l'évaluation des stocks selon le prix d'acquisition historique. Les
produits sont en effet réputés vendus dans l'ordre chronologique
de leur comptabilisation. Sans mécanisme correcteur, les entreprises
françaises paieraient donc d'avantage d'impôt que leurs
concurrentes tenant leur comptabilité en LIFO.
Pour éviter que ces règles restrictives compromettent
l'activité des entreprises qui transforment en France des
matières premières dont les prix sont soumis aux variations des
cours internationaux, la législation française permettait depuis
1948 à ces entreprises de constituer, en franchise d'impôt, une
provision pour fluctuation de cours
(PFC) représentative de la
dérive des coûts d'un stock de base strictement défini.
Le principe était simple : lorsque les cours augmentaient, les
entreprises provisionnaient, puis elles réintégraient ces
provisions lorsque les cours baissaient. Ainsi, elles pouvaient effacer de
l'assiette imposable des profits sur stocks en période de hausse des
cours (profits seulement latents puisque non réalisés) et
réduire leurs pertes en période de baisse.
La loi de finances pour 1998 a supprimé ce dispositif et a contraint les
entreprises qui en bénéficiaient à
réintégrer dans leurs résultats les provisions
constatées sur une période de trois ans (la loi de finances
prévoit cependant une franchise de 60 millions de francs pour
éviter de pénaliser les petites entreprises de transformation des
matières premières). Cette mesure devrait se traduire par une
charge de plus de 3 milliards de francs d'impôt pour l'industrie
française du raffinage
déjà handicapée par
rapport à ses concurrents et confrontée à des besoins
d'investissements massifs. Elle laisse en outre non résolu le
problème de l'enrichissement sans cause résultant de l'impact de
la variation des cours internationaux du pétrole sur le stock de base
des raffineurs. Or, une loi du 31 décembre 1992 rend obligatoire la
constitution de stocks stratégiques afin d'assurer la
sécurité de l'approvisionnement énergétique
français.
La commission des finances du Sénat observait fort justement dans son
rapport sur la loi de finances pour 1998 que "
sans un mécanisme
d'effet équivalent à la PFC, la France serait le seul pays
d'Europe à faire payer à ses entreprises le coût de
l'enrichissement sans cause. Il en résulterait une dégradation de
la compétitivité des entreprises françaises de
transformation des matières, une chute des investissements, des
licenciements et des délocalisations
".
Le taux de rendement des capitaux employés dans le secteur du raffinage
ne ressort ainsi qu'à 4,4 %, contre 20 % pour l'industrie
pharmaceutique, 17 % pour l'exploration-production de pétrole ou
12 % pour la chimie.