N°
470
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 2 juin
1998
Dépôt publié au Journal officiel du 3 juin 1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juin 1998
RAPPORT
de la
commission d'enquête
(1) chargée de recueillir des
informations sur les
régularisations d'étrangers
en
situation irrégulière opérées depuis le
1
er
juillet 1997, créée en vertu d'une résolution
adoptée par le Sénat le
11 décembre 1997,
TOME
I
RAPPORT ET ANNEXES
Président
M. Paul MASSON,
Rapporteur
M. José BALARELLO,
Sénateurs.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Guy Allouche, José
Balarello, François Blaizot, Louis Boyer, Michel Caldaguès,
Jean-Pierre Camoin, Jean-Patrick Courtois, Marcel Debarge, Christian Demuynck,
Michel Duffour, Mme Joëlle Dusseau, MM. Jean-Jacques Hyest, Jacques
Mahéas, André Maman, René Marquès, Paul Masson,
Jean-Claude Peyronnet, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Mme Danièle
Pourtaud, M. Jean-Pierre Schosteck.
Voir les numéros
:
Sénat
:
411
,
432
(1996-1997) et T.A.
53
(1997-1998).
|
|
Etrangers. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La commission d'enquête "
chargée de recueillir des
informations sur les régularisations d'étrangers en situation
irrégulière opérées depuis le 1er juillet
1997 "
a été créée par le Sénat
lors de sa séance du 11 décembre 1997
1(
*
)
. Elle a rendu publiques ses
conclusions le 9 juin 1998, conformément
aux dispositions de
l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958
modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Par son objet, la commission d'enquête a répondu au souci
légitime du Sénat d'être informé sur un sujet
intéressant directement la nécessaire maîtrise des flux
migratoires qui apparaît comme la condition même d'une bonne
intégration des étrangers dans le respect des lois de la
République.
Cette maîtrise apparaît d'autant plus impérieuse qu'elle
s'inscrit dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires
européens (accords de Schengen du 14 juin 1985 et convention
d'application du 19 juin 1990).
Cette coopération se traduit par l'existence de frontières
communes à tous les Etats membres de la convention de Schengen. Un
étranger qui a pénétré dans " l'espace
Schengen " peut circuler librement sur le territoire de tous les Etats
parties à la convention. Il en résulte une étroite
interdépendance entre les politiques migratoires de ces Etats.
La
politique de la France en la matière ne peut donc plus se concevoir
indépendamment de celle de ses partenaires
.
Cette coopération est appelée à se développer avec
la mise en oeuvre du Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997.
Dans ce contexte, la lutte contre l'immigration irrégulière doit
figurer en bonne place dans une politique cohérente de l'immigration.
Le Conseil d'Etat, s'appuyant sur sa propre jurisprudence, a indiqué,
dans un avis rendu le 22 août 1996, les conditions dans
lesquelles l'administration pouvait accorder un titre de séjour aux
étrangers n'entrant pas dans les catégories fixées par
l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.
A la suite de cet avis, la loi du 24 avril 1997 a eu pour premier objet
d'apporter une réponse à des situations individuelles difficiles,
en élargissant les cas d'attribution de plein droit de la carte de
séjour temporaire.
Malgré cet affinement du cadre juridique permettant de régler
des situations complexes -que la loi ne peut pas toujours prévoir- le
nouveau Gouvernement a décidé, dès le 24 juin 1997,
d'organiser une opération de régularisation sur
critères.
Cette procédure s'imposait-elle et ne comportait-elle pas, compte tenu
de sa " couverture médiatique " prévisible, un risque
" d'appel d'air ", si l'on veut bien se souvenir que les
131.000 régularisations des années 1981-1982 n'ont
aucunement apporté une solution à la lancinante question de
l'immigration clandestine ?
Lorsque la proposition de résolution tendant à créer une
commission d'enquête a été déposée, en
septembre 1997, près de 85 000 demandes de régularisation
avaient été formulées. Le nombre total des dossiers
à traiter était évalué à 179.000 par le
ministère de l'Intérieur lors de la création par le
Sénat de la commission d'enquête en décembre 1997. Ce
chiffre était cependant considéré comme pouvant
évoluer à la baisse, notamment en raison de demandes multiples.
On pouvait donc s'interroger sur le nombre d'étrangers qui seraient
finalement régularisés.
Cette opération ne comportait-elle pas le risque d'une déception
pour les personnes à qui le bénéfice en serait
refusé avec, peut-être aussi, l'espoir d'être à leur
tour régularisées quelques années plus tard ?
Quel traitement serait appliqué à ces
" déboutés de la régularisation "?
Pourraient-ils être effectivement éloignés du territoire,
comme cela paraissait logique, quand on connaît les difficultés
juridiques et pratiques auxquelles se heurte la mise en oeuvre de mesures de
cette nature ? A défaut, ne risquait-on pas de légitimer
leur présence irrégulière en France ?
Enfin, il pouvait paraître légitime, certaines informations
laissant imaginer (à tort ou à raison) des différences
d'appréciation selon les préfectures, de s'assurer des conditions
d'application de la circulaire du 24 juin 1997.
Telles sont les principales questions -qui entrent dans le champ du pouvoir de
contrôle dont le Parlement est investi- qui ont justifié la
constitution d'une commission d'enquête.
Il ne s'agissait pas pour cette dernière de procéder à une
étude d'ensemble de l'immigration -voire de l'immigration clandestine-
mais, adoptant une démarche résolument pragmatique, de recueillir
des informations sur les régularisations opérées depuis le
1er juillet 1997, afin d'en évaluer les conséquences.
La commission d'enquête n'a pas entendu alimenter quelque
polémique mais faire précéder toute conclusion d'un
travail d'investigation aussi rigoureux que possible. Sa démarche se
fonde sur les faits qu'elle a pu constater et non sur des
a priori
.
La commission d'enquête et son rapporteur n'ont pas manqué
d'utiliser les pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place qui
leur sont conférés par l'article 6 de l'ordonnance du 17
novembre 1958 modifiée.
Des délégations de la commission d'enquête ont
effectué des déplacements dans neuf préfectures ayant
reçu à elles seules 74 % du total des demandes,
afin de
s'informer auprès des préfets et des services des
étrangers de la manière dont les dossiers étaient
instruits. Ces délégations, toujours accompagnées par le
rapporteur, ont pu mesurer concrètement, à partir des
réponses faites à leurs interrogations ainsi que de leurs
constatations sur place, l'importance du travail supplémentaire
réclamé aux services, malgré l'attribution de moyens
supplémentaires.
La commission d'enquête a constaté, à l'unanimité
de ses membres, que les services préfectoraux avaient su
démontrer à la fois leur disponibilité, leur rigueur et
leur efficacité pour faire face à une opération
difficile.
La commission d'enquête a procédé à vingt auditions
publiques, dont les comptes rendus sont publiés dans le tome II du
présent rapport.
Elle a auditionné le ministre de l'Intérieur (à deux
reprises), le ministre de l'Emploi et de la Solidarité, des hauts
fonctionnaires (les directeurs des libertés publiques et des affaires
juridiques et du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi
des clandestins -DICCILEC- au ministère de l'Intérieur, de la
population et des migrations au ministère de l'Emploi et de la
Solidarité, de l'Office des migrations internationales -OMI- et les
préfets de trois départements).
La commission d'enquête a entendu M. Jean-Michel Galabert,
désigné par le Premier ministre pour effectuer une mission sur le
suivi des régularisations.
Elle a aussi auditionné un représentant de la Conférence
des bâtonniers ainsi que plusieurs associations (GISTI, Ligue des Droits
de l'Homme et CIMADE).
A la suite des incidents ayant émaillé des reconduites à
la frontière d'étrangers dépourvus de titre de
séjour, à partir de la fin du mois de mars 1998, la commission
d'enquête a procédé à l'audition du Président
d'Air France et de deux commandants de bord.
Les travaux de la commission d'enquête ont également pris appui
sur diverses pièces et documents communiqués sur sa demande par
les services ou le ministre de l'Intérieur et, en particulier, deux
rapports de l'Inspection générale de l'administration ainsi que
celui établi par M. Jean-Michel Galabert.
On soulignera cependant que, malgré les prévisions du ministre
de l'Intérieur, l'instruction de la totalité des demandes
n'était pas achevée le 30 avril 1998, puisque 25 % des dossiers
restaient encore en instance à cette date. De ce fait, la commission
d'enquête n'a pas pu disposer de chiffres définitifs avant le
terme légal de sa mission
.
*
* *
La
commission d'enquête n'a jamais contesté la
nécessité d'examiner les situations individuelles complexes
d'étrangers ne répondant pas à toutes les conditions
fixées par la loi.
Elle s'est cependant interrogée sur la
méthode choisie
par
le Gouvernement, consistant en l'organisation d'une opération de grande
ampleur, difficilement conciliable avec une démarche pragmatique et
individualisée.
La commission d'enquête a ensuite cherché à mesurer les
conséquences
de cette vaste opération. Elle s'est
étonnée de l'insuffisance de l'évaluation préalable
des incidences de régularisations massives, qu'il s'agisse de leurs
implications sociales et financières ou du risque " d'appel
d'air ". Elle s'est aussi interrogée sur l'éloignement
effectif du territoire des étrangers non régularisés qui
s'y seraient maintenus en toute illégalité.
La commission d'enquête s'est, enfin, voulue résolument positive
dans ses conclusions en s'efforçant de tracer des
pistes pour
l'avenir
. Elle a souhaité, en particulier, un consensus pour une
indispensable prise en considération de la dimension européenne
du problème, une vision purement hexagonale apparaissant totalement
inadaptée à l'heure de la mondialisation des flux migratoires.