B. UN AFFLUX DE DEMANDES
1. Un nombre de demandes très important et supérieur aux prévisions initiales
a) Des prévisions initiales modestes
Dès le mois de juillet 1997, la presse se faisait
l'écho de prévisions comprises entre 10.000 et 40.000
demandes,
" selon des sources proches du Gouvernement "
.
Ces chiffres ont été repris très largement par l'ensemble
des médias sans être démentis par le Gouvernement.
Toutefois, le Gouvernement s'est toujours refusé à donner une
évaluation officielle initiale du nombre possible de demandeurs et de
bénéficiaires de l'opération de régularisation.
Répondant à notre collègue, M. Christian Demuynck, qui
l'interrogeait sur les conséquences de la régularisation des
étrangers en situation irrégulière, M. Jean-Pierre
Chevènement, ministre de l'Intérieur, a ainsi contesté le
28 octobre 1997 que le Gouvernement ait fourni la moindre évaluation du
nombre de demandes avant la date de dépôt final des
demandes :
" il n'est absolument pas exact que le Gouvernement ait
jamais avancé un chiffre. "
5(
*
)
.
Même si l'on ne dispose donc d'aucun élément officiel quant
aux prévisions formulées par les services du ministère de
l'Intérieur
, il est cependant avéré que ceux-ci ont
été surpris par l'ampleur du volume des demandes
. Ainsi,
à la date du 31 juillet 1997, alors que 54.219 demandes avaient
déjà été déposées, la presse faisait
état d'informations émanant du ministère de
l'Intérieur selon lesquelles ce chiffre dépassait largement
l'hypothèse la plus haute formulée par l'administration
6(
*
)
.
b) Un nombre de demandes en définitive très élevé
Le nombre final de demandes a atteint un chiffre beaucoup plus important que les estimations initiales reprises par la presse en juillet 1997.
1.- Le bilan global
Il
convient de distinguer :
1.
- les demandes initiales déposées dans les
préfectures : 179.264 ;
2. - les demandes qui ont été considérées
comme recevables, c'est-à-dire pour lesquelles la procédure
d'instruction a pu aller jusqu'à son terme et qui peuvent donc faire
l'objet d'une décision : 145.690 à la date du
30 avril 1998 ;
3. - les demandes qui ont effectivement fait l'objet d'une
décision : 108.684 à la date du 30 avril 1998.
Des écarts importants séparent ces trois chiffres. La
différence entre les demandes considérées comme recevables
et les demandes ayant fait l'objet d'une décision provient de ce que
l'opération de régularisation n'est pas encore
achevée ; cette différence a donc vocation à se
résorber progressivement et à disparaître à terme.
En revanche, l'écart entre les demandes initiales et les demandes
considérées comme recevables croît
régulièrement, ce qui mérite une explication
particulière.
Cet écart résulte de la combinaison de plusieurs facteurs :
-
la présence de demandes multiples
: certains demandeurs
ont tenté leur chance en déposant une demande de
régularisation dans plusieurs départements, souvent limitrophes.
La saisie de chaque dossier de demande de régularisation dans
l'application informatique AGDREF a permis de détecter les personnes
ayant déjà déposé une demande de
régularisation dans un autre département. De l'avis des
préfectures où s'est rendue la commission, ces cas de demandes
multiples sont toutefois en nombre limité.
AGDREF
: l'application de gestion des dossiers
des ressortissants étrangers
en France
Le
fichier informatique AGDREF (
D. 29 mars 1993, JO 30 mars
) s'est
substitué au fichier mis en place précédemment par le
décret du 27 septembre 1982, qui était destiné à la
fabrication des titres de séjour des étrangers.
Les
finalités
du fichier AGDREF sont au nombre de quatre :
-
finalités de gestion et d'efficacité
:
amélioration des procédures relatives au règlement de la
situation administrative des étrangers en France et établissement
de statistiques ;
-
finalités de lutte contre la fraude
(risque de falsification
des titres de séjour) et
contre l'immigration clandestine
.
Les
informations enregistrées
dans le fichier AGDREF sont
énumérées de manière limitative
à
l'article 2 du décret du 29 mars 1993 : état civil complet,
numéro national d'identification, adresse, filiation, situation
familiale, données de gestion du fichier, conditions d'entrée en
France, visas, garant, situation professionnelle, données relatives
à l'autorisation de séjour détenue, autres données
relatives à la situation administrative.
Les données sont
conservées cinq ans
pour les personnes
décédées, mais surtout pour les étrangers ayant
fait l'objet d'un refus de séjour, d'un arrêté de
reconduite à la frontière, ou dont le titre de séjour est
venu à expiration. Lorsque l'étranger a acquis la
nationalité française, la durée de la conservation des
informations contenues dans le fichier AGDREF à son sujet est d'un an.
L'accès aux données contenues
dans le fichier AGDREF a
été prévu de manière limitative par l'article 3 du
décret du 29 mars 1993, pour éviter tout détournement de
sa finalité. Toutefois, la liste des destinataires a été
modifiée dans le sens d'un important élargissement à
d'autres services : l'une des finalités du fichier étant de
lutter contre l'immigration irrégulière, la liste des services
pouvant accéder au fichier AGDREF a été élargie par
la loi n° 93-1027 du 24 août 1993.
Peuvent accéder au fichier AGDREF
selon certaines règles
précisées au cas par cas :
- les services de la direction des libertés publiques et des affaires
juridiques du ministère de l'Intérieur chargés des
étrangers ;
- les services des étrangers des préfectures et
sous-préfectures, qui ne peuvent accéder qu'au fichier national
et à leur propre fichier ;
- les magistrats de l'ordre judiciaire et les services de police et gendarmerie
nationale, qui ne peuvent accéder qu'au fichier national et
" seulement en vue de vérifier la régularité du
séjour des ressortissants étrangers en France " ;
- les services de l'Office français de protection des
réfugiés et apatrides (OFPRA), mais seulement pour les
informations portant sur l'état civil et le numéro national
d'identification ;
- les services du permis de conduire des préfectures et
sous-préfectures, mais uniquement pour les données relatives au
titre de séjour détenu, et dans le seul but d'instruire les
demandes de délivrance ou d'échange des permis de conduire ;
- les organismes chargés de la gestion des régimes de
sécurité sociale ;
- l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
Le
droit d'accès des étrangers au fichier AGDREF
est
un
droit d'accès direct
au sens de l'article 34 de la loi du 6 janvier
1978. L'article 6 du décret du 29 mars 1993 prévoit qu'il peut
s'exercer soit auprès du ministère de l'Intérieur
(direction des libertés publiques), soit auprès du préfet
du département concerné.
-
l'absence du demandeur aux entretiens
: malgré les
relances, certaines des personnes ayant rempli un dossier de demande de
régularisation ne se sont pas présentées aux convocations
pour un entretien individuel. Leur dossier n'a donc pas été
instruit et a été soustrait du nombre des demandes. La plupart
des dossiers qui n'ont pu être instruits l'ont été pour ce
motif.
Cette absence peut avoir des origines diverses
. Dans certains cas, les
demandeurs
n'habitent pas ou plus à l'adresse indiquée
,
soit parce qu'ils ont déménagé, soit parce qu'ils ont
donné une fausse adresse.
Dans d'autres cas, les demandeurs peuvent avoir pris conscience, après
le dépôt de leur demande
, qu'ils ne remplissaient pas les
critères de la circulaire et que leur demande avait par
conséquent peu de chances d'aboutir.
Ils renoncent alors à
poursuivre la procédure.
Certains demandeurs peuvent également être pris
d'un
réflexe de crainte
à la perspective de se rendre dans une
préfecture et refusent alors de répondre à la convocation
pour l'entretien individuel.
Enfin,
le demandeur n'a parfois jamais résidé sur le
territoire français
et sa demande a manifestement été
remplie et déposée par une autre personne, dans l'espoir qu'il
pourrait ultérieurement entrer illégalement sur le territoire
français afin de répondre lui-même à la convocation
individuelle prévue. Ce dernier cas illustre
l'effet d'appel d'air
immédiat
qu'a pu susciter la circulaire de régularisation
auprès de certaines populations qui résidaient pourtant à
l'étranger au moment de sa parution, en juin 1997.
Les demandes qui n'ont pu être instruites complètement ont
été soustraites par le ministère de l'Intérieur des
statistiques de demandes déposées.
Le ministère a ainsi
fait le choix de ne pas opérer de distinctions entre les demandes
déposées et les demandes effectivement instruites.
De
manière un peu déconcertante pour les non-initiés, le
chiffre des demandes diminue donc régulièrement, au fur et
à mesure de l'avancement de l'opération.
Cette méthode de comptabilisation statistique n'est pas
neutre
: elle a pour effet de
minorer très
sérieusement le nombre des demandes et de minimiser par
conséquent l'importance de l'opération de régularisation.
Or, le chiffre des demandes déposées révèle une
immigration clandestine présente sur notre territoire. Ces demandes de
régularisation ont bien été déposées et
émanaient, pour la majeure partie d'entre elles, de personnes
effectivement présentes sur notre territoire et qui n'ont pas
souhaité poursuivre la procédure de demande de
régularisation.
Ces personnes sont encore probablement présentes sur notre sol.
Le
choix statistique effectué par le ministère de l'Intérieur
revient à nier cette réalité dérangeante.
Il eût été par conséquent plus exact de la part du
ministère de l'Intérieur de distinguer, d'une part, les demandes
initialement déposées et, d'autre part, les demandes
considérées comme recevables et effectivement instruites.
Dès le 15 janvier 1998, le ministre de l'Intérieur
déclarait ainsi, lors de son audition par la commission d'enquête,
que "
presque 25 % des demandes doivent être
considérées comme n'étant pas valables, soit parce que
l'adresse indiquée n'est pas la bonne, soit parce qu'elles correspondent
à des doublons ".
Il ajoutait :
" Il s'agit de
chiffres bruts, incluant un certain nombre de doublons et de courriers ne
relevant pas de la circulaire. Par ailleurs, dans certains départements,
plus de 20 % des étrangers convoqués ne se présentent
pas aux entretiens. Le nombre de demandes réellement instruites devrait
sans doute être légèrement inférieur à
150.000. "
Le nombre total de
demandes de régularisation
déposées s'est élevé finalement à
179.264
pour l'ensemble de la France métropolitaine.
Ce chiffre représente 5,6 % des 3.231.891 personnes de
nationalité étrangère installées en France au 31
décembre 1996. Pour mémoire, on rappellera que la population
étrangère représente également 5,6 % de la
population française totale (58.139.070).
Tous les témoignages recueillis par la commission
lors de ses
déplacements dans les préfectures
s'accordent à
souligner que le nombre de demandes a fortement progressé dans les jours
précédant la date-limite de dépôt des demandes, le
1er novembre 1997
. Ce phénomène a été
particulièrement net à Paris où l'on a pu constater un
afflux de demandes de dernière heure.
Mais le nombre de
demandes considérées comme recevables
s'élève, à la date du 30 avril 1998, à
145.690
. Ce chiffre provisoire devrait sans doute encore diminuer dans
les prochains jours.
L'écart entre le nombre de demandes initialement déposées
et le nombre de demandes susceptibles de donner lieu à une
décision de l'administration est donc considérable puisqu'il
atteint
33.574
, soit
18,7%
des demandes initialement
déposées.
Pour des raisons évidentes, le Gouvernement a choisi de n'évoquer
que les demandes considérées comme recevables. Il apparaît
intéressant à votre rapporteur d'analyser également la
répartition des demandes initiales.