2. Les objectifs ambitieux de la circulaire du 19 janvier 1998
Emanant
à la fois des ministères de l'Emploi et de la Solidarité,
de l'Intérieur et des Affaires étrangères, la circulaire
du 19 janvier 1998 est réservée aux étrangers
invités à quitter le territoire français à la suite
du réexamen de leur situation en application de la circulaire du
ministère de l'Intérieur du 24 juin 1997.
Lors de son audition par la commission d'enquête, le 15 janvier 1998, M.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, avait
fixé d'emblée un objectif très ambitieux au nouveau
dispositif
" mis au point pour inciter au retour volontaire
une
proportion substantielle
des étrangers faisant l'objet d'une
décision de refus et, donc, invités à quitter la
France. "
Les moyens importants affectés par l'OMI à cette mission
témoignent
du volontarisme affichée par le Gouvernement.
Le budget 1998 de l'OMI repose sur l'hypothèse
de 10.000
bénéficiaires de l'aide au retour en 1998
dans le cadre de la
circulaire ministérielle du 19 janvier 1998. M. André Nutte,
Directeur de l'OMI, a déclaré devant la commission
d'enquête, lors de son audition le 26 février 1998, que son
ambition était naturellement de dépasser ce chiffre. Il a
ajouté que des crédits supplémentaires seraient
accordés si les prévisions initiales s'avéraient
insuffisantes en cours d'année.
Le coût moyen de l'aide au retour dans le cadre de la circulaire du 19
janvier 1998 s'élèverait à 11 000 F par demandeur.
L'OMI dispose aujourd'hui de 17 agents affectés dans les
différentes délégations régionales et
spécialement formés d'assurer le suivi de l'aide au retour. Si
l'on s'appuie, comme le fait l'OMI, sur une base de quatre dossiers par agent
et par jour, l'OMI est aujourd'hui en mesure de traiter 1.300 à
1.400 dossiers par mois, soit entre 15.000 et 17.000 dossiers par an.
L'OMI a de surcroît prévu de renforcer ce dispositif au fur et
à mesure de la montée en puissance de l'aide au retour
instituée par la circulaire du 19 janvier 1998. Le budget 1998 de
l'Office autorise ainsi à recruter 10 agents
supplémentaires, ce qui porterait l'effectif total affecté
à cette tâche à 27 agents, soit une capacité de
traitement de l'ordre de 2 000 dossiers par mois.
a) Un démarrage tardif
Les
évaluations du ministère de l'Intérieur étaient
connues depuis longtemps. Dans l'esprit du ministère, et pour des
raisons politiques évidentes, le traitement des situations
d'étrangers déboutés de leur demande s'avérait
délicat. L'aide au retour était un moyen sur lequel comptait le
ministre de l'Intérieur pour faciliter l'opération et encourager
les départs volontaires.
Dès le 15 janvier 1998, date de la première audition de M.
Jean-Pierre Chevènement par la commission d'enquête, voire
même avant, le Gouvernement pouvait s'attendre à devoir traiter la
situation d'environ
70 000
personnes non
régularisées.
Or à la même date, le nouveau dispositif d'aide à la
réinsertion des intéressés dans leur pays
n'était toujours pas en place
. Pour des raisons essentiellement
techniques, la circulaire prévoyant ce dispositif a pris un retard
certain.
Emanant des ministères de l'Emploi et de la Solidarité, de
l'Intérieur et des Affaires étrangères, elle a
été adressée aux préfets et au Directeur de
l'Office des migrations internationales (OMI)
le 19 janvier
(et publiée au
Journal officiel
du 24 janvier).
Le dispositif qu'elle prévoit en matière d'aide à la
réinsertion est en lien direct avec l'opération de
régularisation comme l'indique clairement son intitulé qui vise
"
l'aide à la réinsertion des étrangers
invités à quitter le territoire français à la suite
du réexamen de leur situation en application de la circulaire du
ministère de l'Intérieur du 24 juin 1997.
"
Force est donc de constater qu'il a fallu attendre
sept mois
à
compter du début de l'opération de régularisation pour que
soit définie une nouvelle procédure d'aide au retour à
l'intention des étrangers non régularisés.
Encore faut-il observer qu'au 24 janvier 1998, date de parution de la
circulaire au
Journal officiel
, le dispositif n'était
en rien
opérationnel
.
Lors de son audition par la commission d'enquête, le 26 février
1998, le Directeur de l'OMI a précisé que la notice de l'OMI
décrivant ce nouveau dispositif avait été publié
dix jours
après la parution de la circulaire du 19 janvier 1998.
Au cours de ses déplacements, la commission d'enquête a ainsi pu
constater qu'à la date du 9 février 1998 la préfecture des
Bouches-du-Rhône n'était pas encore en possession de ce document.
La préfecture du Rhône a pour sa part reçu la notice
d'information le 11 février 1998.
Le Directeur de l'OMI a reconnu devant la commission d'enquête que la
diffusion de cette notice avait pu être retardée dans certains
départements. Il a en outre indiqué que des négociations
étaient en cours entre l'OMI et certaines associations
afin d'aboutir
à une contractualisation.
Il a attribué aux arbitrages
ministériels la parution tardive de la circulaire.
Interrogé par votre rapporteur le 9 avril dernier,
M. Jean Gaeremynck, Directeur de la population et des migrations au
ministère de l'Emploi et de la Solidarité, a pour sa part
estimé devant la commission d'enquête que ce retard provenait des
difficultés à concevoir un dispositif d'aide au retour qui soit
réellement efficace. Il a considéré que ce retard n'avait
pas eu d'incidence significative pour les bénéficiaires
potentiels dans la mesure où les notifications de décisions
négatives étaient intervenues plusieurs mois après le
début de la procédure de régularisation.
Auditionnée le 7 mai 1998, Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de
la Solidarité, a expliqué ce retard par la volonté
d'instaurer un dispositif plus attractif et plus incitatif et par la
nécessité de négocier certains aspects de la
procédure avec les pays et les associations concernés. Elle a
considéré que ce retard n'avait pas été
préjudiciable aux personnes susceptibles de bénéficier de
l'aide à la réinsertion.
Quoi qu'il en soit des motifs de ce retard, force est de constater qu'il a
abouti à un
dysfonctionnement
dans le déroulement de
l'opération de régularisation.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, a
indiqué, le 15 janvier 1998, à la commission d'enquête
qu'au 31 décembre 1997,
15 391
décisions de
refus avaient été prises.
Or les préfectures qui ont pris ces décisions n'étaient
pas en mesure de proposer -en même temps qu'elles notifiaient la
décision de refus et invitaient l'intéressé à
quitter le territoire- le nouveau dispositif d'aide au retour.
Une circulaire du ministre de l'Intérieur adressée aux
préfets et en date du 24 septembre 1997 avait ainsi
précisé
" qu'en vertu de la circulaire du 14 août
1991
", l'étranger devait être informé, au moment
de l'envoi de l'invitation à quitter le territoire, de l'existence de la
procédure d'aide financière au retour gérée par
l'OMI "
selon les conditions en vigueur
", c'est à dire
celles
antérieures
à la circulaire du 19 janvier 1998.
Un télégramme du ministère de l'Intérieur aux
préfets, en date du 26 janvier 1998, a informé ces derniers
qu'une circulaire leur serait prochainement adressée
"
concernant les modalités particulières d'aide au retour
susceptible d'être attribuée aux
intéressés
".
La circulaire du 19 janvier 1998 a en définitive été
adressée aux préfets par le ministre de l'Intérieur par un
courrier en date du
27 janvier 1998
.
Le même courrier précisait qu'il conviendrait "
d'assurer
une bonne information des étrangers concernés sur les aides qui
leur sont offertes
". Il comprenait un nouveau modèle-type de
lettre de refus de séjour qui intégrait des précisions
relatives à cette aide au retour et qui se substituait au modèle
qui était joint à la circulaire du 24 septembre 1997.
Cette définition tardive d'un nouveau dispositif d'aide au retour,
applicable aux étrangers non régularisés, au milieu de
l'opération, semble avoir conduit à des pratiques diverses selon
les préfectures.
Devant la commission d'enquête, le préfet des
Bouches-du-Rhône, de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et
de la zone de Défense Sud, a indiqué, le 2 avril 1998, que les
invitations à quitter le territoire faisaient systématiquement
référence, avant la circulaire du 19 janvier 1998, à
l'aide au retour.
Le préfet de Seine-Saint-Denis a au contraire précisé que
les étrangers dont la régularisation avait été
refusée avant la publication de la circulaire du 19 janvier 1998
n'avaient bénéficié d'aucune information spécifique
de la part de la préfecture au sujet de l'aide au retour.