C. COMMENT FAIRE RESPECTER LES DÉCISIONS D'ÉLOIGNEMENT PRISES EN APPLICATION DE LA LOI?
1. Un cadre juridique particulièrement inadapté
Les
difficultés pour une mise en oeuvre effective des mesures
d'éloignement existent en France indépendamment du contexte
particulier créé par l'application de la circulaire du 24 juin
1997.
Elles tiennent, en premier lieu, à un
cadre juridique
inadéquat.
Ces difficultés juridiques ayant été parfaitement mises en
lumière par M. Paul Masson, dans ses deux rapports établis, au
nom de la commission des Lois, sur les lois du 24 avril 1997 (n° 200,
1996-1997) et du 11 mai 1998 (n° 224, 1997-1998), il n'est pas
nécessaire de les développer à nouveau longuement dans le
cadre du présent rapport.
On soulignera cependant
l'exiguïté du délai de la
rétention administrative
, cause principale des difficultés
rencontrées par les services chargés de l'éloignement, qui
sont confrontés à des étrangers ayant détruit leurs
documents de voyage. Comme l'a relevé M. Paul Masson dans ses rapports
précités, de tels délais sont
uniques en Europe
.
Nos voisins européens, tout aussi soucieux que nous du respect des
droits fondamentaux de la personne humaine, n'hésitent pas à
prévoir une rétention des intéressés pendant des
délais beaucoup plus longs (six à douze mois en Allemagne) voire
sans limitation de durée (au Royaume-Uni).
Cette distorsion des règles en vigueur dans les différents
Etats de l'Union européenne mérite d'être à nouveau
soulignée à l'approche de débats sur la révision
constitutionnelle rendue nécessaire par la ratification du traité
d'Amsterdam, lequel fixe la perspective d'une harmonisation des
législations en matière d'immigration, sous l'égide de la
Commission européenne.
2. Des difficultés pratiques importantes : les reconduites par voie aérienne
La
décision du ministre de l'Intérieur de suspendre toute mesure de
reconduite à la frontière d'étrangers non
régularisés
jusqu'au 24 avril 1998
ainsi que
l'absence surprenante de statistiques particulières sur les reconduites
qui auraient été opérées depuis cette date,
l'absence également de dispositif spécifique pour effectuer ces
reconduites tendraient à prouver que le Gouvernement n'a aucune
intention d'accélérer le processus de retour administratif dans
les pays d'émigration.
Car, les difficultés pratiques pour mener à bien les mesures de
reconduites à la frontière existent et s'accroissent. La
perspective de la présence répertoriée de quelque
70.000
étrangers en situation irrégulière aurait pu
justifier, de manière urgente, une réflexion sur les
difficultés susceptibles de se présenter pour éloigner
ceux d'entre eux qui ne se seraient pas conformés à l'invitation
à quitter le territoire dont ils avaient reçu notification. Il
n'en a rien été.
La commission d'enquête a pour sa part considéré qu'il
était dans sa mission d'examiner et de rendre compte au Sénat des
difficultés dont elle aurait eu connaissance à ce sujet.
Même si ces difficultés -compte tenu des décisions
gouvernementales rappelées ci-dessus- n'ont pas concerné des
étrangers non régularisés, il n'en demeure pas moins
qu'elles constituent des informations essentielles quant à la
façon dont des mesures de reconduites à la frontière les
concernant pourraient être exécutées.
Au cours de sa mission, la commission d'enquête a eu connaissance de
plusieurs
incidents sérieux
qui se sont déroulés
à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à la fin du mois
de mars et au début du mois d'avril 1998.
Les
incidents survenus
à l'aéroport Roissy - Charles de
Gaulle
entre le 26 mars et le 7 avril 1998
Sur la
base des rapports établis par le service du contrôle de
l'immigration, dont votre rapporteur a demandé la communication, ces
incidents peuvent être relatés comme suit :
Jeudi 26 mars 1998
: 9 ressortissants maliens interpellés lors
d'occupations d'églises devaient être reconduits dans leur pays,
sous escorte de 18 fonctionnaires, par un vol d'Air Afrique.
A cette occasion, 30 à 50 militants des " comités
anti-expulsions " et de l'association " Jeunes contre le racisme en
Europe " se sont rassemblés afin de perturber le départ des
reconduits. Durant toute la matinée, jusqu'à 14 h 30, 6 ou
7 militants se sont sporadiquement manifestés sur les
aérogares pour distribuer aux passagers empruntant les vols à
destination de l'Afrique des tracts les appelant à s'opposer à
ces procédures. A partir de 14 h 30, le groupe de manifestants,
renforcé de quelques unités, s'est positionné devant les
banques d'enregistrement du vol.
Les 9 ressortissants maliens ont été embarqués sans
menottes (à la demande du commandant de bord). Ceux-ci s'étant
rebellés " dans un ensemble concerté ", le recours
à la force a dû être utilisé pour les menotter et les
maintenir sur leurs sièges. Cette intervention rendue houleuse par le
comportement des intéressés a duré 30 minutes, en
présence du commandant de bord. Les passagers ont alors pu embarquer
sans difficulté. Ceux d'entre eux situés dans les
dernières rangées avant la zone " tampon " ont
manifesté une certaine inquiétude devant les cris lancés
par les " éloignés ". Après l'intervention du
commandant de bord pour convaincre les passagers de gagner leurs sièges,
la situation étant restée stationnaire, le départ a
été décidé dans ces conditions vers 15 h 50.
L'avion a effectivement décollé à 16 h 09.
Vendredi 27 mars
: 5 étrangers reconduits à la
frontière (4 Maliens et 1 Guinéen) escortés de 8
fonctionnaires devaient être embarqués sur un vol d'Air France
à destination de Bamako.
Une cinquantaine de militants des " comités anti-expulsion "
et de l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont
rassemblés plus particulièrement devant la banque
d'enregistrement du vol et ont procédé à une brève
distribution de tracts.
A 10 h 30, les premiers passagers ont embarqué. L'escalier mobile pour
l'escorte a été mis en place à 10 h 50, soit 10 minutes
avant le départ du vol. L'embarquement des étrangers reconduits a
alors été immédiatement lancé. La situation a
dégénéré au moment de l'installation sur les
sièges. Dans l'altercation, un siège a été
cassé. En accord avec le commandant de bord -présent avec son
chef de cabine tout au long de l'altercation- il a alors été
décidé de débarquer les étrangers reconduits et
leur escorte.
Samedi 28 mars
: 12 ressortissants maliens sous escorte devaient
être reconduits à destination de Bamako, par un vol d'Air Afrique.
Une vingtaine de militants des " comités anti-expulsion " et
de l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont
rassemblés près de la banque d'enregistrement du vol et de celle
de la compagnie Air Afrique. Ils ont procédé à des
distributions de tracts, interpellant les passagers sur la présence dans
l'avion d'étrangers reconduits sous escorte policière. Pendant
l'enregistrement du vol, les manifestants ont demandé aux passagers de
protester contre cette présence auprès du personnel navigant et
du commandant de bord.
A 15 heures 15, les étrangers reconduits ont été
embarqués, l'escorte ayant été
prépositionnée dans l'appareil. Malgré la
résistance des intéressés, tous étaient
maîtrisés sur leur siège après vingt minutes. Vers
15 heures 45, l'embarquement des passagers a commencé. Une
quinzaine d'entre eux ont alors refusé de monter à bord en raison
de la présence d'étrangers reconduits.
Après avoir en définitive accepté de monter à bord,
ils ont, à l'intérieur de l'avion, refusé de s'asseoir,
empêchant certains passagers de prendre place et bloquant ainsi le
départ du vol. Le commandant de bord et le chef d'escale ont alors
décidé de demander à tous les passagers de
débarquer, le départ étant impossible si certains
passagers ne respectaient pas les règles de sécurité
(position assise et ceinture attachée). Les 12 ressortissants
maliens ont été placés en garde à vue et ont fait
l'objet de procédures judiciaires sur le fondement de l'article 27
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (délit de soustraction
à une mesure d'éloignement). Ils ont comparu, le
lundi 30 mars, devant le tribunal de grande instance de Bobigny.
Mardi 31 mars
: Des déplacements de militants des
" comités anti-expulsion " près des banques
d'enregistrement du vol Air France à destination de Bamako-Conakry et
d'Air Afrique à destination de Casablanca-Dakar sont signalés.
Les manifestants se sont entretenus avec quelques passagers en attendant la
clôture du vol. Aucune reconduite à la frontière
n'était programmée sur ces vols.
Mercredi 1er avril
: 7 ressortissants maliens devaient être
reconduits à destination de Bamako, sous escorte, par un vol d'Air
France, en exécution de mesures d'interdiction du territoire et
d'arrêtés de reconduite à la frontière.
Des militants des " comités anti-expulsion " et de
l'association " Jeunes contre le racisme en Europe " se sont rendus
par petits groupes aux abords des banques d'enregistrement du vol pour inciter
les passagers à "
s'opposer par tous les moyens à cette
opération
". 26 manifestants ont été
interpellés et ont fait l'objet d'un contrôle d'identité.
Jeudi 2 avril
: 3 ressortissants maliens faisant l'objet d'une mesure
d'éloignement devaient être reconduits vers Bamako,
escortés par 6 fonctionnaires, à bord d'un vol d'Air Afrique.
A l'instar des jours précédents, une vingtaine de militants des
" comités anti-expulsion " et de l'association " Jeunes
contre le racisme en Europe " se sont rassemblés devant les banques
d'enregistrement du vol concerné et ont entrepris une distribution de
tracts incitant les passagers à "
s'opposer par tous les
moyens
" à cette opération. 7 manifestants
interpellés ont fait l'objet d'une procédure pour provocation
directe à la rébellion (article 433-10 du code pénal).
Les étrangers reconduits ont été embarqués à
11 heures 35. A 11 heures 50, les passagers ont
commencé à embarquer. Certains passagers ont alors refusé
de s'asseoir tant que leur exigence que les étrangers reconduits soient
débarqués ne serait pas satisfaite. Après
débarquement de l'ensemble des passagers, 9 d'entre eux ont
été interpellés et ont fait l'objet d'une procédure
pour complicité d'aide au séjour irrégulier et outrage.
Les autres passagers ont alors été de nouveau embarqués,
dans le calme, et l'appareil a pu décoller, sans autre incident,
à 14 heures 31 avec les 3 étrangers reconduits et leur escorte.
Lundi 6 avril
: A l'appel de l'association " Droits devant ",
une centaine de militants de diverses associations, organisations politiques et
syndicales se sont rassemblés devant les banques d'enregistrement du vol
Air France à destination de Bamako. A cette occasion, divers
médias sollicités par les organisateurs pour couvrir ce
rassemblement étaient présents. Le porte-parole de l'association
" Droits devant " a retenu deux idées principales des
différentes interventions : l'organisation d'un nouveau rassemblement le
même jour devant le siège d'Aéroports de Paris et la
création d'une " brigade de casques blancs de surveillance "
chargée d'assister tous les jours à l'aéroport au
départ des vols transportant des étrangers reconduits
A la suite de ces différents incidents, la compagnie
Air France
a
décidé d'adopter, à compter du 3 avril, les mesures
suivantes à l'égard des reconduites d'étrangers
frappés d'une mesure d'éloignement :
- embargo total concernant les reconduites effectuées sur la ligne
Paris-Bamako ;
- acceptation d'un seul reconduit par vol impérativement
accompagné de deux fonctionnaires d'escorte sur toutes les autres
destinations intérieures ou internationales.
La compagnie
Air Afrique
a adopté les mêmes mesures
également à compter du 3 avril.
Cette décision des deux compagnies aériennes a été
portée à la connaissance des préfectures, le 3 avril, par
la DICCILEC.
Afin d'être en mesure d'informer complètement le Sénat, la
commission d'enquête a souhaité avoir des précisions sur
les relations qui ont été établies entre la compagnie Air
France et le ministère de l'Intérieur pour les reconduites par
voie aérienne d'étrangers faisant l'objet d'une mesure
d'éloignement.
C'est une
convention signée le 15 septembre 1994
qui
définit précisément les procédures applicables et
les modalités d'accompagnement lors des reconduites. Cette convention
est renouvelable chaque année par tacite reconduction.
Elle prévoit pour les avions gros porteurs deux fonctionnaires d'escorte
pour 4 à 6 reconduits, 3 fonctionnaires pour 7 à 9 reconduits et
4 fonctionnaires pour 10 à 12 reconduits.
Ces normes d'encadrement peuvent néanmoins être adaptées en
fonction des circonstances. Ainsi, les services de police peuvent
décider de renforcer les effectifs d'escorte présents sur
certains vols. De même, les incidents survenus, le 1er avril 1998,
à l'arrivée d'un vol d'Air France à Bamako, n'ont pu
être maîtrisés qu'avec le renfort de 3 agents de
sécurité d'Air France présents sur le vol et venus appuyer
les 16 fonctionnaires de police en charge de 7 étrangers reconduits.
A la suite de trois réunions tenues les 6, 10 et 22 avril 1998, des
mesures transitoires
ont été arrêtées par Air
France et le ministère de l'Intérieur. Prévues pour
s'appliquer pendant une durée de
six mois
, elles doivent faire
l'objet de réunions mensuelles destinées à envisager leur
maintien ou leur suppression. Elles sont entrées en vigueur depuis le
lundi 27 avril.
Ces mesures transitoires prévoient qu'à destination de Bamako,
un seul étranger reconduit sera accepté sur un même vol,
avec quatre agents d'escorte.
A destination des autres pays d'Afrique (à l'exception du Maghreb) et de
la Chine un étranger reconduit sera accompagné de deux agents
d'escorte. Six agents d'escorte seront requis pour deux étrangers
reconduits et neuf pour trois étrangers reconduits. Pour les autres
destinations y compris le Maghreb, deux agents d'escorte seront prévus
pour un étranger reconduit, cinq agents pour deux étrangers
reconduits et sept pour trois étrangers reconduits.
Sur l'ensemble des destinations, deux étrangers reconduits sans escorte
seront admis par vol. A destination de Cayenne et Haïti, trois
étrangers sans escorte seront admis.
Ces mesures transitoires prévoient également que ne pourront plus
être embarqués sur un même vol des étrangers
reconduits sans escorte et des étrangers reconduits avec escorte.
Ces constatations conduisent la commission d'enquête à formuler
deux séries d'observations qui concernent, d'une part, la
nature des
difficultés
rencontrées pour mener à bien les
reconduites par voie aérienne et, d'autre part, les
conséquences
qu'il convient d'en tirer.
• S'agissant de la
nature des difficultés
rencontrées
, il convient tout d'abord d'observer qu'elles concernent
essentiellement quelques destinations : le Mali, le Zaïre pour lequel Air
France n'assure pas actuellement de vol, le Congo et la Chine.
Des incidents peuvent se produire principalement au décollage et
à l'atterrissage de l'avion. Les témoignages devant la commission
d'enquête de commandants de bord d'Air France ont mis en évidence
les conséquences graves qui pourraient résulter pour la
sécurité même du vol de certains comportements à
l'intérieur de l'avion.
Les conditions pratiques des reconduites : une mise au point nécessaire
Face
à certaines polémiques dont la presse s'est fait l'écho,
la commission d'enquête a souhaité recueillir des informations sur
les conditions pratiques dans lesquelles se déroule l'escorte des
étrangers reconduits par voie aérienne.
Interrogé par votre rapporteur le 23 avril 1998,
M. André Bizeul, chef du service de contrôle de l'immigration
de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle, a fait observer que les
étrangers reconduits n'étaient pas entravés pour leur
entrée dans l'avion. Après avoir indiqué que, si
nécessaire, des menottes pouvaient leur être appliquées
jusqu'au décollage, il a précisé que les menottes
pouvaient être remplacées par une bande plastique qui
présentait moins de risques. Il a également souligné que
contrairement à ce qu'avaient pu affirmer certains tracts, des
bâillons n'avaient jamais été utilisés.
Invité à répondre à la même question le
30 avril 1998, M. Jean-Louis Ottavi, directeur central du
contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins
(DICCILEC), a déclaré que les étrangers
éloignés par voie aérienne n'étaient jamais
bâillonnés ou drogués.
Ces informations ont été confirmées le même jour par
M. Jean-Cyril Spinetta, président directeur
général du groupe Air France, qui a fait observer que les
personnes reconduites pouvaient être entravées ou non selon les
cas.
M. Joël Cathala, directeur de la sûreté du groupe Air
France, a ajouté que les services de police appréciaient la
nécessité d'entraver ou non les personnes reconduites. Il a
confirmé que les personnes reconduites n'étaient jamais
bâillonnées ou droguées.
Enfin, lors de sa seconde audition par la commission d'enquête, le
12 mai 1998, M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de
l'Intérieur, a tenu à démentir solennellement les
" allégations mensongères " selon lesquelles des
étrangers seraient " bâillonnés ou
drogués ". Il a déclaré : " Cela n'a jamais
existé. Cela relève de la fantasmagorie ".
Les manifestations d'hostilité aux reconduites, organisées dans
les aérogares par des " comités de défense ",
contribuent à créer un environnement de nature à mettre en
cause le bon déroulement de l'opération. Ainsi,
l'appel aux
passagers
pour qu'ils fassent obstacle à une mesure
d'éloignement est susceptible de sensibiliser les compatriotes des
reconduits.
Ces tentatives d'obstruction à l'application de la loi
ne sont pas
admissibles.
Pour autant, ces agissements ne semblent pas avoir empêché
gravement le déroulement des opérations de reconduites par voie
aérienne. Après la décision de la compagnie Air France de
suspendre ces reconduites, les services de police ont eu recours à
d'autres compagnies qui ont accueilli sur leurs vols des étrangers
reconduits et leur escorte.
Depuis le 27 avril, les mesures transitoires arrêtés par le
ministère de l'Intérieur et Air France ont permis la reprise des
reconduites à destination de Bamako sur les vols de cette compagnie.
Il n'en demeure pas moins que les préoccupations exprimées par
les responsables de celle-ci et par les commandants de bord ne peuvent
être sous-estimées.
Devant la commission d'enquête, M. Jean-Cyril Spinetta, Président
directeur général d'Air France, a estimé que les
difficultés rencontrées
n'étaient pas ponctuelles
.
Il a souligné que des incidents à répétition
s'étaient produits depuis deux ans à destination du Mali.
116 incidents de ce type ont été recensés
sur
l'ensemble du réseau
depuis le 16 novembre 1996.
M. Jean-Cyril Spinetta a fait observer que la compagnie Air France avait une
responsabilité propre, portant exclusivement sur la
sécurité du vol et des passagers. Il a considéré
que le statut d'Air France ne lui imposait pas, en matière de reconduite
d'étrangers, d'obligations spécifiques de service public.
Les
missions du commandant de bord
(textes de références)
1. CODE
DE L'AVIATION CIVILE (extraits)
Article L. 322-4 :
Le commandant de bord a la faculté de débarquer toute personne
parmi les passagers qui peut présenter un danger pour la
sécurité ou le bon ordre à bord d'un aéronef.
Article L. 422-2 :
Le commandant de bord est responsable de l'exécution de la mission (...).
Article L. 422-3 :
Le commandant de bord a autorité sur toutes les personnes
embarquées. Il a la faculté de débarquer toute personne
parmi l'équipage ou les passagers ou toute partie du chargement qui peut
présenter un danger pour la sécurité, la salubrité,
ou le bon ordre à bord de l'aéronef (...).
2. CONVENTION DE TOKYO (extraits)
Article 1er :
1. La présente Convention s'applique :
- aux infractions aux lois pénales,
- aux actes qui, constituant ou non des infractions, peuvent compromettre la
sécurité de l'aéronef ou de personnes ou de biens à
bord, ou compromettent le bon ordre et la discipline à bord.
2. Sous réserve des dispositions du titre III, la présente
Convention s'applique aux infractions commises ou actes accomplis par une
personne à bord d'un aéronef immatriculé dans un
État contractant pendant que cet aéronef se trouve, soit en vol,
soit à la surface de la haute mer ou d'une région ne faisant pas
partie du territoire d'aucun État.
Article 6 :
1- Lorsque le Commandant d'aéronef est fondé à croire
qu'une personne a commis ou accompli ou est sur le point de commettre ou
d'accomplir à bord une infraction ou un acte, visé à
l'article 1er, paragraphe 1, il peut prendre, à l'égard de cette
personne, les mesures raisonnables, y compris les mesures de contrainte, qui
sont nécessaires :
a) pour garantir la sécurité de l'aéronef ou de personnes
ou de biens à bord,
b) pour maintenir le bon ordre et la discipline à bord,
c) pour lui permettre de remettre ladite personne aux autorités
compétentes ou de la débarquer conformément aux
dispositions du présent titre.
2- Le Commandant d'aéronef peut requérir ou autoriser
l'assistance des autres membres de l'équipage et, sans pouvoir l'exiger,
demander ou autoriser celle des passagers en vue d'appliquer les mesures de
contrainte qu'il est en droit de prendre. Tout membre d'équipage ou tout
passager peut également prendre, sans cette autorisation, toutes mesures
préventives raisonnables, s'il est fondé à croire qu'elles
s'imposent immédiatement pour garantir la sécurité de
l'aéronef ou de personnes ou de biens à bord.
Article 8 :
1- Lorsque
le Commandant d'aéronef est fondé à
croire qu'une personne a accompli ou est sur le point d'accomplir à bord
un acte visé à l'article 1er, paragraphe 1.b, il peut
débarquer cette personne sur le territoire de tout État où
atterrit l'aéronef pour autant que cette mesure soit nécessaire
aux fins visées à l'article 6, paragraphe 1, a ou b.
2- Le Commandant d'aéronef informe les autorités de l'Etat sur
le territoire duquel il débarque une personne, conformément aux
dispositions du présent article, de ce débarquement et des
raisons qui l'ont motivé.
Article 9 :
1- Lorsque le Commandant d'aéronef est fondé à croire
qu'une personne a accompli à bord de l'aéronef un acte qui, selon
lui, constitue une infraction grave, conformément aux lois
pénales de l'Etat d'immatriculation de l'aéronef, il peut
remettre ladite personne aux autorités compétentes de tout
État contractant sur le territoire duquel atterrit l'aéronef.
2- Le Commandant d'aéronef doit, dans les moindres délais et si
possible avant d'atterrir sur le territoire d'un État contractant avec
à bord une personne qu'il a l'intention de remettre conformément
aux dispositions du paragraphe précédent, faire connaître
cette intention aux autorités de cet État ainsi que les raisons
qui la motivent.
3- Le Commandant d'aéronef communique aux autorités auxquelles
il remet l'auteur présumé de l'infraction, conformément
aux dispositions du présent article, les éléments de
preuve et d'information qui, conformément à la loi de l'Etat
d'immatriculation de l'aéronef, sont légitimement en sa
possession.
Article 12 :
Tout Etat contractant doit permettre au Commandant d'un aéronef
immatriculé dans un autre Etat contractant de débarquer toute
personne conformément aux disposition de l'article 8, paragraphe 1.
Article 13 :
Tout État contractant est tenu de recevoir une personne que le
Commandant d'aéronef lui remet conformément aux dispositions de
l'article 9, paragraphe 1.
Ces difficultés ainsi identifiées, la commission d'enquête
considère qu'elles ne sauraient remettre en cause les reconduites
d'étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement par la
voie aérienne, notamment par l'utilisation des compagnies
nationales.
C'est, en effet, le droit de tout Etat souverain de faire
respecter les règles d'entrée et de séjour sur son sol et
de reconduire à ses frontières par les moyens appropriés
ceux qui y ont pénétré et s'y sont maintenus en violation
de ses lois.
Les agissements tendant à faire obstacle à l'exécution des
mesures d'éloignement, c'est-à-dire à l'application de la
loi,
doivent être sanctionnés.
Les
sanctions applicables en cas d'obstacle
à une mesure
d'éloignement
- Le
refus d'un étranger d'embarquer dans l'avion en violation d'une mesure
de reconduite à la frontière est constitutif du délit
prévu et puni par l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
(soustraction à une mesure de reconduite à la frontière).
Ce délit est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement. La
complicité expose son auteur aux mêmes peines.
- L'article 282-1 du code de l'aviation civile punit d'un emprisonnement de
cinq ans et d'une amende de 120 000 francs ou de l'une de ces deux
peines seulement, sans préjudice le cas échéant des
articles 322-1 à 322-11 et 322-15 du code pénal (réprimant
les destructions, dégradations et détériorations),
quiconque aura
volontairement entravé de quelque manière que
ce soit la navigation ou la circulation des aéronefs.
- L'attaque ou la résistance avec violence et voies de fait envers les
agents préposés à la garde ou au fonctionnement des
aérodromes dans l'exercice de leurs fonctions est punie de peines
applicables à la
rébellion
(six mois d'emprisonnement et
50 000 francs d'amende).
- Sur un plan général, le fait d'opposer une résistance
violente à une personne dépositaire de l'autorité publique
ou chargée d'une mission de service public, agissant, dans l'exercice de
ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de
l'autorité publique, des décisions ou mandat de justice,
constitue une
rébellion
passible des peines mentionnées
ci-dessus (articles 433-6 et 433-7 du code pénal).
- La
provocation directe à la rébellion
manifestée
soit par des cris ou des discours publics, soit par des écrits
affichés ou distribués, soit par tout autre moyen est punie de 5
000 francs d'amende (article 433-10 du code pénal).
Une politique de fermeté pour faire cesser de tels agissements
devrait s'accompagner d'une réflexion sur les modalités de ces
reconduites. Une telle réflexion doit être engagée en
concertation avec nos partenaires européens.
Au cours de ses auditions, la commission d'enquête a eu des échos
assez contradictoires sur les difficultés rencontrées dans ce
domaine par les Etats voisins.
Elle a surtout constaté le manque
d'informations des responsables administratifs et des transporteurs sur les
procédures mises en oeuvre.
En outre, les pays d'origine -
le plus souvent liés à la France
par des accords de coopération
- devraient être mieux
sensibilisés à l'importance que la France accorde à ce que
ces reconduites puissent se dérouler dans de bonnes conditions. La bonne
volonté des autorités de ces pays pour délivrer, si
nécessaire, des laissez-passer consulaires mais aussi pour faciliter la
prise en charge des étrangers reconduits à leur descente de
l'avion et assurer, en cas de besoin, la sécurité des
équipages et des fonctionnaires d'escorte, est un des moyens les plus
appropriés pour assurer la sérénité des vols.
Les
conséquences d'une sensibilisation insuffisante des pays d'origine
des étrangers reconduits : le risque d'une incompréhension
croissante
Le
manque d'affirmation d'une orientation claire sur les intentions de la France
en matière de flux migratoires ne peut que retentir de manière
négative sur la perception qu'ont de cette politique les pays
d'émigration. Ces tergiversations entretiennent l'idée fausse que
les ressortissants de l'un de ces pays qui se sont maintenus en situation
irrégulière sur le territoire français seraient avant tout
des victimes.
Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a eu connaissance d'un
compte rendu de la presse malienne sur la reconduite de sept ressortissants
maliens par un vol régulier d'Air France. Sous le titre "
La
galère des sept. Les charters ont été supprimés
mais les expulsions se poursuivent dans le bruit et la fureur
", le
journal L'Essor du 3 avril débute le compte rendu de cette reconduite
par les termes " colère, révolte, indignation ". Le
journal fait état des griefs des reconduits à l'encontre de
l'ambassade du Mali à Paris à laquelle il est reproché de
coopérer avec les policiers français en délivrant des
laissez passer lorsqu'il est établi que la personne arrêtée
est de nationalité malienne. Il relève que depuis l'arrêt
des charters décidé par le Gouvernement Jospin, les
"
expulsions
" se font par des vols réguliers;
"
ce qui occasionne des désagréments d'un autre ordre
pour les autorités françaises
" en raison des
manifestations de certaines associations à l'aéroport de
Roissy-Charles de Gaulle. Ces manifestations sont présentées
comme ayant permis de "
médiatiser un événement
que les autorités françaises auraient
préféré voir se dérouler dans la
discrétion
".