C. LE RAPPORT GISSEROT FOURNIT UNE BASE DE RÉFLEXION PARTICULIÈREMENT RICHE POUR REPENSER LA POLITIQUE FAMILIALE DONT NOTRE PAYS A BESOIN
Il serait ainsi dommage de ne pas tirer profit du remarquable
travail accompli par le comité de pilotage. Aussi votre rapporteur
souhaite-t-il rappeler les principales propositions énoncées par
le rapport de Mme Gisserot.
Ce rapport souligne la nécessité d'une politique familiale
clairement énoncée, dotée d'outils efficaces et qui puisse
redonner confiance aux familles quant à la continuité des efforts
des pouvoirs publics à leur égard. L'enjeu est de fournir
à la famille, cellule fondamentale du tissu social, un environnement
propice à la venue de l'enfant ainsi qu'à son intégration
sociale, économique et culturelle jusqu'à l'âge adulte.
Le rapport souligne que les instruments de la politique familiale ne sont plus
adaptés à la multiplication des besoins spécifiques
engendrés par l'évolution du cadre familial. La famille a
changé : ce constat s'impose au comité de pilotage et oblige
à une réforme de la politique familiale. Des mesures ponctuelles
ont marqué l'abandon des références au mariage comme
modèle unique familial, elles ont établi des condition de
ressources au versement des prestations, selon un système de
redistribution verticale, et favorisé la prise en compte de
l'activité professionnelle des femmes. Lorsque l'on considère de
surcroît le développement des aides spécifiques (familles
monoparentales et handicapés), on aboutit à une politique
" illisible et incohérente ".
Pour les auteurs du rapport, la politique familiale doit avoir pour objectif
principal la compensation des charges familiales pour
" assurer
l'égalité de niveau de vie entre ceux qui ont des enfants et les
autres "
selon un principe de redistribution horizontale, de
préférence à des aides ciblées uniquement sur les
naissances et à des mesures strictement sociales. Toutefois, ces deux
dernières catégories de mesures ne doivent pas pour autant
être abandonnées. La perspective doit être une meilleure
prise en compte du
" cycle de vie familiale "
au
moyen d'une
action multidimensionnelle qui place le
" fait
familial "
au
coeur de l'ensemble des politiques publiques. Cette politique ne saurait se
satisfaire d'une stagnation voire d'une diminution des ressources de la
branche ; le principe de redéploiements est admis, dans la mesure
où le produit de ceux-ci bénéficie à la branche
famille. Le comité de pilotage réaffirme son opposition à
la fiscalisation des prestations, exception faite de celles ayant le statut de
revenu de substitution et versées au parent restant au foyer, telles que
l'APE.
Le comité estime que de nouvelles mesures sont nécessaires pour
appliquer la réforme de la politique familiale : les aides aux
familles ayant de "
grands enfants
" à charge et les
aides au logement doivent être prioritaires.
Le comité propose la création d'un code de la famille qui
rassemble tous les textes qui intéressent cette dernière, d'un
comité interministériel de la famille et d'un observatoire de la
famille pour renforcer la cohérence de cette politique, mieux assurer
son application, et se donner les moyens de son évaluation. Il
suggère notamment la détermination d'un indice du coût de
l'enfant. La stabilité familiale doit être confortée,
à travers une réhabilitation du mariage et la suppression des
distorsions qui le frapperaient au regard d'autres modes de vie. Pour faciliter
la vie familiale, le comité suggère l'assouplissement des
horaires de travail des parents d'enfants en bas âge.
De plus, le financement de la branche famille ne doit plus reposer sur la seule
masse salariale, il pourrait s'appuyer sur une cotisation patronale
calculée sur la valeur ajoutée.
Le rapport souligne qu'il est important de garantir les ressources de la
branche famille afin d'éviter par exemple des transferts aux autres
branches. Des redéploiements sont possibles, notamment en ce qui
concerne l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). Ce
mécanisme pourrait être renégocié pour
dégager 5 à 6 milliards de francs au profit de la branche
famille. Une réforme restrictive de l'allocation de logement sociale
(ALS) pourrait dégager 1 à 2 milliards de francs.
Le rapport suggère également une plus grande cohérence des
aides à la petite enfance (AFEAMA, AGED, déductions fiscales et
abattements de cotisations sociales). A cette fin,
" un
rééquilibrage vers les équipements et services d'accueil
de la petite enfance doit être opéré "
au moyen
par exemple de la création de schémas départementaux
d'aide à la petite enfance chargés de rationaliser l'allocation
des moyens.
Pour aider les familles ayant de
" grands enfants "
à
charge, les allocations familiales doivent être versées
jusqu'à 20 ans comme le prévoit la loi sur la famille du 25
juillet 1994, mais cette mesure doit être appliquée dès
maintenant, par anticipation, en prenant garde à ce que les jeunes
suivant une formation en alternance ne soient pas pénalisés ; de
plus, l'accès aux soins devrait être assuré grâce
à l'affiliation à l'assurance maladie des parents.
Le rapport considère que les aides au logement doivent être
simplifiées, les barèmes fusionnés et les plafonds
d'octroi rehaussés. L'offre locative doit être
développée ainsi que les logements pour les jeunes. Il
conviendrait également de favoriser un
" tutorat "
des
jeunes par des travailleurs plus âgés pour aider à leur
insertion professionnelle.
Afin de favoriser le
" temps familial "
, le congé
parental pourrait devenir un
" chèque temps
parental
"
ouvert par périodes fractionnées ; les horaires variables en
entreprise ainsi qu'un
" compte épargne temps "
pourraient être développés
La rapport considère que l'allocation parentale d'éducation (APE)
pour deux enfants devrait être réservée aux parents qui
interrompent véritablement une activité professionnelle. En
revanche, toute référence à une activité
professionnelle antérieure devrait être supprimée pour le
versement de l'APE à l'occasion des naissances de rang 3 et plus. Un
droit à la formation professionnelle doit être prévu.
Afin d'aider les familles monoparentales, la comité de pilotage propose
que l'allocation parent isolé soit transformée en un
complément du RMI, ce qui supposerait la création d'un projet
d'insertion. Le versement de l'API devrait être maintenu un certain
temps, même si le bénéficiaire n'est plus seul, dès
lors qu'il y a respect du contrat d'insertion.
Enfin, le comité de pilotage juge nécessaire de
" solvabiliser "
les familles en favorisant l'épargne
familiale avec une aide de l'Etat destinée financer des projets
familiaux (compte bloqué ou capitalisation des allocations familiales)
ainsi que la création d'un " fond de solidarité
familial " qui permettrait de faire aux situations de chômage et de
dépendance.
Sans se prononcer sur chacune des mesures évoquées, qui demandent
un examen attentif et discriminant, votre rapporteur souhaite reprendre
à son compte les réflexions menées par le comité de
pilotage sur
" ce que doit être une politique
familiale ".
Il approuve la suggestion du rapport d'inscrire la politique familiale au cur
de l'action gouvernementale afin de manifester une volonté fondée
sur un projet politique inscrit dans la durée.
La politique familiale doit asseoir la confiance dans l'avenir : elle
deviendra, estime le rapport, le noyau central de toutes les actions
entreprises par le Gouvernement à partir du moment où elle
apparaîtra comme la meilleure façon d'assurer la vie en
société, son épanouissement et son développement
durable. La politique familiale doit donc s'inscrire dans une perspective
résolument dynamique : elle doit être synonyme de confiance,
d'avenir et d'investissement.
A l'instar du comité de pilotage, votre rapporteur souhaite rappeler que
beaucoup de familles sont heureuses et stables ; elles assurent
l'essentiel des solidarités, maintiennent le tissu social et sont un
facteur de stabilité, de fécondité et de
prospérité.
La famille est un lieu d'apprentissage permanent et de développement
personnel. C'est aussi le lieu de solidarité entre les
générations.
La crise de la famille est préjudiciable à l'ensemble de la
société :
" l'éclatement de la famille a un
coût ",
souligne le rapport qui évoque les effets induits
des familles brisées : délinquance, drogue, inadaptation
à la vie sociale et professionnelle. A cet égard, et comme le
souligne avec pertinence les auteurs du rapport
, " il faut aussi
considérer ce qu'il en coûte de ne pas investir dans la
famille ".
La famille est aussi source de prospérité économique pour
la société. L'investissement dans la famille est donc un
impératif absolu. Les enfants qu'élèvent les familles
seront les actifs et les cotisants de demain.
Le rapport suggère un cadre de référence auquel souscrit
votre rapporteur :
- la liberté de choix est essentielle : il faut permettre
à la famille d'assumer librement ses responsabilités et son
devenir. Ceci suppose le développement du temps choisi pour que les
parents puissent concilier aspirations professionnelles et désirs
familiaux, la reconnaissance du rôle des parents au foyer et de la valeur
de leur activité ;
- toute action doit être inscrite dans la durée et
fondée sur une réelle prise en compte des échanges entre
les générations : il s'agit de reconnaître et de
partager le coût de l'enfant, de définir les allocations
compensatrices dues par la société en contrepartie des services
rendus par les familles ;
- il faut rendre la société plus accueillante aux familles
et améliorer l'image de la famille dans l'opinion.
Votre rapporteur ne peut qu'approuver le comité de pilotage lorsque
celui-ci indique que le Gouvernement devrait mettre l'accent sur
l'importance :
- de solvabiliser les familles,
- d'inscrire dans la durée toute mesure en faveur de ceux qui ont
des enfants et consacrent du temps et de l'argent à leur
éducation ;
- de mettre en cohérence les mesures et législations
ponctuelles de telle sorte qu'elles ne viennent pas entraver la vie familiale.
Il s'agit d'aider la famille et non de se substituer à elle, de la
restaurer dans ses moyens et ses prérogatives, de l'encourager et non de
la remplacer, de lui donner le statut juridique de sa légitime autonomie.
Au regard des enjeux, les mesures proposées par le rapport de
Mme Gisserot peuvent sembler parfois timides. Votre rapporteur estime
néanmoins que les principes fondamentaux dégagées à
l'occasion de ce travail collectif constituent une base de réflexion
relativement consensuelle et susceptible d'être acceptée par tous.
Il formule le souhait que la démarche volontariste et ambitieuse qui
animait la conférence de la famille ne soit pas abandonnée.
La politique familiale ne devrait pas être un terrain d'affrontements
politiques car il en va de l'avenir de notre pays ; elle devrait être la
politique de la Nation tout entière.
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Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle propose dans le tome IV du présent rapport, et notamment de la suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales, votre commission vous demande d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 pour ses dispositions relatives à la famille.