E. AUDITION DE M. JEAN-PAUL PROBST, PRÉSIDENT DE LA CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF)
Réunie le jeudi 16 octobre 1997, sous la
présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la
commission a procédé à l'audition de
M. Jean-Paul
Probst, président de la caisse nationale des allocations familiales
(CNAF),
dans le cadre des
auditions
sur le
projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998
.
M. Jean-Paul Probst
a tout d'abord déclaré que le projet
de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 ne pouvait
convenir à la CNAF, dans la mesure où il prévoyait la mise
sous condition de ressources du versement des allocations familiales. Il a
souhaité rappeler la finalité très particulière de
la branche famille de la sécurité sociale qui consiste à
aider les parents à assumer la responsabilité des enfants
jusqu'à ce que ceux-ci aient atteint l'âge adulte. Il a
souligné que la politique familiale était donc l'expression de
l'effort de solidarité de la société tout entière
en faveur des familles : il s'agissait, en effet, de compenser la diminution de
revenus disponibles liée à la naissance des enfants. Il s'est
déclaré très attaché à ce principe de
compensation horizontale.
M. Jean-Paul Probst
a rappelé que le taux de
fécondité de notre pays se situait aujourd'hui à 1,7 alors
que le taux de renouvellement des générations était
estimé entre 2,05 et 2,1. Dans ces conditions, la France était
entrée dans un processus de vieillissement qui allait affecter à
la fois le dynamisme de notre pays et l'équilibre des comptes sociaux.
M. Jean-Paul Probst
a ensuite évoqué les deux
théories fondamentales sur lesquelles reposaient les systèmes de
protection sociale. Dans la théorie bismarckienne, née en
Allemagne à la fin du siècle dernier, l'ouverture de droits
sociaux était conditionnée à une contribution ; dans la
théorie beveridgienne, issue des travaux de William Beveridge, l'Etat se
devait d'assurer et de financer un socle minimal de protection sociale.
Il a considéré que le système français s'inspirait
à la fois - avec sa protection sociale et ses minima sociaux - de la
théorie bismarckienne et de la théorie beveridgienne. Estimant
que la mise sous condition de ressources des allocations familiales remettait
en cause le principe selon lequel toute contribution ouvrait un droit, il a
souligné qu'une telle évolution risquait de provoquer des
contestations croissantes de certaines parties de la population à
l'égard des fondements même de notre protection sociale. Il a
craint que le principe d'une mise sous condition de ressources puisse
être éventuellement étendu à d'autres branches : il
a souligné que certaines études envisageaient déjà
le versement sous condition de ressources des prestations d'assurance maladie.
Il a, en outre, précisé que les allocations familiales
constituaient la dernière prestation versée à l'ensemble
de la population.
M. Jean-Paul Probst
a considéré que les seuils de
ressources choisis posaient plus un problème de principe que de niveau.
Il a expliqué que ces seuils pourraient être
réexaminés chaque année et risquaient de constituer
à l'avenir une variable d'ajustement permettant d'assurer
l'équilibre de la branche famille.
M. Jean-Paul Probst
a indiqué que la mise sous condition de
ressources des allocations familiales toucherait 350.000 familles
dès 1998 et a ajouté que 35.000 familles situées
juste au-dessus du seuil ne percevraient en outre qu'une allocation
différentielle.
Il a considéré que la mise sous condition de ressources des
allocations familiales constituait un mécanisme d'exclusion
systématique et progressive de nombreuses familles chaque année.
Il a ajouté que ces familles quitteraient dès lors les fichiers
de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et seraient difficiles
à identifier si leur situation financière se dégradait
brusquement.
M. Jean-Paul Probst
a ensuite rappelé que la branche famille
n'avait pas vocation à faire de la redistribution et à se
substituer ainsi à la fiscalité.
Evoquant la méthode du Gouvernement, il a dénoncé
l'absence de concertation et d'étude préalable ; il a
également déploré que l'on mette fin brutalement à
un principe fondateur de notre protection sociale alors même que le
Gouvernement annonce pour l'année prochaine le lancement d'une
réflexion de fond consacrée à la politique familiale. Il a
souligné qu'il aurait sans doute été
préférable d'adopter une méthode inverse :
étude puis modification, et non modification puis étude.
M. Jean-Paul Probst
a considéré que le seul point positif
pour les familles du projet de loi de financement était la
généralisation à tous les enfants âgés de 18
à 19 ans du droit aux prestations familiales.
Evoquant le déficit de la branche famille,
M. Jean-Paul Probst
a
tenu à rappeler que la branche famille avait été
excédentaire pendant de très nombreuses années et que l'on
avait profité de cette situation pour lui imputer un certain nombre de
charges indues et pour opérer sur elle des prélèvements au
profit des branches maladie et vieillesse. Il a ajouté que le
déficit actuel était aussi le résultat d'une situation
économique générale marquée par des
phénomènes de pauvreté et de
précarité : de plus en plus de personnes demandaient
à bénéficier des prestations familiales, des prestations
logement, des minima sociaux...
M. Jean-Paul Probst
a conclu son intervention en déclarant que le
Gouvernement prenait une très lourde responsabilité en
choisissant de détruire le dispositif actuel des allocations familiales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, est alors intervenu pour
indiquer qu'il partageait totalement ce point de vue.
M. Jacques Machet
,
rapporteur pour la branche famille
, a
interrogé
M. Jean-Paul Probst sur plusieurs points.
Il a d'abord souhaité connaître le nombre d'enfants
concernés par la mise sous condition de ressources des allocations
familiales et les conséquences de cette mesure sur les situations
respectives des couples mariés et des couples vivant en union libre.
M. Jacques Machet
,
rapporteur pour la branche famille,
a
également demandé quel serait l'impact sur l'emploi de la
diminution de moitié de l'allocation de garde d'enfant à domicile
(AGED). Il a souhaité connaître les propositions de la CNAF pour
réduire le déficit de la branche famille et la position de la
caisse quant à la généralisation de 18 à 19 ans du
droit aux prestations familiales. Enfin, il s'est enquis du coût pour la
CNAF de la mise en conformité avec les arrêts du Conseil d'Etat
portant sur la revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales
pour les années 1993 et 1995.
En réponse à M. Jacques Machet, rapporteur pour la branche
famille,
M. Jean-Paul Probst
a précisé que 1.000.000
d'enfants environ seraient concernés par la mise sous condition de
ressources des allocations familiales. Il a ajouté que cette mesure
pourrait induire en outre une modification des comportements des
Français au détriment du mariage.
S'agissant de la diminution de moitié de l'allocation de garde d'enfant
à domicile (AGED), il a indiqué qu'il était difficile
d'évaluer les conséquences du cumul de cette disposition et de la
diminution de moitié de la déduction fiscale pour les emplois
familiaux. Il a néanmoins considéré qu'il était
probable qu'un certain nombre d'employeurs opteraient pour des
déclarations partielles d'emplois ou pour le travail au noir. Il a
ajouté qu'en diminuant l'AGED, on diminuerait également les
recettes de cotisations sociales.
S'agissant des moyens de diminuer le déficit de la CNAF,
M. Jean-Paul Probst
a proposé que l'on réexamine le
dispositif du versement de 20 milliards de francs par an de la CNAF
à la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs
salariés (CNAVTS) représentatif des cotisations vieillesse des
parents au foyer. Il a estimé qu'il s'agissait là d'un transfert
sans doute excessif et qu'il serait possible de récupérer quatre
à cinq milliards de francs par an. Il a par ailleurs indiqué que
M. Jean-François Chadelat, membre de l'Inspection
générale des affaires sociales, s'était vu confier par M.
Alain Juppé une mission d'évaluation de ce dispositif. Il a
précisé que cette mission avait été
confirmée par le Premier ministre, M. Lionel Jospin.
M. Jean-Paul Probst
a également évoqué les charges
indues imposées à la CNAF : la gestion à titre
gratuit du dispositif du revenu minimum d'insertion (RMI), pour un coût
compris entre 1,5 et 2 milliards de francs, le financement du fonds
d'action sociale des travailleurs immigrés et de leur famille (FASTIF),
pour un montant de un milliard de francs.
M. Jean-Paul Probst
s'est dit favorable à une simplification des
trois prestations logement versées par la CNAF et a proposé de
fusionner l'aide personnalisée au logement (APL), l'allocation de
logement familiale (ALF) et l'allocation de logement à caractère
social (ALS).
En réponse à une question de
M. Jean-Pierre Fourcade,
président
, il a précisé que le coût de la
revalorisation de 1,1 % de la base mensuelle des allocations familiales,
prévue pour 1998, s'élevait à un peu plus de
2,5 milliards de francs.
En réponse à M. Jacques Machet, rapporteur pour la branche
famille, il s'est déclaré favorable au principe de la
généralisation à tous les enfants âgés de 18
à 19 ans du droit aux prestations familiales proposé par le
Gouvernement. Il a indiqué que cette mesure coûterait
540 millions de francs en année pleine. Evoquant l'éventuel
passage de 19 à 20 ans du droit aux prestations familiales, il a
précisé que ce coût serait alors doublé et qu'il
fallait prévoir 6 milliards de francs supplémentaires pour
un passage de 20 à 22 ans.
Répondant toujours à M. Jacques Machet, rapporteur pour la
branche famille,
M. Jean-Paul Probst
a ensuite évalué
le coût pour la CNAF de la mise en conformité avec les
arrêts du conseil d'Etat portant sur la revalorisation de la base
mensuelle des allocations familiales pour 1993 et 1995. Il a expliqué
qu'il fallait distinguer la revalorisation juridiquement nécessaire pour
1993, mais dont le montant pourrait être symbolique, et la revalorisation
pour 1995, dont le coût serait de 600 millions de francs par an pour
les années 1995, 1996 et 1997. Il a précisé que cette
revalorisation avait été annoncée par le Gouvernement pour
le mois de novembre 1997.
M. Jean Chérioux
s'est inquiété des
conséquences démographiques de la mise sous condition de
ressources des allocations familiales ; il a estimé que les
dispositifs de politique familiale semblaient aujourd'hui privilégier
les petites familles plutôt que les familles nombreuses. Il a
souhaité connaître les premiers enseignements de la loi relative
à la famille de 1994.
M. Jean-Louis Lorrain
s'est inquiété de la situation, au
regard des mesures gouvernementales, des femmes seules élevant un enfant.
Mme Dinah Derycke
a estimé que la politique nataliste avait
échoué en France pour des raisons liées aux
difficultés des conditions de vie actuelles de nombreuses familles. Elle
a souhaité connaître l'opinion de la CNAF quant à une
éventuelle diminution du quotient familial et demandé à M.
Jean-Paul Probst quelles étaient ses propositions pour permettre aux
millions de femmes qui travaillaient de pouvoir concilier vie professionnelle
et vie familiale.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour la branche vieillesse,
a
souhaité connaître la part des cotisations et des impositions dans
les recettes de la CNAF. Il a estimé que les seuils de ressources
prévus pour le versement des allocations familiales
pénaliseraient les mères de famille au foyer par rapport aux
femmes qui travaillaient. Il a également demandé si l'on avait
évalué la baisse des recettes fiscales pour l'Etat
provoquée par l'impact sur les emplois déclarés de la
diminution de l'AGED. Enfin, il s'est interrogé sur la conformité
à la loi de 1994 relative à la famille de la
généralisation à tous les enfants âgés de 18
à 19 ans du droit aux prestations familiales.
M. Claude Huriet
a souhaité savoir si les économies
réalisées par la mise sous condition de ressources des
allocations familiales seraient redéployées sous la forme de
mesures nouvelles favorables aux familles. Il a jugé très
préoccupante la disparition des fichiers de la CNAF des nombreuses
familles qui ne bénéficieront plus des allocations familiales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président,
a demandé à M.
Jean-Paul Probst s'il existait un moyen de connaître le nombre de
familles bénéficiant du cumul de l'AGED et de la déduction
fiscale pour les emplois familiaux. Il s'est également interrogé
sur le coût pour la CNAF des régularisations de personnes de
nationalité étrangère en situation
irrégulière sur le territoire français.
En réponse à M. Jean Chérioux,
M. Jean-Paul Probst
a souligné que le système français, par sa
progressivité, continuait à encourager les familles de plus de
deux enfants. Il a ajouté que le versement des allocations familiales
dès le premier enfant concernerait 3,3 millions de familles pour un
coût total de 14 milliards de francs par an si l'on versait aux
familles 335 francs par mois, soit la moitié de la somme
perçue pour deux enfants. Il a estimé qu'un versement des
allocations familiales dès le premier enfant n'était aujourd'hui
pas envisageable et s'est déclaré favorable à titre
personnel à une action sociale spécifique pour certaines familles
n'ayant qu'un enfant et connaissant des difficultés.
M. Jean-Paul Probst
a souligné la rapide montée en charge
de l'allocation parentale d'éducation (APE) et indiqué que
45 % des femmes qui accouchaient d'un deuxième enfant demandait
à bénéficier de cette aide à taux plein ou à
taux partiel. Il a expliqué que l'APE semblait répondre à
une demande forte de populations souvent en situation de détresse. Il a
indiqué que les études menées par la CNAF
révélaient en effet une superposition de la carte du
chômage, de la carte du revenu minimum d'insertion (RMI) et de la carte
de l'APE.
En réponse à M. Jean-Louis Lorrain,
M. Jean-Paul
Probst
a déclaré que les femmes seules élevant un
enfant constituaient un sujet de préoccupation traditionnel de la CNAF
car elles cumulaient souvent les handicaps et les fragilités.
En réponse à Mme Dinah Derycke, qui estimait que la politique
nataliste semblait avoir échoué en France,
M. Jean-Paul
Probst
a souligné que le taux de fécondité de 1,7 que
connaissait la France était tout de même très
supérieur au taux de 1,2 que connaissait l'Allemagne. Il a reconnu qu'il
était néanmoins difficile d'établir une corrélation
certaine entre le taux de fécondité et le niveau des prestations
familiales. Il a cependant exprimé la crainte que la mise sous condition
de ressources des allocations familiales se traduise par une diminution des
naissances. Il a estimé que cette mesure constituait en effet un signal
négatif à l'encontre des familles, lesquelles avaient besoin d'un
minimum de visibilité à long terme des systèmes d'aide
existants.
M. Jean-Paul Probst
a déclaré en outre que la CNAF ne
suggérait certainement pas une diminution du quotient familial et a
indiqué qu'il avait proposé, à titre personnel, le
versement d'une prestation financière compensatrice aux personnes qui
travailleraient à mi-temps pour élever leurs enfants.
En réponse à M. Alain Vasselle, rapporteur pour la branche
vieillesse,
M. Jean-Paul Probst
a indiqué que les ressources de
la CNAF reposaient pour 66 % sur les cotisations sociales, pour un montant
de 153 milliards de francs, pour 20 % sur les impôts et taxes
affectés (dont la CSG de 1,1 %), pour un montant de 49 milliards de
francs, et sur des subventions de l'Etat à hauteur de 30 milliards
de francs. Il a souligné que l'impact économique de la diminution
de l'AGED n'avait pas été évalué mais qu'on pouvait
prévoir une diminution de recettes fiscales pour l'Etat. Il a
ajouté que cette mesure allait en outre conduire à des
licenciements, ce qui n'était guère souhaitable.
M. Jean-Paul Probst
a reconnu que la branche famille connaissait un
déficit qui aurait dû conduire à surseoir à la
généralisation de 18 à 19 ans du droit aux
prestations familiales au regard de la loi relative à la famille de
1994. Il a cependant indiqué que la loi relative à la famille
prévoyait que cette disposition devait de toute façon intervenir
avant la fin de l'année 1999.
En réponse à M. Claude Huriet,
M. Jean-Paul Probst
a
confirmé que la mise sous condition de ressources des allocations
familiales constituait simplement une mesure d'économie
financière qui ne serait accompagnée d'aucun redéploiement
en faveur des familles.
En réponse à M. Jean-Pierre Fourcade, président,
M. Jean-Paul Probst
a indiqué que l'on ne disposait d'aucun
moyen permettant de connaître le nombre de familles
bénéficiant du cumul de l'AGED et de la déduction fiscale
pour les emplois familiaux. Il a expliqué que les fichiers de l'AGED
étaient gérés par la CNAF tandis que les déductions
fiscales pour les emplois familiaux étaient du ressort de
l'administration fiscale. Il a en outre confirmé qu'il n'existait pas
d'étude spécifique du coût pour la branche famille des
régularisations de personnes de nationalité
étrangère en situation irrégulière sur le
territoire français.