II. LE PROJET DE LOI TEND A DÉVELOPPER L'AIDE À L'ACCÈS AU DROIT
Ainsi
que se plaît fréquemment à le souligner
Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, l'accès au droit ne
passe pas forcément par l'accès à une juridiction.
Pour permettre à tous les citoyens de faire valoir leurs droits, quelle
que soit leurs moyens, il convient donc non seulement de faciliter l'engagement
de procédures juridictionnelles par les plus défavorisés,
grâce à l'aide juridictionnelle, mais également
d'améliorer la connaissance par chacun de ses droits et obligations.
C'est pourquoi la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide
juridique avait prévu, dans son titre II, la mise en place d'une
politique d'accès au droit à travers la création de
conseils départementaux de l'aide juridique.
Toutefois, le bilan de l'application de ce deuxième volet de la loi
de 1991 s'est avéré décevant. Aussi le projet de loi
cherche-t-il à relancer la politique d'aide à l'accès au
droit en modifiant les modalités de création et de fonctionnement
des conseils départementaux et en élargissant leurs missions au
développement des modes amiables de résolution des
litiges.
A. LE BILAN DÉCEVANT DU DISPOSITIF ACTUEL D'AIDE À L'ACCÈS AU DROIT
1. Le dispositif prévu par la loi du 10 juillet 1991
Après avoir précisé que l'aide à
l'accès au droit comprenait deux volets : l'aide à la
consultation et l'assistance dans les procédures non juridictionnelles
(
article 53
), le titre II de la loi du 10 juillet 1991 a
prévu la création dans chaque département d'un
conseil
départemental de l'aide juridique (CDAJ)
chargé
d'évaluer les besoins d'accès au droit, de déterminer et
de mettre en oeuvre une politique d'accès au droit et de recueillir et
de répartir les fonds destinés à son financement
(
article 54
).
Ce conseil départemental, qui a le statut de groupement
d'intérêt public (GIP) réunissant des personnes morales de
droit public et de droit privé, est constitué d'un certain nombre
de membres de droit, à savoir :
- l'Etat,
- le département,
- le (ou les) ordre(s) des avocats et la (ou les) caisses de règlements
pécuniaires (CARPA) du (ou des) barreau(x) concerné(s),
- la chambre départementale des huissiers de justice,
- la chambre départementale des notaires,
- le cas échéant, la chambre de discipline des
commissaires-priseurs et la chambre de discipline des avoués ;
- à Paris, l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation.
Le conseil d'administration du CDAJ est présidé par le
président du tribunal de grande instance, le procureur de la
République exerçant les fonctions de commissaire du Gouvernement.
La convention constitutive du GIP détermine les modalités de
participation des membres aux activités du groupement (financement ou
mise à disposition de moyens de toute nature).
Le CDAJ détermine les conditions dans lesquelles s'exerce l'aide
à la consultation (ainsi que l'aide à l'assistance au cours des
procédures non juridictionnelles). A cette fin, il peut conclure des
conventions avec les membres des professions judiciaires ou juridiques
réglementées ou leurs organismes professionnels ; il peut
également organiser des centres de consultation juridique gratuite.
Le financement de l'aide à l'accès au droit, géré
par le CDAJ, est assuré par les participations de l'Etat, du
département, des CARPA, des organismes professionnels des professions
judiciaires et juridiques, ainsi que par les subventions accordées par
les collectivités locales, les établissements publics, les
organismes de sécurité sociale et par " toute autre
participation " (
article 68
) ; cependant, ces participations
ont un caractère facultatif.
2. Une application limitée de ce dispositif
Or,
force est de constater, au terme de plus de six années d'application de
la loi, que ce dispositif n'a connu qu'une application limitée.
Alors que la loi avait en principe rendu obligatoire la constitution d'un CDAJ
dans chaque département,
seuls 28 CDAJ ont été
crées au 15 septembre 1998
(dont 10 constitués
entre janvier 1997 et septembre 1998 - cf. liste en annexe).
Les conseils existants ont des activités et des moyens financiers
très variables (allant de 100 000 francs pour la Guyane
à un peu plus de 2 millions de francs pour le
département du Rhône) ; ils ont essentiellement
développé des actions d'information du public et d'organisation
de consultations juridiques, l'assistance au cours des procédures non
juridictionnelles n'ayant quasiment reçu aucune application
concrète.
Au total, le
budget
consacré à l'aide à
l'accès au droit est resté
extrêmement faible
(soit
un peu plus de 11 millions de francs en 1998 pour l'ensemble des
conseils départementaux -dont 2,8 millions de francs de subventions de
l'Etat-) comparativement à la masse des dépenses d'aide
juridictionnelle qui atteint aujourd'hui près de 1,5 milliard de
francs. Encore les crédits budgétaires d'Etat consacrés
aux subventions accordées aux CDAJ n'ont-ils pu être
entièrement dépensés en 1996 et 1997, faute de projets
suffisants.
Les causes qui ont pu être évoquées pour expliquer cette
carence dans l'application de la loi sont diverses : lourdeur et formalisme
liés au statut du GIP, difficulté de réunir et de motiver
l'ensemble des membres de droit du CDAJ, réticence des différents
partenaires à s'engager financièrement et diminution des
ressources des CARPA...
B. LES DISPOSITIONS PRÉVUES PAR LE PROJET DE LOI EN VUE DU DÉVELOPPEMENT DE L'AIDE À L'ACCÈS AU DROIT ET DE LA GÉNÉRALISATION DES CONSEILS DÉPARTEMENTAUX CHARGÉS DE CE DÉVELOPPEMENT
Au vue
de ce bilan décevant, le Conseil national de l'aide juridique (CNAJ),
organisme consultatif chargé de rassembler les informations relatives au
fonctionnement de l'aide à l'accès au droit et de suggérer
aux pouvoirs publics toute mesure propre à l'améliorer, a
formulé des propositions de réforme adoptées en
juin 1997 sous la présidence de M. Daniel Tricot,
conseiller à la Cour de Cassation.
Le projet de loi s'inspire assez largement de ces propositions dans le cadre
d'une réorganisation et d'une réécriture du titre II de la
loi du 10 juillet 1991 qui reprend de nombreuses dispositions
existantes en modifiant leur rédaction ou même simplement en les
déplaçant. Sans se prononcer sur la pertinence de ces
déplacements, on ne peut que constater qu'ils ne contribuent
guère à la lisibilité et la clarté des nouvelles
dispositions proposées.
1. Une nouvelle définition de l'accès au droit
L' article 8 du projet de loi propose tout d'abord une nouvelle définition de l'aide à l'accès au droit qui, hormis le regroupement de dispositions figurant déjà dans la loi de 1991, vise à préciser que les actions d'aide à l'accès au droit sont " conduites de manière à favoriser le règlement amiable des litiges " et " adaptées aux besoins des personnes en situation de grande précarité ". Cependant ces précisions relèvent davantage d'un exposé des motifs que d'un article de loi.
2. Un élargissement des missions des conseils départementaux
Corrélativement à cette nouvelle
définition, le
projet de loi prévoit l'élargissement des missions des conseils
départementaux chargés de mettre en oeuvre la politique d'aide
à l'accès au droit, ces missions s'étendant
désormais au développement des modes amiables de règlement
des litiges (
article 9
).
Pour tenir compte de cette nouvelle mission, il tend à leur
conférer une nouvelle dénomination :
" conseil
départemental de l'accès au droit et de la résolution
amiable des litiges "
. Cependant cette nouvelle dénomination,
qui manque pour le moins de concision, ne semble guère appropriée
car ce conseil est bien loin d'être le seul cadre où se pratique
la résolution amiable des litiges.
3. Un aménagement des modalités de création et de fonctionnement des conseils départementaux
Le
projet de loi cherche à faciliter le processus de constitution des
conseils départementaux chargés de mettre en oeuvre la politique
d'accès au droit afin de faciliter leur mise en place, l'objectif
affiché étant de parvenir à leur
généralisation dans l'ensemble des départements.
Le statut de groupement d'intérêt public est maintenu, mais avec
une composition plus restreinte (
article 9
).
Le nombre des membres fondateurs serait ainsi réduit aux partenaires
actuels considérés, selon l'exposé des motifs du projet de
loi, comme "
les plus concernés par le thème de
l'accès au droit et de la prévention des litiges et qui ont les
capacités à financer ou faire fonctionner
l'institution ",
à savoir l'Etat, le conseil
général, un seul barreau (le cas échéant choisi par
les bâtonniers des différents barreaux des départements) et
une seule CARPA, auxquels il est prévu d'ajouter une association
oeuvrant dans le domaine de l'accès au droit.
Les autres membres actuels du GIP (notamment les chambres
départementales des notaires et des huissiers de justice) pourraient
cependant être associés aux travaux du conseil
départemental avec voix consultative, de même que les communes ou
d'autres personnalités qualifiées.
Les sources de financement de l'aide à l'accès au droit restent
pour leur part inchangées.
Le projet de loi pose par ailleurs le principe d'une tarification de la
rétribution des consultations juridiques d'aide à l'accès
au droit (
article 10
).
C. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
Votre
commission tient tout d'abord à souligner qu'une large part des
dispositions prévues par ce second volet du projet de loi ne font que
reprendre sous une autre forme des dispositions existant déjà
dans la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, en modifiant
légèrement leur rédaction, voire en les
déplaçant purement et simplement sans modifier leur contenu.
Cette nouvelle rédaction des dispositions du titre II de la loi de 1991
comporte un certain nombre de précisions complémentaires à
propos desquelles on peut s'interroger sur la nécessité de les
faire figurer dans un texte de loi. Aussi, dans un souci d'allégement du
texte, votre commission vous propose-t-elle de supprimer certaines mentions qui
ne lui paraissent pas relever du domaine de la loi.
Votre commission vous propose également de simplifier la
dénomination du nouveau conseil départemental en désignant
sous les termes de "
conseil départemental de l'accès
au droit
".
En ce qui concerne la
composition
de ce conseil, votre commission
souhaite le maintien de la présence, en qualité de membres de
droit, de la chambre départementale des huissiers de justice et de la
chambre départementale des notaires, ainsi que, le cas
échéant, de la chambre de discipline des avoués
près la cour d'appel. Elle estime en effet que le conseil
départemental doit comprendre des représentants de l'ensemble des
professions qui pratiquent quotidiennement l'aide à l'accès au
droit.
Elle vous propose par ailleurs d'ajouter à la liste des membres de droit
l'association départementale des maires qui lui semble susceptible de
jouer un rôle utile au sein du conseil départemental.
Enfin, votre rapporteur considère que la généralisation et
le développement des conseils départementaux de l'accès au
droit ne pourront être menés à bien sans les moyens
financiers correspondants et en particulier sans un engagement financier accru
de l'Etat.