N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 27 janvier 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur:

- le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord sous forme d'échange de lettres portant aménagements du
titre Ier de la convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963,

- le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord sous forme d'échange de lettres relatif à l'application de l'
article 7 modifié de la convention de voisinage entre la France et la Principauté de Monaco du 18 mai 1963,

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir les numéros :

Sénat : 60 et 61 (1998-1999).

Traités et conventions.

Mesdames, Messieurs,

Les deux présents accords sous forme d'échange de lettres entre la France et Monaco ont pour objectif d'adapter le volet de la convention de voisinage de 1963 consacré à l'entrée, au séjour et à l'établissement des étrangers aux dispositions de la convention d'application de l'accord de Schengen.

Le premier texte porte sur l'entrée, le séjour, la circulation et l'établissement des personnes ; le second précise les conditions de fonctionnement des points de passage contrôlés conjointement aux frontières aériennes et maritimes de la Principauté.

Ces accords s'inscrivent dans le réseau très étroit des relations nouées entre notre pays et Monaco depuis plusieurs siècles. Après la cession de Menton et de Roquebrune à la France par le traité du 2 février 1861, la Principauté s'est placée volontairement sous la protection de la France (Union douanière 1865) ; le traité d'amitié protectrice du 17 juillet 1918 consacre la souveraineté de l'Etat monégasque "dans le cadre des traités conclus avec la France" : la France garantit l'intégrité du territoire monégasque et, en retour, la Principauté s'engage à ne rien entreprendre qui puisse nuire aux intérêts de la France et à consulter au préalable notre pays dans la conduite de ses relations internationales.

Par la suite, d'autres accords sont venus compléter ce dispositif ; ainsi la convention du 28 juillet 1930 relative à l'admission des Monégasques en France et au recrutement des fonctionnaires de la Principauté réserve plusieurs emplois de hauts fonctionnaires de l'administration du Rocher à des Français (ministre d'Etat -qui assiste le Prince dans l'exercice du pouvoir exécutif-, conseiller du gouvernement pour l'Intérieur, directeur des services fiscaux, directeur du port, directeur des services judiciaires...). En outre, la majorité des sièges dans les tribunaux de la Principauté revient à des magistrats français détachés.

Par ailleurs, neuf conventions signées en 1963 organisent les relations franco-monégasques dans plusieurs domaines : fiscalité, assurances, relations postales, télégraphiques et téléphoniques, voisinage, contrôle des changes, urbanisme, délimitation des eaux territoriales.

La négociation des deux échanges de lettres et la portée de ces textes ne peuvent se comprendre hors du contexte très particulier des relations franco-monégasques dont les quelques éléments qui précèdent permettent de prendre la mesure.

Avant d'analyser le contenu des deux accords soumis à l'examen du Sénat, votre rapporteur présentera la situation actuelle dans le domaine de la circulation des personnes entre la Principauté et notre pays et les raisons qui ont rendu nécessaire l'aménagement des dispositions en vigueur.

I. LA NÉCESSITÉ DE CONCILIER LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ENTRE LA PRINCIPAUTÉ ET LA FRANCE AVEC LES PRINCIPES POSÉS PAR LES ACCORDS DE SCHENGEN

A. LA FRANCE ET MONACO : UN ESPACE DE LIBRE CIRCULATION

Depuis le rattachement du Comté de Nice à la France en 1860, la France et la Principauté constituent de fait un espace de libre circulation au sein duquel les ressortissants des deux Etats peuvent circuler et s'établir sans visa.

L'exemption de visa ne repose sur aucune disposition explicite mais se déduit plutôt de l'interprétation des accords existants -les seuls éléments de réglementation applicables à la circulation de nos ressortissants se limitent, aux termes de la convention de voisinage du 10 avril 1912, aux personnes relevant de catégories bien particulières (indigents, aliénés, déserteurs, bannis, condamnés...).

Le régime applicable aux étrangers a, quant à lui, été renvoyé par le traité du 17 juillet 1918 à des conventions particulières. Ainsi la convention de voisinage de 1963 consacre son titre premier à "l'entrée, au séjour et à l'établissement des étrangers" -l'article 10 excluant formellement du champ d'application du texte l'établissement des ressortissants français à Monaco.

La convention de voisinage prévoyait la mise en place d'une coopération policière et judiciaire entre les deux parties dont certains aspects, tels le flagrant délit en cas de fuite, apparaissent, du reste, très proches du dispositif prévu par la convention d'application de l'accord de Schengen.

Par ailleurs, la procédure définie par la convention de 1963 permettait également à la France de s'opposer, lorsqu'elle le jugeait nécessaire, à l'établissement des étrangers à Monaco.

Cette coopération est loin de n'avoir qu'une valeur symbolique. Les flux d'étrangers dans la Principauté ne peuvent être tenus, en effet, pour négligeables. En 1997, 96 escales de croisière ont eu lieu, tandis que 3 683 mouvements de navires de plaisance ont été enregistrés. Les contrôles ont porté sur 19 315 passagers maritimes en transit, 1 957 débarqués et 7 010 embarqués. 128 membres d'équipage ont été débarqués et 46 embarqués.

De manière plus marginale, 1 046 vols internationaux ont transporté sur la même période 1 723 passagers vers d'autres pays que la France et en ont amené 1 663. Les seuls vols hors Schengen provenaient de Suisse (45 vols - soit 128 passagers) ou s'y rendaient (46 vols - soit 115 passagers).

Enfin, 31 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés dans la Principauté en 1997 et remis à la Direction départementale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins (DDCILEC des Alpes Maritimes.

La surveillance des frontières de Monaco revient à la division de la police maritime et aéroportuaire, forte de 38 agents 1( * ) .

La section maritime de la division assure le contrôle des passagers et marins en escale, dès lors que le navire ne provient pas de France. La section du contrôle transfrontalier et héliportuaire veille à la police de l'air et des frontière à l'héliport.

B. LES INCOMPATIBILITÉS ENTRE LA CONVENTION DE VOISINAGE DE 1963 ET LES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION D'APPLICATION DE SCHENGEN DE 1990

La mise en place de l'espace Schengen aurait pu avoir pour conséquence le rétablissement des contrôles aux frontières avec Monaco qui n'est pas signataire des accords de Schengen. Elle suppose en effet que l'entrée des personnes aux frontières extérieures de l'espace de libre circulation commun ait lieu à des points de passage autorisés à l'occasion de contrôles transfrontaliers renforcés opérés par les administrations compétentes des Etats Schengen selon les prescriptions du manuel commun de contrôle aux frontières extérieures.

Certes, à la demande des autorités françaises, le manuel commun Schengen a mentionné Monaco parmi les points de passage autorisés des frontières extérieures tenues par la France, mais il a fixé pour préalable une modification appropriée des accords nous liant avec la Principauté.

Cinq dispositions du titre premier consacré à l'entrée, au séjour et à l'établissement des étrangers de la convention de voisinage de 1963 ne sont pas compatibles avec la convention de Schengen et justifient, à ce titre, un aménagement.

En premier lieu, les visas nécessaires pour l'entrée à Monaco ne peuvent être délivrés aux étrangers que par le Consul de France de leur résidence (art. 2). La compétence prévue par l'article 12 de la convention d'application de l'accord de Schengen au bénéfice des "autorités diplomatiques et consulaires des (autres) parties contractantes" pour la délivrance du visa uniforme se trouve donc exclue.

Ensuite, l'article 3 de la convention de voisinage traite indifféremment les visas de court séjour et les visas de long séjour. Or, les accords de Schengen distinguent les questions relatives à la circulation des personnes -qui recouvrent l'entrée, la sortie et le séjour de moins de trois mois- des questions de séjour qui demeurent de la compétence des Etats. Les conditions de délivrance par la France des visas de court séjour à destination de la Principauté n'apparaissaient donc plus adaptées.

Par ailleurs, aux termes de l'article 5 de la convention de voisinage, le transit sur le territoire français des étrangers ne résidant pas en France mais désireux d'exercer une activité salariée dans la Principauté est subordonné à la seule détention d'un permis de travail délivré par les autorités monégasques. Tel est le cas notamment des ressortissants italiens travaillant à Monaco. Or, le transit par un Etat Schengen des ressortissants d'Etats tiers ou d'Etats avec lesquels la clause de sauvegarde a été mise en oeuvre est désormais placé sous l'emprise des dispositions de la convention d'application de l'accord de Schengen.

En outre, la libre circulation en France des ressortissants étrangers détenteurs d'un titre de séjour à Monaco est garantie par l'article 6 de la convention de voisinage, alors même qu'aux termes de la convention d'application, ce droit est réservé aux étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par un Etat Schengen (art. 21).

Enfin, et surtout, l'article 7 de la convention de voisinage laisse au gouvernement princier la responsabilité des contrôles aux frontières de Monaco ; or l'absence de contrôle à la frontière franco-monégasque reporte de fait, depuis l'entrée en vigueur des accords de Schengen à la France, les frontières extérieures de l'Espace Schengen aux frontières maritimes et aériennes de la Principauté dont le contrôle doit en conséquence être réorganisé. En particulier, en raison de l'impossibilité pour les autorités monégasques de consulter le système d'information Schengen, l'entrée d'individus indésirables ou la sortie de ceux recherchés par la justice ou les services de police des Etats Schengen demeure toujours possible.

C'est pourquoi les aménagements apportés à la convention de voisinage de 1963 par les deux échanges de lettres se sont révélés indispensables.

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