B. AUDITION DE M. YVES MISSAIRE, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION GÉNÉRALE DES FONCTIONNAIRES CFTC
M. Yves
MISSAIRE. - Nous vous remercions de l'accueil que vous nous faites pour aborder
cette éternelle question du service minimum dans les services publics.
C'est une question qui nous laisse toujours un peu perplexes parce que nos
adhérents dans nos organisations syndicales sont à la fois
membres salariés et utilisateurs des services publics. La
préoccupation que vous avez de la continuité du service public,
nos adhérents l'ont, en tant que salariés du service et en tant
qu'utilisateurs du service.
C'est pourquoi finalement le débat chez nous est un peu constant dans ce
domaine, mais nos mandants sont attachés à la liberté
d'exercer le droit de grève. C'est pourquoi nous nous posons toujours la
question de savoir si une réglementation de service minimum
répondait bien à la question de la continuité du service
public.
En France, tout le monde a sa part de responsabilité, tant les
organisations syndicales que le patronat dans la présence d'une culture
de rapport de force dans les négociations sociales.
Je dois dire que pour ce qui nous concerne, nous CFTC, nous sommes très
à l'aise dans ce domaine, car nous avons toujours prôné la
négociation avant le rapport de force. Nous ne nions pas la
nécessité dans certains cas d'engager des procédures de
grève, mais notre culture et notre attachement syndical nous portent
à favoriser la négociation. Malheureusement, nous ne sommes pas
une organisation syndicale qui ait un grand poids dans le monde du travail,
mais là aussi le patronat, dans sa globalité, a sa part de
responsabilité en privilégiant aussi cette culture du rapport de
force. On peut dire que le paysage syndical français évolue dans
le bon sens, mais qu'il y a encore beaucoup à faire.
Nous sommes attachés à faire en sorte qu'il n'y ait pas " le
feu ". Ce qui nous intéresse, c'est éviter la grève,
et donc de mettre en place des mécanismes qui puissent permettre de
désamorcer les conflits.
Il existe deux types de conflits : les grands conflits,
déclenchés par des mesures parfois maladroites, comme cela s'est
passé il y a quelques années avec les régimes
spéciaux où la manière dont les choses étaient
présentées a entraîné une réaction
épidermique de l'ensemble du secteur public. Il existe aussi des
conflits résultant de l'accumulation de petites choses qui ne se passent
pas très bien à l'intérieur des entreprises. La
majorité des conflits sont plutôt de cet ordre-là. Il faut
essayer de trouver le moyen de s'en sortir.
La CFTC a fait des propositions à multiples reprises pour la
médiation obligatoire des conflits collectifs. Elle a été
peu suivie. Il ne faudrait pas que la médiation devienne un peu un
paravent de toute façon on engage le conflit puisqu'on va faire appel
à un médiateur et après on se débrouille.
Une autre méthode que la CFTC a expérimentée a fait ses
preuves, et c'est pourquoi je suis venu avec mon collègue de la RATP :
dans le domaine social, existe un grand besoin d'innovation. Là nous
avons un exemple concret, éviter les conflits en mettant en place des
procédures d'alerte sociale qui permettent d'éviter une
accumulation de petits conflits localisés, qui vont déboucher sur
un conflit général qui va déplaire à tout le monde,
autant aux salariés qui vont se mettre en grève qu'à ceux
qui vont subir les effets d'une grève.
Je passe la parole à M. Philippe Gauthier qui va vous expliquer la
procédure d'alerte sociale à la RATP.
M. Philippe GAUTHIER. - Je suis secrétaire général CFTC
à la RATP et partie prenante dans cette nouvelle procédure
d'alarme sociale.
Pour revenir sur la notion de service minimum, dans le projet de loi il est
fait référence aux entreprises publiques. Si il doit y avoir un
projet de loi, il devrait aussi concerner les entreprises privées qui
ont des cahiers des charges pour transporter du public ou exercer une
activité publique. A partir du moment où elles ont les
mêmes obligations que nous, elles devraient avoir les mêmes
contraintes.
Nous pensons que ce service minimum est une fausse bonne idée parce
qu'il revient à dire qu'il vaut mieux donner un peu que pas du tout.
Je me permettrai deux exemples : EDF, dans un service minimum garanti, offrira
deux heures de courant par jour. C'est mieux que rien, mais on arrivera
très vite à une surcharge du réseau et on sera incapable
de fournir à la demande.
S'agissant de France Télécom, la semaine dernière,
à la suite d'une chute de neige sur la région parisienne, en
moins de 10 minutes tous les réseaux téléphoniques de
l'Ile de France ont été saturés parce que tout le monde a
appelé en même temps. C'est ce qui se passerait si demain France
Télécom était obligé d'ouvrir toutes les lignes
pendant 2 heures. Le même problème se produirait aux heures de
pointe, dans les transports en commun ; ce serait pire parce qu'une notion
de sécurité serait en jeu.
Le service minimum, c'est déjà ce qui est assuré aux
heures de pointe pour tout le monde dans les réseaux de transport en
commun quand les gens sont dans des rames surchargées. C'est une fausse
bonne idée.
Nous avons la preuve à la RATP, on a fait une analyse qui est qu'il faut
renforcer l'existant : d'abord l'application du code du travail et ce qui
en découle ; une obligation de négocier, en même temps
il faut redéfinir le champ de la négociation et mettre en place
un dispositif nouveau.
Nous l'avons fait à la RATP et si ce procédé était
mis en place partout, il y aurait une réduction des préavis de
grève d'environ 90 %. Cela rendrait à la grève son
objectif d'origine, objectif pour lequel les syndicats se sont battus depuis
longtemps. La grève est une arme ultime qu'on utilise quand tous les
moyens ont été explorés. Cela signifie
négociations, conciliations, médiations.
C'est cette procédure d'alarme sociale dite aussi de prévenance
sociale à laquelle le Président de la République a fait
référence le jour de l'inauguration de Météor, et
j'ai entendu M. Gayssot, ministre des Transports, qui pourtant a milité
pour une organisation syndicale qui est la seule à n'avoir pas
signé le contrat de médiation sociale à la RATP, dire
qu'il fallait maintenant généraliser partout ce
processus-là.
A la RATP, on a signé le 30 mai 1996 un protocole d'accord relatif au
droit syndical et à l'amélioration du dialogue social, qui a
été appliqué le 1
er
janvier 1997. Je vais
vous donner quatre chiffres : il y a eu environ 170 procédures
d'alarmes sociales, donc de prévenances de conflits,
déposées par les syndicats à la RATP. Le résultat a
été le suivant : 133 ont débouché sur des
accords, 30 sur des constats de désaccord n'ayant pas
entraîné de conflit, et seulement 7 sur des préavis de
grève. C'est-à-dire environ 4 %. Cela démontre que ce
protocole est novateur et que c'est la voie de l'avenir.
Je peux en quelques lignes rapidement vous dire ce qu'il y a dedans. Quelle est
cette procédure d'anticipation et qu'est-ce qui y a conduit ? On s'est
rendu compte que le dialogue social était fermé. Chacun avait
tendance à déposer rapidement son préavis de grève.
On ne savait plus ce qu'était une véritable grève pour
défendre vraiment quelque chose d'important et les chefs d'unité,
les directeurs, prenaient l'habitude de recevoir toujours un préavis.
La procédure d'anticipation s'appelle exactement "Code de
déontologie pour améliorer le dialogue social et assurer un
service public de qualité", ce qui est dans le vif du sujet.
Il est dit ceci :
"L'amélioration du dialogue social est
indispensable pour offrir aux Franciliens un service public de qualité,
et cela passe par une méthode de travail entre l'ensemble des
partenaires à tous les niveaux : direction, syndicats, encadrement,
agents. On se déclare prêt à consacrer ensemble des efforts
et moyens complémentaires pour favoriser cette amélioration. Afin
d'assurer la qualité du service rendu aux voyageurs et de renforcer
l'efficacité du dialogue social dans l'entreprise, les parties sont
tenues de rechercher d'abord des solutions non conflictuelles aux
problèmes qui seraient susceptibles de surgir entre elles, et
d'instituer avant le déclenchement d'une grève, une
procédure de prévenance dite d'alarme sociale."
Voilà
le préambule et il était important que je vous le rappelle.
Ensuite, il est prévu de "Conduire la négociation collective en
vue d'aboutir à un accord." La négociation est une
démarche par laquelle la direction et les organisations syndicales se
rencontrent pour exprimer leur position en vue d'aboutir à un accord.
Il est prévu à l'intérieur quelque chose de novateur. Si
nos prédécesseurs avaient fait cela il y a quelques
années, les directions auraient eu aussi le droit de déposer des
préavis de grève. Quand la direction s'aperçoit qu'il y a
un problème pouvant déclencher un conflit, elle peut
elle-même déclencher l'alarme sociale et alerter les syndicats,
donc le personnel, pour dire : sur ce sujet, il risque d'y avoir un conflit,
donc on se réunit, on en parle et on voit ce que l'on peut faire. Et
cela marche.
L'amélioration du dialogue social est possible si les partenaires
conviennent de règles à respecter. Avant de négocier, on
dit qu'on doit être à un niveau égal d'informations.
Pendant la négociation, on convient de tout mettre en oeuvre pour
faciliter le processus de négociation, et au terme de la
négociation, on publie ce qui s'est passé.
Ensuite, une obligation est faite de négocier à partir du moment
où on a détecté un sujet qui risque d'entraîner un
conflit. On lance une procédure d'alarme sociale au bon niveau de
négociation. Et à partir de là, dans les cinq jours,
on a l'obligation de se réunir et de déboucher sur un constat
d'accord ou un constat de désaccord.
M. Jean DELANEAU, président. - Merci. Nous avons un quart d'heure pour
débattre.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je voudrais dire à M. Gauthier
qu'étant donné l'importance que constitue pour moi la
référence de la RATP à travers le dispositif de l'alerte
sociale, j'envisage forcément de joindre en annexe le texte dont vous
venez de donner une lecture rapide et incomplète.
Je voulais préciser d'entrée de jeu que si l'intitulé de
la proposition de loi est d'assurer un service minimum en cas de grève,
dans l'esprit de la commission et du rapporteur, ces dispositions en aucun cas
ne devraient résumer le dispositif législatif. Il me paraît
indispensable d'établir, en tant que de besoin, dans une proposition de
loi, des dispositions qui concernent la prévention.
Je veux vous interroger sur trois points : la prévention, le contenu
à donner aux dispositions législatives concernant le
préavis de cinq jours, dont on a entendu dire tout à l'heure
qu'il atteignait rarement son objectif et enfin, la référence au
service minimum pour savoir dans quelles conditions on pourra en définir
le contenu et faire apparaître une part qui serait du ressort du
législateur et une autre qui resterait du domaine des partenaires
sociaux.
Sur ces trois démarches successives, en sachant qu'il serait souhaitable
de ne pas franchir la première, quel est votre sentiment ? Je me
réfère à un rapport qui s'intitule :
"Prévention et résolution des conflits du travail", fait par le
CES, qui montre bien que quand on aborde de tels sujets, on ne remet pas en
cause le droit de grève tel qu'arrêté comme un principe
constitutionnel.
Concernant les dispositions de prévention, pensez-vous que le dispositif
RATP nécessite une organisation décentralisée ?
Ce dispositif RATP, malgré l'adhésion et la passion que vous
venez de montrer, pourrait-il s'appliquer à d'autres domaines concernant
les services publics, avec un accord sur le point évoqué par M.
Missaire quant à la nécessité d'en définir le champ
et de ne pas en rester aux entreprises publiques ? Mais cela, c'est du
travail législatif qui suscite moins de passion et présente moins
de difficultés que d'autres points.
Alors qu'en est-il de la condition de décentralisation qui paraît
avoir été pour une part dans la réussite du dispositif mis
en place à la RATP ? Qu'en est-il du préavis des cinq jours ? de
l'esprit de la loi, dont je rappelle qu'elle procède d'un texte de 1963,
mais les lois Auroux de novembre 1982 ont renforcé les dispositions du
préavis, qui malgré tout n'atteint pas toujours son but, et enfin
le service minimum. Peut-il appartenir aux partenaires sociaux de
définir le contenu en associant, le cas échéant, les
usagers dont il est normal qu'ils aient aussi leur mot à dire ?
M. Yves MISSAIRE. - Quant au souci de décentralisation de la
procédure et savoir si elle serait extensible, je me garderais bien de
répondre que parce que cela marche à la RATP, cela marcherait
systématiquement d'une manière identique dans l'ensemble des
autres secteurs. En effet, chaque secteur, chaque service public, qu'il
dépende du secteur public ou privé, a quand même une
culture différente et aussi des aspects réglementaires
différents.
Par contre, ce qui prévaut, c'est l'état d'esprit dans lequel est
abordée la question. C'est pourquoi j'ai beaucoup insisté dans ma
présentation sur l'aspect culturel. La loi ne règle pas tout. On
aura beau prévoir une loi, la plus fine possible, -plus elle est fine et
plus elle risque d'être totalitaire-, il ne faut pas croire que l'on va
tout résoudre.
Cela commence par les hommes et les femmes qui ont des responsabilités,
et c'est un problème. Il existe d'abord un problème culturel, un
problème de formation, d'organisation des services de ressources
humaines. Il y a des endroits où même dans le cadre de la
réglementation telle qu'elle existe, on ne la modifie pas et les choses
se passent bien. On a des DRH qui savent mettre en place les gens avec lesquels
ils auront des contacts pour savoir si la communication passe bien et si les
choses sont bien comprises par les uns et les autres, et qui sont à
l'écoute des représentants du personnel, pour savoir si les
négociations sont bien engagées.
Il y a une perversion dans le domaine de la négociation dans le secteur
public. Dans certaines administrations, on organise beaucoup de
négociations, mais en fait ce sont des négociations à
caractère virtuel et les représentants du personnel ont
l'impression que tout est bouclé à l'avance et qu'il n'y a plus
rien à dire. On ne fait pas évoluer les choses comme cela.
Je crois que le processus engagé à la RATP pourrait introduire un
changement d'état d'esprit, mieux qu'une mesure purement
réglementaire. Il est nécessaire de décentraliser, car
plus on décentralise et plus on règle facilement les conflits.
Concernant le préavis de cinq jours, il est vrai qu'il est perverti.
Comment rendre obligatoires la négociation et la consultation ?
Peut-être y aurait-il dans le domaine réglementaire, quelque chose
à revoir afin de rendre obligatoires non seulement une obligation de se
rencontrer, mais une obligation de résultat. S'il n'y a pas une
obligation de résultat, on peut organiser toutes les rencontres que l'on
veut sans succès.
Concernant la réglementation du service minimum, nous sommes très
perplexes et des exemples concrets ont été donnés par mon
collègue Gauthier. Nous sommes très perplexes pour trouver les
moyens techniques d'arriver à rendre obligatoire un service minimum.
Cela risque même de se retourner contre les usagers.
Notre souci est d'éviter qu'il y ait des conflits et de faire en sorte
qu'un conflit très dur soit circonscrit. Dans les services publics,
quand il y a une agression d'un chauffeur ou d'un conducteur, tout le monde se
met en grève pour une journée. Les choses sont claires et c'est
mieux que les arrêts perlés qui gênent tout le monde, et
même nos propres adhérents. Nous sommes nous aussi utilisateurs
des services publics.
M. Philippe GAUTHIER. - Je voudrais revenir sur la proposition de service
minimum : si on met cela en place, on va arriver à un pourrissement
total du dialogue social. Si le service marche tant bien que mal avec 20 ou
30 % du trafic, le principe même de la négociation peut durer
longtemps. Les employeurs ne seront pas pressés de négocier, ils
vont miser sur la lassitude du salarié et les conflits vont s'enliser.
Et un conflit qui s'enlise finit mal car il s'arrête sur un sentiment
d'amertume et il redémarrera d'autant plus fort. En plus, le risque de
mécontentement ira grandissant chez les usagers.
La grève ne sera plus une arme ultime qu'on utilisera rarement, en
étant bien conscient qu'on embête nos collègues, toute la
population et nos familles. En plus les gens en auront assez d'être
cahotés pendant longtemps.
M. André JOURDAIN. - Pensez-vous que le délai de cinq jours n'est
pas de trop courte durée pour favoriser des négociations ?
M. Yves MISSAIRE. - C'est en effet un des points qui pourrait être revu.
Dans l'esprit de la loi, la période de cinq jours sert à engager
un processus de négociation, ce n'est pas obligatoirement pour
déboucher sur un résultat dans les cinq jours. On pourrait
envisager d'allonger cette période, mais de manière à lier
le dispositif à une obligation de résultat.
M. Philippe GAUTHIER. - En France, on attend le dernier moment pour
négocier. Si on couplait, comme nous le proposons, les préavis de
grève avec auparavant les procédures d'alarme sociale, cela
ferait dix ou quinze jours pendant lesquels on pourrait résoudre le
conflit.
M. Jean DELANEAU, président. - Il me reste à vous remercier et
nous attendons votre document.