II. LE PROJET DE LOI MET EN PLACE UNE NOUVELLE ORGANISATION DES VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES, OUVERTE À LA CONCURRENCE EUROPÉENNE, QUI ENTRAÎNE LA SUPPRESSION DU MONOPOLE ACTUEL DES COMMISSAIRES-PRISEURS ET LEUR INDEMNISATION
Le
projet de loi aujourd'hui soumis au Sénat ne se limite pas à
ouvrir le marché des ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques à la concurrence européenne pour satisfaire aux
exigences du droit communautaire. Il accompagne en effet cette ouverture d'une
nouvelle organisation des ventes volontaires destinée à permettre
aux professionnels français d'affronter dans de meilleures conditions la
concurrence des grandes maisons de ventes anglo-saxonnes.
Ce texte, présenté par Mme Elisabeth Guigou, Garde des
Sceaux, et déposé en premier lieu sur le bureau du Sénat,
reprend pour une très large part les dispositions du projet de loi
portant réglementation des ventes de meubles aux enchères
publiques qui avait été déposé à
l'Assemblée nationale en 1997 par M. Jacques Toubon, alors
Garde des Sceaux
22(
*
)
et dont il
ne s'écarte sensiblement que sur un seul point, à savoir
l'indemnisation des commissaires-priseurs.
A. UNE NOUVELLE ORGANISATION DE L'ACTIVITÉ DE VENTES VOLONTAIRES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES
1. La création de sociétés de ventes de forme commerciale mais à objet civil
Après avoir réaffirmé le principe selon
lequel
les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ne peuvent en
principe porter que sur des biens d'occasion vendus au détail
23(
*
)
(
article 1
er
),
le projet de loi met fin au monopole traditionnel des commissaires-priseurs
dans ce domaine et attribue la compétence de droit commun de
l'organisation et de la réalisation de ces ventes à de nouvelles
sociétés de forme commerciale mais à objet civil :
les
sociétés de ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques
(
article 2
).
• Les actuels commissaires-priseurs ne pourront donc poursuivre
leur activité de ventes volontaires que dans le cadre de l'une de ces
sociétés et non plus en leur qualité d'officier
ministériel.
Toutefois, les huissiers de justice et les notaires, pour lesquels cette
activité présente un caractère accessoire, seront
autorisés à continuer à l'exercer dans le cadre de leur
office, suivant les conditions actuelles.
• Les sociétés de ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques pourront revêtir toutes les formes
régies par la loi du 24 juillet 1966 sur les
sociétés commerciales, de la société unipersonnelle
à la société cotée en bourse, mais leur objet sera
strictement limité à l'organisation et la réalisation de
ces ventes (ainsi qu'à l'estimation préalable des biens mis en
vente).
Comme les commissaires-priseurs à l'heure actuelle, elles ne pourront
agir qu'en tant que
mandataire du vendeur
et n'auront en principe pas le
droit d'acheter ou de vendre pour leur propre compte (
article 3
).
• De plus, afin de maintenir des
garanties
assurant la
protection du consommateur nonobstant la disparition de celles qui sont
traditionnellement liées au statut d'officier ministériel des
commissaires-priseurs, le projet de loi soumet l'activité des nouvelles
sociétés de ventes à un
agrément
pour
l'obtention duquel un certain nombre de conditions sont requises :
- condition de
qualification professionnelle
: les ventes
devront être dirigées par des personnes "
remplissant les
conditions requises pour exercer l'activité de
commissaire-priseur
" ou titulaires d'un titre reconnu
équivalent, qui pourront donc seules " tenir le marteau "
(
article 7
) ;
- "
garanties suffisantes
" concernant notamment
l'honorabilité et l'expérience des dirigeants
(
article 4
) ;
- justification d'une assurance professionnelle et de garanties
financières (
article 5
).
Cet agrément sera délivré par le conseil des ventes
volontaires de meubles aux enchères publiques institué par
l'
article 16
du projet de loi
24(
*
)
.
• Bien entendu, à la différence des officiers
ministériels, les sociétés de ventes pourront s'installer
où elles l'entendent et fixer leurs tarifs librement.
2. Les nouvelles règles applicables aux ventes aux enchères
Le
projet de loi tend par ailleurs à légaliser certaines
modalités de vente fréquemment pratiquées à
l'étranger mais jusqu'ici en principe interdites en France, tout en les
encadrant dans le souci de garantir la transparence des enchères et
d'assurer la protection du consommateur
25(
*
)
.
Ainsi, serait désormais autorisée la
vente de gré
à gré
, d'un bien déclaré non adjugé
à l'issue des enchères, par l'intermédiaire de la
société de ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques, à condition toutefois que cette transaction intervienne dans
un délai de huit jours après la vente, ne soit
précédée d'aucune publicité et ne soit pas faite
à un prix inférieur à l'enchère atteinte lors du
retrait du bien de la vente (afin que le dernier enchérisseur ne soit
pas lésé) (
article 8
).
Par ailleurs, la société de ventes pourrait garantir au vendeur
un prix d'adjudication minimal du bien proposé à la vente mais
seulement à condition que cette garantie soit couverte par un organisme
d'assurance ou un établissement de crédit et que le montant du
prix garanti
(comme d'ailleurs celui du
prix de réserve
en
dessous duquel le bien ne peut être vendu) ne soit pas supérieur
à l'estimation portée à la connaissance du public (de
manière à éviter qu'une personne ayant enchéri pour
un prix supérieur à cette estimation ne soit frustrée de
son acquisition par le jeu du prix garanti ou du prix de réserve)
(
article 11
) .
La société de ventes pourrait également consentir au
vendeur une
avance
sur le prix d'adjudication, mais seulement à
condition que celle-ci soit garantie par un organisme d'assurance ou un
établissement de crédit et n'atteigne pas un montant
supérieur à 40 % de l'estimation (
article 12
).
Les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques seront soumises aux règles de
responsabilité
civile de droit commun ; toutefois, le projet de loi ramène
uniformément à
10 ans
la
prescription
applicable aux actions en responsabilité engagées à
l'occasion des ventes aux enchères (qui est actuellement de 10 ans
pour les actions engagées par l'acheteur mais de 30 ans pour les
actions engagées par le vendeur) (
article 27
). La
prescription trentenaire des actions en annulation de vente serait
néanmoins maintenue.
3. La définition d'un statut d'expert agréé
Depuis
1985, les experts qui apportent leur concours aux commissaires-priseurs ne sont
plus soumis à aucune réglementation.
Afin de remédier aux inconvénients liés à cette
situation, le projet de loi définit un statut d'
expert
agréé
par le conseil des ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques, sans toutefois prévoir l'obligation pour les
sociétés de ventes de recourir à un expert
agréé (
articles 28 à 34
).
Ce statut est destiné à offrir un certain nombre de garanties aux
sociétés de ventes qui souhaiteraient faire appel à un
expert agréé : compétence reconnue par
l'agrément, obligation d'assurance et régime de
responsabilité solidaire avec l'organisateur de la vente
(
article 30
), interdiction faite à l'expert d'acheter ou de
vendre pour son propre compte (
article 34
).
Toutefois, une société de ventes souhaitant s'assurer le concours
d'un expert pour l'organisation d'une vente resterait libre de choisir tout
autre expert de son choix, de même que les magistrats sont libres de
désigner en qualité d'expert judiciaire toute personne de leur
choix bien qu'il existe des listes d'experts auprès des tribunaux
établies par la Cour de cassation et les cours d'appel.
4. L'institution d'un conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques
Pour
assurer le respect de l'ensemble des nouvelles règles applicables aux
ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, le projet de loi
institue un conseil des ventes, doté de la personnalité morale et
appelé à jouer le rôle d'une autorité
indépendante de surveillance déontologique du marché,
comparable par exemple au Conseil des bourses de valeurs
(
article 16
).
• La
composition
prévue pour ce conseil des ventes est la
suivante (
article 18
) :
- un président nommé par décret ;
- cinq "
personnes qualifiées
"
désignées par les différents ministres
intéressés ;
- et cinq représentants des professionnels, dont un expert.
• Le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques aurait pour
missions
:
- de délivrer l'
agrément
aux sociétés
de ventes et aux experts, après avoir vérifié que les
intéressés remplissent toutes les conditions requises ;
- d'enregistrer les déclarations des ressortissants
européens intervenant en France dans le cadre de la libre prestation de
services
26(
*
)
;
- et plus généralement de "
veiller à la
régularité
" de l'activité des différents
intervenants sur le marché et de "
réprimer les
manquements constatés
".
A cette fin, il est doté d'un pouvoir de
sanction disciplinaire
(allant jusqu'au retrait de l'agrément ou à l'interdiction
définitive de diriger des ventes) à l'égard des
sociétés de ventes, des experts agréés et des
personnes habilitées à diriger les ventes
(
article 19
).
En matière de ventes volontaires, le conseil des ventes se substituera
donc, en tant qu'instance disciplinaire, aux actuelles chambres de discipline
des commissaires-priseurs.
Outre les sanctions disciplinaires susceptibles d'être prononcées
par le conseil des ventes, des
sanctions pénales
sont
également prévues par l'
article 14
du projet de loi
pour réprimer certaines infractions à la réglementation
des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, telles que la
réalisation d'une vente en l'absence d'agrément ou malgré
le retrait de l'agrément.