AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
" Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage ;
polissez-le et repolissez-le sans cesse ".
Le conseil de Nicolas
Boileau, dans
l'Art poétique
(1674) pourrait s'appliquer aux
parlementaires, amenés à débattre à nouveau de
l'épargne retraite.
Après plusieurs propositions de loi, dont la première
émanait de votre commission des Affaires sociales
1(
*
)
, la France s'est dotée, le 25
mars 1997, d'un mécanisme qui répond aux enjeux, à travers
la loi créant les plans d'épargne retraite.
Mais le Gouvernement issu des élections de mai-juin 1997 ne s'est
résolu ni à l'abroger, ni à l'appliquer, au mépris
des règles essentielles de notre droit.
" Remettre l'ouvrage sur le métier ".
Le rapport
Charpin a confirmé que le taux de remplacement des régimes de
retraite par répartition était condamné à baisser.
Dès lors, pour assurer aux retraités futurs un niveau de vie
équivalent aux retraités d'aujourd'hui, il convient de leur
donner la possibilité d'épargner en vue de leur retraite.
M. Jacques Delors écrivait ainsi en 1994
2(
*
)
:
" L'une des erreurs
faite en France a été de ne pas expliquer qu'au-delà d'un
minimum décent il fallait faire appel pour partie à la retraite
par capitalisation. Un socle commun et un complément par capitalisation.
Le premier assure la solidarité pour tous, le second fait appel à
la responsabilité et au sens de la prévoyance de chacun, pour
assurer la situation matérielle de sa famille, à l'issue de la
vie professionnelle active ".
" Remettre l'ouvrage sur le métier ".
Ce complément
de retraite par capitalisation ne fragilisera pas les régimes de
retraite par répartition, bien au contraire. Notre ministre de
l'économie et des finances, M. Dominique Strauss-Kahn n'expliquait-il
pas, dès 1982, qu'il convenait de cesser d'opposer répartition et
capitalisation
" en des joutes oratoires forcément
stériles "
3(
*
)
?
N'écrivait-il pas que l'idée selon laquelle
" la
préparation de la retraite ne peut reposer que sur des procédures
de répartition et que le mécanisme de la capitalisation est en
lui-même critiquable "
1
devait être
combattue
?
" Remettre l'ouvrage sur le métier ".
Le cadre
général défini par la loi Thomas est le bon. Les deux
propositions de loi qu'a rapportées votre commission des Affaires
sociales vont dans le même sens : un système facultatif, une
sortie en rente et une gestion externe par des professionnels.
Votre commission des Affaires sociales vous propose d'adopter une proposition
de loi permettant de répondre aux critiques, réelles ou
imaginaires, adressées à la loi Thomas.
On pourra toujours peaufiner telle ou telle disposition, ergoter sur la
composition du conseil de surveillance ou sur l'exonération de charges
sociales.
L'objectif est que la France donne aux 14 millions de salariés du
régime général la possibilité de se constituer un
complément de retraite. Le Gouvernement hésite, ne semble pas
avoir de projet très clair.
Votre commission des Affaires sociales vous propose d'améliorer la
protection sociale des salariés par le développement de
l'épargne retraite. Le Parlement, de nouveau, prend
l'initiative.
I. DÉVELOPPER L'ÉPARGNE RETRAITE EN FRANCE : UNE NÉCESSITÉ IMPÉRIEUSE
Le
développement de l'épargne retraite en France apparaît
aujourd'hui une nécessité, principalement en raison de la
situation démographique. Les régimes de retraite par
répartition ne pourront pas assurer des taux de remplacement identiques
à ceux dont bénéficient les générations qui
sont aujourd'hui à la retraite. De plus, l'épargne retraite
constituera un facteur favorable de croissance pour l'économie
française.
Or, les mécanismes proposés aux Français apparaissent
aujourd'hui insuffisants.
C'est pour cette raison que le Parlement avait initié et mené
à bien le vote de la loi du 25 mars 1997 créant les plans
d'épargne retraite, injustement critiquée.
A. LES RÉGIMES DE RETRAITE PAR RÉPARTITION VONT CONNAÎTRE DES BESOINS DE FINANCEMENT TRÈS IMPORTANTS
1. Les besoins de financement des différents régimes de retraite à partir de 2005 sont connus
Les
perspectives de financement des régimes obligatoires de retraite
à l'horizon 2005-2010 sont particulièrement inquiétantes.
Plusieurs facteurs expliquent la gravité d'une telle situation :
l'allongement de la durée de la vie, le vieillissement des
générations nées après-guerre
("
baby-boomers
"), la persistance d'un taux de
fécondité de 1,8 enfant par femme (contre un taux de 2,1
nécessaire au renouvellement des générations) et la
volonté de stabiliser le solde migratoire (50.000 personnes de solde
net).
L'accroissement du " taux de dépendance " apparaît ainsi
inéluctable. Ce taux de dépendance (c'est-à-dire le
rapport entre les personnes âgées de 20 à 59 ans et
celles âgées de plus de 60 ans) passerait de 4 en 1995 (4
retraités pour 10 actifs) à 7 en 2010 (7 retraités pour
10 actifs).
Ces diagnostics ont été posés par le
" Livre blanc
sur les retraites "
(1991), le rapport sur les
" Perspectives
à long terme des retraites "
(rapport Briet, 1995) et le
rapport
" L'avenir de nos retraites "
(rapport Charpin, avril
1999).
Alors qu'un certain nombre de responsables politiques et syndicaux rendent le
chômage seul responsable de cette évolution négative, et
contestent ainsi la gravité de la situation, le rapport Charpin a
démontré qu'une évolution plus favorable de la
productivité ou de l'emploi ne jouait qu'un rôle marginal pour
l'amélioration de la situation financière des régimes de
retraite.
Si l'on additionne
les besoins de financement en 2015
des
différents régimes étudiés par le rapport de 1995
(régime général, fonctionnaires civils, CNRACL, SNCF,
ARRCO, AGIRC, exploitants agricoles), on obtient un total de
330 milliards
de francs
, dont 124 milliards de francs pour le régime
général (4,3 points de cotisation) et 80,2 milliards de
francs pour les fonctionnaires civils.
Cet effort ira grandissant.
Comme l'explique M. Olivier Davanne,
" contrairement à un sentiment largement répandu, le
terme de " bosse démographique " donne une image très
inexacte des difficultés qui apparaîtront à partir de
2005-2010. (...) Plutôt que le passage d'une bosse, les
difficultés de la première moitié du siècle
prochain s'apparentent ainsi à la montée vers un
plateau "
.
4(
*
)
Les besoins cumulés de financement des années 2005-2040
représentent ainsi plusieurs milliers de milliards de francs.
Les dépenses de retraite représentent dès aujourd'hui 12,1
points de PIB. En 2020, elles représenteraient 15,0 %
(hypothèse d'un chômage à 9 %), 14,1 % (chômage
à 6 %) ou 13,5 % (chômage à 3 %).
L'essentiel de la progression aurait lieu entre les années 2010 et 2030.
Le besoin de financement global du système de retraite atteindrait en
2040
un peu plus de 800 milliards de francs
(hypothèse d'un
taux de chômage à 9 %)
ou environ 700 milliards de francs
(hypothèse d'un taux de chômage à 6 %)
5(
*
)
.
Dépenses de retraite en points de PIB
Taux de chômage |
|
9 % |
6 % |
3 % |
||||
|
1998 |
2020 |
2040 |
2020 |
2040 |
2020 |
2040 |
|
CNAVTS et régimes complémentaires |
7,1 |
9,0 |
10,1 |
8,5 |
9,5 |
8,1 |
9,1 |
|
Régimes agricoles |
0,9 |
0,6 |
0,4 |
0,5 |
0,4 |
0,5 |
0,4 |
|
Régimes spéciaux |
3,5 |
4,9 |
5,6 |
4,6 |
5,4 |
4,4 |
5,1 |
|
Indépendants (hors agricoles) |
0,5 |
0,6 |
0,6 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
|
Ensemble des régimes |
12,1 |
15,0 |
16,7 |
14,1 |
15,8 |
13,5 |
15,1 |
Source : Rapport Charpin, p. 102.
2. La diminution du taux de remplacement semble inévitable
Pour
faire face à un besoin de financement supplémentaire, trois
instruments sont à la disposition des gestionnaires d'un système
de retraite par répartition :
- l'augmentation des cotisations ;
- la baisse du montant des pensions ;
- l'allongement de la durée d'assurance nécessaire à
l'obtention du taux plein.
Les deux premiers instruments apparaissent particulièrement
délicats à mettre en oeuvre.
L'augmentation des cotisations des actifs est possible, soit en augmentant le
niveau des prélèvements obligatoires, soit en assurant ce
financement supplémentaire à prélèvement constant.
L'augmentation des prélèvements obligatoires semble difficile, en
raison de leur niveau aujourd'hui atteint : 45,3 % du PIB en 1999. Pourtant, un
certain nombre de responsables politiques et syndicaux -encouragés par
les flous gouvernementaux- ont pu relativiser les constats du rapport Charpin,
en expliquant que l'effort en matière de retraites ne serait que de
trois points de PIB et qu'il était tout à fait abordable, en
comparaison de l'effort jusqu'à maintenant réalisé...
Mais les mêmes oublient naturellement de préciser les effets
négatifs d'une hausse des cotisations sur les effectifs employés.
Le rapport Charpin -citant une étude récente
6(
*
)
- note ainsi
" qu'une hausse de
dix points des taux de cotisation sociale supportés par les entreprises
serait susceptible d'entraîner une hausse du taux de chômage
d'équilibre de deux points. ".
Le financement à prélèvement constant reste
hypothétique ; il nécessite mathématiquement
des
économies sur d'autres postes de la dépense publique
(dépenses de fonctionnement de l'Etat, dépenses de santé,
équipements collectifs, etc.).
Il apparaît irréaliste de tabler sur une diminution durable du
poids des dépenses de santé dans le PIB, en raison de
l'amélioration du niveau de vie des populations, de l'introduction de
nouvelles techniques médicales coûteuses, et de la croissance de
la population âgée et du nombre de personnes dépendantes.
Les excédents de la branche famille reposent sur l'hypothèse peu
glorieuse d'un taux de fécondité inchangé. Leur
affectation au financement des retraites pose des problèmes de principe.
Il est probable que d'éventuels excédents seront affectés,
pour partie, à la couverture de nouveaux besoins.
Du côté de la politique de l'emploi, un taux de chômage
à 9% (contre 12 % en 1999) permettrait de réaliser une
économie de seulement 0,5 % du PIB en 2040.
Un taux de chômage à 6 % permettrait de compenser l'augmentation
des charges de retraite par une réduction des dépenses de la
politique de l'emploi jusqu'en 2015. En revanche, au-delà de 2015, les
besoins de financement réapparaîtraient. Là aussi, une
forte pression, dans le cas d'excédents des régimes d'assurance
chômage, se ferait jour pour assurer une meilleure indemnisation des
chômeurs.
En tout état de cause,
faire porter sur les seuls actifs de demain la
charge du financement des retraites ne semble pas souhaitable.
La deuxième solution tend à diminuer le niveau des pensions de
retraite servies. Il convient de rappeler qu'entre 1970 et 1990 le revenu des
retraités a augmenté deux fois plus vite que celui des actifs.
Aujourd'hui,
la parité des revenus des actifs et des retraités
est assurée
, grâce aux revenus du patrimoine qui
représentent un quart des revenus totaux des retraités. On notera
que, dans l'Union européenne, le niveau de vie des retraités est
inférieur d'environ 10 % à celui des actifs. La situation
des retraités français, par rapport à leurs voisins
européens, apparaît ainsi favorable.
Mais il semble difficile de renoncer aux progrès constatés depuis
la fin des années soixante.
Seule la troisième solution, consistant à allonger la
durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein,
est véritablement opératoire.
Elle constitue la proposition
clef du rapport Charpin (durée de 170 trimestres, soit 42,5
années de cotisations).
L'application mécanique de la retraite
à 60 ans aurait alors pour conséquence la baisse du taux de
remplacement
7(
*
)
. Bon nombre
de Français, en raison de l'entrée tardive sur le marché
du travail, ou d'une sortie anticipée, se trouveront dans une situation
où ils ne pourront obtenir le nombre de trimestres nécessaire
pour prétendre à une pension complète.
Les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, qui sont en points,
ont d'ores et déjà programmé une baisse du taux de
remplacement. Même si une hausse des cotisations est
décidée pour maintenir le niveau des pensions de base, les
pensions servies par les régimes de retraite complémentaires
diminueront inévitablement.
La baisse du taux de remplacement apparaît inévitable.
Il importe, en conséquence, d'offrir aux Français la
possibilité de se constituer une épargne retraite, qui leur
redonnerait la liberté de pouvoir choisir un taux de remplacement
équivalent à celui que connaissent les retraités
d'aujourd'hui.
Cette épargne retraite interviendrait en complément, et non en
substitution, de la pension principale versée au titre de la
répartition.
3. Le développement de l'épargne retraite apparaît favorable à la croissance
a) La contestation théorique
La
solution d'un développement de l'épargne retraite est
contestée par des économistes qui y voient un
prélèvement sur les revenus des actifs, aux mêmes
conséquences qu'un prélèvement social.
Force est de constater que la question du montant d'épargne et de son
allocation est source de débats économiques fort complexes.
Une étude récente du service des Etudes économiques et
financières de la Caisse des dépôts et
consignations
8(
*
)
résume
les enjeux : à court terme, l'épargne peut apparaître comme
un frein à la croissance économique, puisque -dans la
théorie économique classique- plus elle est élevée,
plus la consommation est faible ; à long terme, l'épargne
constitue le moteur de la croissance économique, en raison de
l'accumulation de capital productif qu'elle permet.
Encore faut-il que cette épargne soit utilisée de manière
pleinement satisfaisante. Postuler que toute l'épargne se transforme en
investissement productif est hasardeux. Le développement des OPCVM
monétaires (produits de court terme) dans le milieu des années
quatre-vingt a drainé une épargne considérable, dont il
n'est pas sûr qu'elle ait contribué pleinement à
l'augmentation des capacités de production de l'économie
française.
De plus, dans le cadre d'une économie ouverte, la répartition de
cette épargne entre agents résidents (principalement les
entreprises) et agents non résidents est une question essentielle.
Selon l'étude de la Caisse des dépôts, le " stock de
capital " serait insuffisant en France, ce qui ne signifierait pas pour
autant une pénurie d'épargne, puisque depuis plusieurs
années l'économie française connaît une balance des
transactions courantes largement excédentaire. Un transfert
d'épargne serait constaté au profit des agents non
résidents.
L'allocation de l'épargne française ne
serait pas optimale ; il serait, en effet, souhaitable que l'épargne des
ménages soit affectée plus abondamment au financement des
entreprises résidentes
.
b) Un instrument essentiel de la mondialisation partagée
Le
deuxième objectif plaidant pour la mise en place d'une véritable
épargne retraite est, en finançant les investissements de demain,
de soutenir l'économie et de créer ainsi des emplois
nécessaires au financement des régimes de retraite par
répartition.
La France doit faire le choix de la mondialisation
" partagée " et non de la mondialisation
" exclusion ", selon l'excellente expression de M. Jean-Pierre
Thomas. Le rachat récent, par des fonds de pension américains,
d'un certain nombre d'opérateurs français du câble montre
l'importance de ces fonds dans un secteur essentiel de notre
économie : celui des nouvelles technologies de l'information et de
la communication.
Une tribune libre parue dans
Le Monde
du 13 novembre 1998 résume
parfaitement les enjeux de cette mondialisation partagée :
" Le véritable apport des fonds de pension, c'est de permettre
de prélever une partie de la croissance extérieure. À
travers les fonds de pension anglo-saxons, américains entre autres, qui
possèdent, par exemple, 30 % du capital de Renault, les travailleurs
domiciliés en France participent déjà au financement des
retraites américaines. Si nous ne bougeons pas, dans dix ans, à
travers ces fonds de pension, une part de la croissance intérieure
financera les pensions de non-résidents, alors que nous n'aurons que
notre propre croissance pour financer nos propres pensions.
" Les régimes de répartition s'appuient exclusivement sur la
croissance intérieure. Seuls les fonds de pension permettent de
prélever sur la croissance externe.
" Un pays développé et démographiquement vieillissant
comme la France doit impérativement élargir l'assiette du
financement de ses retraites. Telle est la raison du caractère
incontournable des fonds de pension.
" En participant par exemple au financement de la croissance d'un pays
comme la Chine, les fonds de pension prélèveront sur la
production intérieure chinoise. Cette idée n'a rien de
" néo-impérialiste ". Il est logique que, si
l'épargne dégagée par les fonds de pension contribue au
financement de la croissance d'un pays, il y ait un retour à travers les
revenus du capital. "
Une telle démonstration se passe de commentaires. Elle est signée
par M. Jean-Claude Boulard, député socialiste de la
Sarthe.
c) L'épargne placée sur le marché des actions est le placement le plus rentable à long terme
Une
épargne placée sur le marché des actions pourrait soutenir
l'investissement ; ce dernier est la clef des emplois de demain.
Les différentes analyses économiques montrent que le placement en
actions est le plus rentable à long terme. Les actions surpassent
largement le marché obligataire et le marché immobilier.
M. Olivier Davanne fait ainsi l'hypothèse que, sur une longue
période, le rendement du capital est de l'ordre de 6 à
7 %
9(
*
)
, alors que le taux de
croissance de la masse salariale se situe à 2 %.
L'épargne retraite, loin de concurrencer les régimes de
répartition, apparaît ainsi leur alliée de moyen et long
terme, en étant à l'origine de la création d'emplois
futurs.