N° 72
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 novembre 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, portant ratification des ordonnances n° 98-522 du 24 juin 1998, n° 98-731 du 20 août 1998, n° 98-773 du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer ,
Par M.
Jean-Louis LORRAIN,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.
Voir
les numéros :
Assemblée nationale : 1173
rect.,
1673
et T.A.
335.
Sénat :
420
(1998-1999).
Départements et territoires d'outre-mer. |
TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mardi 16 novembre 1999 sous la
présidence de M. Jean Delaneau, président
, la commission a
procédé à l'
examen du rapport
de
M. Jean-Louis Lorrain
sur le
projet de loi n° 420
(1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale en première
lecture, portant ratification des
ordonnances n° 98-522
du 24 juin
1998,
n° 98-731
du 20 août 1998,
n° 98-773
du 2 septembre 1998 prises en application de la loi n° 98-145 du
6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre, par
ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du
droit applicable outre-mer
.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur
, a rappelé que la loi du 6 mars
1998 avait habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur
le fondement de l'article 38 de la Constitution, des mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à
l'adaptation du droit applicable outre-mer. Il a indiqué qu'en
application de cette habilitation, le Gouvernement avait publié, entre
le 24 juin et le 2 septembre 1998, vingt ordonnances. Il a
précisé que le présent projet de loi, qui avait
été adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale le 10 juin dernier, visait à ratifier
trois de ces ordonnances relatives aux questions sanitaires et sociales.
Il a souligné que le recours à la procédure des
ordonnances était très fréquent pour opérer les
modifications législatives nécessaires à l'outre-mer,
observant que le recours aux lois d'habilitation avait été
utilisé neuf fois depuis 1976. Il a indiqué que cela tenait avant
tout à la spécificité du régime législatif
applicable aux collectivités d'outre-mer, les départements
d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon relevant du principe d'assimilation
législative tout en pouvant faire l'objet de mesures d'adaptation
justifiées par leur situation particulière, tandis que les
territoires d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et Mayotte étaient
régis par le principe de spécialité législative,
les lois n'y étant alors applicables que sur mention expresse. Il a
considéré que ce régime rendait alors souvent
nécessaire une législation spécifique à l'outre-mer
soit pour y adapter la législation, soit pour l'étendre.
Il a également observé que le recours à la
procédure des ordonnances n'était pas sans soulever certaines
interrogations. Rappelant que cette procédure contribuait à
dessaisir pour partie le Parlement de sa fonction législative, il a
jugé nécessaire d'examiner avec la plus grande attention le
contenu des ordonnances au moment de leur ratification. A cet égard, il
a remarqué que l'examen du présent projet de loi à
l'Assemblée nationale avait été particulièrement
rapide.
Il a en revanche considéré que cette procédure
présentait l'avantage de permettre l'adaptation du droit, après
consultation des assemblées locales, pour prendre en compte la
spécificité de l'outre-mer dans des domaines la plupart du temps
très techniques et donc très arides pour un débat
parlementaire. Il s'est néanmoins prononcé en faveur d'une prise
en compte très en amont des particularités locales, notamment
lors de la rédaction des projets de loi, pour en prévoir les
conditions d'applicabilité. Il a alors regretté que des
récents projets de loi, comme ceux sur la couverture maladie universelle
ou la réduction du temps de travail, n'aient pas prévu la prise
en considération de l'outre-mer.
Il a par ailleurs constaté que la loi d'habilitation du 6 mars 1998
avait prévu un champ d'habilitation particulièrement large, 17
domaines de délégation étant ainsi visés. Il a
jugé que le volet social de cette loi était tout
spécialement important, touchant aussi bien le droit du travail que la
santé publique ou la protection sociale.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur,
a souligné que la
procédure de ratification proposée était originale,
celle-ci ayant donné lieu au dépôt de quatre projets de loi
de ratification qui feront l'objet d'une discussion générale
commune. Il a indiqué que ces quatre projets de loi regroupaient, de
manière thématique, les différentes ordonnances et avaient
été renvoyés à quatre commissions
différentes en vertu de leurs compétences sur le fond des
ordonnances. Il s'est alors félicité d'une telle démarche
qui a le mérite de privilégier une ratification portant sur le
fond des ordonnances plutôt que sur les seules questions de
procédure.
Abordant la procédure, il a jugé nécessaire de
vérifier le respect par le Gouvernement du champ de l'habilitation et
des délais fixés par la loi du 6 mars 1998. Il a
estimé que l'habilitation avait été globalement bien
respectée, les trois ordonnances correspondant globalement au champ de
l'habilitation, les ordonnances ayant été prises avant le 15
septembre 1998 et les projets de loi de ratification ayant été
déposés devant le Parlement avant le 15 novembre 1998,
conformément à la loi d'habilitation.
Revenant sur le fond des trois ordonnances, il a précisé que
celles-ci étaient d'importances diverses.
S'agissant de l'ordonnance du 24 juin 1998, il a indiqué que celle-ci
comptait 36 articles très denses. Il a observé que ses
titres premier et II visaient à réformer et à actualiser
le droit du travail applicable en Polynésie française et en
Nouvelle-Calédonie. Après avoir présenté les
dispositions de ces ordonnances, il s'est interrogé sur le respect du
partage des compétences entre l'Etat et les territoires fixés par
les lois statutaires et sur l'opportunité des adaptations
proposées. Il a, à cet égard, jugé que l'ordonnance
renvoyait très largement aux réglementations territoriales pour
l'application des dispositions.
Il a ensuite présenté les dispositions du titre III de cette
ordonnance, insistant notamment sur la réorganisation des services
chargés de l'emploi et de la formation professionnelle et sur la mise en
place d'une commission de conciliation compétente pour les conflits
collectifs du travail. Il a jugé à cet égard
particulièrement positive cette dernière disposition, rappelant
que les conflits sociaux étaient souvent longs et difficiles en
outre-mer et paralysaient largement les économies locales.
S'agissant de l'ordonnance du 20 août 1998, il a précisé
qu'elle visait notamment à donner une base légale, dans les
départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, à
une majoration du prix des médicaments remboursables pour tenir compte
du coût d'éloignement, à favoriser la coordination en
matière de sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie
pour assurer la continuité de la couverture sociale des assurés
se déplaçant vers ou hors de ces territoires et à
réformer la protection complémentaire vieillesse des travailleurs
non salariés à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il a estimé que
ces dispositions permettraient d'apporter une réponse adaptée
à de réels problèmes, même s'il s'est
interrogé sur l'opportunité d'une majoration du prix des
médicaments.
S'agissant de l'ordonnance du 2 septembre 1998, il a indiqué qu'elle
étendait à la Nouvelle-Calédonie certaines des
dispositions de la loi du 29 juillet 1994, afin de permettre le
prélèvement et la greffe de cornées et le
prélèvement de reins dans le respect de la législation
relative à la bioéthique. Il a précisé que ces
dispositions répondaient à une demande des autorités de
Nouvelle-Calédonie et avaient fait l'objet d'un rapport préalable
de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) concluant
à leur faisabilité.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur,
a toutefois jugé
qu'au-delà de leur contenu brut, ces ordonnances appelaient un certain
nombre d'observations, dans la mesure où elles mettaient en
évidence certains dysfonctionnements, intrinsèquement liés
à la procédure des ordonnances modifiant le droit applicable
outre-mer.
Il s'est d'abord interrogé sur le respect des compétences de la
Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en
application des lois statutaires. S'agissant du droit du travail, il a
rappelé que l'Etat restait compétent pour en fixer les
" principes généraux " et les " principes
directeurs ", mais il a souligné que cette notion de
" principes généraux " ou " principes
directeurs " restait pour le moins floue. Il a ainsi précisé
que l'assemblée de la Polynésie française avait rendu un
avis défavorable à la ratification de cette ordonnance, en
estimant que l'Etat avait outrepassé ses compétences, tandis que
la Nouvelle-Calédonie avait jugé que celle-ci respectait le
partage des compétences, alors que ces dispositions étaient, pour
beaucoup, identiques.
Il a alors estimé que l'ordonnance avait défini les principes de
manière extensive mais en restant toutefois dans le cadre du partage des
compétences. Il s'est néanmoins interrogé sur
l'opportunité de telles modifications au moment où la
Nouvelle-Calédonie allait devenir exclusivement compétente en
droit du travail à partir de janvier 2000 et où la
Polynésie française allait voir ses compétences
s'étendre après l'adoption du prochain projet de loi
constitutionnel.
De la même manière, il a estimé qu'en matière de
santé et de protection sociale, l'ordonnance du 2 septembre 1998 pouvait
soulever certaines interrogations, dans la mesure où elle modifiait le
code de la santé publique applicable en Nouvelle-Calédonie, alors
que l'Etat n'avait pas compétence en cette matière. Il a
toutefois observé que cette ordonnance touchait également au
droit civil et au droit pénal, ces matières restant de la
compétence de l'Etat.
Il s'est ensuite interrogé sur le respect du champ de l'habilitation. Il
a d'abord estimé que l'interprétation de l'habilitation par le
Gouvernement avait été parfois extensive en rappelant que
l'ordonnance du 2 septembre 1998 modifiait le code de la santé publique
alors que la loi d'habilitation ne prévoyait pas explicitement une telle
délégation.
A l'inverse, il a estimé que le champ de l'habilitation n'avait pas
été non plus respecté par défaut. Il a
rappelé que lors de l'examen du projet de loi d'habilitation,
l'Assemblée nationale avait adopté un amendement étendant
le champ de l'habilitation à la question du remboursement des
médicaments indispensables en matière de prophylaxie et
thérapeutique palustres. Mais il a observé que, malgré
cette habilitation et la gravité de l'endémie palustre
sévissant en Guyane qu'avait pu constater la commission lors de sa
récente mission d'information, le Gouvernement n'avait pris aucune
mesure dans ce sens dans le cadre des ordonnances et que la situation n'avait
guère évolué par ailleurs. Il a alors indiqué qu'il
proposerait à la commission d'adopter un amendement pour répondre
à cette carence du Gouvernement.
Observant que ces ordonnances appelaient de nombreuses mesures d'application,
il a indiqué que ces ordonnances étaient encore loin d'être
applicables, bien qu'elles aient été adoptées à
l'été 1998. S'agissant de l'ordonnance du 2 septembre 1998, il a
jugé peu surprenant ce retard dans sa mise en oeuvre, rappelant que les
dispositions en matière de bioéthique restaient encore
très largement inappliquées en métropole. S'agissant de
l'ordonnance du 20 août 1998, il a indiqué que celle-ci restait
aujourd'hui lettre morte alors que son application était prévue
pour le 1
er
janvier dernier. Il a alors jugé que
l'application des lois restait un réel problème, même
lorsque le Gouvernement était lui-même législateur dans le
cadre des habilitations législatives.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur,
a ensuite abordé la question
de la consultation préalable des assemblées locales, observant
que cette consultation constituait une utile garantie de l'adaptation des
mesures proposées aux contextes locaux. Il a néanmoins
estimé que la procédure de consultation suscitait certaines
interrogations. Il a d'abord précisé que le délai de
consultation était bref, les assemblées n'ayant en effet qu'un
mois, voire quinze jours en cas d'urgence pour émettre leur avis, alors
que les domaines abordés étaient pourtant à la fois vastes
et complexes. Il a d'ailleurs indiqué que sur les onze assemblées
consultées, seules quatre avaient pu rendre leur avis en temps utile. Il
a ensuite considéré que la consultation ne devait pas être
une simple obligation formelle pour le Gouvernement. Relayant les
préoccupations de certaines assemblées, il a notamment
regretté qu'il existe parfois un décalage important entre les
projets d'ordonnance sur lesquels les assemblées ont émis un avis
et les textes publiés.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur,
s'est enfin inquiété de
la lenteur de procédure de ratification. Il a ainsi observé que
le projet de loi de ratification n'était examiné par le
Sénat en première lecture que plus d'un an après son
dépôt par le Gouvernement. Il a jugé que ce retard avait un
double inconvénient : il avait pour effet d'étendre la
période de dessaisissement du législateur ; il comportait le
risque d'introduire dans la législation des textes à la
rédaction désuète. Il a ainsi précisé que
les ordonnances n'avaient pas pris en compte l'évolution statutaire de
la Nouvelle-Calédonie, alors même qu'elles avaient
été publiées concomitamment au vote de la loi
constitutionnelle relative à la Nouvelle-Calédonie. Il a,
à cet égard, précisé qu'il proposerait d'adopter un
amendement rédactionnel pour prendre en compte cette évolution.
Il a également indiqué que le Parlement allait se prononcer sur
la ratification de l'ordonnance du 2 septembre 1998, alors que celle-ci est
déjà en cours de réécriture dans le cadre de la
refonte du code de la santé publique.
Il a alors estimé que ces interrogations, qui constituaient autant de
réserves, n'appelaient pourtant pas un rejet du projet de loi de
ratification. Il a jugé que les ordonnances contenaient en effet un
grand nombre d'adaptations utiles au droit applicable outre-mer, adaptations
pour la plupart demandées par les acteurs locaux. Il a alors
proposé à la commission d'adopter ce projet de loi, sous
réserve de l'adoption de quatre amendements.
Marquant son désaccord sur le fond des ordonnances,
M. Jean
Chérioux
a indiqué qu'il ne participerait pas au vote.
M. Guy Fischer
a, à son tour, indiqué qu'il ne
participerait pas au vote, émettant lui des réserves sur le
principe des ordonnances.
Après l'article premier
, la commission a adopté un
amendement portant article additionnel présenté par le
rapporteur, visant à actualiser les textes des ordonnances pour tenir
compte de l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie.
Après l'article 3
, le rapporteur a proposé l'adoption d'un
amendement modifiant l'article 6 de l'ordonnance du 24 juin 1998, estimant
qu'il était nécessaire de mettre en cohérence les
rédactions du code du travail métropolitain et de la loi
applicable en Polynésie française en matière de protection
des femmes enceintes au travail.
M. Louis Boyer
s'est toutefois
interrogé sur la signification du terme " état de grossesse
apparent " proposé par le rapporteur, estimant que ce terme n'avait
aucune signification médicale.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur,
a indiqué que cette rédaction ne faisait que reprendre les
dispositions de l'article L. 122-32 du code du travail, tout en reconnaissant
que cette rédaction était effectivement désuète.
Estimant qu'il fallait aboutir à une même rédaction du
droit applicable en métropole et en Polynésie française
sur ce point, il a indiqué que deux solutions étaient
envisageables : soit retenir l'expression désuète du code du
travail pour la Polynésie, soit actualiser le code du travail
métropolitain en reprenant l'expression " état de grossesse
médicalement attesté " contenue dans l'ordonnance. La
commission s'est alors prononcée en faveur de la seconde solution et a,
en conséquence, adopté un amendement en ce sens.
Après l'article 5
, la commission, sur proposition de son
rapporteur, a adopté un amendement rédactionnel de
précision tendant à insérer un article additionnel
modifiant l'article premier de l'ordonnance du 2 septembre 1998.
Elle a également adopté un amendement portant article
additionnel, présenté par son rapporteur, modifiant l'article L.
753-4 du code de la sécurité sociale et précisant que,
dans les départements d'outre-mer, la liste des
spécialités pharmaceutiques remboursables doit prendre en
considération l'endémie palustre. A cet égard,
M. Jean
Delaneau, président,
a insisté sur la nécessité
d'une plus grande prise en compte, par les pouvoirs publics, du paludisme en
Guyane.
M. Jean Chérioux
a indiqué qu'il votait cet
amendement.
Puis la commission a
adopté le projet de loi ainsi
amendé
.