CHAPITRE II :
DE QUELQUES COMPTES D'AFFECTATION
SPÉCIALE
Il existe, semble-t-il, une volonté de réduire le domaine d'intervention des comptes spéciaux du Trésor et, en particulier celui des comptes d'affectation spéciale. Elle se traduit par la disparition de cinq comptes d'affectation spéciale dans le projet de loi de finances. Ce souci de rationalisation n'est pas condamnable en soi. Mais il convient de veiller, cas par cas, à la cohérence des projets. La disparition des CAS peut ainsi avoir pour traduction l'atténuation des priorités d'action publique que leur instauration avait pour objet de manifester. Elle peut aussi traduire la disparition d'un lien entre une ressource et des crédits qui peut être dès lors à l'origine de doutes sur le bien-fondé du maintien d'un prélèvement. Il est notable que la tendance à la réduction du champ d'intervention des CAS s'accompagne dans le projet de loi de finances pour 2000 d'exceptions. Ainsi en va-t-il avec les opérations portant sur le Fonds de développement des adductions d'eau 1( * ) ou avec la diversification des ressources du Fonds national de développement du sport 2( * ) . Toutes ces opérations méritent attention.
I. DEUX SUPPRESSIONS CRITIQUABLES
Plusieurs articles du projet de loi de finances 2000, l'article 30 de sa première partie et l'article 44 rattaché aux comptes spéciaux du Trésor comportent des aménagements critiquables : la suppression du fonds d'aménagement de la région Ile de France (FARIF) et celle du fonds national du livre.
A. LA SUPPRESSION DU FARIF
1. Rappel du contexte
Le fonds
d'aménagement de la région Ile-de-France (FARIF) a
été créé en 1990 afin de
"dégager des
moyens complémentaires à ceux du budget général
pour résoudre les problèmes liés à la concentration
urbaine de cette région".
Lors de sa création, il a
été, pour l'essentiel, alimenté par le produit d'une taxe
sur les locaux à usage de bureaux en Ile-de-France, que la loi de
finances pour 1999 a modifiée (voir infra).
Le fonds finance en Ile-de-France des investissements à partir d'une
ressource prélevée en Ile-de-France.
Il constitue un
instrument de péréquation entre collectivités locales
puisque, à travers lui, l'Etat fait payer, par l'intermédiaire
d'une taxe prélevée en Ile-de-France, les investissements qui,
normalement, devraient faire l'objet d'un prélèvement sur son
propre budget. Il est également un instrument de
péréquation au sein même de la région Ile-de-France
puisque la localisation de l'assiette taxable diffère de la distribution
géographique des crédits.
L'article 73 de la loi d'orientation sur l'aménagement du territoire a
accentué la vocation péréquatrice du FARIF en
prévoyant que transiteraient par lui les crédits versés
à la région Ile-de-France en compensation de la perte de la
dotation globale de fonctionnement (DGF) de la région. Selon ce texte,
"
le produit du fonds d'aménagement de la région Ile-de-France
est affecté (...) à la région Ile-de-France à due
concurrence du montant du prélèvement effectué sur la
dotation globale de fonctionnement versée à cette
région".
Tel était le moyen trouvé pour compenser l'extinction progressive
de la dotation globale de fonctionnement attribuée à la
région. En effet, le même article avait prévu que
" à compter de 1995, le montant de la dotation globale de
fonctionnement versée à la région d'Ile-de-France (...)
est diminué chaque année d'un montant de 120 millions de
francs "
.
A partir de 2005, la région Ile-de-France ne
devait donc plus percevoir de DGF.
Le montant des versements à la région a été
conforme au texte de l'article 73 : 120 millions de francs en
1995, 240 en 1996, 360 en 1997 et 480 en 1998. Pour 1999, le
versement serait de 600 millions de francs.
Transferts du FARIF à la région Ile-de-France
en application de l'article 73 de la LOADT
|
Subventions
|
|
|
1995 |
120 |
0 |
120 |
1996 |
150 |
90 |
240 |
1997 |
240 |
120 |
360 |
1998 |
310 |
170 |
480 |
Conformément à la disposition selon laquelle
"
jusqu'en 1998, la région prendra en charge, à due concurrence
des sommes transférées, les engagements de l'Etat financés
par le fonds"
, les crédits transférés à la
région étaient "affectés" et finançaient les
investissements dans le réseau routier et les transports collectifs que
l'Etat aurait du financer.
A partir de 1999, la région devait retrouver une totale liberté
d'utilisation des crédits versés par le FARIF. Dès lors,
une diminution des dépenses d'investissement financées par le
FARIF a été redoutée, d'autant qu'en l'absence de
réforme du mode d'alimentation du FARIF, l'augmentation de la part du
versement à la région Ile-de-France dans les crédits du
FARIF était programmée.
Part
du versement à la région Ile-de-France dans les recettes du
FARIF
(prévisions ministère de
l'équipement)
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
27 |
30 |
33,7 |
36,5 |
39 |
41,4 |
L'article 26 du projet de loi de finances pour 1999 visait
donc
à élargir l'assiette de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France
afin d'accroître les recettes du FARIF de manière à
préserver la capacité de l'Etat à financer les
investissements d'infrastructure en Ile-de-France.
Le gouvernement ayant souhaité que le transfert à la
région Ile-de-France n'entraîne pas de réduction des moyens
d'intervention disponibles pour l'Etat dans le cadre du FARIF, il lui fallait
calibrer un dispositif susceptible de rapporter 1.200 millions de francs
en 2004, pour financer la compensation due à la région
Ile-de-France à la suite de l'extinction progressive de sa dotation
globale de fonctionnement.
L'accroissement attendu a été recherché à
travers une extension de l'assiette de la taxe,
qui a pris le nom de "taxe
sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et les locaux
de stockage", aux locaux commerciaux et aux locaux de stockage
et au moyen
d'une augmentation programmée de son tarif. Votre commission avait
rejeté cette disposition dont finalement le principe avait
été maintenu par l'Assemblée nationale.
Au terme de cette réforme, les prévisions de recettes du FARIF
pouvaient être articulées ainsi.
Evolution des recettes de la taxe sur les bureaux,
les
locaux
commerciaux et les locaux de stockage
(en millions de francs)
|
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
Bureaux |
1676 |
1844 |
1886 |
1941 |
1997 |
2052 |
2108 |
Locaux commerciaux |
0 |
198 |
240 |
282 |
324 |
366 |
408 |
Locaux de stockage |
0 |
178 |
220 |
263 |
305 |
348 |
382 |
Total |
1676 |
2220 |
2346 |
2486 |
2626 |
2766 |
2898 |
Restitution région |
0* |
600 |
720 |
840 |
960 |
1080 |
1200 |
Disponible Etat |
1676 |
1620 |
1626 |
1646 |
1666 |
1686 |
1698 |
* En 1998, la région perçoit un versement mais n'est pas encore libre de disposer à sa guise des sommes en provenance du FARIF
Elles démontraient que l'extension de la taxe, inspirée d'une erreur de conception, autorisait néanmoins le maintien des moyens d'intervention de l'Etat et leur revalorisation de l'ordre de 1 % par an entre 1999 et 2004.
2. Une suppression précipitée
La
suppression du FARIF qui contraste singulièrement avec l'abondement de
ses ressources réclamé avec obstination l'an dernier manifeste la
volonté de revenir au budget général comme principal
support d'intervention de l'Etat dans la région Ile-de-France.
Cette réintégration n'est toutefois que partielle puisque
l'article 30 du projet de loi de finances maintient le principe de
l'affectation d'une partie du produit de la taxe sur les bureaux, les locaux
commerciaux et les locaux de stockage à la région Ile-de-France
au titre de la compensation accordée à cette région du
fait de l'extinction de sa DGF. La suppression du FARIF a pour effet de
conférer à cette affectation un caractère direct puisque,
par hypothèse, elle ne transiterait plus par le fonds.
La réintégration entreprise se traduit, du côté
recettes, par l'affectation au budget général de la portion du
produit de la taxe qui ne serait pas versée directement à la
région Ile-de-France. La quote-part versée au budget
général serait au minimum de 50 % du produit de la taxe et
pourrait dépasser cette proportion dès lors que la taxe
rapporterait davantage que 1.400, 1.680, 1.920, 2.160 et 2.400 millions de
francs en 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et au-delà respectivement.
On doit souligner que si les conditions de l'affectation directe à la
région Ile-de-France du produit de la taxe s'inspirent du système
de compension organisé par le II de l'article 73 de loi n° 95-119
du 4 février 1995 et par la loi de finances pour 1995, -en particulier,
au delà de 2004 la compensation est gelée et à l'inverse
de la DGF ne bénéficie d'aucune indexation-, le mécanisme
proposé comporte une différence importante par rapport à
celui de la loi précitée.
La garantie d'un versement supplémentaire à la région Ile
de France de 120 millions de francs année jusqu'à 2004
disparaît en droit au profit d'un dispositif qui, pour avoir la
même portée suppose que la taxe qui en est le support atteigne un
rendement suffisant. L'affectation à la région Ile de France est
en effet organisée par référence à une fraction -
50 % - du produit de ladite taxe dans la limite de plafonds annuels qui
correspondent au programme de compensation prévu par la loi de 1995.
Cette disposition d'apparence anodine introduit une modification du
système de compensation adopté en 1995 qui, compte tenu des
incertitudes sur l'avenir d'une taxe dont la conception est pour le moins
imparfaite, comporte le risque d'une réduction de sa portée.
Ce risque pour la région Ile de France s'ajoute aux risques
associés à la suppression du FARIF proposée dans le
précédent projet de loi.
Celle-ci aboutirait à
l'extinction de la procédure d'affectation du produit d'une taxe
spécifique à l'Ile de France à des dépenses
réalisées sur le territoire de celle-ci et destinées
à résoudre des problèmes spécifiques à l'Ile
de France. La suppression de l'affectation ne s'accompagne pas de celle de la
taxe spécifique et ouvre ainsi la liberté d'utiliser son produit,
plus précisément, la partie de ce produit qui ne serait pas
directement versée à la région, à des fins
étrangères à sa cause première.
Du reste, les conditions dans lesquelles sont réintégrées
au budget général les crédits auparavant pris en charge
par le FARIF dans le présent projet de loi n'assurent pas le maintien du
niveau d'intervention qui était celui du FARIF.
Du côté dépenses, cette réintégration a pour
contrepartie un abondement des crédits de divers budgets qui prennent en
charge les dépenses, variables dans leur nature, jusqu'alors
réalisées à partir du FARIF.
Le basculement des crédits du FARIF vers le budget général
de l'Etat est présenté dans le tableau ci-après.
Tableau récapitulatif des transferts de crédits du cas n° 902-22 vers le budget général
(En millions de francs)
Cas n° 902-22 (crédits à transférer) |
Budget général (crédits transférés) |
||||
Chapitre/article |
AP |
CP |
Chapitre/article |
AP |
CP |
Chap.01
Aides destinées au financement des logements à usage locatif
social en région Ile de France
|
490,0 |
490,0 |
Chap.
65-48, article 20 (budget du logement)
|
385,0 (a)
|
146,5
|
Chap.
02. Acquisition d'immeubles ainsi que frais annexes y afférents, dans
les départements du Val d'Oise, des Yvelines, de l'Essonne, de
Saine-et-Marne, du Val de Marne et de Seine-Saint Denis
|
150,0 |
150,0 |
Chapitre
55-21, article 30 (budget du Logement)
|
120,0
|
36,0
|
Chap 03. Acquisition ouconstruction d'immeubles destinés aux services de l'Etat libérant des immeubles en région Ile de France ou qui sont transférés hors de cette région |
30,0 |
30,0 |
Chapitre
57-91, article 81 (budget de l'équipement, services communs)
|
5,0
|
1,5
|
Chapitre 04. Subventions d'investissement en matière de transports collectifs en Ile de France |
130,0 |
130,0 |
Chapitre 63-41, article 18 (budget des Transports terrestres) |
220,0 |
66,0 |
Chapitre 05. Investissements sur le réseau routier national en Ile de France |
580,0 |
580,0 |
Chapitre 53-43, article 90 (budget des Routes) |
580,0 |
177,0 (b) |
Chapitre 06, article 10. Etudes |
25,0 |
25,0 |
Chapitre 57-30, article 60 (budget du Logement) |
30,0 |
15,0 |
Chapitre 09. Opérations de développement social urbain |
120,0 |
120,0 |
Chapitre 46-60n article 20 (budget de la Ville) |
125,0 |
37,5 |
Chapitre 10. Dépenses en faveur du développement social urbain |
- |
95,0 |
Chapitre 46-60, article 20 (budget de la Ville) |
- |
100,0 |
Pour
mémoire :
|
- |
|
Affectation d'une partie du produit de la taxe sur les bureaux, les locaux commerciaux ou de stockage (cf. article 30 du projet de loi de finances pour 2000) |
- |
- |
Total des crédits à transférer |
1.525,0 |
2.220,0 |
Total des crédits transférés |
1.525,0 |
622,5 |
a) Sur
le montant de 418,6 millions de francs inscrits dans le fascicule
budgétaire du Logement (p.24) seuls 385 millions de francs
proviennent effectivement d'un transfert du FARIF
b) Sur le montant de 230,7 millions de francs inscrits dans le fascicule
budgétaire des Routes (p.79), seuls 177 millions de francs
proviennent effectivement d'un transfert du FARIF.
Le tableau ci-dessus démontre que les conditions dans lesquelles sont
inscrits au budget général les crédits du FARIF conduisent
en l'état à une économie budgétaire reflet d'une
réduction de l'intensité de l'effort de l'Etat dans la
région Ile de France et contribuent à l'amélioration du
déficit public.
Du premier point de vue, il faut relever que si, pour les autorisations de
programme, le transfert respecte l'enveloppe qui aurait été
disponible dans les écritures du FARIF, tout en apportant quelques
aménagements au regard de la répartition de l'objet des
crédits
3(
*
)
, il n'en va
pas de même en matière de crédits de paiement. Pour ces
derniers, seuls 622,5 millions de francs de crédits sont inscrits
au budget général, soit près de 900 millions de moins
que la dotation théorique du FARIF
4(
*
)
.
On doit souligner incidemment que fixer la dotation des crédits de
paiement à cette somme a pour effet, compte tenu de la recette inscrite
au titre de la taxe, d'améliorer le solde budgétaire de
900 millions de francs.
La suppression du FARIF ne peut ainsi s'analyser que comme la suppression d'une
procédure d'affectation d'une ressource spéciale -la taxe
prélevée sur les bureaux, les locaux commerciaux et de stockage
dans la région Ile-de-France- à des interventions
elles-mêmes spéciales puisque destinées à
résoudre les problèmes d'infrastructure particuliers à
l'Ile-de-France.
En effet, la taxe spécifique qui alimentait le fonds est quant à
elle maintenue. La suppression de la procédure d'affectation apporte
ipso facto
un certain doute quant à la destination future du produit
d'une taxe, qui, elle, reste spécifique à l'Ile-de-France. La
suppression du FARIF laisse en effet à l'Etat une totale liberté
d'utilisation de la fraction de la taxe qui ne sera pas directement
versée à la région et qui, décroissante dans un
premier temps, devrait augmenter après 2004.
Il est évidemment à craindre que cette liberté ne soit
mise à profit pour modifier l'affectation de la taxe dans un sens qui
l'éloignerait de sa logique initiale.
Le maintien de la taxe appelle le maintien de son affectation et donc du
FARIF.