N°
276
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 21 mars 2000
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur :
- le
projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif à
l'
archéologie
préventive
;
- la proposition de loi de MM. Ivan RENAR, Jack RALITE, Mmes
Hélène LUC, Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART,
Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR, Guy
FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Pierre LEFEBVRE, Paul LORIDANT
et Mme Odette TERRADE relative à l'
organisation
de
l'archéologie
,
Par M.
Jacques LEGENDRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Louis Carrère, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
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les numéros
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Patrimoine. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'archéologie préventive a donné lieu depuis 1975 à
la publication de près d'une dizaine d'études ou de rapports
officiels dont le dernier a été remis en novembre 1998
à Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la
communication, par MM. Jean-Paul Demoule, professeur
d'université, Bernard Pêcheur, conseiller d'Etat, et
Bernard Poignant, maire de Quimper. Ce rapport dont les orientations ont
servi de fondement à l'élaboration du projet de loi qui nous est
aujourd'hui soumis avait été commandé à la suite de
l'émotion suscitée à la fois par quelques affaires
où des préoccupations économiques avaient conduit à
la destruction de vestiges archéologiques et par un avis du Conseil de
la concurrence qui assimilait l'exécution des fouilles
préventives à une activité économique soumise aux
règles de la concurrence.
Le projet de loi a donc été élaboré dans un
contexte de crise, qui a cristallisé les critiques des aménageurs
et des archéologues à l'égard d'un système reposant
sur une fiction juridique, celle de l'application de la loi de 1941 aux
opérations d'archéologie préventive, et sur un principe
" casseur-payeur " qu'aucun texte ne prévoit et qui impose aux
aménageurs une contribution financière en raison des dommages
qu'ils infligent au patrimoine.
Les difficultés rencontrées depuis plusieurs années par
l'archéologie préventive imposaient sans doute une
réforme. Cependant, votre rapporteur regrette les délais d'examen
très courts qui lui sont imposés pour un texte qui a
été examiné en conseil des ministres le
5 mai 1999 et n'a été inscrit à l'ordre du jour
de l'Assemblée nationale que le 23 février dernier.
Cette précipitation est d'autant plus condamnable que le projet de loi
présente encore nombre de faiblesses et de lacunes.
Le projet de loi a pour seul objet d'attribuer à un établissement
public financé par l'impôt le monopole d'exécution des
fouilles. A ce titre, le projet de loi suscite autant d'inquiétudes
qu'il n'apporte de remèdes à une situation désormais
unanimement critiquée.
En effet, ce dispositif réduit à un rôle subalterne les
services archéologiques des collectivités territoriales, ignore
les équipes de fouilleurs bénévoles et ne prend pas
suffisamment en compte les nécessités du développement
économique qui a besoin de voir respecter des délais.
*
* *
I. LES DIFFICULTÉS CRÉÉES PAR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE
A. UN CADRE LÉGISLATIF MAL ADAPTÉ
1. L'essor de l'archéologie préventive
Une
des conséquences pour le moins inattendue du développement
économique et qu'a connu la France depuis le début des
années 1970 a été de permettre le renouveau de la
recherche archéologique.
Jusqu'alors limité à l'étude des vestiges de
l'antiquité gréco-romaine ou de la période
préhistorique, le champ de cette discipline scientifique s'est accru
considérablement sous l'effet des découvertes
archéologiques consécutives à la multiplication des
opérations d'urbanisme et des grands chantiers d'infrastructures
routières ou ferroviaires.
Conjugué à une prise en compte plus systématique que par
le passé des préoccupations liées à la protection
du patrimoine, cette évolution a abouti à l'apparition de ce
qu'il est aujourd'hui convenu de désigner sous le terme
d'archéologique préventive.
Cette terminologie qui s'oppose à celle d'archéologie
programmée désigne des fouilles qui procèdent non pas
d'une décision délibérée de faire progresser la
science par l'étude d'un lieu ou d'une époque
déterminés mais de la menace d'une destruction liée
à des travaux affectant le sous-sol.
Cette discipline nouvelle a connu un essor si important qu'elle semble
éclipser désormais les opérations programmées. En
effet, on estime aujourd'hui que près de 90 % des données
scientifiques proviennent de ce type de fouilles.
Nul ne songe aujourd'hui à contester la contribution de
l'archéologie préventive au progrès des connaissances et
à leur renouvellement. Les contraintes qui pèsent sur cette
discipline ont favorisé le recours à des techniques
perfectionnées et pluridisciplinaires qui ont engendré de
considérables avancées par rapport aux méthodes
archéologiques traditionnelles.
Cependant, cette évolution ne s'est accompagnée ni d'un effort
financier de l'Etat ni d'une adaptation du cadre juridique des
opérations
archéologiques
. Faute de disposer des
moyens lui permettant d'assumer les responsabilités qui lui incombaient
en vertu des dispositions de la loi du 27 septembre 1941, l'Etat a
encouragé la mise en place d'un système conventionnel reposant
sur une participation financière des aménageurs et l'intervention
d'une association para-administrative, l'association pour les fouilles
archéologiques nationales (AFAN), chargée d'exécuter les
opérations de fouilles. Un tel système qui résulte de
l'absence de dispositions législatives spécifiques aux
opérations d'archéologie préventive, aujourd'hui
critiqué tant par les archéologues que les aménageurs, est
sans doute à l'origine de la situation de crise auquel le projet de loi
se propose de remédier.
2. Une législation mal appliquée
Jusqu'en
1941, la recherche archéologique était libre de tout
contrôle, l'article 28 de la loi du 31 décembre 1913 sur les
monuments historiques se bornant seulement à prévoir l'obligation
pour le maire d'aviser le préfet des découvertes
effectuées et la possibilité pour l'Etat de recourir à
l'expropriation.
La loi du 27 septembre 1941 dite loi Carcopino constitue donc le premier
ensemble autonome et complet de mesures définissant les
compétences de l'Etat en matière archéologique.
Validée par une ordonnance du 13 septembre 1945, la loi du 27 septembre
1941 reste encore le seul texte applicable en ce domaine.
En effet, si
depuis 1945, elle a été complétée par un certain
nombre de dispositions législatives et réglementaires, aucun
gouvernement n'a souhaité modifier ce texte, le projet de loi ne faisant
pas exception sur ce point.
Votre rapporteur vous rappellera brièvement l'économie de la loi
de 1941 qui régit aujourd'hui encore, faute de dispositions
spécifiques, les opérations d'archéologie
préventive. Cette loi comporte trois titres, qui concernent
respectivement la surveillance des fouilles par l'Etat, l'exécution des
fouilles par celui-ci et les découvertes fortuites.
La surveillance de l'Etat s'exerce grâce à
une autorisation
qui doit être obtenue avant toute fouille effectuée pour
rechercher " des monuments ou des objets intéressant la
préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie ".
Qu'il s'agisse de fouilles programmées ou de fouilles
préventives, l'autorisation est accordée, sur demande, par le
ministre de la culture ou par le préfet de région, qui fixent les
prescriptions suivant lesquelles les recherches doivent être
effectuées. Depuis 1994
1(
*
)
, cette décision, comme
l'ensemble des prescriptions de l'Etat relatives à l'archéologie,
est prise après avis des organes scientifiques consultatifs
compétents, qui sont soit le conseil national de la recherche
archéologique (CNRA), soit la commission interrégionale de la
recherche archéologique (CIRA). Dans la mesure où la loi de 1941
précise que les fouilles doivent être effectuées par celui
qui a demandé et obtenu l'autorisation de les entreprendre, il a
toujours été considéré que l'autorisation ne
pouvait être accordée qu'à une personne physique en raison
de ses compétences scientifiques.
Le titre II prévoit que l'Etat peut exécuter lui-même
d'office des fouilles sur des terrains qui ne lui appartiennent pas. C'est sous
ce régime que sont réalisés toutes les opérations
de sauvetage alors même qu'en réalité s'il prescrit les
travaux, l'Etat ne les exécute pas plus qu'il ne les finance.
Compte tenu de la multiplication des opérations de fouilles et en raison
de la faiblesse des crédits budgétaires comme de l'insuffisance
des moyens en personnels des services régionaux de l'archéologie,
c'est le schéma suivant qui s'applique dès lors qu'en vertu du
titre II de la loi de 1941, une fouille a été ordonnée :
une négociation s'engage entre l'Etat, l'aménageur, et
l'opérateur de fouilles, qui se trouve être dans la
quasi-totalité des cas, l'AFAN. A l'issue de cette négociation,
est signée une convention tripartite entre l'Etat qui a
décidé de procéder à la fouille et établi
les prescriptions, l'aménageur qui prend en charge le coût des
travaux et l'AFAN qui reçoit les fonds versés par
l'aménageur, et éventuellement, l'Etat si des subventions sont
attribuées afin d'exécuter les travaux de fouilles. C'est
à l'issue de cette phase que l'autorisation de procéder aux
fouilles est sollicitée conformément aux dispositions du titre I
de la loi de 1941.
Si l'application de la loi de 1941 pour ces dispositions repose sur une
fiction, il n'en demeure pas moins que les fouilles ainsi
exécutées ouvrent droit à l'indemnisation prévue
par l'article 10 de la loi de 1941 au titre du préjudice
résultant de la privation momentanée de jouissance des terrains
et des dommages causés au sol. Comme l'a jugé le Conseil d'Etat
dans deux affaires
2(
*
)
, l'absence
de réserves dans le permis de construire comme l'existence d'une
convention entre l'Etat et le propriétaire du terrain ne sont pas de
nature à écarter l'application de cette disposition. L'Etat est
alors rattrapé par ses obligations. Cependant, les aménageurs
redoutant le caractère aléatoire de ce type de contentieux
hésitent à introduire des recours, préférant en
général négocier avec l'administration.
Enfin, les prescriptions du titre III font obligation de déclarer au
maire toutes les
découvertes fortuites
qui peuvent
intéresser " la préhistoire, l'histoire, l'art,
l'archéologie ou la numismatique ". Dans ce cas, les services du
ministère de la culture bénéficient d'un droit de visite
et peuvent prescrire toutes mesures utiles pour la conservation des objets
découverts. L'article 15 de la loi dispose que si la continuation des
recherches présente un intérêt public, les fouilles ne
peuvent être poursuivies par l'Etat ou après autorisation de
l'Etat que dans les conditions prévues aux titres I et II.
Cette loi qui attribue à l'Etat un pouvoir de police lui permettant
d'assurer la protection du patrimoine a été
complétée par diverses dispositions destinées à
permettre une meilleure prise en compte par les aménageurs de
" l'aléa archéologique ", grâce à une
association plus étroite des services du ministère de la
culture aux procédures de délivrance des autorisations
d'urbanisme.
Ainsi l'article R-111-3-2, introduit par un décret de 1977 dans le code
de l'urbanisme, précise que " le permis de construire peut
être refusé ou n'être accordé que sous réserve
de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions sont de
nature, par leur localisation, à compromettre la conservation ou la mise
en valeur d'un site ou de vestiges archéologiques ". Cette
disposition a pris tout son sens avec le décret n° 86-192 du 5
février 1986 qui a rendu obligatoire la consultation des services en
charge de l'archéologie préalablement à la
délivrance des autorisations d'urbanisme.
En outre, ce même texte a ouvert la possibilité de classer lors de
l'élaboration des plans d'occupation des sols en zones " ND "
c'est-à-dire non constructibles les zones à protéger pour
des raisons archéologiques. Cependant, si un permis de construire peut
être refusé pour des motifs liés à la protection du
patrimoine archéologique, il ne peut prévoir la
réalisation de fouilles : les prescriptions prévues par
l'article R-111-3-2 ne peuvent, en effet, concerner que le domaine de
l'urbanisme. En aucun cas des fouilles ou des sondages ne sont susceptibles de
figurer parmi les réserves mises à la délivrance du permis
de construire. Il existe donc en réalité une séparation
très nette entre ce qui relève de la loi de 1941 et ce qui
relève des servitudes d'urbanisme, le pouvoir réglementaire
n'ayant veillé qu'à permettre à l'autorité
administrative d'exercer avec le plus d'efficacité possible les
prérogatives qu'elle détient en vertu de la loi de 1941.
Le même souci a inspiré les modifications apportées aux
procédures applicables à la protection de l'environnement :
pour bon nombre d'entre elles (études d'impact, procédure
d'instruction mixte à l'échelon central), la notion
d'environnement recouvre désormais le patrimoine archéologique.
Enfin, il convient de rappeler que les prérogatives de l'Etat s'exercent
dans le cadre des dispositions de portée générale de la
convention européenne pour la protection du patrimoine
archéologique signée à Malte le 16 janvier 1992 par les
Etats membres du Conseil de l'Europe. Cette convention, dont les stipulations
restent très vagues prévoit notamment que : " (les
parties) s'engagent à mettre en oeuvre un régime juridique de
protection du patrimoine archéologique ".