AUDITION DE MM. ANDRÉ-MICHEL VENTRE,
SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL DU SYNDICAT DES COMMISSAIRES
ET HAUTS FONCTIONNAIRES
DE LA POLICE NATIONALE,
JEAN-MICHEL TOULLEC, SECRÉTAIRE
GÉNÉRAL ADJOINT DU SYNDICAT NATIONAL DES OFFICIERS DE POLICE,
BRUNO BESCHIZZA, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL, ET PATRICE BRISSET,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DU SYNDICAT " SYNERGIE
OFFICIERS "
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M. Jean-Michel Toullec, a fait part de
l'inquiétude de
l'ensemble des représentants des officiers de police judiciaire
provoquée par les dispositions du projet de loi sur la
présomption d'innocence, notamment par celles sur la garde à vue
qui auraient des répercussions importantes sur les conditions de travail
des policiers, le taux d'élucidation des affaires et les relations avec
les victimes.
Il a rappelé que la présence de l'avocat à la
vingtième heure de la garde à vue, désormais entrée
dans les moeurs, avait à la fois pour objet d'assurer au témoin
un soutien psychologique et moral et de lui permettre de
bénéficier de conseils avant sa présentation devant le
procureur de la République. Il a cependant estimé qu'un bilan de
l'intervention des avocats à la vingtième heure pourrait faire
ressortir le désintérêt de certains avocats pour cette
procédure.
Il a indiqué que le projet de présence de l'avocat à la
première heure était ressenti par les policiers comme une marque
de suspicion à leur égard et qu'il introduisait de manière
illogique des éléments accusatoires dans une procédure
restant inquisitoire.
Il a craint que des imprécisions du texte ne conduisent à la
multiplication des nullités de procédure, s'interrogeant
notamment sur l'étendue des pouvoirs de l'enquêteur avant
l'arrivée d'un avocat n'ayant pu être joint rapidement ou ayant
des délais de route.
M. Bruno Beschizza a considéré que plusieurs dispositions du
projet de loi étaient de nature à paralyser l'exercice de la
police judiciaire, opinion également partagée par les magistrats
instructeurs. Il a regretté que l'équilibre soit rompu entre le
système inquisitoire et le système accusatoire, estimant que la
réforme s'était arrêtée au milieu du gué.
Il a observé que plusieurs dispositions du projet de loi tendaient
à faire porter aux policiers les conséquences du mauvais
état des locaux de garde à vue et l'insuffisance des moyens
d'accueil du public, à un moment où les policiers avaient
eux-mêmes accompli un important effort d'adaptation.
Il a considéré que ce texte ne pouvait que conduire à
décourager les policiers et à organiser une impunité
généralisée sans toutefois atteindre son objectif premier
de protection de la présomption d'innocence. Il a craint en effet que
l'intervention de l'avocat à la première heure ne puisse
réellement bénéficier qu'aux délinquants
organisés, déjà en relation avec un avocat. Evoquant
l'usage que des délinquants, notamment des terroristes, pourraient faire
du droit de demander l'état du dossier d'enquête et le classement
de l'affaire au bout de six mois, et craignant de rencontrer de
l'incompréhension de la part des victimes, il a indiqué que les
policiers ne voulaient pas être des boucs émissaires.
M. André-Michel Ventre a indiqué que les policiers vivaient
très mal la suspicion que faisaient peser sur eux les dispositions du
texte en dépit de l'important effort de modernisation accompli par la
police.
Il a considéré que le texte entraverait l'action des policiers de
base.
S'agissant de l'intervention de l'avocat à la première heure de
la garde à vue, il s'est inquiété des nullités de
procédure éventuelles résultant de l'impossibilité
de contacter un avocat et la famille d'une personne gardée à vue,
par exemple en cas d'ébriété de cette dernière la
mettant dans l'incapacité de communiquer les informations
nécessaires.
Il a également critiqué la procédure de témoin
assisté soulignant les difficultés qu'elle pourrait
entraîner en cas d'inceste ou de violence sexuelle en relation avec
l'application de l'article 105 du code de procédure pénale.
S'agissant de l'enregistrement des auditions lors des gardes à vue, il a
observé qu'il redonnerait à l'aveu une importance actuellement
sur le déclin. Il s'est inquiété de la force probante
qu'aurait un procès-verbal d'audition par rapport à
l'enregistrement sonore, sauf à être la transcription exacte de ce
dernier. Constatant qu'un simple enregistrement sonore ne permettrait pas au
policier de se prémunir contre des simulateurs, il a estimé que,
seul, un enregistrement vidéo serait de nature à éviter
toute contestation.
Il a insisté sur le coût budgétaire des mesures
proposées, soulignant que risquaient d'être réduits
à néant, faute de moyens, les espoirs mis dans la politique de
proximité. Il a indiqué à cet égard que la ville de
New York employait 40.000 policiers pour 7 millions d'habitants, alors que
Paris n'en n'employait que 28.000, dont 80 % assuraient des tâches
d'ordre public.
Il s'est enfin déclaré partisan d'un réel système
accusatoire permettant à la police d'assurer la sécurité
des citoyens.
M. Charles Jolibois, rapporteur, s'est inquiété des discordances
risquant de se produire entre les procès-verbaux d'auditions et les
enregistrements sonores et a indiqué que certains de ses interlocuteurs
constataient que ces derniers pourraient se retourner contre les personnes
ayant effectué des aveux.
M. Nicolas About, tout en indiquant qu'il n'était pas
favorable à l'intervention de l'avocat dès la première
heure de garde à vue, a considéré que celle-ci ne
protégerait pas plus les grands délinquants que les
délinquants occasionnels, les premiers étant familiers des
procédures et pouvant attendre la vingtième heure pour
bénéficier des conseils de l'avocat. Il a considéré
que le risque d'utilisation de la bande sonore au détriment de la
personne gardée à vue était réel et qu'il fallait
prendre en compte les questions de manipulation de bandes. Il s'est
demandé s'il ne serait pas plus judicieux de prévoir la signature
des procès-verbaux, à la vingtième heure, en
présence de l'avocat.
M. Jean-Michel Toullec a souligné que la garde à vue était
une véritable confrontation psychologique pouvant conduire à des
aveux ultérieurement étayés par des preuves. Il a
considéré que les dispositions du texte en modifieraient la
nature et que des aveux enregistrés porteraient gravement atteinte
à la présomption d'innocence. Il a estimé que, seul, un
enregistrement vidéo pourrait apporter les garanties nécessaires,
ce qui rendrait obligatoire la mise en place d'une véritable logistique
et l'intervention de personnels à l'abri de tout soupçon de
collusion avec la police.
Il a regretté que les débats parlementaires
révèlent une véritable suspicion à l'égard
de la police, en donnant pour exemple la sévère mise en cause
opérée à l'Assemblée nationale des fouilles
à corps effectuées dans les commissariats, alors même que
ces fouilles, ayant pour objet de rechercher des preuves et d'assurer la
sécurité tant des policiers que de la personne gardée
à vue ou de ses co-détenus, étaient
réalisées par des personnels médicaux.
M. André-Michel Ventre a considéré que les
dispositions du texte créeraient un véritable parcours du
combattant pour les enquêteurs de terrain. Il a craint que son
application n'entraîne une baisse du taux d'élucidation des
infractions, actuellement de 28 % en moyenne.
M. Bruno Beschizza a donné un exemple, validé par
l'association des magistrats instructeurs, dans lequel un agresseur connu
pourrait échapper à toute condamnation en exploitant les
nouvelles procédures envisagées.