INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Déposé le 7 juin 2000 sur le bureau de
l'Assemblée nationale, le présent projet de loi
concrétise, après de nombreuses publications, interventions et
enquêtes d'opinion en ce sens, la renaissance d'un projet de loi
constitutionnelle voté par le Parlement en 1973.
Le 16 mai 2000, répondant à une question posée
par un parlementaire sur le sort qu'il entendait donner à la proposition
de loi que celui-ci venait de déposer pour réduire de 7 à
5 ans et limiter à un renouvellement le mandat du Président
de la République, M. Lionel Jospin, Premier ministre, se
prononçait en faveur d'un vote rapide du quinquennat "
quelle
que soit la voie choisie
".
Au cours d'un entretien télévisé du 5 juin 2000,
M. Jacques Chirac, Président de la République,
annonçait : "
J'ai beaucoup réfléchi, j'ai
écouté les uns et les autres, j'ai surtout observé la
position prise par le Gouvernement et j'en ai conclu qu'on pouvait aujourd'hui
raccourcir le délai du mandat présidentiel, passer de sept
à cinq ans sans arrière-pensée et sans changer nos
institutions.
"
Il optait pour le dépôt d'un projet de loi, souhaitait que le
Parlement en débatte et le vote sans adopter d'amendements et marquait
sa préférence pour la soumission au référendum en
cas d'adoption par les deux assemblées en termes identiques.
Le présent projet de loi constitutionnelle serait dans ce cas la
première révision effectuée selon la procédure
présentée comme première par l'article 89 de la
Constitution et qui associe un vote conforme des deux assemblées et une
décision populaire.
"
Le septennat franchira-t-il la barrière du
siècle ?
", s'interrogeait, en 1973,
M. Jacques Piot, rapporteur à l'Assemblée nationale, en
ouvrant le débat -car il fut ouvert dans les deux assemblées par
les rapporteurs, le Premier ministre, M. Pierre Messmer, leur faisant suite.
Bis repetita placent
, vingt sept ans plus tard, le Parlement est
à nouveau saisi d'un projet de loi constitutionnelle tendant à
réduire de sept à cinq ans la durée normale du mandat
présidentiel. Or, chacune des assemblées, le Sénat avec
une majorité plus grande que l'Assemblée nationale, avait
déjà voté cette réforme dans les mêmes termes
en 1973, il est vrai sans les voix de la gauche qui vota contre à
l'époque.
Cette situation inédite mérite d'être analysée avant
d'aborder à nouveau le fond de la réforme proposée.
L'évolution de la pratique, la présente cohabitation et un
certain apaisement institutionnel créent un climat bien différent
de celui de 1973.
La banalisation des révisions, le consensus sur une réforme
présentée comme évidente se traduisent d'ailleurs jusque
dans le choix de confier la présentation du projet de loi à Mme
le garde des Sceaux et non au Premier ministre comme en 1973. Celle-ci a, au
surplus, fait l'honneur au Sénat de venir débattre d'une
proposition de loi au cours de sa séance mensuelle
réservée, tandis que le ministre chargé des relations avec
le Parlement poursuivait au nom du Gouvernement le débat sur le
quinquennat à l'Assemblée nationale
1(
*
)
.
Depuis 1973, sont intervenus plusieurs législatures et trois
renouvellements complets du Sénat, assemblée qui se renouvelle
partiellement tous les trois ans par l'élection d'un tiers de ses
membres.
Davantage que le changement de composition des assemblées
l'évolution institutionnelle justifie que le Parlement se prononce
à nouveau sur le quinquennat. Il n'est pas pour autant plus aisé
de discerner toutes les futures conséquences de cette réforme au
vu du rôle joué par la coutume constitutionnelle dans le
passé.
*
* *
I. L'ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE REQUIERT UN NOUVEAU DÉBAT AU PARLEMENT 27 ANS APRÈS LE VOTE POSITIF DES DEUX ASSEMBLÉES EN 1973
A. LA PRATIQUE DES RÉVISIONS A RENDU SOUPLE LA CONSTITUTION DE 1958 THÉORIQUEMENT RIGIDE EN RAISON DE SA PROCÉDURE DE RÉVISION
En 1973,
centenaire de l'instauration du septennat par ce qui n'était pas encore
la III
e
République (loi du 28 novembre 1873),
la révision de la Constitution par la voie normale de l'article 89
restait à ancrer dans les moeurs. La Constitution de 1958 n'avait
jusqu'alors été révisée qu'à trois reprises
en 15 ans.
• Les deux premières fois en dehors de la procédure de
l'article 89 :
- en 1960, avait été utilisé l'article 85
(désormais abrogé) pour une révision concernant la
communauté qui liait la France à certains Etats
associés ;
- en 1962, l'instauration de l'élection du Président de la
République au suffrage universel direct avait fait l'objet d'une loi
référendaire prise en application de l'article 11. Cette
procédure très contestée n'a plus été
utilisée avec succès depuis. La tentative de 1969 a conduit
à un vote négatif et entraîné le départ du
premier Président de la V
e
République qui y avait
vu une motion de défiance à son égard.
• La troisième révision, en 1963, avait concerné le
point mineur de la date des sessions parlementaires et constituait l'unique
précédent d'une révision aboutie par la voie de
l'article 89, et plus particulièrement par celle du Congrès.
Si bien qu'en 1973, cette procédure apparaissait si peu usitée
que la volonté de l'ancrer dans la pratique fut utilisée par
certains orateurs comme argument pour repousser tout amendement et favoriser
ainsi le consensus supposé mener au Congrès.
Le Président Georges Pompidou avait d'ailleurs indiqué dans son
message au Parlement du 3 avril 1973 que si le projet se trouvait
encombré de "
propositions annexes (...) tout serait remis en
question
". Les amendements proposés furent d'ailleurs
déclarés irrecevables pour la plupart et rejetés pour le
surplus.
Aussi, notre regretté collègue Etienne Dailly, concluait-il son
rapport oral en ces termes : "
Au moment où l'on
choisit la voie du Congrès, qui est la bonne, c'est-à-dire celle
du Parlement, votre commission estime que le Parlement serait bien mal
fondé d'y faire obstacle dès lors que le fond ne pose pas plus de
problèmes qu'elle n'en a décelé. (...) N'ayant pour seul
souci que le prestige de notre assemblée, votre commission vous demande
d'approuver sans amendement le texte qui vous est soumis
".
Cet argument dut paraître insuffisant aux groupes de la gauche car, comme
à l'Assemblée nationale et bien que cette réforme figure
à leur programme commun de 1972 comme elle était inscrite
à celui de l'actuel Premier ministre, ils se prononcèrent contre.
Le 8 octobre, dans le Nouvel Observateur,
M. François Mitterrand, alors député de la
Nièvre, avait expliqué que "
cette mesure partielle (...)
s'inscrivait dans un ensemble cohérent (...). Si l'on réduit la
durée du mandat présidentiel sans rectifier le fonctionnement du
régime, ça ne signifie pas grand-chose
".
A ce motif, s'ajouta la volonté de ne cautionner ni les révisions
de 1962 (réussie) et de 1969 (échouée) utilisant la voie
du référendum de l'article 11, ni indirectement l'ensemble
du régime.
Le rapport de M. Gérard Gouzes au nom de la commission des Lois de
l'Assemblée nationale sur le présent projet de loi comporte
d'ailleurs un curieux raccourci historique qui n'est pas sans rappeler cet
état d'esprit. Faisant presque table rase de plus d'un siècle de
République, il semble considérer que le quinquennat, dont il
indique par ailleurs qu'il ne devrait pas "
remettre en cause
l'équilibre de nos institutions
", est la réforme qui
permettra de passer de la monarchie à la démocratie, du
"
Président monarque au Président
citoyen
"
2(
*
)
. Il est
vrai qu'en séance publique, M. Gérard Gouzes a puisé
en revanche aux meilleures sources, citant abondamment le Général
de Gaulle puis les sénateurs Etienne Dailly et Henri Fréville
lors du débat de 1973.
Au terme d'une lecture, le texte était néanmoins adopté en
termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat. Il
comportait un deuxième article, jugé implicite par
l'exposé des motifs du présent projet de loi, précisant
qu'il s'appliquerait à partir de la prochaine élection
présidentielle.
Toutefois, le décompte des voix excluait qu'il puisse recueillir la
majorité des trois cinquièmes au Congrès. Le contexte
politique ne se prêtait pas à l'organisation du
référendum (la situation au Moyen-Orient fut
évoquée à plusieurs reprises mais M. Pierre Messmer
indiquait récemment que l'état de santé du
Président Pompidou "
ne lui permettait pas d'animer une campagne
référendaire
"
3(
*
)
). En fonction des voix
exprimées, il manquait au moins dix-huit voix à
l'Assemblée nationale et deux au Sénat pour atteindre la
majorité des trois cinquièmes.
Le Président Georges Pompidou, tout en constatant que le texte avait
recueilli "
une très large majorité à
l'Assemblée nationale et plus encore au Sénat
",
annonçait, dans une interview radiotélévisée du
4 octobre 1973, que, sans renoncer à la réforme, la
conjoncture ne se prêtait ni à la réunion du
Congrès, ni à l'organisation d'un référendum, qu'il
n'était pas lié par un délai et qu'il se réservait
sur la suite à donner au vote des assemblées. Il émit
l'hypothèse d'un référendum sur ce point jumelé
avec la prochaine élection présidentielle.
Or, non seulement le texte sur le quinquennat adopté à
l'Assemblée nationale et au Sénat par les groupes de la
majorité de droite ne fut soumis ni au Congrès, ni au
référendum, mais cette dernière voie (
vote des deux
assemblées, puis référendum
), présentée
par la lettre de l'article 89 comme la procédure normale de
révision, n'a
jamais été jusqu'à ce jour
mise en oeuvre
.
En revanche, depuis 1973, la procédure alternative de l'article 89
(
vote en termes identiques par les deux assemblées puis par le
Congrès
) a permis d'effectuer la totalité des
révisions abouties, à des rythmes cependant très
variables :
-
deux
révisions en 1974 (la très importante
ouverture de la saisine
4(
*
)
du Conseil constitutionnel à
soixante députés ou soixante sénateurs qui donne des
droits à la minorité ; mais cette dernière ne votera
pas non plus cette révision) et 1976 (décès d'un candidat
à l'élection présidentielle) ;
-
aucune
révision réussie entre 1976 et 1992 ;
- puis
neuf
révisions entre 1992 et 1999 (dont celle du
conseil supérieur de la magistrature en 1993, l'extension du
référendum de l'article 11 et la séance mensuelle
réservée en 1995, enfin la parité en 1999).
La multiplication de ces révisions traduit une volonté commune
nouvelle de faire évoluer les institutions sans les remettre en cause.
L'alternance, la cohabitation, le rôle joué par le Sénat en
expliquent le nombre et la teneur.
B. LA CONSTITUTION S'EST RÉVÉLÉE SOUPLE ÉGALEMENT DANS LA PRATIQUE POLITIQUE : L'ALTERNANCE, LA COHABITATION ET LE DOUBLE SEPTENNAT NE S'ETAIENT PAS ENCORE PRODUITS EN 1973
Si la
procédure de révision restait à ancrer dans les moeurs en
1973, la pratique des institutions de 1958 avait été jusqu'alors
très monochrome. Il restait à en découvrir bien des
ressources.
La Constitution de 1958-1962 avait permis à son inspirateur de traverser
la crise algérienne et mai 68.
Ses successeurs en se l'appropriant allaient la légitimer tout en la
faisant évoluer.
Trois temps forts de la pratique institutionnelle ne s'étaient pas
encore produits en 1973 et leur probabilité paraissait faible aux
orateurs de l'époque.
L'alternance
politique fut la première étape
importante : en accédant à la Présidence puis en
acquérant une majorité à l'Assemblée nationale en
1981 et en exerçant le pouvoir, à Constitution inchangée
jusqu'en 1992, la gauche de gouvernement acceptait
de facto
le jeu des
institutions fondées en 1958.
Le Président François Mitterrand qui en avait été
l'un des adversaires les plus affichés disait dès 1981 :
"
Les institutions n'étaient pas faites à mon intention.
Mais elles sont bien faites pour moi
"
5(
*
)
.
Ainsi, cette alternance atténua-t-elle la contestation des institutions,
traditionnelle dans notre pays.
La deuxième étape fut la
cohabitation
imposée, non
sans contestations initiales, par un président grand praticien de la
IV
e
République qui décida de nommer un Premier
ministre issu de la nouvelle majorité qui ne coïncidait pas avec
celle qui l'avait élu cinq ans auparavant. Il marquait ainsi la fin
d'une analyse univoque de la Constitution fondée sur la coïncidence
des majorités présidentielle et parlementaire, au besoin
renouvelée par la pratique des référendums et de la
dissolution.
Le Président décidait ainsi de se soumettre sans se
démettre.
A ce prix, il put réaliser une hypothèse jugée tout aussi
improbable en 1973 et peut-être en passe de devenir un exemple
unique : un
double septennat
achevé de 1981 à 1995.
Le contexte institutionnel, tant du point de vue de la procédure que
de celui des usages a donc changé fondamentalement en vingt-sept ans ce
qui justifie, malgré le précédent de longue
révision de 1963
6(
*
)
, de
donner à nouveau la possibilité au Parlement de se prononcer
quelle que soit la voie suivie ultérieurement pour la ratification de la
révision.
II. SUR LE FOND, LE DÉBAT RESTE OUVERT SUR L'ENJEU DE LA RÉFORME PROPOSÉE
En 1973,
Michel Debré avait estimé à propos du quinquennat qu'il ne
s'agissait pas "
d'une mince affaire
".
Il était en phase avec le Général de Gaulle qui
répondait en 1963 à Alain Peyrefitte
7(
*
)
: "
Je l'exclus
totalement ! Dans l'esprit de ceux qui le proposent, cette
coïncidence des mandats ne pourrait avoir lieu qu'à la condition
qu'il n'y ait plus de censure ni de dissolution. Ou alors, si l'on voulait que
les deux mandats ne coïncident pas seulement la première fois, il
faudrait, soit que la dissolution entraîne le départ du
Président, soit que la censure entraîne non seulement le
départ du Gouvernement, mais celui du Président de la
République ; ou encore, qu'il n'y ait plus ni censure ni
dissolution.
"
On sait que le Président Pompidou, comme aujourd'hui le Président
Jacques Chirac, alors ministre de l'agriculture, souhaitait d'ailleurs un
quinquennat " sec ". Il avait indiqué dans son message au
Parlement : "
Hostile à la coïncidence des
élections législatives et présidentielles que le droit de
dissolution rend d'ailleurs illusoire, je n'en crois pas moins depuis longtemps
que le septennat n'est pas adapté à nos institutions nouvelles,
et ma propre expérience m'a confirmé dans cette
idée
".
Interrogé en 1974, le Président Giscard d'Estaing trouvait
"
qu'à l'heure actuelle ce problème n'ayant pu être
réglé, il faut se donner le temps de la
réflexion
" ; il marquait alors une hésitation
entre un mandat de cinq ou six ans et annonçait qu'il prendrait
"
certainement une initiative le moment venu
". Il n'a pas
manqué de le faire ... avec quelque retard.
En 1981, le candidat François Mitterrand fait évoluer, dans
" Les 101 propositions ", le quinquennat proposé en
1972 par le programme commun qui prévoyait en outre d'éviter la
simultanéité des élections : "
Le mandat
présidentiel sera ramené à cinq ans renouvelable une fois,
ou limité à sept ans sans possibilité d'être
renouvelé
".
Elu président, il indique dès juillet 1981 sa
préférence pour un mandat de sept ans non renouvelable et annonce
qu'il compte agir en ce sens
8(
*
)
. Mais en 1988, dans la " Lettre
à tous les Français ", faisant référence
à la réforme de 1973, il indique que si une large majorité
parlementaire et le Gouvernement s'accordent sur une mesure de ce type, il y
souscrira sous réserve que le mandat ne soit renouvelable qu'une fois.
On retrouve ces hésitations des hommes et des courants tout au long de
la genèse du quinquennat.
En est le reflet le comité consultatif pour la révision de la
Constitution, présidé en 1993 par le doyen Georges Vedel. N'ayant
pu se départager utilement sur la durée du mandat, il choisit de
présenter les éléments du débat sans trancher entre
quinquennat et septennat
9(
*
)
.
La sérénité de l'exposé des motifs du
présent projet de loi n'exclut pas le débat de fond :
"
les conditions semblent aujourd'hui réunies pour que soit
adopté le quinquennat. Le changement proposé, qui ne remet pas en
cause l'équilibre des institutions contribuera ainsi à la
vitalité du débat démocratique
".
A. MALGRÉ UNE NAISSANCE FORTUITE, LE SEPTENNAT A EU LONGTEMPS DES ATOUTS
L'origine du septennat
La brève expérience du mandat de quatre ans
10(
*
)
, renouvelable après un
intervalle de quatre ans, choisi par la II
e
République en
1848 et dont on peut estimer qu'il conduisit au coup d'Etat de 1851, n'a eu que
peu d'incidence sur le choix du septennat par la III
e
République.
Celui-ci est conféré au Maréchal de Mac-Mahon, six mois
après son élection consécutive à la
démission de Thiers.
Les monarchistes proposaient dix ans, les républicains cinq ans, Thiers
envisageant trois ans, finalement l'Assemblée retient les sept ans
proposés par Mac-Mahon et "
plus en rapport avec les forces
(qu'il peut) consacrer au pays
". Les monarchistes s'en contentent
espérant que "l
a Providence veuille enfin ouvrir les yeux au
prétendant (le Comte de Chambord) ou alors les lui fermer
" (ce
qui fut fait en 1883...).
Le texte du 20 novembre 1873 confie "
le pouvoir exécutif
(...)
pour sept ans au Maréchal de Mac-Mahon
(...)
avec le
titre de Président de la République
(...)
dans les
conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être
apportées par les lois constitutionnelles
".
En janvier 1875, l'amendement Wallon tranche le débat et fonde la
III
e
République : "
Le président de la
République est élu à la pluralité des suffrages par
le Sénat et la Chambre des députés réunis en
Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est
rééligible
".
La pratique du septennat
Sur les
treize présidents de la III
e
République
, six achevèrent un premier mandat et deux
seulement furent réélus, sans toutefois achever le
deuxième mandat.
La
IV
e
République
reconduisit la durée du
mandat sans réellement en débattre. Si Vincent Auriol acheva son
mandat, René Coty vit s'instaurer la Vè République
avant la fin de son septennat.
En 1958, la Constitution de la
V
e
République
confirme
cette durée, alors que le Président de la République n'est
pas encore élu au suffrage universel direct. Le Président de
Gaulle démissionne avant la fin de son second septennat, le
Président Pompidou meurt en fonction après cinq ans d'exercice
et, après le septennat du Président Giscard d'Estaing, seul le
Président Mitterrand aura eu l'occasion d'achever un deuxième
septennat.
Cette durée, qui n'a pas toujours été menée
à son terme, n'a pas toujours été perçue comme
excessive car
de facto
les pouvoirs
du Président de la
République sous la
III
e
et la
IV
e
ont été réduits à une
magistrature
d'influence
. Quelques épisodes l'expliquent.
En tout premier lieu, la crise du 16 mai 1877 : Mac-Mahon
après l'échec de la dissolution se soumet dans un message
adressé au Parlement dans lequel il déclare que
"
l'exercice du droit de dissolution ne saurait être
érigé en système de gouvernement
" et que
"
l'indépendance des ministres est la condition de leur
responsabilité
". Il n'y a plus de responsabilité des
ministres devant le Président de la République et va
émerger un président du Conseil non prévu par la
Constitution.
En janvier 1879, il démissionne lorsqu'au premier renouvellement
triennal du Sénat les républicains y deviennent majoritaires. Son
successeur, Jules Grévy, a toujours prôné la limitation des
prérogatives du Président de la République.
En 1924, le Président Millerand, qui est sorti de la réserve de
ses prédécesseurs en soutenant activement le " Bloc
national " de Poincaré entre 1921 et 1924 et a laissé
entendre qu'il tirerait les conséquences d'un échec aux
législatives de 1924, est contraint à la démission par le
Cartel des Gauches qui refuse d'approuver les chefs du gouvernement
proposés.
Il déclare le 11 juin : " ...
ils ont exigé ma
démission
...
Précédent redoutable qui fait de la
présidence de la République l'enjeu des luttes
électorales, qui introduit par un détour le plébiscite
dans nos moeurs politiques et qui arrache de la Constitution le seul
élément de stabilité et de continuité qu'elle
renfermât
".
En 1934, André Tardieu, ancien président du Conseil décrit
ainsi le Président de la République : "
Du chef, le
Président de la République possède les prérogatives
extérieures
(...)
. Pour le reste, du fait conjoint des
institutions et des usages, il n'a rien et il n'est rien
".
Sous la IV
ème
, Vincent Auriol ne peut éviter que
Ramadier, premier président du Conseil, accepte une interpellation sur
la composition du Gouvernement qui faussera durablement le fonctionnement du
régime.
A défaut de pouvoir agir, ces quinze présidents de la
République apparaissent néanmoins comme des
éléments de stabilité face à la succession des cent
vingt sept ministères constitués sous l'égide de
70 présidents du conseil entre 1875 et 1958. Certains dureront
quelques jours, d'autres plusieurs années en particulier celui de
Waldeck-Rousseau qui dura trois ans, un peu plus que ceux de Combes et
Clémenceau.
De ce point de vue, la V
è
République tranche
immédiatement car le
parlementarisme rationalisé
,
l'exigence d'une majorité absolue pour la motion de censure, l'absence
d'obligation de vote d'investiture assurent au Gouvernement aussi une certaine
stabilité. C'est un des éléments de fond à prendre
en compte à propos du quinquennat.
B. LE QUINQUENNAT POUR FAVORISER L'ADHÉSION DE LA SOCIÉTÉ AUX INSTITUTIONS DE LA VÈME RÉPUBLIQUE
On l'a
dit, l'opinion publique est très majoritairement favorable au
quinquennat. Elle aura peut-être l'occasion de le confirmer par la voie
du référendum. Elle est favorable à cette réforme
en dépit du revers de la médaille résultant de la
multiplication des campagnes électorales qui stérilisent ou
faussent trop souvent le débat politique.
Elle l'était déjà en 1973 et M. Guy Ducoloné,
qui se prononçait contre la révision au nom du groupe communiste,
s'étonnait d'ailleurs "
qu'il n'y ait pas eu 100 pour 100 de oui
en réponse à une question qui ne portait que sur la durée
du mandat du Président de la République
"
11(
*
)
.
En revanche, seulement environ 40 % des personnes consultées
récemment
12(
*
)
indiquent
leur intention de participer à un éventuel
référendum tant ce projet apparaît peu prioritaire au
regard des préoccupations économiques et sociales.
Là encore, les propos d'Etienne Dailly en 1973 restent
d'actualité : "
Il s'agit d'une mesure dont l'urgence est
incomprise, sinon discutable, d'une mesure dont on peut admettre qu'elle est la
conséquence logique de l'élection
du Président de
la République au suffrage universel
(...).
Par conséquent,
si on ne comprend pas l'urgence, on comprend la mesure
".
L'utilité de la réforme qu'il nous est proposé de voter
à nouveau se mesure en fonction de la place du Président de la
République dans les institutions.
En démocratie occidentale, l'exercice du pouvoir exécutif
délégué par le peuple souverain est défini par
trois caractéristiques : les pouvoirs conférés, le
mode de désignation et la durée du mandat, enfin le
contrôle.
• Sans reprendre l'ensemble des
pouvoirs
du Président de
la République, plusieurs d'entre eux marquent son rôle
éminent qui a survécu au départ du premier titulaire de la
fonction.
Il choisit le Premier ministre et, contrairement à ce qu'affirmait le
Général de Gaulle devant le comité consultatif
constitutionnel le 8 août 1958, il peut provoquer sa
démission, ainsi qu'il l'a lui-même démontré
ultérieurement.
Il préside le Conseil des ministres.
Il exerce un arbitrage constitutionnel : saisine du Conseil
constitutionnel, initiative des révisions, décision de soumettre
au référendum, pouvoir de dissolution.
Il représente la France à l'étranger et, à cet
égard, la durée de son mandat est d'autant moins
indifférente que celle de ses homologues est plus courte.
Pourtant, ces pouvoirs pourraient n'être que faibles si son mode
d'élection n'avait changé, en 1962.
• Depuis 1962, le président est élu
au scrutin
uninominal direct
ce qui lui confère une légitimité
unique dans nos institutions.
La
durée
de son mandat n'est pas apparue initialement comme un
enjeu en raison du mode de désignation indirect prévu par la
Constitution de 1958.
Ce mode d'élection à lui seul motive en grande partie le
dépôt du projet de loi de 1973 ainsi que celui soumis à
votre examen.
En somme, élu au suffrage indirect le mandat long était
acceptable, élu au suffrage direct il doit s'y soumettre plus souvent.
• Le paradoxe n'est qu'apparent car si les pouvoirs constitutionnels du
Président n'ont pas été modifiés avec
l'élection au suffrage universel, la
pratique des contrôles
mis en place par la Constitution justifie, elle, la modification
proposée.
Dès l'origine, la Constitution ne prévoit pas de contrôle
institutionnel du Président de la République.
Les liens entre le Parlement et le Président sont
assymétriques : le président peut dissoudre mais la motion
de censure s'exerce à l'égard du Gouvernement ; le
Président ne peut venir s'exprimer en personne devant les
assemblées et celles-ci ne peuvent le mettre en cause que devant la
Haute Cour de justice.
Le parlementarisme rationalisé limite d'ailleurs les possibilités
de renverser un Gouvernement, permet d'éviter les crises
ministérielles et même, comme le démontrera le Gouvernement
Rocard, autorise la survie d'un Gouvernement minoritaire.
Ces procédures sont renforcées par la relative
coïncidence des majorités
présidentielles et
parlementaires jusqu'à la première cohabitation en 1986.
Coïncidence que certains croient pouvoir assurer à nouveau
grâce à la concomitance annoncée des élections
présidentielles et législatives en 2002 mais qui n'est, à
terme, certaine ni en ce qui concerne les dates, ni quant aux résultats
des votes.
Les Français ont en effet marqué clairement leur goût pour
la cohabitation et contrairement à ce qu'a pu indiquer M. Bernard
Roman, Président de la commission des Lois de l'Assemblée
nationale, ce ne serait pas inconstance de leur part
13(
*
)
.
En dehors de l'élection, le Président n'est donc soumis
à un contrôle que de sa propre initiative.
Telle sera la pratique répétée du Général de
Gaulle au travers de
dissolutions
et de
référendums
, parfois contestés, dont la
conséquence ultime sera son départ en 1969.
Depuis, avec ou sans dissolution préalable, les élections
législatives ne jouent plus ce rôle puisqu'il y a eu cohabitation
pour deux ou cinq ans.
Le référendum ne semble plus avoir cette fonction non plus. En
atteste de manière éclairante la déclaration du
Président de la République du 5 juin 2000 :
"
Je souhaite que le référendum ne soit pas un
plébiscite ou un acte politique. Si les Français disaient non, ce
ne serait une censure ni pour le Président de la République, ni
pour le Gouvernement. "
Dans le même temps, sans modifier les rapports entre le Président
et les Assemblées, certaines réformes ont accru le rôle du
Parlement : jusqu'à ce que le Gouvernement utilise le vote
bloqué sur une proposition de loi à cette occasion, on pouvait
ainsi penser que la séance mensuelle réservée à
l'ordre du jour d'initiative parlementaire était l'une d'entre
elles.
14(
*
)
Il n'est pas interdit de songer à d'autres réformes comme de
faire participer davantage le Parlement aux nominations ou de mieux
concrétiser le rôle de représentant des
collectivités territoriales du Sénat.
*
* *
Dans le
climat apaisé à l'égard des institutions et au vu des
évolutions constatées depuis 1973, l'utilité de la
réforme proposée à nouveau au Sénat apparaît
certainement renforcée.
Le décompte des voix lors de l'adoption sans modification du projet de
loi par l'Assemblée nationale en atteste. Sur
504 députés ayant participé au vote, 494 ont
exprimé un choix, 28 ont voté contre, 466 pour, bien
au-delà des trois cinquièmes des suffrages ainsi exprimés,
soit 296 voix.
La commission vous propose donc l'adoption, sans modification, d'un projet de
loi constitutionnelle qui est dans le droit fil du lien direct entre le
Président et le peuple souverain, lien établi par
l'élection au suffrage universel direct.
L'effet direct du rythme plus rapide des élections
présidentielles sur le sort du Président -le
référendum à la carte et la dissolution ne jouant plus ce
rôle- est patent.
Ses effets indirects dépendront largement de la coutume qui
s'établira à terme, comme à toutes les étapes
antérieures.
En 1973, comme aujourd'hui, théoriciens et praticiens étaient
partagés. Or, la période écoulée a vu bien des
évolutions qu'ils n'avaient pas envisagées...
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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous propose d'adopter sans modification l'article unique du projet de loi constitutionnelle.