N° 342
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 29 mai 2001 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur la candidature de Chypre à l' Union européenne ,
Par M. Louis LE PENSEC,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.
Union européenne. |
Nous bûmes longuement et en silence.
« C'est un Grec qui m'a envoyé à vous, dis-je.
Et maintenant un Turc me renvoie à un Grec.»
Il éclata de rire.
« Chypre est une petite île, dit-il,
et nous sommes tous amis, quoique très différents.
C'est cela, Chypre, mon ami».
Lawrence Durrell
Citrons acides
Mesdames, Messieurs,
La délégation du Sénat pour l'Union européenne a désigné en 1998 un rapporteur pour chaque pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Votre rapporteur a effectué dans ce cadre une mission d'information à Chypre les 18 et 19 janvier 2001, qui lui a permis de rencontrer tous les principaux acteurs politiques de l'île et d'avoir des entretiens sur les différents dossiers de la candidature chypriote (voir annexe 1).
Chypre est la troisième plus grande île de la Méditerranée ; distante d'environ 100 kilomètres de la Turquie, et d'environ 200 kilomètres des côtes syrienne et libanaise, elle possède une situation géopolitique exceptionnelle (voir annexe 2). Sa situation démographique n'est pas connue précisément en raison de la situation au nord de l'île : en 1999, la communauté chypriote grecque (sud de l'île) comptait environ 640 000 personnes et, la communauté chypriote turque (nord de l'île) entre 90 000 et 110 000 personnes selon les sources. A ces chiffres, il est nécessaire d'ajouter d'une part, environ 100 000 ressortissants turcs, provenant principalement d'Anatolie et envoyés pour essayer de modifier le rapport démographique largement favorable à la communauté chypriote grecque, et d'autre part environ 30 000 soldats et policiers turcs placés sous l'autorité de l'armée turque. Au total, l'île compte donc environ 840 000 habitants , exception faite de l'armée turque.
En 1960, la Grande-Bretagne, puissance coloniale, accorde l'indépendance à la République de Chypre après avoir longtemps exacerbé les tensions entre les deux communautés et tout en se réservant deux bases militaires souveraines dans le sud de l'île. L'une de ces bases se situe maintenant à cheval entre les deux zones. La mise en oeuvre de la Constitution, particulièrement complexe, donne lieu à des heurts entre les communautés grecque et turque, les extrémistes de la première souhaitant l'union avec la Grèce (« l'oenosis »), tandis que ceux de la seconde veulent une partition (« taksim »). A la suite de violences entraînant de nombreuses victimes et des actions de représailles, l'ONU décide en 1964 d'envoyer sur l'île une force internationale. Les dix années qui suivent sont ponctuées par des troubles, le repli sur soi de plus en plus tangible de la communauté chypriote turque et par des tensions grandissantes entre les dirigeants chypriotes grecs et le régime des « colonels » en place à Athènes à partir de 1967.
En 1974, les « colonels » grecs accentuent leur campagne contre Monseigneur Makarios, leader des Chypriotes grecs, et soutiennent un coup d'Etat militaire à Chypre le 15 juillet 1974. La Turquie saisit l'occasion de ce coup de force animé par les partisans de « l'oenosis » pour intervenir militairement le 20 juillet et bombarder certaines localités. Alors que la situation paraît se stabiliser, la Turquie lance une seconde opération le 14 août 1974 qui aboutit à la prise de contrôle d'une vaste zone au nord de l'île représentant 37 % de la superficie totale , et à l'exode en quelques jours de plus de 180 000 Chypriotes grecs vers le sud de l'île puis au déplacement, plus étalé dans le temps, d'environ 18 000 Chypriotes turcs du sud vers le nord.
Depuis lors, la Turquie maintient dans le nord de l'île une présence militaire forte, et de nombreux Chypriotes turcs sont amenés à émigrer en Turquie, remplacés par des ressortissants turcs. De nombreuses négociations se sont succédé sous l'égide des Nations unies qui disposent toujours d'une force multinationale sur place. Elle occupe la zone tampon, appelée « Buffer zone » , qui délimite les deux zones. En novembre 1983, le nord de l'île se déclare « République turque de Chypre du nord (RTCN) » et se considère comme indépendante. Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté une résolution considérant cet acte comme illégal et aucun pays, hormis la Turquie, n'a reconnu cet « Etat ». Les Chypriotes grecs ont accepté en 1977 le principe du fédéralisme, mais les perpétuelles nouvelles exigences des Chypriotes turcs dirigés par M. Rauf Denktash laissent à penser que leur objectif reste l'indépendance de la « RTCN » ou son rattachement à la Turquie.
Alors que les négociations indirectes, qui ont eu lieu à partir de décembre 1999 à Genève, paraissaient avancer de façon positive, M. Denktash a décidé en novembre 2000 de s'en retirer, estimant les paramètres d'un règlement politique proposés par M. Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, contraires à ses vues. Le règlement de la question politique reste une priorité pour Chypre. Votre rapporteur s'est rendu à plusieurs reprises dans la partie nord de l'île ; pour cela, il est nécessaire de traverser un no man's land qui rappelle celui que l'Allemagne a connu durant quarante ans. Les déplacements entre les deux zones restent très limités, entravés par les restrictions et les contrôles opérés par les « autorités » du nord.
Les négociations qui se sont déroulées en 2000 se sont nettement cristallisées autour de la candidature chypriote à l'Union européenne : M. Denktash ne peut accepter qu'elle soit faite au nom de l'île entière et réclame la reconnaissance préalable de sa « République ».
Malgré ce contexte, la candidature de Chypre à l'Union européenne a réalisé d'importants progrès qui placent l'île dans les tout premiers candidats à l'adhésion, même si certains efforts restent à fournir dans la reprise de l'acquis communautaire.
I. CHYPRE A RÉALISÉ D'IMPORTANTS PROGRÈS VERS UNE ADHÉSION RAPIDE À L'UNION EUROPÉENNE
1. De la candidature au Conseil européen d'Helsinki
Chypre est liée à l'Union européenne par un accord d'association signé le 19 décembre 1972, soit avant le coup d'Etat de juillet 1974 et les deux interventions de l'armée turque en juillet et août 1974. Cet accord a été complété par plusieurs protocoles de coopération technique et financière et par un accord d'union douanière signé en 1987.
La demande d'adhésion a été présentée, au nom de l'île entière, le 4 juillet 1990 par le gouvernement chypriote. La Commission européenne a rendu un avis favorable à cette candidature en 1993. Au Conseil européen de Luxembourg, en décembre 1997, les Quinze ont décidé d'ouvrir des négociations avec six pays candidats dont Chypre : pour cette dernière, elles ont été engagées en mars 1998.
A Helsinki, en décembre 1999, parallèlement à l'acceptation de la candidature turque, le Conseil européen déclare pour la première fois qu' « un règlement politique facilitera l'adhésion de Chypre à l'Union européenne. Si aucun règlement n'est intervenu au moment de l'achèvement des négociations d'adhésion, la décision du Conseil relative à l'adhésion sera prise sans que ce qui précède constitue une condition préalable. Pour arrêter sa décision, le Conseil tiendra compte de tous les éléments pertinents.»
En levant en grande partie l'hypothèque de la « condition préalable », le Conseil européen a permis de considérer Chypre comme n'importe lequel des autres candidats.
Cependant, les négociations se déroulent avec le gouvernement de la République de Chypre au nom de l'île entière, conformément aux résolutions des Nations Unies et à la position constante des Etats membres de l'Union européenne . Les représentants de la population du nord de l'île ont refusé d'y participer, considérant qu'il s'agissait d'une reconnaissance de fait d'un gouvernement qu'ils rejettent. Les négociations ne concernent donc actuellement en pratique que la partie sud de l'île, soit 63 % du territoire et 76 % de la population totale (exception faite des militaires turcs).