b) Les critères économiques
Du point de vue économique, il est encore plus important de distinguer entre un sud au développement remarquable caractérisé par un secteur privé dynamique et une très forte ouverture aux échanges extérieurs, et un nord confronté à une crise économique grave et un produit intérieur brut par habitant quatre fois moins élevé .
Le sud de l'île était en 1974 la partie de Chypre la moins pourvue d'atouts : industries et sites touristiques se trouvaient principalement au nord. Depuis 1974, l'économie s'est rétablie et développée de façon vigoureuse, dans un premier temps grâce à l'industrie manufacturière, puis, à partir du milieu des années 80, grâce au secteur tertiaire. Ce secteur représente désormais plus de 60 % du produit intérieur brut. Après une période de relative atonie en 1996-1997, le taux de croissance est compris, depuis 1998, entre 4 et 5 % par an.
L'inflation est maîtrisée, puisqu'elle se situe en-deçà de 5 % depuis 1993 et qu'elle atteint 1,7 % en 1999. Le chômage est traditionnellement faible : 3,6 % de la population active en 1999. Grâce aux ressources du tourisme et du secteur offshore, la situation financière externe demeure saine malgré un déséquilibre structurel des échanges commerciaux. Après plusieurs années de déficit public important (environ 5 % par an de 1997 à 1999 par rapport au PIB), le gouvernement a engagé un plan pluriannuel de résorption des déficits, prévoyant à la fois des mesures d'économies et une augmentation des recettes budgétaires. Enfin, le taux de la dette publique par rapport au PIB diminue depuis le « pic » de 61 % atteint en 1999.
Dans la vie quotidienne, le modèle européen s'impose totalement : le PIB par habitant est supérieur à celui de la Grèce et du Portugal, et comparable à celui de l'Espagne, la consommation des ménages est forte, 81 % des ménages disposaient en 1997 d'au moins un véhicule et environ le tiers en possédait au moins deux.
Source : Eurostat
Une difficulté importante de l'économie chypriote réside dans le manque d'eau . L'agriculture, qui représente environ 4 % du PIB, mais qui emploie encore près de 10 % de la population active, est la première touchée. La population en ressent régulièrement les contrecoups au travers de coupures lorsque plusieurs années de sécheresse se succèdent.
Le sud de l'île connaît un consensus global sur les principaux objectifs de politique économique . Le secteur privé produit environ 80 % du PIB et les prix sont fixés librement dans leur très grande majorité. L'étroitesse de son économie rend cependant Chypre vulnérable aux chocs externes et à certaines rigidités internes (en particulier dans le secteur agricole).
La Commission européenne a en conséquence conclu, dans son rapport 2000 sur les projets réalisés par Chypre sur la voie de l'adhésion, que « Chypre est une économie de marché viable et devrait être en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. »
L'économie de la zone nord est, de son côté, sinistrée . Sa taille réduite et son isolement diplomatique constituent de lourds handicaps. Le commerce avec les Etats tiers est ainsi entravé depuis l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 5 juillet 1994, qui précise que les certificats d'origine de la zone nord ne sont plus acceptés dans l'Union européenne. Dans la mesure où les « autorités » du nord ne souhaitent faire aucun pas qui irait vers une reconnaissance du gouvernement officiel, leur dépendance à l'égard de la Turquie s'est accrue et tous les produits de la zone doivent transiter par ce pays, ce qui accroît les frais administratifs et de transport.
Le secteur public joue un rôle disproportionné dans l'économie du nord , ce qui obère le développement du secteur privé. Les déficits publics sont très élevés (environ 20 % du PIB en 1999) et le budget de la « RTCN » est sous perfusion des transferts budgétaires d'Ankara, dont le montant reconnu représente de l'ordre de 20 % du PIB, ce qui permet de couvrir environ 40 % des dépenses publiques. Parallèlement, ce montant reconnu de l'assistance financière, quelque 200 millions de dollars en 1999, ne représente que 0,3 % des dépenses publiques consolidées de la Turquie. La dépendance vis-à-vis de la Turquie se retrouve dans l'ensemble de l'économie. Plus de 80 % des 400 000 touristes qui visitent la « RTCN » sont turcs ; ce secteur dispose d'ailleurs d'un potentiel de croissance considérable en raison de la richesse culturelle et balnéaire, qui reste importante malgré un entretien insuffisant. La plupart des banques sont des filiales de banques turques. Le système d'enseignement supérieur y est développé (cinq universités) et apporte des revenus précieux à la « RTCN » (70 % des étudiants sont turcs et 15 % étrangers).
L'Union monétaire avec la Turquie entraîne une inflation importée très forte (environ 60 % en 1999) et le secteur bancaire connaît une crise grave : on estime que, durant le premier semestre 2000, 40 000 personnes auraient perdu tout ou partie de leurs économies. Confrontée elle-même à des difficultés financières importantes, la Turquie a demandé à la « RTCN » de mettre en place un plan drastique d'assainissement.
L'opposition de développement entre les deux parties de l'île est donc très forte, mais le nord de l'île ne compte qu'environ 200 000 habitants et une solution politique au problème chypriote lèverait un grand nombre d'obstacles à son développement.