II. LE PROCESSUS DE CONSULTATION ET DE CONCERTATION
A. CE QU'AURAIT DÛ ÊTRE UN VÉRITABLE PROCESSUS DE CONSULTATION ET DE CONCERTATION
Sur la base de l'article 10 de la loi du 25 juin 1999 d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire, le gouvernement a procédé à une consultation régionale sur les projets de schémas de services collectifs arrêtés par la réunion des ministres du 26 octobre 2000.
La consultation a été engagée par les préfets de région au mois de décembre 2000. Outre les conseils régionaux, les conseils économiques et sociaux régionaux et les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire, le gouvernement annonce avoir aussi sollicité les parlementaires, les conseils généraux, les élus des villes et les structures de coopération intercommunale...
Cette consultation s'est déroulée du mois de décembre 2000 au début du mois de mai 2001.
En matière de consultation et de concertation sur les sujets touchant à l'aménagement du territoire, le Sénat a élaboré au fil de ses travaux, une sorte de « corps de doctrine » notamment dans le cadre du rapport Haenel de 1993, de la mission sénatoriale d'information sur « l'aménagement du territoire » (1993-1994) chargée, sous la présidence de M. Jean François-Poncet, d'un travail de synthèse, des positions adoptées par la Haute-Assemblée lors de la discussion des lois « Pasqua-Hoeffel » et « Voynet » ainsi que dans le cadre de la commission d'enquête de 1998 sur le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres.
En décidant, en 1992, la création d'une commission d'enquête consacrée à la SNCF et présidée par notre collègue Hubert Haenel, le Sénat avait voulu répondre à un double appel : celui des usagers et celui des collectivités locales.
Créée en décembre 1992, la mission d'information « aménagement du territoire » a, pour sa part, organisé à Poitiers les 3 et 4 février 1994, une Convention qui lui a permis de présenter les conclusions de ses travaux à 1.500 participants parmi lesquels beaucoup d'élus locaux.
En sus du grand débat national mis en place avant la discussion sur la loi « Pasqua » et auquel il sera fait allusion ci-après, les rapporteurs du Sénat MM. Gérard Larcher, Jean-Marie Girault et Claude Belot ont nourri leurs réflexions des 1.200 réponses à un questionnaire relatif à l'aménagement du territoire adressé au printemps 1994 à tous les élus locaux et nationaux. 75,3 % des réponses ont été le fait de maires !
Au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet qui allait devenir la loi du 25 juin 1999 d'orientation sur l'aménagement et le développement durable du territoire -dite loi « Voynet »- les rapporteurs MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet ont voulu, quant à eux, réintroduire le Parlement dans le processus décisionnel d'élaboration des schémas de services collectifs.
Prenant acte de la volonté gouvernementale d'abandonner l'idée d'un schéma national d'aménagement du territoire, ils ont souhaité que les schémas soient adoptés par une loi à travers un rapport annexé et ensuite mis en oeuvre par décret.
Dans son rapport rendu public le 4 juin 1998, la commission sénatoriale d'enquête sur les grands projets d'infrastructures terrestres, dénonçait, quant à elle, s'agissant des équipements routiers, un « processus de décision opaque fondé sur des critères non rationnels ».
Selon le rapporteur, M. Gérard Larcher, « le processus de décision aboutissant aux choix effectués en matière de construction autoroutière est complètement irrationnel, à la fois dans sa procédure et dans ses fondements...
A supposer que la déclaration d'utilité publique, dans ce domaine, ait été prise, la véritable instance de décision est le conseil de direction du comité des investissements à caractère économique et social (CIES). Le conseil de direction du CIES prend les décisions de lancement des nouvelles infrastructures, et autorise les entreprises publiques à contracter des emprunts pour les financer.
Peu connue des élus, cette autorité travaille en toute discrétion. Il n'est donné aucune publicité à ce qui s'y prépare, ni même à ce qui a été décidé. La direction du Trésor y dispose d'un pouvoir déterminant.
Ultime maillon de la chaîne de décision , c'est bien cette autorité qui donne -ou ne donne pas- un contenu concret au schéma directeur.»
Votre rapporteur ne juge pas inutile de rappeler les termes de l'article 16 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation sur les transports intérieurs : « Un conseil national des transports, des comités régionaux et départementaux des transports sont associés à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique des transports intérieurs dans le domaine de compétence de l'Etat. Ils peuvent être consultés par les autorités de l'Etat sur les questions relatives à l'organisation et au fonctionnement du système de transports et des divers modes qui le composent. Le conseil national des transports est consulté sur les schémas nationaux de développement des transports et d'infrastructures.
Les comités départementaux et régionaux des transports sont consultés sur l'organisation des transports ferroviaires inscrits au plan régional des transports. »
Votre rapporteur relèvera, en second lieu, qu'un peu moins de deux ans avant le vote de la loi « Pasqua », le gouvernement avait lancé, le 12 juillet 1993, lors du CIAT de Mende, un grand débat national sur l'aménagement du territoire en vue de préparer le projet de loi visant à dessiner le « visage de la France en 2015 ».
Le « document d'étape », publié en avril 1994 par la DATAR, fut le reflet du débat national qui a eu lieu dans toutes les régions depuis le mois d'octobre 1993 et qui a impliqué les élus, les responsables socio-professionnels, les associations et un nombre non négligeable de citoyens. Il était la synthèse des propositions et concernait aussi bien les acteurs -citoyens, Etat, collectivités territoriales- les politiques à mettre en oeuvre et les moyens pour rendre efficaces ces dernières.
Le Gouvernement aurait pu « puiser » dans les procédures précédemment citées ou encore dans les recommandations formulées, au fil des ans, par la Haute-Assemblée des exemples lui permettant de mettre en place une véritable procédure de consultation avec le Parlement, les collectivités territoriales -toutes les collectivités territoriales- et tous les intéressés, sur ces grands choix stratégiques qui vont engager notre pays sur une période de vingt ans.
Pourtant, il a préféré se contenter d'une concertation trop rapide et insuffisante avec les seules régions, oubliant les départements, les communes, les professionnels (opérateurs, chargeurs, industriels), les usagers et les clients, ce qui fait quand même beaucoup !
A cet égard on peut se demander si la non-consultation du conseil national des transports et des comités locaux est bien compatible avec l'article 16 précité de la LOTI toujours en vigueur.
Les contraintes du calendrier et le contexte politique particulier (les régions ont été dans l'obligation de se prononcer sur les schémas de services en pleine campagne électorale !) ne justifient pas les dysfonctionnements d'une consultation qui a vu, par exemple, les conférences régionales de l'aménagement et du développement durable du territoire tenir, sur le sujet, des réunion trop souvent formelles.
D'une certaine façon, les défauts majeurs du processus de consultation et de concertation ont « vicié » le contenu même du document soumis à notre avis.
Votre rapporteur ne pouvait qu'insister sur ce point.