2. « Métissage des métiers » ou effacement des coopérants au profit des diplomates ?

La fusion des logiques diplomatiques et de développement dépend moins d'un organigramme, si ingénieux soit-il, que du rapprochement et des échanges entre des hommes et des femmes dont les métiers, les cultures administratives appartiennent à l'origine à des univers très différents.

Quel bilan peut-on dresser à cet égard du regroupement des personnels des affaires étrangères et de la coopération dans les services centraux mais aussi les postes à l'étranger ?

A cette question, diplomates et coopérants n'apportent pas la même réponse. Tel est le premier constat qui s'impose à l'issue des nombreuses auditions auxquelles vos rapporteurs ont procédé  Pour le directeur général de la coopération internationale et du développement, la fusion des carrières et des cultures est une réalité ; « on a appris les uns des autres » : selon l'un des responsables de la DGCID, la culture et le savoir-faire gestionnaire des coopérants ont été mis à profit par la coopération culturelle tandis qu'en contrepartie, l'expérience propre aux diplomates d'une action  fine, à même de jouer les effets de levier, a bénéficié aux actions de développement.

Le sentiment exprimé par les personnels de la coopération entendus par votre mission présente une tonalité très différente : il relève parfois du « syndrome d'absorption » d'une administration légère par un ministère aux effectifs beaucoup plus importants.

L'élaboration d'un « projet de la DGCID », au terme d'un travail de réflexion commun à l'ensemble des personnels, ne semble pas avoir conjuré ces craintes.

Au-delà de ces échos contrastés, la situation actuelle inspire trois observations :

- les échanges d'expériences demeurent limités ;

- les perspectives de carrière présentent une grande disparité ;

- les moyens de garantir la diversité pourtant nécessaire des compétences ne sont pas réunis.

• Les échanges d'expérience demeurent limités

Les personnels issus de la coopération sont restés dans leur majorité concentrés sur leur matière d'origine. Ils représentent 80 % des effectifs de la direction du développement au sein de la DGCID. Le brassage des cultures a donc revêtu une portée limitée. En outre, conséquence logique des déséquilibres des effectifs des administrations, les diplomates semblent plus nombreux à s'être investis dans les métiers du développement que les « développeurs » dans ceux de la diplomatie. Il est vrai que la proportion des personnels de l'ex-coopération affectés en poste diplomatique et consulaire tend à augmenter comme le montre le tableau suivant :

Comparaison des affectations en postes diplomatiques
et consulaires et en centrale 2000/2001

Service

2000

2001

postes diplomatiques et consulaires

56

79

administration centrale

398

475

dont DGCID

211

197

dont DGA

156

150

dont directions géographiques

2

7

dont DFAE

2

10

Cette évolution reste cependant très timide. Ainsi, parmi les 40 administrateurs civils de l'ex-coopération intégrés en 1999 dans le corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires, 16 étaient affectés en 2001 dans le réseau diplomatique et consulaire (5 ambassadeurs -Bosnie, Kenya, Ouganda, Lettonie, Djibouti- 3 consuls généraux -Marrakech, Beyrouth et Stuttgart- 8 conseillers d'ambassade), 5 dans le réseau culturel (qui compte 93 agents diplomatiques...). Si l'on considère les pays d'affectation, la portée du croisement des cultures apparaît cependant encore plus modeste : depuis 1999, 20 agents de l'ex-coopération ont été affectés dans les pays de l'ex-hors champ tandis que 10 agents des affaires étrangères l'ont été dans les pays de l'ex-champ.

La répartition détaillée des personnels de l'ex-coopération au sein du ministère des affaires étrangères en 2001 montre les limites du brassage recherché.

Répartition détaillée par catégorie au 7 juin 2001

Service

Cat A

CAT B

CAT C

étranger

77

23

189

dont SCAC

55

19

136

dont réseau diplomatique et consulaire

22

4

53

Administration centrale

161

96

218

dont DGCID

93

35

69

dont DGA

36

36

78

dont dir. géographiques

6

0

1

dont DFAE

1

2

7

dont DCI

2

4

3

dont Protocole

1

1

1

dont Directions des affaires juridiques

1

0

0

dont Direction des archives

0

2

1

dont Service de l'action humanitaire

1

1

0

dont cabinet du ministre délégué à la coopération et à la francophonie

0

2

20

Au-delà de ces aspects quantitatifs, les perspectives de carrière ne se présentent pas de la même manière pour les personnels selon leurs ministères d' origine.

• Des perspectives de carrière différentes

A la différence des diplomates de carrière, les personnels issus des ministères de la coopération n'auront sans doute qu'une possibilité réduite de poursuivre leur carrière hors de la DGCID, voire hors de certains services spécialisés au sein même de la direction générale. Cette situation est liée d'abord à la grande spécificité des formations des personnels de la coopération, mais aussi à la diversité de leurs statuts. A cet égard, la situation des contractuels constitue un motif particulier de préoccupation.

Du reste, l'image d'une certaine spécialisation s'attache aussi aux diplomates de la DGCID, rendant parfois difficile une mobilité dans d'autres services du Quai.

A cet égard, la réforme n'a pas mis fin aux cloisonnements traditionnels au sein même du ministère des affaires étrangères.

Ces rigidités ne sauraient vraiment surprendre : les métiers du développement présentent une réelle spécificité et ne s'assimilent pas facilement aux tâches du diplomate.

• Une diversité menacée à terme

Les règles statutaires du ministère des affaires étrangères ne permettront sans doute pas d'assurer les recrutements à même de satisfaire la diversité des missions dont la DGCID la charge : elles rendent difficile le détachement de fonctionnaires issus d'autres ministères, et presque impossible l'emploi de personnes venues du secteur privé. D'ores et déjà, la direction générale se débat avec ces difficultés. Ainsi, malgré les enjeux soulevés par la lutte contre le sida et la priorité qu'y attache la France, elle ne compte qu'un spécialiste reconnu dans ce domaine. Par ailleurs, certains parmi les représentants syndicaux entendus par votre délégation ont manifesté la crainte que la fusion des statuts, mise en oeuvre dans le cadre d'une logique administrative, ne permette plus de reconnaître la diversité des métiers.

La diversité des compétences dont la DGCID a hérité de la coopération risque ainsi de se tarir avec le temps . Dès lors, le principe même de métissage aura vécu. Notre politique de coopération n'aurait pourtant rien à gagner de l'uniformisation des formations et des expériences. S'agissant des détachements, le directeur général de l'administration du ministère des affaires étrangères a rappelé la position traditionnelle du ministère : le quai d'Orsay reçoit les agents à mobilité statutaire ou ceux qui cherchent un détachement ; la présence de personnels venus d'autres administrations doit cependant s'inscrire dans un cadre temporel délimité ; en contrepartie, certains agents du ministère des affaires étrangères peuvent être détachés à l'extérieur. L'intégration des personnels détachés risquerait de figer ces mouvements croisés.

Aujourd'hui le quai d'Orsay emploie quelque 160 agents détachés d'autres ministères et compte 130 agents en position de détachement dans d'autres administrations. Parallèlement, le directeur général de l'administration a rappelé à vos rapporteurs que, conformément aux règles de la fonction publique, le recrutement de contractuels devait revêtir un caractère exceptionnel. Il a toutefois relevé sur ce point certaines évolutions dans le sens d'un assouplissement, afin notamment de renforcer la concertation avec les services concernés du ministère. Ainsi, une commission de recrutement associant la Direction générale de l'administration (DGA) et la DGCID devrait élaborer un document comparable à un « appel d'offre » prévoyant en particulier une rémunération adaptée sur la base des indices de la fonction publique.

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