D. PROPOSITIONS
1. Clarifier un environnement brouillé
Dans l'immédiat, et comme cela a été demandé par de nombreux acteurs locaux ou nationaux, l'Etat doit s'attacher à clarifier une situation ressentie comme confuse. Plusieurs actions paraissent nécessaires :
- la parution, préalablement à la mise en oeuvre des décisions du CIADT, du décret en Conseil d'Etat , prévu à l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, et précisant les zones concernées par les modalités d'attribution des aides publiques venant en déduction du coût de location des infrastructures de télécommunications par les opérateurs ;
- la réécriture, en cohérence avec les dispositions du décret, de la circulaire d'application de ce même article, après une concertation approfondie et préalable des acteurs concernés (associations d'opérateurs, associations d'élus, ART etc...) et non pas une simple consultation ex post sur Internet, menée sans vraiment hiérarchiser les points de vue, suivant qu'il s'agit des principaux pourvoyeurs de fonds (les collectivités locales), d'acteurs directement impliqués dans la mise en oeuvre du mécanisme ou de personnes extérieures au dispositif.
Il est, à cet égard, étonnant de constater qu'au 15 mars 2002, alors que les positions des principales associations d'élus locaux sont déjà connues, on ne trouve, sous la rubrique « contributions » du site www.internet.gouv.fr que des points de vue de particuliers, certainement très intéressants mais pas vraiment « autorisés ».
De plus, et cette demande n'a rien d'une nouveauté tant le besoin s'en fait sentir sur le terrain, l'Etat devrait se charger d'établir d' un état des lieux précis du déploiement des réseaux , par une cartographie des réseaux et des points hauts, mise à la disposition des collectivités locales. Il s'agirait de recenser les réseaux filaires des opérateurs, des collectivités territoriales et des diverses entreprises (autoroutes, voies navigables, BTP, réseaux ferrés...) en possédant, en précisant leurs caractéristiques techniques et leurs normes. On serait ainsi en mesure d'éviter les redondances et autres duplications d'infrastructures. L'équipement en grandes « dorsales » (backbones) de notre territoire est, par exemple, particulièrement dense.
Pour la téléphonie mobile et la BLR, il s'agirait d'établir une carte des points hauts, pylônes ou autres sites utilisables :
- relais de téléphonie mobile ;
- pylônes EDF ;
- relais utilisés pour la télévision et la radio ;
- éoliennes, châteaux d'eau, clochers...
Cet état des lieux est d'autant plus nécessaire que si les collectivités veulent pouvoir jouer un rôle et inciter les diverses parties concernées au partage d'infrastructures dans le cadre, par exemple, du déploiement de l'UMTS, (qui nécessitera deux fois plus de relais nécessaires que le GSM), elles doivent pouvoir disposer d'une photographie précise des investissements déjà réalisés.
Dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur, l'ADF relève ainsi « les difficultés de mise à disposition par les opérateurs de carte de réseaux ou de couverture mobile. Or, il est primordial, pour les collectivités locales, de pouvoir disposer de ce type d'informations, afin de pouvoir cibler au mieux leurs interventions en matière d'infrastructures de télécommunications. La transparence des données constitue un enjeu quant à l'adéquation des financements publics et des besoins en matière de réseaux de télécommunications sur les territoires » .
Certaines collectivités ont d'ailleurs pris l'initiative d'établir elles-mêmes de telles cartographies. Cette initiative doit être généralisée et menée au niveau de l'Etat.
Enfin, l'Etat doit étoffer qualitativement et quantitativement ses services déconcentrés en matière de nouvelles technologies , qui doivent adapter leur mode d'organisation à la nouvelle donne territoriale. Ce sont désormais les collectivités qui jouent un rôle moteur pour la diffusion territoriale des télécommunications. Elles doivent disposer d'interlocuteurs fiables et réactifs en région. Ces cellules doivent devenir de véritables centres de ressources.
On ne citera, enfin, que pour mémoire, le rôle régulateur de l'Etat dans la mise en oeuvre du dégroupage, afin de faciliter la diffusion territoriale et concurrentielle des services xDSL (cf. chapitre I).
2. D'une décentralisation « clandestine » à une décentralisation assumée
Les développements précédents le prouvent : les collectivités locales exercent aujourd'hui, par le montant de leurs investissements, par la richesse de leurs initiatives, par les pouvoirs qui leur sont désormais reconnus par la loi, le rôle principal en matière d'aménagement numérique du territoire . L'Etat, conçu, encore en 1996, comme au centre de la politique d'aménagement du territoire pour ce type d'infrastructures et de services, n'a plus, somme toute, qu'un rôle de second rang, certes utile, mais cantonné à la modernisation de l'administration par les nouvelles technologies, à la dématérialisation des procédures administratives et fiscales, à la réglementation et à l'impulsion d'une dynamique mise en oeuvre par d'autres.
Ce glissement a toutefois été subreptice, et ne s'est pas accompagné d'un véritable choix, nationalement débattu et démocratiquement approuvé. Certes, la nouvelle rédaction de l'article L. 1511-6 du code des collectivités territoriales a bien été votée par le législateur -y compris par le Sénat qui en avait été l'instigateur- mais elle a été introduite à la sauvette, par amendement, dans un texte fourre-tout 136 ( * ) (cf. ci-dessus) et ne se prêtait donc pas à un débat approfondi autour d'une vision d'ensemble.
La conséquence est que cette réforme, en passe de devenir une décentralisation inavouée, est également une décentralisation inachevée .
En particulier, plusieurs lacunes inhérentes à la méthode employée par le Gouvernement sont particulièrement criantes au regard des grands principes de la décentralisation :
- l'absence de transfert de ressource équivalant à ce transfert de charges de fait ;
- l'absence de règles claires en matière d'organisation des compétences . En particulier, une collectivité locale « chef de file » aurait pu être désigné, soit a priori soit, plus souplement, au cas par cas, pour coordonner et fédérer les différentes initiatives.
Rappelons que les lois de décentralisation ont posé deux principes pour la compensation financière des transferts de charge aux collectivités locales :
- une compensation intégrale à la date du transfert de compétences ;
- une compensation constituée au moins pour moitié de ressources fiscales.
Certes, la mise en pratique de ces principes théoriques a pu se révéler décevante pour les collectivités locales.
Certes, l'Etat a déjà, notamment pour le financement des universités (plans U3M et Université 2000) fait financer par les collectivités locales ses compétences propres, notamment au moyen d'une contractualisation avec ces dernières de l'exercice des missions concernées.
Dans le cas présent, cette problématique de la compensation n'est pas même évoquée, alors que les sommes importantes engagées par les collectivités locales dans le seul cadre des décisions du CIADT (effort d'équipement qui n'est certes pas forcément appelé à se reproduire -quoique ce ne soit pas exclu, avec une montée prévisible des besoins en débits- et qui sera il est vrai « amorti » par les locations de ces infrastructures par les opérateurs) représentent approximativement l'équivalent d'une année de coût, à la date du transfert, des compétences transférées aux régions depuis 1983, hors régionalisation ferroviaire.
Les compétences transférées aux régions, de la formation professionnelle et de l'apprentissage (loi du 7 janvier 1983, loi du 23 juillet 1987, loi quinquennale du 20 décembre 1993, loi du 19 décembre 1989), de la construction, de l'équipement et du fonctionnement des lycées, des établissements d'éducation spéciale, des écoles de formation maritime et aquacole et des lycées d'enseignement agricole des ports fluviaux et des voies navigables (optionnel), des aides au renouvellement et à la modernisation de la pêche côtière et des aides aux entreprises de culture marine coûtaient à l'Etat, avant leur transfert, 14,1 milliards de francs par an 137 ( * ) .
Sortir de la clandestinité ce transfert « de fait » des charges d'infrastructures de télécommunication amènerait :
- à envisager un transfert de ressource de la part de l'Etat (partage d'un impôt d'Etat, ou instauration d'un fonds national assis par exemple sur la partie variable du produit des licences UMTS... par exemple) ;
- à clarifier les compétences , soit en raisonnant par blocs de compétences, soit, plus simplement, en instaurant une collectivité « chef de file » en matière d'équipement en technologies de l'information, qu'il soit prédéterminé (l'ADF souhaite voir reconnu ce rôle aux départements) ou, plus souplement, défini au cas par cas, ce qui semble préférable, compte tenu de l'implication des régions et des groupements de communes.
D'autre part, votre rapporteur considère que les collectivités, invitées à financer la politique d'aménagement numérique du territoire, doivent se voir reconnaître des droits correspondant à leurs engagements financiers .
POUR UNE DEVOLUTION AUX COLLECTIVITES
TERRITORIALES
Dans l'état actuel du droit, elles sont, par exemple, impuissantes face à l'impossibilité pour l'Etat de mettre en oeuvre une itinérance locale entre opérateurs -malgré les annonces du CIADT- dans les zones d'ombres susceptibles de n'être couvertes que par un seul réseau mobile. Or, l'itinérance locale est bien plus avantageuse pour les abonnés et pour les collectivités concernés que le « Yalta » actuel répartissant ces zones entre SFR et Orange , puisque c'est l'assurance d'avoir, sur l'ensemble de son territoire, la couverture par les trois opérateurs de téléphonie mobile L'itinérance locale dans les zones d'ombre devrait non seulement être considérée comme un outil participant au développement d'une concurrence loyale, mais aussi comme un outil d'aménagement du territoire, de développement économique et touristique. Dès lors, votre commission et votre groupe d'études « Poste et télécommunications » soutiennent la proposition 138 ( * ) , visant à permettre à une collectivité locale, lorsqu'elle souhaite réaliser des investissements en matière de téléphonie mobile, de pouvoir exiger des opérateurs de recourir à l'itinérance pour permettre une couverture optimale du territoire concerné . Une disposition législative devrait introduire cette possibilité dans le droit français, ce qui serait tout à fait légitime dès lors que la puissance publique finance l'installation des pylônes concernés. |
3. Normaliser enfin la fiscalité locale de France Télécom
a) Une fiscalité locale dérogatoire au droit commun
La loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications a transformé les anciennes directions générales de l'Etat en deux personnes morales de droit public distinctes (La Poste et France Télécom), dotées de l'autonomie financière et relevant du droit commercial. Cette loi a également redéfini un cadre de gestion, dans lequel chaque exploitant public est doté de l'autonomie financière, assure la gestion de son patrimoine et veille à l'équilibre financier de ses activités.
Alors que la DGT, en tant qu'administration de l'Etat, n'était imposable ni aux impôts locaux ni à l'impôt sur les sociétés, l'octroi de la personnalité morale aux opérateurs a conduit à appliquer une fiscalité de « droit commun » à La Poste et à France Télécom, justifiée par un principe d'égalité fiscale et de neutralité économique vis-à-vis des autres opérateurs. La loi de 1990 a ainsi décidé de l'assujettissement des nouveaux exploitants publics aux impôts directs locaux 139 ( * ) , après une période transitoire de trois ans, prenant fin au 1 er janvier 1994 140 ( * ) , mais selon des modalités particulières . Ce nouveau régime fiscal a opéré un « partage » destiné à garantir des ressources à l'Etat : l'article 21 de la loi dispose que le budget général reçoit chaque année le montant des impôts locaux de France Télécom constaté au 1 er janvier 1994, majoré d'un mécanisme d'indexation sur la variation des prix et la consommation des ménages. Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale bénéficient, via le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP), de la croissance du produit de ces taxes au-delà de la part dévolue à l'Etat, stable en francs constants.
Le principe est donc : l'Etat perçoit les taxes professionnelles et foncières 1994 actualisées, le FNPTP perçoit, avec un an de décalage 141 ( * ) le solde excédentaire, en fonction de l'évolution du produit de ces taxes.
Mécaniquement, au-delà de la part de l'Etat, stabilisée, la dynamique des bases d'imposition a donc profité au FNPTP, qui ne perçoit toutefois que le tiers du total des taxes locales de France Télécom, l'Etat continuant à se tailler la part du lion (deux-tiers).
RÉPARTITION DU PRODUIT DE LA TAXE
PROFESSIONNELLE
ET DES TAXES FONCIÈRES DE FRANCE
TÉLÉCOM
( en millions de francs)
Année d'imposition |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
Etat |
4 251 |
4 327 |
4 422 |
4 489 |
4 522 |
4 612 |
4 658 (710 millions d'€) |
Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle |
0 |
293 |
734 |
1 271 |
1 660 |
1 995 |
2 124 (323 millions d'€) |
TOTAL |
4 251 |
4 620 |
5 156 |
5 760 |
6 212 |
6 607 |
6 782 |
Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
Ce système dérogatoire au droit commun -s'agissant d'impôts locaux perçus par l'Etat- a donc largement profité à ce dernier, à qui il a garanti une confortable rentrée fiscale. C'est dans une bien moindre mesure, qu'il a, avec le surplus, abondé le fonds de péréquation de la taxe professionnelle.
Il n'est désormais plus tenable .
b) Une situation désormais intenable
Depuis l'ouverture du secteur à la concurrence , votre rapporteur n'a cessé de dire que le régime dérogatoire d'assujettissement de France Télécom à la fiscalité locale devait, pour des raisons d'équité concurrentielle (voir ci-après), être aligné sur le droit commun.
Les travaux parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, ont souligné à plusieurs reprises que les modalités d'imposition de France Télécom ne sont plus adaptées à sa situation concurrentielle. L'entreprise elle-même réclame une imposition dans des conditions de droit commun, car elle souhaite être placée dans une situation identique à celle de ses concurrents vis-à-vis des collectivités locales, qui sont, souvent, des partenaires, mais aussi des clientes. L'introduction en bourse de France Télécom en 1997, en franchissant une étape supplémentaire dans la banalisation de cette entreprise, ravive encore la question de la remise en cause du statut fiscal spécifique de France Télécom.
D'ailleurs, une procédure précontentieuse a été engagée par la Commission européenne contre ce régime fiscal, à la suite d'une plainte au titre d'aides d'Etat, interdites en droit communautaire .
Par lettre en date du 28 juin 2001, la Commission européenne a demandé des compléments d'information au Gouvernement français sur le régime spécifique de France Télécom. Elle fait observer que ce régime pourrait constituer une aide d'Etat au sens de l'article 87 du Traité et créer des distorsions de concurrence , en raison notamment de l'assujettissement de France Télécom au lieu de son siège social, sur la base d'un taux unique, et de la moindre imposition qui en résulterait.
Votre commission et votre groupe d'études jugent que ce grief pourrait être fondé, puisque les projections de la direction générale des impôts 142 ( * ) montrent qu'une normalisation de la taxe professionnelle de France Télécom entraînerait, à droit constant, un surcoût d'imposition de 1,3 milliards de francs (198 millions d'euros).
A noter que si la réforme était mise en oeuvre en 2003, ce surcoût devrait être automatiquement « absorbé » par la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle consécutive à la réforme de cette taxe (environ 1 milliard de francs, soit 152 millions d'euros en 2003).
Ce système, mis en place en 1994 est, en outre, en train de se vider de sa substance . En effet, France Télécom a récemment procédé à la filialisation de certaines de ses activités et, en particulier, de ses activités de téléphonie mobile et Internet en 2000, ainsi qu'au transfert à ses filiales des actifs immobiliers correspondant à ces activités.
Ainsi, s'agissant des activités de téléphonie mobile, les contrats d'apports ont été signées en août 2000 et leur date d'effet a été fixée au 1 er janvier 2001. Le régime fiscal dérogatoire est applicable à la maison mère France Télécom SA et non à ses filiales (comme Orange ou Wanadoo). A compter du 1 er janvier 2001, les activités des filiales sont donc imposables dans les conditions de droit commun. En conséquence, les collectivités locales bénéficient dès à présent du produit des impositions locales correspondantes : environ 650 millions de francs, soit 99 millions d'euros pour 2002.
c) Une réforme à mettre en oeuvre autour d'un impératif : le maintien de la péréquation fiscale
La question de la normalisation de la fiscalité locale de France Télécom est posée depuis au moins 1996. En effet, lors du débat sur l'ouverture du secteur à la concurrence, en 1996, votre rapporteur avait logiquement fait valoir que la « banalisation » de France Télécom, qui perdait son statut de monopole, devrait s'accompagner de la normalisation de sa fiscalité.
Depuis, ce raisonnement a été largement repris, dans les deux chambres du Parlement et sur tous les bancs politiques. A chaque débat budgétaire depuis lors, la question a été posée, et des solutions proposées, parfois sous des formes diverses. Les parlementaires ont d'ailleurs à plusieurs reprises adopté des amendements normalisant la fiscalité locale de France Télécom, finalement in extremis retirés du texte de la loi de finances, sous la pression du Gouvernement.
Le Gouvernement n'a, quant à lui, pas été avare de promesses et a utilisé toutes les manoeuvres dilatoires possibles pour repousser le débat... à la prochaine loi de finances. Il a ainsi commencé par promettre d'y réfléchir dès 1997, mais l'an prochain, puis a argué de la mise en place d'un groupe de travail entre France Télécom et la direction du budget -dont il n'a pas vraiment accéléré les travaux- pour repousser la décision et a enfin eu recours au « subterfuge » du rapport au Parlement pour gagner encore quelques mois.
Face à la demande croissante des parlementaires de voir enfin résolue cette question, l'article 90 de la loi de finances pour 2001 (promulguée en décembre 2000) a en effet prévu un rapport du Gouvernement au Parlement qui :
- « fait le point sur l'état d'avancement des négociations menées entre le Gouvernement et France Télécom sur la normalisation de la fiscalité locale de cette entreprise, ainsi que sur l'évolution du recensement de ses bases ;
- « analyse de façon détaillée les possibilités d'une réforme susceptible de concilier la mise en oeuvre d'une imposition aussi proche que possible du droit commun pour France Télécom et le maintien des ressources du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, ainsi que la prise en compte des conséquences budgétaires de cette réforme d l'Etat ».
Bien entendu, ce rapport, qui devait être rendu, en vertu de la loi, avant le 1 er juin 2001 , et reposant en grande partie sur les conclusions du groupe de travail précité, déjà anciennes, n'a été déposé devant le Parlement... qu'en novembre 2001 , soit trop tardivement pour être intégré à la version initiale du projet de loi de finances pour 2002, déposé en septembre par le Gouvernement.
Bien que le Sénat ait, à nouveau, adopté un amendement portant sur cette question, le Gouvernement a donc, une fois de plus, convaincu l'Assemblée nationale d'attendre le prochain projet de loi de finances pour trancher la question.
Avec ces manoeuvres, le Gouvernement a gagné cinq années, soit une législature...
Votre commission et votre groupe d'études estiment que les principes suivants doivent guider une réforme désormais inévitable :
Les collectivités locales doivent enfin percevoir de plein droit la fiscalité locale de France Télécom qui est désormais une entreprise comme les autres . En 2000, 15.000 communes disposent d'un établissement France Télécom sur leur territoire, soit presque une commune sur deux. La normalisation de la situation doit être aussi poussée que possible, incluant une imposition des bases de France Télécom au niveau local et une liquidation sur la base au taux pratiqué par les collectivités concernées et non plus sur la base d'un taux moyen national.
Pour s'opposer à un tel transfert, l'Etat a souvent mis en avant le fait que les ressources supplémentaires pour les communes, départements et régions, seraient très inégalement réparties , voire auraient tendance à favoriser des collectivités déjà largement dotées en ressources fiscales. Les simulations de la direction générale des impôts montrent que pour 60 % des communes concernées le produit communal progresserait de moins de 5,8 % avec des écarts (les villes de moins de 700 et de plus de 100.000 étant favorisées) et quelques cas atypiques (une commune de moins de 500 habitants dotée d'une implantation importante). Pour les départements, la hausse globale des produits perçus ressort à 4,4 %, 70 % d'entre eux voyant leur produit augmenter de moins de 5 % (l'augmentation la plus faible étant 1,2 % et la plus forte 14,1 %). Pour les régions, les hausses sont moins dispersées, autour de la moyenne (+ 4,4 %) .
Assurément, l'inconvénient de l'éventuelle iniquité de la répartition des produits existe, pour la fiscalité locale de France Télécom comme pour la fiscalité locale en général, mais d'une part cet inconvénient peut être atténué par des processus d `écrêtement (voir ci-après) et, d'autre part, cet inconvénient est moindre que celui qui découle de la situation actuelle, où les collectivités concernées ne perçoivent pas les produits d'une imposition locale.
Toutefois, les ressources affectées à la péréquation doivent être maintenues.
Rappelons que le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP) et le fonds national de péréquation (FNP) constituent deux des outils essentiels de péréquation des ressources entre les collectivités locales , et sont donc deux instruments d'équité fiscale au service de l'aménagement du territoire.
Le FNPTP finance essentiellement la dotation de développement rural 143 ( * ) , le mécanisme de compensation des pertes de bases de taxe professionnelle 144 ( * ) , la compensation des pertes de dotation de compensation de taxe professionnelle des communes défavorisées 145 ( * ) . A cet effet, il bénéfice des ressources suivantes : une partie de la cotisation nationale de péréquation (2.330 millions de francs en 2001, soit 355 millions d'euros), deux dotations de l'Etat (pour un total de 1.729 millions de francs en 2001, soit 264 millions d'euros) et une partie de la fiscalité France Télécom et de La Poste de l'année précédente (pour une partie excédant la recette de l'Etat en 1994, indexée sur les prix), pour 2.217 millions de francs (338 millions d'euros) en 2001.
La part de fiscalité France Télécom finance, en outre, une partie du coût pour l'Etat des exonérations de taxe professionnelle prévues par le pacte de relance pour la ville 146 ( * ) , et, pour l'année 2001, une majoration de 150 millions de francs (23 millions d'euros) de la dotation de solidarité rurale.
Compte tenu de l'ensemble de ses charges et de ses ressources, le FNPTP dégage un solde positif (3.099 millions de francs en 2001, soit 472 millions d'euros), qui constitue la principale ressource du fonds national de péréquation (FNP), avec la dotation de l'Etat au FNP (710 millions de francs (108 millions d'euros) en 2001, majorés de 150 millions de francs (23 millions d'euros) à titre exceptionnel. Sur ces ressources, le FNP finance une part principale et une majoration, attribuées aux communes à faible potentiel fiscal et l'effort fiscal élevé par rapport à leur strate démographique, à hauteur de près de 3,8 milliards de francs (579 millions d'euros) en 2001.
La disparition de la recette que constitue l'excédent de la fiscalité locale de France Télécom pour le FNPTP et le FNP (soit 30 % de l'ensemble des ressources des deux fonds) réduirait donc les dotations au profit des communes défavorisées.
La banalisation de la fiscalité locale de France Télécom doit prendre en compte cette question, faute d'avoir un impact « anti-péréquateur » que le Sénat ne saurait accepter .
Votre commission propose donc que le transfert aux collectivités locales de la fiscalité locale de France Télécom soit total, à la réserve près d'un maintien des ressources (2 milliards de francs, soit 300 millions d'€) du FNPTP.
Plusieurs solutions sont techniquement possibles pour atteindre cet objectif : par exemple, un écrêtement au profit du FNPTP des recettes de fiscalité locale de France Télécom attribuées aux collectivités destinataires du produit (ou de celles des collectivités percevant un surplus de produit supérieur à l'augmentation moyenne du produit pour ce type de collectivité). Suivant son mode de calcul, cet écrêtement pourrait, lisser les taux d'augmentation des produits fiscaux perçus par les différentes collectivités.
En revanche, vouloir assurer sa « neutralité budgétaire » pour l'Etat viderait cette réforme de son sens.
Votre rapporteur s'inquiète, à cet égard, de récents documents de travail de l'Etat qui, tout en reconnaissant la légitimité du transfert de la fiscalité locale de France Télécom aux collectivités, proposent des moyens de mise en oeuvre qui videraient la réforme de sa substance.
Ainsi, dans le récent rapport du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur ce sujet, peut-on lire : « La situation financière des collectivités locales, globalement saine, solide et dégageant des capacités de financement, ne justifie pas que l'Etat se prive des recettes nécessaires au financement des administrations publiques et au respect de ses engagements en matière de réduction des défi cités budgétaires et de baisse des prélèvements obligatoires [...]. En l'absence de tout nouveau transfert de compétences ou de charges, la normalisation de la fiscalité locale de France Télécom ne doit donc pas avoir pour effet d'aggraver la situation financière de l'Etat ».
Ce rapport privilégie donc une « famille de solutions » qu'il juge « équilibrées » et qui consistent à ... compenser à l'Etat sa perte de recette, c'est-à-dire à reprendre d'une main ce qu'on aura rendu de l'autre, au prétexte que les collectivités locales ont su se montrer meilleurs gestionnaires des deniers publics et sont en meilleure situation financière que l'Etat !
Dans son récent et attendu rapport sur les finances locales (rédigé par les ministères de l'intérieur et de l'économie, des finances et de l'industrie, en mars 2002), à propos d'une réforme du fonds national de péréquation (FNP), il est affirmé que « la neutralité budgétaire, tant pour l'Etat que pour le FNPTP, qui devra nécessairement conditionner la rétrocession aux collectivités locales de la fiscalité locale de France Télécom, serait assurée par une réduction à due concurrence de la compensation que les collectivités concernées perçoivent au titre de la suppression de la part « salaires » de la taxe professionnelle ». Pour assurer cette « neutralité budgétaire », qui n'est même plus considérée comme une option, mais posée dans ce rapport comme une obligation , l'Etat est même prêt à rompre l'engagement solennel -qui s'apparente à un contrat moral passé avec les collectivités locales- de compensation pour ces dernières de la réforme de la taxe professionnelle, décidée par l'Etat, plus prompt à réformer les impôts des collectivités -quitte à remettre en cause leur autonomie financière- qu'à moderniser les siens. Votre rapporteur ne peut que s'indigner qu'une telle perspective, si contraire aux engagements pris par l'Etat et fermement défendus par le Gouvernement devant le Parlement, soit tracée par l'administration.
Votre Commission est donc opposée à toute « compensation » à l'Etat, qui serait illégitime pour trois raisons :
1) la perception de cette recette par l'Etat est une anomalie, s'agissant de fiscalité locale, source de distorsions concurrentielles ;
2) l'Etat a touché, en 1998, 1999 et 2000, 4 milliards de francs (609 millions d'euros) de dividende en tant qu'actionnaire de France Télécom et, en 2001, 4 milliards de francs (619 millions d'euros) au titre des licences UMTS. Au titre de l'exercice 2001, et malgré un déficit de 8,3 milliards d'euros lié à des dépréciations d'actifs, France Télécom versera encore un dividende de 1 euro par action (soit plus de 600 millions d'euros pour l'Etat), payable en actions en ce qui concerne son actionnaire majoritaire l'Etat, ce qui, compte tenu de la faiblesse historique du cours de l'action, revenu à son niveau d'introduction de 1997 (sous la barre des 30 euros, pour des estimations autour de 70 à 100 euros de sa valeur intrinsèque sur le moyen terme), pourra se révéler, avec la reprise des marchés boursiers, une excellente opération financière pour l'Etat.
L'entreprise contribue donc assez largement à l'équilibre du budget général de l'Etat, sans qu'il soit nécessaire d'aller au-delà ;
3) les transferts de charge aux collectivités locales en matière de télécommunications (environ 10 milliards de francs, soit 1,5 millions d'euros, cf. ci-dessus, dans le seul cadre de financements de réseaux à haut débit) sont tout à fait massifs et avérés.
* 136 Cf. Chapitre III, C, 1, b.
* 137 Source : « Pour une république territoriale, l'unité dans la diversité », Rapport de M. Jean-Paul Delevoye et M. Michel Mercier sur la décentralisation, Sénat, 2000.
* 138 Formulée notamment par l'ADF.
* 139 Article 18 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
* 140 Durant la période transitoire, France Télécom a versé une contribution forfaitaire au budget général de l'Etat.
* 141 Ce solde est connu à l'automne alors que la répartition du FNPTP se fait en début d'année.
* 142 Lois - rapport au Parlement sur la normalisation de la fiscalité locale de France Télécom, novembre 2001.
* 143 785 millions de francs (120 millions d'€), en 2001, répartis par les préfets sous forme de subvention aux groupements de communes.
* 144 867 millions de francs (132 millions d'€), en 2001, attribués de façon automatique mais dégressive sur trois ans aux communes et aux groupements qui connaissent une diminution de leurs bases de taxe professionnelle.
* 145 Pour un total de 569 millions de francs (87 millions d'€) au titre de 1999, 323 millions de francs (49 millions d'€) au titre de 2000 et 341 millions de francs (52 millions d'€) au titre de 2001.
* 146 A hauteur de l'accroissement annuel de l'excédent de fiscalité de France Télécom, soit 141 millions de francs (21,5 millions d'€) en 2001.