II. LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA RÉFORME DES FINANCES LOCALES
A l'occasion notamment de sa réunion du 9 avril 2003, votre commission des finances a exprimé les principes devant, selon elle, guider la réforme, non seulement de la fiscalité locale, mais également de l'ensemble des finances locales.
Votre commission des finances précisera bien entendu sa réflexion à l'occasion de l'examen des différents textes qui lui seront soumis.
Les principes devant guider la réforme des
finances locales
|
1. ne pas augmenter la pression fiscale globale, ce qui implique une stricte équivalence des transferts de ressources et de charges ; |
2. renforcer l'autonomie de gestion des collectivités territoriales, en particulier en ce qui concerne les nouvelles compétences, qui devront être financées par des transferts de fiscalité ; |
3. concilier lisibilité et stabilité des recettes en instaurant une relative spécialisation fiscale (chaque niveau de collectivités pouvant disposer, par exemple, d'un impôt sur les ménages et d'un impôt sur les entreprises) ; |
4. conforter l'assiette des impôts fonciers ; |
5. préserver les assiettes locales en confiant la gestion et le coût de toute nouvelle mesure d'exonération, de dégrèvement ou d'abattement aux collectivités territoriales percevant les impôts correspondants ; |
6. prendre en compte les ressources et les charges des collectivités territoriales pour la mise en oeuvre de la péréquation ; |
7. organiser la consolidation et renforcer la cohérence des dotations ; |
8. responsabiliser les assemblées délibérantes des collectivités territoriales en leur confiant le pouvoir de fixer les taux et barèmes de toutes leurs ressources fiscales, actuelles ou objet des transferts à venir. |
III. EXAMEN EN COMMISSION
A. SÉANCE DU 9 AVRIL 2003
Au cours d'une première séance tenue le mardi 9 avril 2003 dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu une communication de M. Jean Arthuis, président , sur les perspectives d'évolution de la fiscalité locale .
M. Jean Arthuis, président, a rappelé que la commission avait procédé, du 1 er au 9 octobre 2002, à l'audition de dix spécialistes de la fiscalité locale : des directeurs d'administration centrale - MM. Hervé Le Floc'h-Louboutin, directeur de la législation fiscale, Dominique Bur, directeur général des collectivités locales, et Jean Bassères, directeur général de la comptabilité publique -, deux consultants - MM. Philippe Laurent, président directeur général de Philippe Laurent Consultants, et Michel Klopfer, président directeur général du cabinet Michel Klopfer -, deux représentants de grandes agences de notation - Mme Carol Sirou, responsable des collectivités territoriales européennes de Standard and Poor's, et M. Nicolas Painvin, directeur du département finances publiques du cabinet Fitch Ratings -, ainsi que MM. Hansjörg Blöchliger, administrateur principal à l'OCDE, Guy Gilbert, professeur d'économie à l'école normale supérieure de Cachan, et Dominique Hoorens, directeur des études de Dexia Crédit local.
Il a souligné que ces auditions s'inscrivaient dans la perspective de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 et rappelé que l'article 72-2 de la Constitution, découlant de cette révision, comprenait trois dispositions concernant particulièrement la fiscalité locale : celle qui prévoit que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources », celle selon laquelle « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales » et celle permettant à la loi d'autoriser les collectivités territoriales à « fixer l'assiette et le taux » des impositions de toutes natures, « dans les limites qu'elle détermine ». Il a précisé que le gouvernement devait prochainement présenter deux projets de loi organique : un premier projet, relatif à l'expérimentation et au référendum local, devait être examiné par le conseil des ministres à la fin du mois d'avril 2003 ; un second projet concernerait l'autonomie financière des collectivités, et donc, en particulier, la fiscalité locale.
M. Jean Arthuis, président, a estimé que les auditions réalisées par la commission permettaient de confirmer le bien-fondé de cette révision constitutionnelle, tout en traçant des pistes pour les réformes restant à réaliser.
S'interrogeant sur la manière de faire en sorte que les ressources propres représentent une « part déterminante » des ressources des collectivités territoriales, il a indiqué que les personnes auditionnées avaient souligné que la fiscalité propre présentait plusieurs avantages par rapport aux dotations ou au partage d'impôts d'Etat dont les collectivités territoriales ne fixaient pas le taux : tout d'abord, la concurrence fiscale incitait les collectivités territoriales à adopter des taux d'imposition modérés, et donc à maîtriser leurs dépenses ; ensuite, les collectivités territoriales avaient la possibilité d'ajuster leurs taux en cas de dégradation de la conjoncture nationale ou locale. Il a rappelé que le poids de la fiscalité dans l'ensemble des ressources (hors emprunt) des collectivités territoriales françaises, s'il figurait parmi les plus élevés d'Europe (autour de 40 % actuellement, contre 12 % pour les Pays-Bas), n'en était pas moins en diminution, étant revenu, dans le cas des communes, de 50 % en 1997 à 40 % aujourd'hui. Il a considéré que c'était donc, de manière opportune, que l'on avait inséré dans la Constitution la disposition selon laquelle les ressources propres des collectivités territoriales représentaient, pour chaque catégorie de collectivités, une « part déterminante » de l'ensemble de leurs ressources.
En ce qui concernait les impôts locaux existants, il a indiqué que la principale réforme envisagée par les personnes auditionnées était celle consistant à asseoir la taxe professionnelle sur la valeur ajoutée. Il a précisé que selon plusieurs intervenants, l'une des difficultés essentielles d'une telle réforme serait la localisation de la valeur ajoutée dans le cas des entreprises comprenant plusieurs établissements. Il a indiqué que certains intervenants proposaient de répartir de manière conventionnelle la valeur ajoutée de l'entreprise entre ses établissements, en fonction de critères comme la masse salariale ou les immobilisations foncières de chaque établissement. Il a considéré que cette proposition revenait à instaurer un impôt analogue à la taxe professionnelle avant la suppression de sa part reposant sur les salaires. Il a en outre jugé nécessaire de conforter les assiettes des impôts fonciers, en en actualisant les bases.
Au sujet des transferts d'impôt, M. Jean Arthuis, président, a affirmé que le transfert d'une partie de l'imposition du revenu avait été jugé intéressant, du fait notamment d'une répartition géographique des bases fiscales moins inégale que celle des autres impôts transférables, mais peu réaliste. Il a indiqué en ce qui concernait l'opportunité d'un transfert partiel de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), que le droit communautaire obligeait, selon les intervenants, que la valeur ajoutée soit taxée à un taux uniforme au niveau national, et empêchait donc de faire d'une TVA transférée un véritable impôt local, dans la mesure où les collectivités territoriales ne pourraient pas en fixer le taux. Il s'est interrogé sur les modalités du principal transfert envisagé, celui de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), dont le taux serait modulé au niveau régional. Il a déclaré que si les personnes auditionnées avaient en général été favorables à un tel transfert, plusieurs d'entre elles avaient souligné l'existence de certaines difficultés techniques, en particulier au regard du droit communautaire. Il a précisé que le gouvernement avait ouvert à ce sujet les négociations nécessaires avec la Commission européenne.
Il a indiqué que, selon les intervenants, une fiscalité propre importante devait s'accompagner d'une forte péréquation. Selon ceux-ci, la France se caractériserait non seulement par une part élevée des impôts locaux dans les ressources des collectivités territoriales, mais aussi par la faiblesse de sa péréquation. Il a ajouté que selon les chiffres fournis par la direction de la législation fiscale, les assiettes des impôts qu'il était envisagé de transférer aux collectivités territoriales seraient plus inégalement réparties sur le territoire national que celles des quatre impôts directs locaux existants. Il a précisé que, selon MM. Dominique Bur et Michel Klopfer, c'était la péréquation horizontale qu'il convenait de renforcer, c'est-à-dire celle effectuée entre collectivités territoriales en fonction de leurs bases fiscales (par opposition à celle effectuée par le biais des dotations d'Etat, dite « verticale »), compte tenu de la difficulté d'accroître davantage la péréquation par les dotations, déjà importante, alors que la péréquation par les bases était, elle, encore peu développée.
En ce qui concernait la fixation de l'assiette et du taux des impôts locaux par les collectivités territoriales, il a indiqué que plusieurs personnes auditionnées avaient estimé que la déliaison des taux engagée par la loi de finances pour 2003 devait être poursuivie, certaines d'entre elles ayant cependant exprimé des réserves. Il a ajouté qu'il avait été envisagé, lors de ces auditions, d'attribuer aux collectivités territoriales certaines facultés s'agissant de la détermination des bases : révision des valeurs locatives à l'initiative des collectivités territoriales ; décentralisation des mesures d'exonération, d'abattement et de dégrèvement, dont la gestion serait assurée et le coût supporté par les collectivités territoriales.
En conclusion, M. Jean Arthuis, président, a estimé qu'en matière de réforme de la fiscalité, peu de propositions claires avaient été encore, à ce stade, formulées. Il a considéré qu'il s'agissait d'une réforme complexe, nécessitant imagination, pédagogie et responsabilité, le renforcement de la décentralisation devant reposer sur des instruments fiscaux adaptés. Il a souligné le poids des dégrèvements, exonérations et abattements, qui constituaient autant de facteurs d'inégalités entre collectivités territoriales. Il a affirmé que la commission des finances aurait un rôle essentiel à jouer lors de la réforme de la fiscalité locale.
Il a donc souhaité que puissent être diffusés, selon des modalités à définir, les procès-verbaux des auditions effectuées en octobre 2002 sur le thème de la fiscalité locale, ainsi que les documents fournis par les intervenants, précédés d'une présentation synthétique des différents points de vue exprimés.
Un large débat s'est alors engagé.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a estimé que ces auditions avaient renforcé les commissaires dans la conviction qu'ils devraient jouer un rôle actif dans la réforme des finances locales. Il a considéré que la commission devrait affirmer, à cette occasion, certains principes, comme l'équivalence des transferts de ressources et de charges, l'augmentation de la part des ressources propres dans les ressources des collectivités territoriales, l'autonomie de gestion, l'instauration d'une certaine spécialisation fiscale (chaque niveau de collectivités disposant d'un impôt sur les ménages et d'un impôt sur les entreprises), et les difficultés d'une réforme des impôts directs locaux. Il a en outre jugé nécessaire de simplifier les dotations.
M. Joël Bourdin a rappelé que la majeure partie des ressources des collectivités territoriales provenait de l'Etat, a jugé que la péréquation était satisfaisante, a regretté la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, ainsi que de la vignette automobile, et a considéré qu'il n'était pas possible d'asseoir la taxe professionnelle sur la valeur ajoutée, qui était difficilement localisable.
M. Philippe Adnot a estimé que les travaux de la commission devraient bien préciser que les points de vue des personnes auditionnées ne reflétaient pas forcément celui de la commission. Il a jugé que les charges des collectivités territoriales devaient être financées, non seulement par des impôts locaux dont celles-ci fixaient le taux, mais aussi par des dotations évoluant au même rythme qu'elles, selon que les collectivités territoriales disposaient ou non d'une liberté de gestion à leur égard. Il a estimé que pour cette raison, le principe constitutionnel, selon lequel les ressources propres devaient représenter une « part déterminante » des ressources des collectivités territoriales, risquait de ne pas être respecté.
M. Jean Arthuis, président, a considéré qu'il n'était pas opportun de décentraliser des charges pour lesquelles les collectivités territoriales ne disposaient pas de liberté de gestion.
M. Philippe Marini, rapporteur général, a estimé que la future loi organique sur les finances locales devrait préciser que l'autonomie fiscale était définie par niveau de collectivités territoriales.
M. François Marc a considéré que les auditions réalisées par la commission avaient permis de constater que les collectivités territoriales françaises disposaient d'une autonomie financière et fiscale qu'il jugeait satisfaisante par rapport à celle de leurs homologues européennes. Il a souhaité que la commission s'interroge sur la compatibilité de la réforme de la TIPP avec le droit communautaire, a exprimé son scepticisme quant à l'opportunité de privilégier la péréquation « horizontale » par rapport à la péréquation « verticale », a craint que le financement de nouvelles compétences par l'impôt local n'aggrave les inégalités entre collectivités territoriales, et a jugé nécessaire de simplifier les dotations.
MM. Jean Arthuis, président, Philippe Marini, rapporteur général, et Aymeri de Montesquiou, ont estimé qu'il conviendrait, en introduction à la présentation des travaux réalisés par la commission, d'indiquer quels principes devraient, selon elle, guider la réforme des finances locales.
M. Michel Sergent a estimé nécessaire de réviser les valeurs locatives cadastrales, s'est interrogé sur l'opportunité de la suppression de la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires, et a jugé que, s'il existait un consensus quant à la nécessité de réformer les dotations, il risquait d'être plus difficile de s'entendre sur des réformes précises.
M. Michel Mercier a considéré que la principale réforme devait consister à assurer l'autonomie de gestion des collectivités territoriales, afin de permettre des gains de productivité. Il s'est interrogé sur l'opportunité de transférer aux départements une partie des recettes de la TIPP, sans leur permettre d'en fixer le taux. Il a jugé que la péréquation devait prendre en compte les charges, et donc se faire par dotations, et approuvé le point de vue de M. Philippe Adnot, selon lequel la nécessité de financer certaines charges transférées par dotations risquait de rendre impossible le respect du principe constitutionnel selon lequel les ressources propres devaient représenter une « part déterminante » des ressources des collectivités territoriales.
M. Claude Belot a jugé que les considérations sur l'autonomie financière et l'autonomie de gestion des collectivités territoriales ne devaient pas faire oublier que certaines pratiques de l'Etat, concernant notamment les modalités d'exécution des contrats de plan Etat-région, privaient, de fait, les collectivités territoriales d'une grande partie de leur autonomie. Il a estimé que la révision des valeurs locatives cadastrales était politiquement difficile, et s'est interrogé sur la pertinence du régime actuel des dotations d'intercommunalité. Il a exprimé son pessimisme quant à la possibilité d'accroître de manière significative l'autonomie des collectivités territoriales.
M. Joël Bourdin a souligné l'importance de la fiscalité indirecte, et en particulier de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, dans les recettes de certaines collectivités territoriales.
M. Paul Girod a jugé qu'il n'y avait aucune raison confier la gestion de l'allocation personnalisée autonomie (APA) aux départements plutôt qu'à une autre catégorie de collectivités territoriales, qu'il était nécessaire de réviser les valeurs locatives cadastrales, et que la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pourrait être utilement simplifiée.
Au vu du large débat qui s'était instauré, la commission a décidé de confier le soin, lors d'une prochaine réunion, à M. Jean Arthuis, président, de présenter une synthèse générale des auditions sur la fiscalité locale réalisées en octobre 2002, synthèse qui serait précédée de l'affirmation des principes de base devant présider à la réforme des finances locales. La commission a, ensuite, souhaité que l'ensemble de ces travaux puissent être publiés, en tant que contribution au débat, sous la forme d'un rapport d'information.